27 avril 2024
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L’investisseur et le directeur de la publication, une relation en questionnement

L’agriculteur, le commerçant, l’écrivain, le médecin ou le scientifique ainsi que bien d’autres construisent et développent une société. Parmi ces métiers, l’enseignant et le journaliste ont une place à part car au-delà de leur contribution sociétale, ils sont des générateurs indispensables de la liberté des hommes et de la démocratie.

En dehors des savoirs, l’enseignant forme des futurs citoyens dans leur capacité de discernement et de recul nécessaire pour un choix libre et rationnel de leurs idées et actions. Le journaliste et les médias les nourrissent d’informations dont ils ont besoin pour la connaissance du monde et la formulation de leurs opinions.

Toute information occultée, détournée ou imparfaite ne permet pas la prise de conscience citoyenne et ne peut participer à la démocratie. La vigilance doit être quotidienne pour déceler une emprise sur ses propres opinions et choix. L’une des façons de le faire est de se poser continuellement des questions sur les mécanismes de création de l’information.

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Parmi les nombreux questionnements qui font débat, l’un d’entre eux n’est exclusif à aucun pays au monde, il est inhérent au métier de la presse écrite et audiovisuelle. L’investisseur a-t-il tous les droits sur le contenu éditorial ?

Posons tout d’abord le cadre juridique d’une entreprise de presse qui éclaire les enjeux du débat. Même si nous ne nous interdisons pas dans cet articlé d’évoquer l’audiovisuel, il se focalisera essentiellement sur la presse écrite.

Le cadre juridique de la relation

Cela n’a échappé à personne, un investisseur est une personne physique ou morale qui détient une partie ou la totalité du capital d’une entreprise, qu’elle soit de presse ou non. Je m’arrachais les cheveux lorsque les étudiants le dénommaient « actionnaire » car on s’échine à leur préciser que le mot est attribué aux seuls investisseurs d’une société par actions.

On dira en terme juridique que l’investisseur est un associé. Paradoxalement l’associé unique existe, ce qui est une contradiction de langage. Même s’ils le sont de fait, le terme de propriétaire n’est en principe jamais mentionné dans le droit mais seulement dans l’usage oral.

Le directeur de la publication est le dirigeant de l’entreprise, le manager responsable en toutes choses. Si nous nous permettons audacieusement une association en image, nous dirions que les associés détiennent le pouvoir d’un Parlement et le directeur de la publication celui d’un exécutif. Ce dernier pouvant être également un associé, minoritaire ou majoritaire.

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C’est lui qui est responsable, au civil comme au pénal, de toute contravention aux règles légales. Il peut être associé à la condamnation d’un ou d’une journaliste. C’est donc sur lui que pèsent les risques. Les investisseurs ne sont responsables que s’ils sont à l’origine de la faute commise ou qui n’en n’ont pas révélé l’existence connue. Ils sont naturellement impactés en cas de sanction financière, de fermeture ou de fuite des lecteurs.

Il en est de même pour la responsabilité envers ces derniers. Le directeur de la publication est confronté directement à eux pour tout écrit qui les heurterait et c’est lui qui est responsable des ventes si celles-ci venaient à baisser.

Le nom de la fonction est en général différent dans l’audiovisuel comme celui de « Président de la chaîne ou de la radio ». Le « directeur de l’antenne » ou « de l’information » s’apparente plutôt au rédacteur en chef dans la presse c’est-à-dire celui qui va être au plus près de l’organisation des équipes, d’un service et du choix journalier du contenu. Cependant le directeur de la publication est en général multitâche et peut participer à l’écriture de certains papiers et à autres actes du processus d’édition.

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Du point de vue du droit, l’associé a un objectif strictement lucratif. Le droit ne connait pas le but philanthropique, sentimental ou politique des investisseurs, il est du domaine privé et libre. Du point de vue de ce même droit, à peu près universel, le directeur de la publication a un statut de salarié. Il peut cumuler sa part de salaire avec celle des bénéfices de l’entreprise de média s’il est lui-même associé, majoritaire ou non.

Jusque-là, aucun souci car l’exposé précédent fait partie strictement du débat juridique. Mais jusque-là seulement car une fois ce cadre posé, nous en revenons à notre question de départ, les associés ont-ils tous les droits sur le contenu éditorial ?

