Il flotte sur l’Algérie comme une brume d’anesthésie. Une paralysie non pas due à la canicule mais au règne crépusculaire de Tebboune et ses acolytes.
Cette torpeur est savamment organisée et entretenue par le pouvoir, dans laquelle l’absurde côtoie l’arbitraire, et où le chef de l’Etat, Abdelmadjid Tebboune règne non pas en chef d’État, mais en gardien d’une citadelle qui s’effrite.
Officiellement, il est le président du « nouvel Algérie ». Mais pas seulement. Il est l’intendant d’un système aussi vieux que fossilisé, recyclant les routines autoritaires avec la régularité d’un métronome soviétique. Son mandat, commencé dans l’ombre des manifestations du Hirak, s’est mué en une suite de purges feutrées, d’arrestations absurdes et de discours qui sentent la naphtaline. Un pouvoir qui jette la jeunesse en prison, emmure les voix libres et promeut le troisième âge aux plus éminents postes.
Redisons-le pour les oublieux. En Algérie, l’arbitraire n’est pas une simple dérive : c’est une méthode de gouvernement. Rien ne doit être banal dans l’Algérie de la Soummam.
On arrête des journalistes pour avoir tweeté, on jette des militants en prison pour avoir marché. On embastille des universitaires, des avocats, des opposants … On censure, on harcèle, on fait taire, mais toujours avec le sourire d’un pouvoir qui vous explique que « la démocratie avance ». Elle avance, oui, mais dans une impasse. L’irréparable est devant nous.
Au risque de déplaire, rappelons cette autre vérité : Tebboune gouverne à coup d’oukases, de décisions improvisées – la dernière preuve : la fumeuse allocation touristique -, comme un homme qui distribuerait des rustines sur un radeau troué. Il parle d’économie, de réalisations pharaoniques pendant que les jeunes et les moins fuient par milliers. Ceux qui restent n’ont pour seul horizon que cette Europe que brocarde une presse aux ordres. Tebboune et Chanegriha brandissent la souveraineté alors que le pays dépend de ses importations.
Fabuliste en diable, Abdelmadjid Tebboune multiplie les grandes promesses comme un illusionniste distrait, oubliant à chaque discours ce qu’il avait promis la veille. Le logement ? Une priorité depuis 2020.
L’agriculture ? Stratégiquement vitale depuis l’époque antédiluvienne de Boumediene mais toujours en attente de lancement. L’investissement étranger ? Une symphonie qu’on rejoue à chaque forum en costume-cravate, pendant que les entrepreneurs algériens croulent sous la corruption, le clientélisme et un système bancaire hors d’usage.
Quant à la justice, elle a fini par se prendre les pieds dans sa propre robe. On y juge des opposants sans preuves mais avec zèle, on y condamne des manifestants pour avoir crié « État civil, non militaire ». Un écrivain de 80 ans, Boualem Sansal, condamné à 5 ans de prison, un autre écrivain, Kamel Daoud, est recherché par la justice, un ancien président de la JSK lui aussi embastillé parce que trop amoureux de sa région, la Kabylie…
Pendant ce temps, les oligarques recyclés et autres clientèles népotiques sirotent leurs cafés et leur whiskies à Hydra en feignant l’amnésie et la paix retrouvée.
Tebboune, en bon produit du sérail, n’a pas changé le système. Il l’a resservi avec des rideaux neufs ou presque. Il a troqué les bottes contre les mocassins, mais la main reste aussi lourde. Derrière chaque réforme annoncée, il y a un juge prêt à sévir, un ministre prêt à plier, un wali prêt à obéir, un journaliste disposé à tresser les lauriers aux locataires d’El Mouradia.
Tout va bien en Algérie… Les 250 détenus d’opinion qui croupissent dans l’ombre poisseuse des prisons sont une inventions des défenseurs des droits humains, des ennemis de l’Algérie, si l’on en croit la propagande officielle… Et pourtant.
L’Algérie de 2025 ressemble à un théâtre fermé au public, où les acteurs répètent seuls dans le noir une pièce que plus personne ne veut voir. Le peuple ? Spectateur lassé, entre cynisme et résignation. Les jeunes ? En partance vers d’autres rives. La société ? En état de veille, comme si elle attendait que le rideau tombe enfin sur ce pouvoir qui joue à se survivre.
A 80 ans, Tebboune ne gouverne pas : il gère une panne historique. Et pendant que le pouvoir continue de parler en boucle à sa propre image, l’Algérie s’éloigne, doucement mais sûrement, d’elle-même. Des valeurs de la Soummam et du serment fait par les moudjahidine dans les montagnes et les refuges pendant les années de feu.
Rabah Aït Abache
Cette chronique est dédiée à tous les détenus d’opinion et aux emmurés du système.