La naissance d’une « Instance de coordination pour le salut du FLN » (ICS-FLN), proclamée récemment par le sénateur Abdelkader Gaci, ancien mouhafedh et membre du bureau politique du parti, marque une nouvelle étape dans les turbulences internes qui secouent épisodiquement le Front de libération nationale.
Si cette initiative peut sembler relever d’un simple mouvement de contestation organique, elle s’inscrit en réalité dans un contexte politique plus large, où les remaniements au sein des partis dits « soutiens naturels du pouvoir » obéissent à des dynamiques qui dépassent largement leurs bases militantes.
Dans une vidéo diffusée en ligne, le coordinateur autoproclamé de cette nouvelle structure dénonce une série de « dérives graves » survenues depuis le 11e congrès du parti, accusant l’actuel secrétaire général, Benmebarek, d’avoir pris la tête du FLN au terme d’un processus jugé opaque et contraire aux textes régissant le parti. L’ICS-FLN affirme vouloir mobiliser les structures locales, notamment les mouhafadhas, dans une démarche qui vise à provoquer un « sursaut » interne menant au départ du secrétaire général.
Les griefs sont multiples : non-respect du règlement intérieur, transgression des principes historiques du FLN, pratiques d’exclusion ciblant des cadres intègres au profit d’individus « étrangers au parti » et jugés opportunistes. Le tableau dressé est celui d’un parti instrumentalisé et vidé de sa substance militante.
Mais cette fronde n’est pas isolée. Elle intervient dans un climat de recomposition silencieuse de l’architecture politique héritée des années Bouteflika. Quelques jours plus tôt, c’est le Rassemblement national démocratique (RND), l’autre pilier du système politique, qui a connu un changement inattendu à sa tête. Mustapha Yahi, jusqu’ici secrétaire général du parti, a annoncé son retrait « volontaire », en confiant les rênes à un intérimaire dans l’attente du prochain congrès. Une éviction en douceur, certes, mais révélatrice d’une dynamique plus large.
Ce double mouvement simultané dans les deux principales formations « crypto-étatiques », historiquement alignées sur les centres de pouvoir, ne relève pas du hasard. Il traduit un vent de changement orchestré en dehors des partis eux-mêmes.
Ce sont les « sphères rapides de l’exécutif »— autrement dit, les cercles décisionnels informels au sommet de l’État — ainsi que certaines officines influentes, coutumières de l’ingérence dans la vie politique, qui semblent aujourd’hui engagées dans une opération de « nettoyage » des vieux appareils.
Ces cercles restreints, qui gravitent autour du pouvoir exécutif — notamment la présidence, certains ministères régaliens tels que l’Intérieur et la Défense, ou encore les services de sécurité — prennent des décisions en court-circuitant les instances partisanes, imposant des choix stratégiques ou des réajustements politiques, souvent en dehors de tout débat public.
Dans ce contexte, les partis ne sont plus que des vitrines, ajustées selon les besoins du moment. Le timing de ces réajustements, à la veille d’échéances électorales ou de réformes institutionnelles annoncées mais encore floues, n’est pas fortuit. Il s’agit d’assainir les façades politiques, d’apaiser les tensions internes et de préparer, sans éclat, un nouveau casting censé mieux refléter les équilibres post-Hirak, tout en conservant un strict contrôle de l’architecture du pouvoir.
Ainsi, ce qui pourrait apparaître comme un sursaut démocratique ou une volonté de « sauver » le FLN n’est en réalité que l’expression d’une recomposition pilotée d’en haut, loin de toute réelle ouverture ou refondation. La fronde interne, aussi bruyante soit-elle, semble être à la fois tolérée et contenue, dans les limites du possible. Sommes-nous à la veille d’un énième « coup d’Etat scientifique » ?
Samia Naït Iqbal