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Une presse indépendante est libre et neutre dans le contenu éditorial

C’est bien évidemment la situation normale et saine pour une entreprise de média. La liberté éditoriale est fondamentale pour la profession du journalisme. L’indépendance d’une rédaction par rapport aux investisseurs ne garantit pas à elle seule le sérieux et la compétence mais sans elle c’est la certitude du contraire.

L’équipe ne doit être entravée par aucune pression et encore moins par des menaces de sanctions ou de licenciement. Sa conscience professionnelle et sa compétence doivent également assurer une parfaite impartialité dans les choix prioritaires de l’information et de leur interprétation. Plus une rédaction est neutre, plus elle engrange en même temps, la notoriété et la croissance de son audience.

Les idées majoritaires et les idéologies changent, la neutralité permet au média de surpasser les variations et inversions idéologiques du temps. Mais cette position n’est pas facile car la neutralité suppose une ferme personnalité du directeur de la publication et une équipe soudée dans son refus de se laisser influencer.

Ce n’est pas facile car l’indépendance se gagne par un combat de tous les jours envers quatre forces qui lui font face. Elles ne sont pas des ennemis du journal mais des acteurs qui participent à la vie du média. Et ces acteurs peuvent ne pas partager le même objectif.

Quatre sources de tentation d’inféodation

La première, nous l’avons dit, c’est la tentative des investisseurs d’interférer dans les choix éditoriaux. Parfois cette immixtion est le fait d’actes ou de comportements qui sont insidieux et ne sont donc pas clairement exprimés. Rappelons au passage que le contenu éditorial diffère de ce qu’on appelle une ligne éditoriale du journal même si les deux sont parfois entremêlés.

Il y a là un débat sémantique car les rédactions identifient leur indépendance par l’absence d’une ligne éditoriale. L’existence d’une ligne éditoriale signifie souvent pour eux un alignement sur  des positions politiques ou doctrinales. C’est pourtant une erreur car la ligne éditoriale peut porter sur d’autres critères comme l’objectif de pluralité, de diffusion culturelle, d’interactivité avec les lecteurs et contributeurs d’opinions libres et ainsi de suite.

Les journalistes sont juridiquement placés dans un  rapport de soumission hiérarchique, ce qui est d’ailleurs tout à fait normal puisque c’est l’élément caractérisant du contrat de travail (le terme de soumission n’a pas ici la même signification que celui de domination). Il en est de même pour les contrats de service des indépendants car ils sont également soumis à des  conditions  contractuelles.

La seconde tentation est encore plus insidieuse et efficace si le directeur de la publication et l’équipe éditoriale n’y prennent pas garde. Les annonces payantes sont au cœur de la survie d’un journal qui ne peut s’en priver pour sa rentabilité et même pour sa survie. Là est le perpétuel écueil quotidien pour un journal.

Les intentions des annonceurs ne coïncident pas toujours avec ceux d’une presse indépendante. Le contenu éditorial peut leur déplaire d’une façon ou d’une autre et le dire en rappelant leur contribution financière. Imaginons un client très important des espaces publicitaires dont le métier est la production ou l’importation d’engrais chimiques. Le journal peut-il répercuter et commenter librement les actualités qui dénoncent ces produits au nom de l’écologie ?

Il est évident que le directeur de la publication doit veiller à tout moment de ne pas être emporté par une tentation qu’on peut comprendre mais qui ne relèverait pas d’une presse indépendante. Ceci dit, c’est plus compliqué de le dire que de le faire car les pressions prennent souvent des chemins obscurs, difficilement détectables par un langage direct.

Puis enfin, certainement la plus connue des pressions pour la presse, la tentation d’inféodation aux idées politiques. Pas la peine de la commenter, elle est de ce monde dans une quantité invraisemblable de pays.

Une ligne éditoriale peut-elle être légalement imposée ?

La réponse à la question est oui. Les investisseurs peuvent l’imposer. C’est surprenant et peut même sembler choquant à certains, les associés (propriétaires) du média sont tout à fait dans une légitimité juridique lorsqu’ils imposent une ligne éditoriale, c’est-à-dire une position politique, philosophique ou morale qui se ressent dans le choix et le contenu des articles.

Les équipes éditoriales ont le choix de ne pas adhérer au projet et de quitter le média. Mais il faut dire qu’en règle générale ils sont recrutés parmi ceux qui partagent son message.

Oui, car un journal d’opinion peut exister en toute légalité, cela s’appelle une démocratie. Il y a une confusion générale à ne pas séparer le droit et les pensées et choix individuels. Un journal d’opinion, même lorsque les idées sont radicales a sa place dans le débat. Il « s’inféode » volontairement aux idées qu’il porte et qu’il veut communiquer.

