Quelle image plus accablante que celle d’un autobus pourri, rouillé, hors d’âge, continuant à circuler et à tuer en plein Alger ? Ces véhicules qui devraient être des instruments de mobilité et de lien social sont devenus des cercueils ambulants. Et dire qu’on est dans un pays où les dirigeants se piquent de chiffres de croissance à faire pâlir les plus brillants économistes !
Ces bus incarnent à merveille l’état de délabrement d’un pays où tout ce qui touche à la vie quotidienne du citoyen – transports, routes, hôpitaux, écoles – se transforme en menace mortelle. Le pays a atteint un état de délitement que son fonctionnement actuel relève chaque jour du miracle.
L’accident d’Oued El Harrach n’est pas un fait divers. C’est une tragédie nationale, la répétition d’un scénario macabre déjà vu à Tamanrasset, à Relizane, à Souk-Ahras, et dans tant d’autres villes. À chaque fois, des dizaines de morts, des familles brisées, et un peuple encore un peu plus résigné. À chaque fois, la même indifférence des autorités, la même couverture minimaliste des médias officiels, la même mécanique froide qui transforme des drames humains en simples « statistiques ». La même incompétence, la même morgue de dirigeants incapables d’assumer quoi que ce soit.
Mais ce qui révolte autant que la catastrophe elle-même, ce sont les réactions – ou plutôt l’absence de réactions. Le ministre de l’Intérieur bredouille des banalités administratives. Le ministre des Transports s’abrite derrière « l’héritage lourd ». Le service public de télévision bâcle quelques images convenues avant de passer aux célébrations de façade. Tebboune sort le chéquier pour distribuer des millions aux familles de victimes, comme si 100 millions ou plus pouvaient racheter les vies et camoufler l’incurie qui ronge le pays.
Voilà la vérité nue : l’Algérie est conduite dans un bus délabré, sans chauffeur, sans destination, sans même l’ombre d’un projet collectif. Depuis des décennies, les Algériens répètent avec amertume que « le pays ne tient debout que par la miséricorde divine et le sang des martyrs ». Sans doute sans le dévouement de patriotes sincères et discrets, il y a longtemps que l’irresponsabilité criminelle des dirigeants aurait précipité ce pays dans le gouffre.
L’Oued El Harrach n’est pas qu’un lieu géographique. C’est un symbole. Ses eaux polluées et nauséabondes reflètent à la perfection l’état de putréfaction de la gouvernance algérienne. Le bus englouti n’était pas seulement un véhicule hors service : il est la métaphore d’un système tout entier, usé jusqu’à la corde, hors d’âge, mais qui continue malgré tout à rouler, à broyer des vies et à imposer aux Algériens une survie indigne.
Car il faut le dire sans détour : ce régime n’a rien à voir avec son peuple. Il distribue l’argent public à l’étranger pour acheter une reconnaissance diplomatique illusoire, pendant que les Algériens s’entassent dans des « cercueils roulants ». Il accuse ses opposants « d’esprit séparatiste », mais pratique lui-même la pire des séparations : celle d’avec son propre peuple. Qu’est-ce que l’« unité nationale » quand l’État se détourne des besoins les plus élémentaires de ses citoyens – se déplacer, se soigner, apprendre, travailler – et leur oppose l’arrogance glaciale de son indifférence ?
Les victimes d’oued El Harrach, comme celles des autres catastrophes, ne sont pas de simples « martyrs de la route ». Elles sont les martyrs d’un système politique incapable, corrompu, indifférent. Leur sang ne doit pas être dilué dans le marécage bureaucratique des indemnisations et des rapports administratifs. Il doit être reconnu pour ce qu’il est : l’acte d’accusation le plus implacable contre un pouvoir qui ne protège pas ses citoyens, mais les abandonne à leur sort.
Ce drame met en lumière une évidence : tout est pourri. Les bus, les routes, les infrastructures, les institutions. Et surtout cette mentalité politique figée qui refuse de voir la réalité. Le pays s’enlise dans un mélange de cynisme et d’amateurisme qui confine au crime d’Etat. À force de mépriser la vie humaine, ce système ne gouverne plus, il gère les cadavres et entretient une morgue.
Combien d’autres Oued El Harrach faudra-t-il ? Combien de cercueils roulants, combien de familles endeuillées, combien de discours creux avant que la vérité éclate ?
