22 novembre 2024
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Gaza, le point de non-retour pour l’Occident

Gaza

La guerre de l’Ukraine ainsi que le récent conflit entre le Hamas et Israël ont fait resurgir de nouveaux pôles d’influence géostratégiques dans le monde. Le bloc occidental, composé des USA et de l’Europe semble être de plus en plus isolé sur la scène internationale, face à la Russie, la Chine et leurs alliés.

Rappelons que l’Inde et la Chine étaient parmi la quarantaine de pays ayant refusé de voter à l’ONU en février 2022 contre l’agression russe de l’Ukraine. Poids démographiques importants et puissances économiques de premier rang, ces derniers ont été un appui capital pour Vladimir Poutine dans sa guerre interventionniste. S’ajoutent nombre de pays sud-américains et africains qui ont soutenu ouvertement le Kremlin, lors des quatre votes à l’ONU ayant trait à ce sujet depuis presque vingt mois. De même, toutes les sanctions dictées par les occidentaux (USA et l’Union européenne) contre la Russie ont été rejetées en bloc par ce nouveau pôle d’influence.

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Au lieu d’affaiblir Poutine, les occidentaux l’ont, semble-t-il, renforcé ces dernières années en lui donnant l’occasion de rafler l’assentiment de plus de deux tiers de la population mondiale vis-à-vis de sa politique. Il se trouve que cet isolement occidental s’est accentué, depuis le 7 octobre 2023, date du début de l’opération du « déluge d’Al-Aqsa », même si le consensus sur le problème ukrainien accuse quelques divergences au sein de la désormais « coalition pro-Poutine » (l’exemple de l’Inde et du Kenya, pourtant proches des Russes sur l’Ukraine, qui se sont alignés sur la position américaine dans le dossier du Moyen-Orient).

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En revanche, Hamas, organisation paramilitaire « terroriste » aux yeux de la Maison Blanche et de l’UE et allié non-déclaré de l’Iran des Ayatollahs, semble avoir la cote auprès de nombre de régimes arabes et africains, lesquels dénoncent la stratégie de « deux poids, deux mesures » optée par les occidentaux, notamment au lendemain des Accords d’Oslo de 1993.

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Cela dit, la fracture qui s’est creusée après la fin de la Seconde Guerre mondiale entre le bloc du Nord et celui du Sud trouve, pour la première fois, dans les deux conflits ukrainien et palestinien, matière à se cristalliser encore davantage. Il convient d’admettre dans cette perspective que, d’une part, Poutine a trouvé dans l’éclatement de l’attaque du Hamas une chance inattendue pour détourner l’attention sur ses violations flagrantes des droits de l’homme dans le territoire ukrainien.

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De l’autre, le profond ressentiment des populations arabes, alliés apparents ou cachés soient-ils des occidentaux, dont certains ont même normalisé leurs relations avec Israël, est d’un grand apport pour le patron du Kremlin. Celui-ci apparaît désormais tel un « héros symbolique » de la « Oumma » (la nation) en déclin, frappée de la malédiction de l’autoritarisme et de la traîtrise, face à l’empire impérialiste americo-européen-israélien.

En outre, des puissances régionales, en dehors du monde dit arabe, tels que l’Iran et la Turquie, se repositionnent pour réoccuper le vide laissé par une Ligue arabe impotente, laquelle ressemble plutôt à une poule sans ailes, en plein milieu d’un marécage. Le président turc Erdogan dont le pays est pourtant membre de l’OTAN, refuse le qualificatif « terroriste » que ses pairs à l’OTAN se plaisent à rajouter au nom du Hamas, s’efforçant contre vents et marées, à capter l’audience du Monde dit arabe, et aussi de façon générale, l’audience des indignés de par la planète face au génocide de la Tsahal à Gaza (plus de 29.000 morts dont plus de 11.000 enfants, sans compter les 1.8 million de déplacés, soit 80% de la population de l’enclave, les blessés, les mutilés à vie et ceux encore disparus sous les décombres).

La voix d’Erdogan sera d’autant plus audible que le bombardement de l’hôpital El-Chiffa à Gaza par l’Etat hébreu, suivi d’autres attaques ciblées d’autres hôpitaux, lieux de culte, écoles et sièges de représentations onusiennes témoigne plutôt d’une barbarie sans nom, ciblant sans distinction ni logique aucune, en violation de toutes les conventions onusiennes, des populations civiles sans défense dans des espaces, censés être à l’abri de l’usage de la force.

De surcroît, « l’homme fort » d’Ankara joue, en quelque sorte, de toutes ses alliances occasionnelles avec Vladimir Poutine et de ses accointances avec l’Europe (l’Otan dont son pays est membre), pour poser les termes d’une médiation réussie en vue d’un cessez-le-feu entre Israël et Hamas. Ce qui n’arrange pas, d’une part, les USA et Israël qui pensent qu’une telle alternative risque d’être à la faveur du Hamas, lequel pourrait reprendre du poil de la bête et sortir « symboliquement » vainqueur du conflit, en cas de conclusion d’une trêve.

