Le 25 avril, le Portugal célèbre le 45e anniversaire de la « la Révolution des Oeillets ». Ce jour-là, le peuple portugais ,déterminé à rompre avec  la dictature  instaurée par le général Salazar depuis 41 ans ,engageait,de façon pacifique, la bataille de la transition  vers la démocratie.

Le passage prendra exactement deux années; il fut politiquement mouvementé,mais jamais la paix civile n’a connu de véritable rupture. Et le 25 avril 1976, des élections libres, établissant la nouvelle Constitution et la démocratie, mettront formellement un terme à la plus vieille dictature d’Europe.

Cette chute entraînera  immédiatement la  dictature de Franco, en Espagne et celle des colonels en Grèce. A cette époque, je terminais  avec mon équipe une série de reportages pour la télévision (RTA ), dans les îles du Cap-Vert et en Guinée-Bissau, alors colonies portugaises, à la veille de leur accession à l’indépendance.

Je venais de boucler mes reportages dans ces deux pays où j’avais été reçu par Luis Cabral, premier Président de  de la République de Guinée Bissau et des îles du Cap Vert, frère cadet du grand Amilcar Cabral, ainsi que par Pédro Pirès, Premier ministre du Cap Vert.

Sur le chemin du retour à Alger, je débarquais à Lisbonne, en plein milieu de la phase de transition. J’étais  impatient de rencontrer les héros de la Révolution qui faisaient,à ce moment-là, la « Une » des journaux du monde entier, tels Othelo de Carvallo et Melo Antunès. Le Gouvernement était dirigé alors par le Général Gonçalvès, un  officier progressiste, qui aura à affronter l’ultime tentative de contre-coup d’Etat fomentée par le  général Spinoza, figure emblématique du corps expéditionnaire portugais en Afrique, abhorré par les Africains.

J’avais rencontré le  général Gonçalvès à Praïa, la capitale du Cap-Vert, où il s’était rendu pour prendre part aux célébrations de l’indépendance ; et il m’avait exprimé, alors sa confiance en l’issue de la Révolution.

A Lisbonne,la période de liesse et d’euphorie était passée et je trouvais une population apaisée, tranquille, ayant repris le travail après les grèves  les manifestations et les occupations d’usines. Le soir venu, dans les ruelles de la vieille ville, on goûtait sur airs de Fado, équivalent du chaabi, au plus précieux des biens : la liberté. Car m’avait -on dit alors,la dictature en était arrivée à interdire cette musique ancestrale,sous prétexte qu’elle « corrompait les esprits et les moeurs ».

Dans cette « médina » – une réplique étonnante de notre Casbah – accrochée comme elle à un piton, je rencontrais des gens humbles et attachants, qui apprenant que nous étions Algériens, nous regardaient comme des êtres tombés du ciel ,car on ne rencontrait pas encore d’Algériens au Portugal à cette époque-là,et pour cause:l’Algérie était le premier soutien des combattants de la liberté dans les colonies portugaises.

C’est cette population qui, le matin du 25 avril 1974 avait déboulé sur la ville moderne, se massant dans les rues et les places pour réclamer la liberté et chasser le « Système ». 

C’est à proximité du Grand Marché aux oiseaux et aux fleurs, qu’est née la belle légende de la « Révolution des  oeillets ». C’est  l’histoire vraie d’une jeune fille qui, se détachant de la masse des manifestants, un oeillet rouge à la main, s’est dirigée vers un soldat pour  lui offrir la fleur. Cette scène se répétera des milliers de fois et scellera l’alliance du peuple et de son armée.

Plus de 40 ans plus tard, on assistera à la même scène, Place Audin  à Alger. Un clin d’oeil complice d’Alger à Lisbonne par-delà la Grande Bleue. 

S.A.H.