Cette vérité, tout le monde la connaît : l’Algérie est prise en otage par un pouvoir qui vit dans le déni, dans la fuite en avant, dans l’auto-célébration stérile. Et tant que ce pouvoir persiste, le peuple continuera de payer au prix fort son absence d’État.
Il est temps de cesser d’appeler cela des « accidents ». Non, ce ne sont pas des accidents. Ce sont des crimes par négligence, des homicides politiques, des tragédies évitables causées par la corruption, l’incompétence et le mépris. Chaque victime de ces catastrophes est la preuve vivante – puis morte – de l’échec absolu d’un système.
L’oued El Harrach restera dans les mémoires comme le miroir implacable d’une République qui coule dans sa propre boue. Et tant que ce régime usé jusqu’à l’os s’accroche à ses privilèges, les Algériens continueront de voyager, jour après jour, dans un bus sans chauffeur, direction le néant.
J’ai pris quelques jours pour prendre de la distance suite à l’épouvantable événement du bus à El Harrach, justement pour la réflexion que je vais vous exposer.
Je ne sais plus les circonstances et les conséquences précises de l’accident du car qui circulait au bord des ravins de cette route qui, je l’espère, a été refaite de nos jours. Mais qu’importe car c’est de la réaction du très jeune enfant que j’étais que je vais rappeler.
Il y a des centaines de reproches que j’aurais à lui faire à ce gamin qui était moi, depuis les pensées imbéciles jusqu’aux choix sans cervelle. En fin de compte tout le monde a reconnu l’adage, si jeunesse savait, si vieillesse pouvait.
Mais pour une fois, l’adulte que je suis le félicite. Il avait eu la bonne approche. Une fois le moment d’épouvante passé, sa première réaction avait été d’avoir beaucoup de chagrin pour le chauffeur du bus et des voyageurs. Tout simplement parce que ce jeune enfant prenait ce car en aller-retour hebdomadaire pour se rendre à l’internat de Bouisseville.
Il s’est soudainement rappelé du visage de ces sympathiques chauffeurs, si souriant avec eux et si faussement grondeur lorsque nous étions turbulents. Eh bien, c’est la même chose pour ce car d’El Harrach. Il n’a jamais essayé d’accuser qui que ce soit sur le moment.
J’ai lu des centaines de réactions sur les réseaux sociaux. Et s’ils faisaient état de leur sincère compassion, c’est un flot de colère et d’accusations qui s’abat dans les lignes qui suivent. Le malheureux chauffeur (même si un jour sa responsabilité est démontrée) en a eu jusqu’à le démolir une seconde fois. Et voilà que tout le monde se met à hurler contre l’état du bus en question. Et des images, soit de la presse, soit déterrés sur Internet se sont abondamment déversées dans les posts publiés.
Cette mise en responsabilité en lynchage est-elle légitime et explicable ? Jamais une réaction violente du public ne peut mettre de la distance pour prendre en compte les réelles circonstances et juger des responsabilités.
L’effroi, le sentiment de compassion et d’injustice sont tout à fait attendus et prouvent l’humanité des sociétés. Mais ce sont les journalistes qui sont en charge de relater les faits dans leur immédiateté et la conscience des populations à faire taire la colère et la mise en responsabilité immédiate.
Il n’y a rien de plus critiquable que cette mise en responsabilité à chaud. La colère aveugle, l’accusation sans distanciation désarme la sereine réflexion. Non seulement elle est improductive mais provoque exactement le contraire qu’elle est censée provoquer.
C’est la meilleure façon de laisser l’oubli réapparaître car il est toujours à l’affût dans les suites des drames. L’évocation de l’événement se taira très rapidement et deviendra presque nostalgique. Ce ne sont pas les leçons qui seront tirées mais la douce rétrospection du passé.
Un peu comme le car de la corniche oranaise. Le jeune enfant ne savait pas tout cela mais il a bien fait d’ignorer le lynchage qui ne mène qu’à l’oubli car un lynchage public en chasse un autre. C’est maintenant aux experts de s’exprimer et au droit d’intervenir dans ce drame d’El Harrach. Or, le plus grand danger qui puisse leur arriver est de partager le sentiment de colère populaire pour base de leurs conclusions.