Il peut être nauséabond et relever de la compromission à une idéologie malsaine, il nous appartient dans ce cas de le dénoncer avec force. Les moyens de le faire sont la non lecture, l’utilisation de médias qui le contredisent et portent le fer contre lui. Le journal d’opinion peut même aller jusqu’à dénier le droit à l’existence de la démocratie, c’est son droit s’il n’appelle pas à la sédition ou diffuse des propos illégaux. Effectivement les seules limites qui lui sont opposées sont celles des lois si le pays est en démocratie.

Pourquoi une telle opinion de ma part qui peut choquer ? Tout simplement parce ce qui est diabolisé aujourd’hui par certains peut être encensé demain par les mêmes personnes. Nul en démocratie n’est assigné à une opinion irréversible. Puis surtout, comme dans la quasi-totalité de mes articles, je pose la même question, qui définit les limites et en quoi elles devraient porter ?

Il serait alors facile de faire condamner un journal qui dérange en affirmant que ses idées sont dangereuses pour la société, les intérêts de l’Etat et ainsi de suite, nous connaissons la litanie.

Le lecteur serait si influençable, n’a-t-il pas la capacité de jugement des programmes politiques des uns et des autres, de leur passé douteux ou de leurs propos excessifs ?

Dans ce cas nous revenons, encore et toujours, au même argument qui légitime la démocratie, c’est-à-dire l’exigence de la pluralité des opinions et l’instruction. Elles seules permettent une compréhension et un choix éclairé. Une situation absolument inexistence dans un pays où la presse est totalement muselée et contrôlée.

Autrement, rien n’interdit une presse où les investisseurs recrutent une équipe éditoriale au service de leurs opinions et combats politiques. Que deviendraient les journaux d’opinion lorsqu’ils sont eu service d’une lutte politique légitime ?

Un journal d’opinion n’est pas forcément celui d’une opinion malsaine. L’expression est toujours prise dans son sens péjoratif, il faut y faire attention. De nombreux journaux d’opinion ont permis la libération des esprits et ont contribué à la démocratie.

Le cas emblématique de CNews

Tout le monde connait cette chaîne d’information continue française. Elle focalise toutes les attentions, toutes les critiques et toutes les indignations. Une chaîne d’opinion aux idées proches de l’extrême droite et dont le contenu en est la preuve.

Toute la journée cette chaîne d’un milliardaire très connu diffuse le même message de peur, de stigmatisation des étrangers et d’apologie d’un pays dont l’histoire serait exclusivement catholique et de « race pure ». C’est l’exemple caricatural d’un média d’opinion dans lequel sont invités tous les réactionnaires de France.

L’autorité de régulation va bientôt remettre en jeu les candidatures à la diffusion. Et c’est là où il y a une confusion dans l’esprit de plusieurs personnes. CNews n’est pas en risque pour ses opinions, ces dernières relèvent uniquement de la justice et elle a déjà prononcé des peines.

Si Cnews est en très grande difficulté pour obtenir le renouvellement de son autorisation à diffuser, c’est parce que l’utilisation des ondes relève du droit de l’Etat. Le cahier des charges très rigoureux impose un équilibre entre l’information et les débats et surtout, l’équilibre des opinions des invités.

En dehors de ces deux travers qui lui sont reproché, la chaîne peut tout à fait recevoir quatre fois par jour un coup de téléphone de l’investisseur pour qu’il impose le contenu éditorial des plus repoussants.

L’indignation grandissante oublie un fait majeur, c’est la chaîne la plus regardée et son audience explose les chiffres d’audience. C’est bien la preuve qu’en démocratie, c’est la formation des esprits qui compte pour le discernement, pas la fermeture des médias.

CNews n’est pas encore, de loin, dans un pays où la parole divergente à la sienne entraîne le musèlement et même l’assassinat des responsables des médias qui osent s’aventurer dans la confrontation des idées. Mais on comprend bien qu’elle en rêve.

Le lecteur a compris que je ne fais dans cet article aucune mention de l’Algérie. Car dans ce cas, c’est comme traiter de la question des maillots de bains chez les Inuits.

Sid Lakhdar Boumediene

1 COMMENTAIRE

  1. Azul le Vert –
    « ….
    L’indignation grandissante oublie un fait majeur, c’est la chaîne la plus regardée et son audience explose les chiffres d’audience. C’est bien la preuve qu’en démocratie, c’est la formation des esprits qui compte pour le discernement, pas la fermeture des médias.