De l’autre, Ankara mène une stratégie à géométrie variable quand il s’agit des Russes : il serait judicieux de mentionner, à cet effet, que, bien qu’ayant refusé de mettre en oeuvre les sanctions américo-européennes contre Moscou, Erdogan soutient militairement Kiev, l’allié de l’UE, en empêchant les Russes de renforcer leur flotte en mer noire (l’une des clauses des accords de Montreux de 1936  et de février 2022).

Il est vrai que le siège de Gaza et le commencement de la deuxième étape de l’opération israélienne menacent de démolir toute les infrastructures vitales à Gaza, avec risque de drame humanitaire sans précédent dont les répercussions seront fatales pour toute la région. La contagion du foyer du conflit vers la Cisjordanie, le Sud du Liban,  si elle était fort improbable jusque-là, vu la peur manifeste aussi bien du Hezbollah que des autorités libanaises d’un effondrement total du Liban, en butte à une grave crise économique, devient une réalité concrète, avec l’intensification de la guerre.

Et puis, les poches de résistance en Syrie, en Irak et au Yémen, anciennement proches de Daech, peuvent réactiver leurs soutiens, sous la houlette officieuse iranienne, pour appeler à la résistance de la « Oumma » agressée contre ce qui est appelé dans le jargon arabo-musulman « kayane essou’hyouni » (entité sioniste). « Que ceux qui ont mobilisé le monde en faveur de l’Ukraine ne se soient pas prononcés contre les massacres à Gaza, affirme le président turc Erdogan, est le signe le plus flagrant de leur hypocrisie ». Ce cri indigné d’Erdogan donne à lire l’ampleur de la stratégie adoptée par le maître d’Ankara : le ralliement d’un pôle d’influence des pays du Sud contre ceux du Nord dont les balbutiements se sont au demeurant faits remarquer lors de la rupture des relations diplomatiques entre la Colombie  et Israël sur fond du génocide de Gaza et le rappel de l’ambassadeur sioniste par le Chili.

Un signal fort lancé à l’égard des pays arabes ayant normalisé leurs relations avec le voisin sioniste! L’Occident peine sérieusement à faire entendre sa voix face à ces « néo-empires autoritaires »(Russie, Chine, Turquie, Iran), pour relayer l’excellente expression du géopolitologue Bruno Tertrais, lesquels jouent, d’une part, sur la fibre « tiersmondiste », « force émergente » notamment à travers le fameux BRICS dont le cercle s’est élargi cette année-là pour englober l’Egypte, l’Arabie Saoudite, l’Iran, les Emirats Arabes, l’Argentine, etc. en »bloc opposant » à la suprématie américaine et européenne. Et de l’autre, ils relancent le débat sur l’urgence d’aller vers « le multilatéralisme » dans un nouvel ordre mondial respectant la diversité des équilibres de forces en présence sur la scène internationale.

Signalons au passage que l’Occident comme force homogène, tutrice du Monde dit libre et conscience morale des valeurs humanistes a déjà été mis à rude épreuve par la Turquie dans le dossier épineux de l’Azerbaïdjan pour la reconquête du Haut Karabakh, avec comme conséquence l’exode forcé de milliers d’Arméniens des terres qu’ils habitaient. Ce bras de force a sapé, en quelque sorte, le fondement de l’hégémonie européenne, déjà égratignée à plusieurs reprises dans le dossier migratoire (rappelons à ce titre le chantage exercé par Erdogan sur l’UE depuis au moins 2015, notamment à travers la carte des réfugiés syriens).

Pareil constat peut être également dressé concernant les cas chinois (volonté de reconquérir Taiwan) et russe (dossier ukrainien), lesquels peuvent être perçus comme un pied de nez à l’emprise américano-européenne en Eurasie. De même, nul ne peut sous-estimer la puissance persane dans le jeu géopolitique à l’oeuvre au Moyen-Orient. Hezbollah et Hamas sont, n’en déplaisent à certains observateurs, des « pions » importants qui dérangent et qui pourraient, le cas échéant, tourner la balance en faveur des Ayatollahs dans leur opposition formelle au sionisme. L’axe du mal, rangé auparavant par l’administration américaine dans le vocable de « Rogue states » (Etats voyous) qui englobe l’Iran, la Syrie, la Corée du Nord, le Venezuela, et une partie des pays à présent en état de décomposition post-invasion tels que la Libye et l’Irak, peut servir, à bien des égards, de relais aux intérêts géostratégiques sino-russes, par le biais de « proxy wars » (guerres par procuration).

L’épisode Wagner n’est qu’un petit aspect de cette grande guerre russe menée de par le monde contre les USA. Il faut comprendre que la position sino-russe en faveur d’un cessez-le-feu humanitaire à Gaza et de l’urgence de la mise en place d’un Etat palestinien dérive de cette volonté de s’affirmer comme porte-parole des pays émergents et de décentrer l’hégémonie américaine.

Kamal Guerroua  

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