Il fallait oser. Il l’a fait.

Dans Le Point, ce 24 avril 2025, Kamel Daoud nous gratifie d’un chef-d’œuvre d’obscénité intellectuelle : un classement des cadavres. Oui, oui. Une hiérarchie des morts, comme on classe des produits en rayon. À sa gauche, les martyrs algériens ; à sa droite, les cadavres palestiniens. Et entre les deux ? Sa suffisance.

Titre de la chronique : Ces Palestiniens qui viennent nous déranger. Tout est là. Le mort palestinien devient gênant. Il prend trop de place. Il fait de l’ombre au mort algérien. Et selon le grand géomètre de la souffrance, il faudrait redessiner les contours de la douleur acceptable.

On lit ça, et on n’a pas envie de débattre. On a envie de vomir.

Parce que ce n’est pas une maladresse. C’est une stratégie. Fini le temps où Kamel Daoud dénonçait, écrivait, s’indignait. Aujourd’hui, il trie. Il évalue. Il certifie. Il tamponne les douleurs légitimes et jette les autres dans la corbeille. Il a troqué la plume du témoin pour le cachet du greffier du mépris.

Et dire qu’en 2009, dans Le Quotidien d’Oran, ce même Daoud s’enflammait contre le silence des télévisions occidentales face aux massacres de Gaza. Il écrivait alors : « TV d’Occident : pas de cadavres, donc pas de crime ! ». Quinze ans plus tard, le voilà qui recycle la phrase à l’envers : « trop de cadavres palestiniens, donc trop de bruit ».

Quel revirement ! Non, pardon. Quelle chute.

Mais il faut croire que dans certains salons, pour exister, il faut apprendre à mordre les siens. Kamel a bien retenu la leçon. Il n’écrit plus pour éclairer, il écrit pour plaire. Il ne dénonce plus les puissants, il rassure leurs nerfs fatigués. « Rassurez-vous, messieurs, le Palestinien pleure trop, milite mal, dérange l’image. » Et le mort algérien ? Il l’utilise comme caution, comme monnaie. Un martyr brandi contre un autre. Pitoyable.

Comparaison obscène. Rhétorique sordide. Et obsession morbide du « cadavre », qu’il répète à chaque page, comme un corbeau affamé d’os et de silence. Il ne reste rien de l’écrivain. Juste un chroniqueur qui se regarde écrire pendant que le monde brûle.

Et qu’il le sache : on ne compare pas les morts. On ne négocie pas la mémoire. On ne pèse pas les linceuls.

Le Palestinien, l’Algérien, le Syrien, le Libanais, le Yéménite, tous ceux que les bombes et les bottes ont broyés, sont unis dans une même lutte. Celle de rester debout, même morts. Celle de ne pas être réduits à une note de bas de page dans une chronique sponsorisée.

Alors que Kamel Daoud classe, trie, oppose… nous, on se souvient. On pleure les nôtres. Tous. Sans distinction. Et surtout, sans trahison.

Il y a des écrivains. Et il y a des laquais.

Toufik Hedna, éditeur et écrivain

9 Commentaires

  1. « Le Palestinien, l’Algérien, le Syrien, le Libanais, le Yéménite, tous ceux que les bombes et les bottes ont broyés,… »
    Vous auriez pu avoir un tant soit peu de crédibilité si dans votre phrase vous avez associé les Israéliens, mais là que nenni !
    KD à raison et mille fois raison, car il est Algérien, par contre tous les vendus aux arabo-machin vous avez le droit de pousser des cris de vierges effarouchées ,par contre je n’ai pas vu l’un de vous allez aider ses « frères  » armes à la main.
    Je suis Kabyle et je me sens plus proche du peuple juif que des arabes, il est où le problème ?
    Je suis libre et KD est libre aussi, par contre vous ,vous aimez porter les fers, et vivre sous le joug,. Il vous faut toujours un maître.

    • J’ai du mal à comprendre comment on peut être libre en s’essentialisant dans sa condition ethnique. Tous les penseurs qui ont contribué à la » liberté de pensée » ont réfléchi contre leurs sociétés et les abus qu’elles génèrent. L’actualité dramatique nous offre des exemples dont on peut être proche. Voyez Ilan Pappé, Gidéon Levy et il y en a d’autres à l’humanité desquels on se sent proche, être arabe, juif, « arabo-machin »ou extra-terrestre ne change rien à la chose.
      Il s’agit de principe immuables, ce que l’auteur dénonçait dans l’article, c’est l’opportunisme de KD, qui au demeurant n’innove en rie mais s’inscrit dans cette longue tradition de rhéteurs, que le philosophe Alain les « faiseurs ». On les reconnait, écrivait-il, à cela seul « que l’on devine sans peine ce qu’ils vont dire. ».
      Un jour, Daoud, avait dénoncé les imams envoyés par les pays en France, par ces termes: « Qui paie, prêche ».
      Cela lui irait comme un tarbouche: on n’écrit pas la mËme chose pour Le Matin, ou pour Le Point.