    CNews n’est pas encore, de loin, dans un pays où la parole divergente à la sienne entraîne le musèlement et même l’assassinat des responsables des médias qui osent s’aventurer dans la confrontation des idées. Mais on comprend bien qu’elle en rêve. »

    Je vous suis jusqu’a ce que je tombe sur ceci:
    « L’indignation grandissante oublie un fait majeur, c’est la chaîne la plus regardée et son audience explose les chiffres d’audience. »

    1. En quoi cela se traduit-il sinon le chiffre d’affaire? mesure’ en combien de yeux sont ATTENTIVEMENT BRANCHE’S. Il faut bien realiser qu’ils mesurent l’INTERET et la REPONSE de la « Peep » c.a.d. People aux sujets traite’s, comment et par qui…C’est Freudien meme, plus c’est controverse’, plus ca exite, plus ca attire.
    il est clair que plus il y a de controverse, plus il y a de yeux et oreilles. Et plus de yeux et oreilles, plus de Benef.

    2. Puis vous concluez avec ceci: « Mais on comprend bien qu’elle en rêve. » – Voyez-vous la contradiction?
    CNews sait pertinemment que sans LIBERTE » ABSOLUE, pont de controverse, et … pas de benef !
    Or comme vous le mentionnez bien au debut, elle appartient a un Riche Capitaliste, c.a.d. qui investit pour maximiser le revenu sur l’investissement. Et comment? En repondant a la demande.

    S’il y a une intrigue a rechercher et exposer, c’est celle-la ! Pourquoi et comment le public Francais repond-il a la controverse que genere la stigmatisation, a nuance raciale?

    Mais en fait, il ne s’agit meme pas de race dans la nuance mais de demographie. Vous avez pourtant pose’ le doigt dessus ! – « c’est la formation des esprits qui compte pour le discernement, pas la fermeture des médias.  »

    Leurs commentateurs les plus grade’s sont ceux subtilement arrivent a transferer la lutte de classes, en termes materiels, a une lutte ideologique « judeo-chretiens – Catholiques Vs Musulmans.
    La manip dedans est biensur le « judeo » colle’ au « Chretien », alors que ce « Chretien » n’a de sens que dans sa forme « Catholique. » Voila la tricherie intellectuelle et ou se situerait le discernement en question. Et, pour l’opposer, on lui propose des Tarik Ramadan, c.a.d. des walou ou des islamistes Nord-Africains, Marocains en particulier… Ca retombe sur qui? Sur les Nord-Africains, qui s’accomode bien du mot « arabe et/ou musulman » – qui soudainnement tranfere le mecontement des Africains en cause Palestinienne. Mais dans la realite’ et au niveau consomateur de la MDR religieuse, s’il y a un rapprochement a faire c’est entre Judaisme et Islam, plutot que Judaisme et Catholicisme via le mot « Chretien », comme s’il y avait une forme de Christianisme. Or, s’il y avait une opposition a etaler ca serait Catholicisme Vs Judeo-Islamisme.
    Le Catholicisme est bien ne’ au centre d’une guerre, chez-nous biensur, entre religion d’Etat(officielle) et la religion prive’e. Ce combat-la est bel-et-bien ne’ entre Juifs et Chretiens labas en Orient et n’a trouve’ d’accomplissement que chez-nous.

    Cette guerre entamme’e chez-nous au 4eme siecle a fini par murir en Europe Occidentale, avec le confinnement du Christianisme a un Etat de pretres a Vatican City. Meme les Italiens et Francais ont fin par apprendre – je n’en sais rien de ce qu’il en est de la comprehension.

    De ces vedettes de plateau, l’Olivier biensur… et celui-la, malgre’ sa confession Juive, dans ses combats defend les siens, c.a.d. les nord-Africains desquels il se reclame. Disait-il « la france c’etait comme l’algerie d’avant l’islamisme.
    Et on ne peut que lui donner raison. Car, en effet, l’Algerie et les pays d’Afrique du nord sont une veritable machine-a-MDR pour l’Europe Occidentale. Plutot que de reconstruire son patrimoine ancestral, elle le tue en Afrique et promeut celui de ses ennemis en Europe. Ceci n’est pas une idee farfelue, c’est l’amere realite’. C’est pour ca que je pisse sur les Eglises autant que sur les mosque’es.

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