On dit que le droit est froid mais c’est justement son souci de la justice humaine qui s’exprime par cette froideur. La colère est le pire ennemi de la justice. Il la soumet à un jugement affectif et la compromet dans sa sérénité.
Si je mentionne le cas que je connais le mieux, il en est de même pour le législateur français. Combien de fois on assiste à la rédaction de lois suscitées par l’actualité chaude, inondée par l’émoi et la colère. Un assassinat horrible, et hop une loi, un accident de la route sous emprise de produits stupéfiants, et voilà une autre loi. Cela ne cesse jamais et l’empilement des lois finissent par produire mille répétitions et une jungle aussi vaste que les documents de la bibliothèque d’Alexandrie. Plus personne ne s’y retrouve.
Je me risquerai même à fâcher beaucoup de lecteurs et au-delà si je disais que la promptitude à décorer les sauveteurs n’est pas le bon moyen pour prendre du recul. C’est encore plus improductif lorsqu’il s’agit de les honorer d’une somme d’argent. C’est peut-être horrible ce que je veux dire mais c’est donner une valeur financière au courage des hommes et à leur vaillance.
Ne vous fâchez-pas, c’est une récompense à laquelle j’adhère entièrement mais elle prend le caractère que je viens d’évoquer si on ne prend pas le temps pour cette fameuse distance dont je parle depuis le début. Rien n’interdit d’attendre le retour à la sérénité pour les honorer. La presse peut le faire car, je l’ai déjà dit, sa mission est le compte-rendu de l’immédiat.
La compassion est l’honneur des humains, la précipitation et le lynchage public sont les erreurs de l’humain. J’ai pris du recul et j’ai laissé ma pensée dériver vers le souvenir du car de la corniche qui ne doit pas être de la nostalgie comme je l’ai affirmé précédemment.
C’est encore et toujours cette obsédante prise de recul qui me guide. Qu’on ne se méprenne pas, ce n’est pas de l’oubli ni une carte blanche à toutes les irresponsabilités mais au contraire le moyen de trouver leçon et de sanctionner, clairement, sereinement et efficacement.
Les cris et les invectives sont un vacarme qui noie l’esprit et aveugle les yeux.
Les statistiques, sondages, expressions libres ou reportages, rien de cela nous permet de juger à priori du soutien à Abdelmadjid Tebboune par les Algériens. Car comme en Russie ou dans tous les pays adorés par la majorité des Algériens, bien fort est celui qui peut obtenir des réponses par un travail éditorial ou de recherche à ce sujet.
C’est une donnée à laquelle les opposants algériens se sont accrochés et s’accrochent encore. Mais pour le moment, cette réalité statistique introuvable ne peut sérieusement nous interdire de nier que le soutien des citoyens algériens à leur président (pas le mien) est massif. Si ce n’est la majorité pour les raisons que je viens d’évoquer on peut alors dire que la minorité est très visible, bruyante et dévote. Arrêtons de nous voiler la face, la réalité est devant nous, si énorme qu’elle n’a pas besoin de statistiques.
Les opposants, même nombreux, doivent se rendre à l’évidence que leur souhait est loin d’être accompagné par une réalité lorsqu’on prend en compte plusieurs facteurs.
Dans cette massive population, il y a ceux qui sont attirés comme un aimant par tous les dictateurs. Depuis des décennies nous sommes confrontés à ce phénomène irrationnel dans plus de la moitié de la population mondiale puisqu’elle est agglomérée essentiellement dans les pays à très forte adhésion aux gourous. Ce sont justement ces populations qui subissent l’horreur barbare des dirigeants. Trouvez l’erreur !
Pendant très longtemps nous avions cru que l’élévation du niveau d’instruction allait balayer les dictatures militaires. Il n’en n’est rien, il nous semble bien que ce soit le contraire. Plus le niveau de scolarisation et le nombre de diplômés augmentent plus l’adhésion aveugle est forte.
Nous avons alors expliqué que c’est la médiocrité des enseignants qui forme la médiocrité créant ainsi un cycle permanent de médiocrité qui alimente chaque génération. Nous avions cru que l’extrémisme religieux provoqué par cette médiocrité allait lui aussi disparaître, il n’en n’est rien. Nous y avions cru car nous pensions pouvoir casser la dynamique de ce cycle infernal.
