Mercredi 19 juin 2019
La décapitation de la fratrie n’a pas démocratisé pour autant l’Egypte
La mort de Mohamed Morsi, l’ex-président déchu de l’Egypte, était prévisible depuis bien longtemps eu égard au nombre de pathologies (01) qu’il traîne.
L’échec du pouvoir judiciaire égyptien, c’est de le voir s’écrouler dans son box d’accusé, une image qui a fait le tour du monde. Il venait, selon l’annonce de la télévision nationale égyptienne, de demander la parole au juge. Il s’est exprimé pendant quelques minutes avant de perdre connaissance et de succomber aussitôt pour être transporté à l’hôpital où il décédera aussitôt arrivé. L’histoire retiendra qu’il est le premier président civil, élu démocratiquement dans le pays des Pharaons où le pouvoir militaire ne l’a pas quitté depuis sa libération de la domination anglaise de 1882-1952.
Pourtant, sa chute en 2013 était principalement basée sur une opinion fortement partagée par le royaume de l’Arabie Saoudite et ses satellites ainsi la majorité des démocraties occidentales qu’étant donné les circonstances du moment, les frères musulmans étaient des islamistes qu’il est difficile de distinguer de la tendance salafiste la Djamâa El Islamiya totalement entriste et sanguinaire. Toute la question que se posaient à l’époque de nombreux politologues dans le monde : est-ce une opinion opportune ? Ou de pures manipulations ? Qui serait à l’origine et à qui profite le crime ? La suite depuis juillet 2013 l’aura amplement démontré.
1- L’armée égyptienne à bien piégé son peuple
Le putsch de 2013 en Égypte a fait reculer de plusieurs décennies l’espoir démocratique non seulement en Egypte mais aussi dans le monde arabe : au lieu de se préparer à battre, dans les urnes, des intégristes rétrogrades, ce qui aurait été une étape extraordinaire de la démocratie, on a tout de suite crié au loup, sorti les fusils, propagé les mensonges. Quels mensonges ? Par exemple lorsqu’en juin 2013, l’armée, les réseaux sociaux et une presse acquise à l’opposition avaient multiplié par dix le nombre des manifestants anti-Morsi : une « intox » magistrale qui lève les rideaux d’un coup d’État.
Cette armée a fait tout pour présenter l’éphémère gouvernement de Morsi comme l’anti-démocrate qui va rétrograder la société égyptienne en la ramenant au califat islamiste. La propagande est allée très loin, on s’est mis à diffuser des chiffres délirants, matériellement impossibles : 12 millions, 18 millions de manifestants ! repris tels quels par les agences. Alors que des centaines de milliers de personnes, ça oui, étaient descendues dans les rues du Caire et d’Alexandrie contre le régime des Frères musulmans, lors de manifestations au demeurant impressionnantes et importantes. Mohammed Morsi avait contre lui les trois quarts de la presse, qui l’a pilonné quotidiennement pendant les 12 mois de son règne. Il ne contrôlait pas le système de justice, pas plus que l’armée ou la majeure partie de la police. Pourtant, on lui a fait un procès en totalitarisme. Le peuple avide de démocratie pour l’avoir réclamé déjà en 2011 avait tendu sa main à cette institution pour le sauver de ce naufrage islamiste tel qu’elle le décrit, on verra plus loin que cette armée le fermera dans un piège d’une dictature pure et parfaite.
2- L’armée égyptienne est toute une industrie
L’armée égyptienne, la première en Afrique et la 12éme mondiale, a une mainmise sur la société non seulement par les armes dissuasives mais surtout par son poids dans l’économie égyptienne via un système opaque que de nombreux chercheurs le situent entre 10 à 15% du PIB égyptien. Selon une chercheuse Zeinab Abul Magd qu’on considère comme l’une des rares civiles à avoir eu accès à des usines contrôlées par l’armée, « l’armée égyptienne est présente dans presque tous les secteurs : Elle produit tout ce que vous pouvez imaginer : les pâtes, l’huile d’olive, l’eau minérale, les casseroles, les poêles, les fours mais aussi le ciment, le fer, l’acier ou encore les produits chimiques et les pesticides, tout ! Et c’est sans compter leur mainmise sur des hôtels, des exploitations agricoles et autres terrains à bâtir. »
Les usines militaires, dit-elles, sont concentrées dans certains quartiers du Caire, notamment à Maadi, dans le gouvernorat d’Helwan, de Fayoum et sur la route de Suez. À leur tête, on trouve souvent des généraux à la retraite et des colonels. Quant aux ouvriers, beaucoup sont des conscrits dont on ne connait ni le mode de rémunération, ni les conditions exactes de travail.
3- C’est ce puissant rouage militaire qui a fabriqué Abdel Fatah Al Sissi
Ce qui est visible à l’œil nu est que l’Égypte est en brouille et la dictature qui vient d’être validée par référendum n’a pas pour autant réglé les problèmes de la société en difficulté économique.
En effet, un hashtag (# retour place Tahrir) est déjà lancé pour redresser leur révolution qui avec la nouvelle constitution se dirige vers une pure dictature du moins jusqu’au 2030. Cette puissante armée a entretenu un mythe autour de jeune maréchal pour en faire nouveau Nasser. L’homme providentiel que le pays attendait. Derrière des Ray Ban aux verres foncés, se cache pourtant une personnalité complexe.
