Lorsque les dernières feuilles jaunies s’accrochaient désespérément sur l’arbre en sachant leur impuissance à arrêter l’hiver naissant, l’Algérie redécouvrait qu’elle n’était pas seulement un pays de soleil et que les saisons y ont également pris domicile.
C’était à cette époque de l’année qu’un cérémonial se mettait en place, la sortie du fameux bourabah familial de Saïda.
Après de longs mois en légère tenue, il nous apparaissait aussi lourd que deux buffles réunis. Aucune autre chose ne pouvait si bien imager l’expression « le poids des traditions ».
Un patrimoine de Saïda, un signe héraldique des familles qui préféraient voir la grêle brûler les champs que le bourabah familial volé ou détruit.
Mémoire d’un Oranais (11) : le scanner du colonel Boumediene
Enfoui au fond de l’armoire, c’est tout d’abord l’odeur qui annonçait la sortie d’exil de l’empereur de la maison. Il était la noblesse patrimoniale, le signe de l’aisance. Son apparition venait avec la froideur des nuits algériennes nous couvrir de chaleur.
Le premier lendemain, il nous avait tellement grattés la peau du cou que nous en avions une rougeur toute la semaine. Les jeunes filles de la classe chuchotaient malicieusement, elles qui savaient ce que signifiait la rougeur sur le cou d’un garçon.
Les plus libéraux et iconoclastes d’entre nous étions obligés de trahir la tradition, de faire « comme les français » disaient-ils, c’est à dire de mettre un drap en dessous, une insulte au passé et aux racines.
Le bourabah de Saïda, un héritage familial, un indispensable dans le trousseau de la jeune fille. Il se transmettait de génération en génération comme les bijoux de l’arrière-grand-mère ou la chechia du patriarche.
Le nôtre était de Saïda et chaque famille était convaincue que c’était le meilleur de tout le pays, les autres étant de pâles contrefaçons.
Nous avons été la première génération qui a osé s’éloigner des traditions et pire encore, de rejoindre la civilisation de la couette. Mon grand-père se serait étouffé d’un tel reniement. Il n’a pas souffert car il n’a heureusement pas connu l’écroulement du monde, celui des nuits sans bourabah.
Sid Lakhdar Boumediene