Les opposants ont alors cru un instant que l’ouverture au monde par les télécommunications modernes, Internet et autres, ainsi que les voyages à l’étranger, allaient faire pénétrer la lumière dans les cerveaux de la majorité des Algériens. Il n’en n’est rien et l’échec lamentable du Printemps arabe en est l’une des preuves.
Nous avions cru que la mobilisation politique de masse allait faire plier le régime militaire qui laisserait alors le pouvoir civil s’installer. La clownerie du Hirak que j’avais dénoncé pendant deux ans en est arrivée à ce qu’elle a elle-même provoqués, un piteux échec et une plus grosse adhésion aux dirigeants de la dictature.
Nous avions cru que les arrestations en masse et le musellement de la presse allaient réveiller les consciences. Il n’en n’est rien et la popularité du président semble être encore plus renforcée par cet instinct de nationalisme qui n’est cru que par ceux qui veulent le croire, par immaturité, inculture ou intérêts.
Et nous pourrions remplir trois pages sur nos rêves et désillusions. Mais pourquoi, bon sang, cette fatalité ?
Il y a déjà plusieurs années que je suis convaincu de la réponse. Tout au long de mon combat pour la démocratie, je ne pouvais fermer les yeux sur une réalité que j’ai partiellement expliqué dans un article précédent et dans de nombreux autres auparavant.
Non, ce ne sont pas les foules, même celles dont le niveau d’instruction est prometteur qui font plier les dictatures, ce sont les élites intellectuelles qui ont de tous temps composé les racines du soulèvement populaire. On n’a jamais vu la réussite d’un soulèvement populaire sans qu’il ait été préparé de longue date par un tapissage long et patient des grands esprits. La Révolution française en est le parfait exemple. C’est ce qu’on appelle le siècle des Lumières qui a permis au grondement du peuple de parvenir à la Révolution.
Une charrette de mes anciens compagnons de lutte pour la démocratie se sont vendus, petit à petit, de pas en pas, aux appels tentants du diable. Combien de ceux-là ont rejoint les rangs de l’assemblée nationale, des ministères et des partis politiques à la solde du régime régnant sans partage.
En fin de compte, l’explication est la plus vieille de l’humanité. Militer est fastidieux, dangereux, exige des sacrifices pendant de très nombreuses années, voire des décennies. Mais cette énergie et prise de risque n’ont pas vocation à payer en retour sinon par l’honneur de l’objectif du combat. L’embêtant avec l’honneur est qu’il ne sait pas ce que c’est qu’un beau logement, encore moins une villa hollywoodienne en Espagne, des abonnements premium, des voitures à hautes cylindrées ou des voyages fabuleux
Usés, déçus, frustrés et incapables de donner plus d’énergie, de nombreux de ces anciens camarades ont préféré des situations qui les sortaient de leurs difficultés du moment et qu’ils leur donnaient l’espoir du veau d’or. Ils n’avaient que peu de ressources, notamment à l’étranger, et ils voyaient bien que la porte d’entrée vers la tentation était grande ouverte.
Ils ont souffert, donné toute leur énergie et percevaient de l’autre coté de la frontière des fortunes qui s’accumulaient pour mille ans de leurs revenus. L’indignation laisse toujours place, à un moment ou à un autre, à la tentation et celle-ci laisse à son tour, à un moment ou à une autre, place à la compromission.
Que faire pour endiguer ces défections qui grossissent comme un fleuve, surtout avec Abdelmadjid Tebboune ? Bien entendu, pas grand-chose si on prend en compte le tableau sombre que je viens de décrire.
Pourtant, si le temps est long, désespérant dans son impasse, la lumière de la sortie du tunnel apparaît toujours. Il faut patienter, encore patienter et toujours résister. Cette patience, il est vrai, est beaucoup plus facile pour des personnes comme moi qui ont de très longue date une sécurité de vie en France.
C’est pourtant ceux-là qui doivent garder la flamme de la torche allumée. Ils le font avec leur cœur, sans trop de risques (en tout cas pas immédiats), c’est certain, mais avec une forte conviction que c’est la seule arme qu’il reste à l’étranger. Puis un jour, si ce bout du tunnel arrive, nous serons suivis par des dizaines de milliers de fuyards vers la dictature qui retournerons leur veste en donnant l’explication la plus vielle du monde pour les compromis, « nous avions voulu lutter de l’intérieur du système ».