Le général Abdel Fatah al-Sissi, à 58 ans, il est devenu le nouvel homme fort aux yeux de tous. Un nouveau raïs qui aime cultiver son mystère, un «homme de l’ombre», ex-chef des puissants services de renseignements militaires, dont Mohamed Morsi, le président islamiste élu le 24 juin 2012, avait pourtant fait un homme clé en lui confiant les forces armées. Il sait aussi soigner son image. Il fuit les journalistes et a interdit à ses proches de parler de sa vie familiale, mais ses portraits ornent les murs du Caire et les façades des administrations depuis qu’il a destitué Mohamed Morsi. Il circule en vélo et se permet un bain de foule mais entouré d’un important dispositif sécuritaire. Il aime cultiver le culte de personnalité, pourtant, lorsqu’il avait été désigné par Mohamed Morsi en août 2012 pour prendre la tête de l’armée, les libéraux et la gauche nationaliste ont fait grise mine. Certains voyaient en lui un islamiste camouflé. Sa réputation de musulman pieux et austère et ses liens familiaux avec les Frères musulmans ont fait craindre plus qu’un et pourtant il est lui-même entrainé dans ce rouage propre à une maffia militaire dont celui qui y rentre ne sortira pas indemne
4- Le peuple justement vivra une vraie dictature avec ce maréchal autogradé
Le vrai totalitarisme en Égypte n’est pas celui, « appréhendé » ou « tendanciel », de 2013. C’est celui, bien concret, de 2019 : une répression politique « tous azimuts », pas seulement contre les islamistes. Les « jeunes libéraux laïques » de 2011, les internautes et les blogueurs du Printemps arabe oscillent aujourd’hui entre exil, prison et désespoir silencieux. Une loi de septembre 2018 permet la surveillance systématique des réseaux sociaux et la fermeture des sites Internet. En matière de « lutte contre le terrorisme », elle prescrit aux médias la publication telle quelle des communiqués de l’armée et de la police et interdit tout commentaire indépendant sur le sujet ! Face à l’Égypte, on est revenu au consensus d’avant 2011, à savoir que la dictature militaire, même féroce, serait le prix à payer pour « combattre le terrorisme ». Même si cela implique de pactiser avec le Joseph Staline arabe du XXIe siècle, aujourd’hui adoubé par les Trump, Macron et Netanyahou.
5- L’Arabie Saoudite s’est chargée avec ses alliés de l’économie
Le royaume a ramené du cash pour assurer la paix sociale pour une population qui n’était pas très loin de la famine par manque de blé. Le reste du basculement vers la dictature se fait avec la bénédiction des partenaires occidentaux des wahhabites, qui voient d’un bon œil une Égypte stable politiquement et libérale d’un point de vue économique. L’Égypte s’est lancée dans une politique de grands travaux qui s’appuie sur un recours massif à l’endettement.
En 2019/2020, le volume de ses emprunts augmentera de 26%, celui de ces émissions de bons du trésor de 24%, et les obligations de trésor de 93% selon le projet de loi de finance. Parallèlement, le pays va booster ses recettes fiscales par une augmentation de la TVA, et la réduction drastique des aides fiscales sur les produits de première nécessité. Une politique déjà largement engagée depuis plusieurs années, conformément aux demandes du Fonds Monétaire International.
L’Égypte affiche une dette publique égale à 97 % de son produit intérieur brut (PIB). Selon le FMI, le taux de croissance enregistrera une croissance de 5,5% en 2018/2019 (+5,3% en 2017/2018), avec une inflation de 14,5% (20,9% en 2018) et un taux de chômage de 9,6% (10,9% en 2018).
6- La France s’est chargée de vendre des armes pour réprimer les Egyptiens
Un rapport publié lundi 2 juillet 2018 par quatre ONG, accable la France dans son commerce « florissant » en armement et de la technologie de surveillance et de répression. La Fédération Internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH), la Ligue Française des Droits de l’Homme (LDH), la Cairo Institute for Human Rights Studies (CIHRS) et l’Observatoire des Armements dont le siège est en France dans la ville de Lyon ont titré un rapport dont le message est éloquent : « Egypte : une répression made in France ».
Depuis le coup d’Etat militaire de juillet 2013, la situation en matière de droits humains n’a cessé de se dégrader dans le pays, sous couvert de lutte contre le terrorisme.
Selon l’ONG Arabic Network for Human Rights Information, au moins 60 000 prisonniers politiques ont été incarcérés depuis 2013. La Commission égyptienne pour les droits et libertés (ECRF) a recensé plus de 2 800 disparitions forcées entre juillet 2013 et juin 2016, et au moins 44 cas de morts sous la torture entre août 2013 et décembre 2016.
Le ministère égyptien de l’Intérieur a lui-même annoncé 12 000 arrestations pour des charges liées au «terrorisme» dans les dix premiers mois de l’année 2015. Bien au-delà des Frères musulmans et de leurs soutiens, la répression vise «militants des mouvements révolutionnaires et de tous bords, défenseurs des droits humains, juristes, journalistes, écrivains, chercheurs, ou encore personnes LGBTI ou assimilées comme telles», écrivent les auteurs du rapport. Il se trouve que dans ce contexte de répression tous azimuts, les exportations françaises d’armes conventionnelles et de dispositifs de surveillance numérique vers Le Caire ne se sont, elles, jamais aussi bien portées.
«En juillet 2013, l’Egypte et la France entretiennent, en matière d’armement, une relation commerciale constante mais modeste», souligne le document. Mais depuis, les commandes se sont envolées, et les livraisons d’armes sont passées de 39,6 millions d’euros en 2010 à 838,4 millions en 2014, 1,3 milliard d’euros en 2016 et on s’attend à 2 milliards d’euros d’ici 2020. Or, expliquent les ONG, certains de ces équipements sont amenés à «servir à la répression en Egypte».
Quant aux technologies de surveillance de l’Internet, «les conversations privées et les contenus postés en ligne ont été abondamment utilisés par le gouvernement depuis 2013 pour arrêter et poursuivre des activistes politiques et des défenseurs des droits humains».
R. R.
Renvois