Dimanche 11 avril 2021
Fatma-Zohra : un style osé, un tempérament bien trempé
Si on devait faire un parallèle entre Fatma-Zohra et un autre géant du patrimoine kabyle, ça serait sans nul doute avec Cheikh Nourredine, car ses chansons sont aussi drôles et aussi cocasses, voire osées !
Enfants, nous l’écoutions avec émerveillement, tant elle nous entraînait dans un monde irréel attachant, en total opposition de phase avec l’atmosphère de qui-vive qui régnait sur nos collines. Ses chansons sont aussi humoristiques que celles de Cheikh Nordine, avec des paroles audacieuses pour une société qui baigne dans une chasteté hors normes. Tout autant que « Yeqsiyi wezrem » de Bahia Farah, le titre « A Mohand a mmi » ne s’écoutait pas en famille. Ce n’est pas du « Je t’aime moi non plus » de Gainsbourg ni du « Déshabillez-moi » de Juliette Gréco mais, à notre échelle sociétale, ça y ressemble, la subtilité et la cocasserie en plus.
Même si son répertoire se limite à quatre titres « Mohand a mmi », « Anahlou s’Inchallah », « Anili labbas », « Ay alxal ajdid », elle a marqué son temps par le triomphe immense que chaque chanson recevait de la part d’un public conquis par son style original. Ces quatre titres totalisent 11minutes de pur bonheur, à écouter sans modération.
Biographie
Fatma-Zohra est née en 1906 sur les hauteurs d’Alger et s’installe à Paris en 1930.
Elle s’est mariée avec Moh-Akli, un jeune musicien qui l’accompagne à la mandole lors de soirées pour travailleurs immigrés. Ensemble, ils ouvrent un restaurant à Paris, dans le 14ème arrondissement. Établissement qui sera fréquenté par des artistes tels que Cheikh El Hasnaoui.
Très connue dans le Tout-Paris arabe et kabyle, elle aide de nombreux artistes, comme Farid Ali, Ali Khelifi, Allaoua Zerrouki, Slimane Azem, ou encore Cheikh Arab Bouyezgarene.
A partir de 1949, la maison Pathé la sollicite pour enregistrer quelques chants. Elle publie les quatre titres susmentionnés. Le succès est immédiat et fulgurant !
Elle a également interprété un duo avec Slimane Azem » kem ak d nak, nak ak d kem « , et un autre avec Cheikh Arab Bouyezgarene « Akka ay d-uss ». À ne pas confondre avec le « akka i d-us » d’Akli D., quoique le refrain en a gardé quelques soupçons musicaux. Pas besoin d’avoir une oreille absolue pour s’en apercevoir.
À la fin de la guerre d’Algérie, et après le décès de son mari, elle quitte la métropole pour revenir à Alger. Elle animera durant de nombreuses années, aux côtés d’autres divas telles que Lla Yamina, Chérifa, Bahia Farah, Hnifa, Djamila, Anissa etc., une émission quasi quotidienne de chants féminins traditionnels kabyles sur la radio chaîne 2 : Nubba Lxalat.
Oubliée, Fatma-Zohra meurt en 2001 à l’âge de 95 ans dans une indifférence inversement proportionnelle à son immense talent… Aucun hommage officiel ne lui a été rendu.
Nous vous proposons le texte original suivi de la traduction de « Ah Mohand a mmi » ainsi que la piste audio qui regroupe les enregistrement des quatre titres.
Ay a Muḥend a mmi
Ay a Muḥend a mmi
Ur tessin ad terr seksu
Anef-as, anef-as a yemma
Deg yirebbi-s ad yi-d-tessu
Ay aɣrib-iw ah
Sidi Σebderraḥman
Ya Bab n lberhan
Ad d-terreḍ aɣrib s imawlan
Ay aɣrib-iw ah
Ay a Muḥend a mmi
Ur tessin i berkukes
Anef-as, anef-as a yemma
Deg yirebbi-w i tettexnunnes
Ay aɣrib-iw ah
Sidi Σebderraḥman
Ya Bab n lberhan
Ad d-terreḍ aɣrib s imawlan
Ay aɣrib-iw ah
Ay a Muḥend a mmi
Tuker-iyi rritla n zzit
Anef-as, anef-as a yemma
Iḍelli i d-tedda d tislit
Ay aɣrib-iw ah
Sidi Σebderraḥman
Ya Bab n lberhan
Ad d-terreḍ aɣrib s imawlan
Ay aɣrib-iw ah
Ay a Muḥend a mmi
Tameṭṭut-ik d taberkant
Anef-as, anef-as a yemma
Nekk ɣur-i d tamarikant
Ay aɣrib-iw ah
-Ô Mohand mon enfant
Chez elle le couscous c’est le néant
-Laisse-la donc maman
Je me prélasse dans son giron
-Ô mon pauvre exilé ah
Par Abderrahmane le Saint
Aux pouvoirs de magicien
Ramène l’exilé chez les siens
Ô mon pauvre exilé ah
-Ô Mohand mon enfant
Elle ne sait pas cuire les petits plombs
-Laisse donc tomber maman
Elle s’étreint dans mon giron
-Ô mon pauvre exilé ah
Par Abderrahmane le Saint
Aux pouvoirs de magicien
Ramène l’exilé chez les siens
Ô mon pauvre exilé ah
-Ô mon Mohand mon enfant
Elle m’a volé de l’huile par litrons
-Laisse-la donc maman
Elle a gardé son air innocent
-Ô mon pauvre exilé ah
Par Abderrahmane le Saint
Aux pouvoirs de magicien
Ramène l’exilé chez les siens
Ô mon pauvre exilé ah
-Ô Mohand mon enfant
Ton épouse est couleur d’ébène
-Laisse-donc tomber maman
Pour moi c’est une Américaine
-Ô mon pauvre exilé ah