Une écrasante majorité d’Algériens aiment Tebboune, mes camarades actuels sauront trouver la voie du pardon pour ceux qui sont encore récupérables. Ils les convaincront peut-être.
Mais qu’ils ne comptent pas sur moi, je n’ai jamais prétendu avoir cette grande vertu du pardon. C’est hélas mon vilain défaut.
Boussad Berrichi est écrivain, universitaire et chercheur en littératures francophones comparées. Il a enseigné en Algérie, en France et au Canada, et poursuit une œuvre marquée par un fort engagement en faveur de la reconnaissance des cultures et littératures amazighes.
Il est notamment l’auteur de Amusnaw (Séguier, 2009), une biographie intellectuelle de Mouloud Mammeri, ainsi que de l’édition critique monumentale en deux volumes Mouloud Mammeri. Écrits et paroles (CNRPAH, 2008), aujourd’hui considérée comme une référence incontournable. À travers ces travaux, il s’attache à restituer la richesse, la complexité et l’actualité de la pensée mammerienne. Berrichi a également dirigé Tamazgha francophone au féminin, un ouvrage collectif consacré à l’expression littéraire des femmes amazighes.
Son parcours intellectuel transfrontalier témoigne d’un souci constant de transmission, de dialogue entre héritages culturels et linguistiques, et de mise en lumière des voix longtemps marginalisées par les récits dominants.
Dans cet entretien, Boussad Berrichi, figure majeure des études francophones et amazighes, revient sur les multiples dimensions de l’œuvre de Mouloud Mammeri, à laquelle il a consacré plusieurs années de recherches rigoureuses et passionnées. Entre biographie intellectuelle, édition critique et entreprise de réhabilitation, il s’attache à restituer toute la complexité d’un auteur encore trop souvent réduit à quelques clichés littéraires ou identitaires.
Titulaire d’un doctorat en littératures comparées francophones, Berrichi mène une carrière transnationale entre l’Algérie, la France et le Canada, où il enseigne aujourd’hui à l’Université d’Ottawa. Son parcours, à l’image de ses travaux, s’ancre dans un double héritage — universitaire et militant — et se nourrit d’une volonté constante de transmission. Son œuvre, exigeante et engagée, interroge les conditions de visibilité des voix minorées, les enjeux de mémoire postcoloniale, ainsi que la place des langues et cultures amazighes dans l’espace francophone.
Au fil de cet échange, il éclaire des aspects parfois méconnus de Mouloud Mammeri : son rôle discret mais actif pendant la guerre d’indépendance algérienne, son immense contribution à la formation d’une génération de chercheurs au sein du CNRPAH, son engagement pionnier pour l’enseignement du tamazight dès les années 1960, ainsi que ses travaux pour le théâtre et le cinéma.
Plus qu’un simple hommage, cet entretien propose une lecture critique, vivante et documentée de l’héritage mammerien, à travers le regard d’un intellectuel dont le travail participe activement à la préservation, à la diffusion et à la réactivation de ce patrimoine culturel et littéraire.
Le Matin d’Algérie : Vous avez consacré une part importante de votre œuvre à Mouloud Mammeri. Pourquoi cette figure vous semble-t-elle si centrale, voire indispensable, dans la mémoire littéraire et intellectuelle nord-africaine ?
Boussad Berrichi : Relire et enseigner les travaux de Mouloud Mammeri est indispensable pour transcender notre mémoire intellectuelle car tout peuple ou nation a besoin d’une mémoire intellectuelle, voire d’une mémoire collective. Ainsi, l’œuvre et la pensée de Mammeri font partie de cette mémoire qui est omniprésente.
L’œuvre romanesque de Mammeri couronne l’histoire de sa société avec ses aspects sociologiques, anthropologiques, culturels, linguistiques, etc. Ses romans retracent quatre périodes déterminantes, à savoir : La Colline Oubliée (écrit en 1939-40 et publié en 1952) montre une société sous le régime colonial dont la misère de la population est à fleur de peau. Cette misère produite par la colonisation est dénoncée dans les discours des habitants de Tasga et c’est cette génération qui connaîtra les massacres du 8 mai 1945.