      • Je réponds parceque je suis respectueux de tous ,même si je ne partage pas les avis.
        Et aussi lisez la critique littéraire Indienne,Gayatri Chakravorty Spivar, sur l’essentialisme.
        Primo, qui a essentialisé la Kabylie ?
        Qui a voulu nous arabiser de force ?
        Qui a construit plus de 2000 mosquées ( et ça continue encore) dans une région majoritairement laïc ?
        Donc je persiste et je signe.

  2. Merci pour votre réaction salutaire et bienvenue.
    Il reste à préciser que ces intellectuels [native informant)], arrivent bien tard, dans un Occident qui , comme une veille courtisane perd ses derniers maquillage, voit se craqueler son vernis de soit-disant « Lumières ». Dans cette débâcle de la pensée, Daoud, et bien d’autres, n’est pas autre chose, venant en queue de peloton, ou en dernière page du journal qui le stipendie, qu’une espèce de voiture-balai…

  3. Vous dites :
     » Le Palestinien, l’Algérien, le Syrien, le Libanais, le Yéménite, tous ceux que les bombes et les bottes ont broyés, sont unis dans une même lutte. Celle de rester debout, même morts.  »
    Vous pouvez dire aussi :
    « les Touaregs, les Chaouis et surtout les Kabyles, tous ces peuples qui forment l’Algérien, tous ceux que depuis 62, la mafia militaire a broyer et continue à ce jour à faire devraient être unis dans une même lutte. Celle de rester debout, même morts »….
    Je me demande quel est le lien entre la lutte d’un Palestinien, Syrien, Libanais, Yéménite et celle d’un Algérien ?….moi, je vois plutôt l’axe Iranien.
    C’est vrai, Mr Kamel Daoud étant très bien éduqué a certainement appris qu’il faut commencer par balayer chez soi avant d’aller le faire chez les autre » « , je dirais même que c’est vieux comme le monde pour juste une question de bon sens, loin des idéologies type humaniste ou écologiste qui veut sauver le monde.

    C’est vrai , comme vous le dites  » Kamel Daoud classe, trie, oppose… nous, on se souvient. On pleure les nôtres. Tous. Sans distinction. Et surtout, sans trahison » …il classe, tri, oppose les réalités politiques Algériennes surtout celles du régime militaire et de son allié l’islamisme depuis leur alliance dans les années 90 sur le dos du peuple avec leur réconciliation nationale avec une amnistie pour les criminels des deux camps.
    C’est vrai que K.D. se souvient de tous ces Algériens innocents qui ne demandaient qu’à vivre dignement, sans distinction et surtout sans trahison car les victimes (qui se comptent en centaines de milliers, à côté la Palestine ce n’est rien comparée à la puissance de feu et de légitimité à se défendre d’Israël), sont souvent des pauvres laissés pour compte et des intellectuels engagés dont la seule arme était la plume, K.D. reste fidèle et assure la continuité, bravo.

  4. Tanemirt a Bombardier.
    «On ne pèse pas les linceuls. Le Palestinien, l’Algérien, le Syrien, le Libanais, le Yéménite»,
    Et pourtant, c’est ce que vous faites, vous !
    Vous êtes comme beaucoup tellement obnubilé par la dimension religieuse de ce conflit que vous oubliez vos propres même frères qu’on zigouille quotidiennement au Mali. Sans parler de la souffrance des berbères dans les geôles et dans les cimetières depuis l’époque coloniale. Je n’irais pas jusqu’à citer les Congolais, les asiatiques et ailleurs qui ne pèsent pas eux aussi grand chose. Normal, ils ne sont pas musulmans ou pas tant que ça.
    K. Daoud à raison de pointer du doigt cette façon qu’à le pouvoir à nous imposer des affaires sur lesquelles on n’a même la main pour que lui s’occupe, tranquillement, à sa guise, de ce qui nous regarde en premier lieu.
    Et si en 2007 Daoud faisait le contraire, c’est qu’il n’entendait lui aussi à l’époque, comme tout le monde, que les haut parleurs du régime et de ses sous-traitants islamistes. Oui, la prise de conscience, ça demande beaucoup de temps parfois.

  5. Un écrivain qui est incapable de comprendre le second degré, ferait mieux de s’abstenir ! Alors que , justement, dans sa chronique, Daoud vise ce genre d’individu qui, pour avoir bonne conscience,  » meure » pour la Palestine par cadavre palestinien interposé. Relisez avant d’écrire des énormités !

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