Quant au deuxième roman, « Le Sommeil du Juste », c’est la transcendance d’une conscience nationale et l’évolution intellectuelle d’une certaine élite dans le processus de la décolonisation. Et L’Opium et le bâton, raconte la Guerre de libération sous un double regard : de l’intérieur et de l’extérieur. Aussi, le dévoilement des mécanismes de la colonisation et de la décolonisation.
Enfin, La Traversée, c’est l’après indépendance jusqu’à la fin des années 1970, entre espoir et désillusion. Au-delà de ces œuvres littéraires (romans, nouvelles, pièces de théâtres, etc.), ses travaux anthropologiques constituent l’âme et le souffle de sa société.
Aussi, ses travaux sur la langue tamazight incarnent les voix de sa société millénaire avec sa langue qui reste de nos jours l’une des plus vieilles langues, avec son écriture tifinagh, dans l’histoire de l’humanité.
Le Matin d’Algérie : Votre ouvrage Amusnaw propose une réhabilitation intellectuelle de Mammeri. En quoi cette « réhabilitation » était-elle nécessaire, et que révèle-t-elle sur la manière dont les intellectuels d’Afrique du Nord sont perçus dans les champs littéraire et académique francophones ?
Boussad Berrichi : L’ouvrage Mouloud Mammeri Amusnaw paru en 2009 est la base de mes années de recherche sur Mammeri dont les deux tomes Écrits et paroles publiés au CNRPAH d’Alger. Ainsi, la première mouture du manuscrit Amusnaw est une volumineuse biographie intellectuelle de Mammeri suivie d’une bibliographie de lui et sur son œuvre depuis 1917 à 2009. Or, en raison des contraintes de l’édition, j’ai dû publier une version plus courte du manuscrit qui est une sorte de guide pour les étudiants et les chercheurs dans les domaines des arts et des sciences sociales selon les normes de la recherche et de la rédaction universitaires. En effet, le livre participe à la réhabilitation d’un intellectuel de dimension internationale qu’est Mouloud Mammeri. À ce propos, il suffit de parcourir la bibliographie des travaux sur son œuvre à travers le monde et dans plusieurs langues pour en constater cette dimension transfrontalière de son œuvre et de sa pensée.
De plus, cette réhabilitation est une remise en cause de certaines lectures idéologiques sur son œuvre depuis le dénigrement de sa propre personne et de son roman La Colline oubliée par certains « partisans d’un nationalisme étroit » en 1953 par le biais d’un pseudo-journal tendancieux et médiocre du nom Le Jeune musulman. De plus, les articles en question eurent l’objectif d’imposer une autocensure à Mammeri quant à son amazighité voire sa kabylité. Or, depuis son premier article publié en 1938, Mouloud Mammeri n’a jamais trahi ses idées et ses engagements et resta fidèle, durant toute sa vie, à la fois aux voies et voix des ancêtres.
Certains de ses détracteurs reconnurent, tard dans leur vie, leurs « erreurs » sous les bouts des lèvres. Malheureusement, le mal qui a été fait depuis 1953 a eu des conséquences néfastes après 1962 jusqu’à récemment sur la réception des œuvres littéraires, mais pas uniquement.
Le Matin d’Algérie : Vous avez travaillé à la collecte, à l’édition et à l’annotation de plus de 74 textes de Mammeri dans les deux volumes Écrits et paroles. Quelles ont été les principales difficultés – intellectuelles, matérielles ou politiques – rencontrées dans ce projet d’une telle ampleur ?
Boussad Berrichi : Les deux tomes Écrits et paroles s’inscrivent dans une série de projets pour recenser, collecter et annoter des documents de nombreux écrivain-e-s de la génération de Mammeri et la suivante. Ces deux tomes ont connu plusieurs étapes. En effet, la première étape est le recensement de toutes les références sur l’auteur, à savoir faire le dépouillement de milliers de fiches dans les bibliothèques, les centres de recherche et culturels, les universités.
Ensuite, l’étape de la collecte de tous les documents de l’auteur, sur son œuvre qui se trouvent dans plusieurs pays, dans les bibliothèques, les archives des radios et autres médias en général, ou chez les personnes qui ont connu ou interviewé Mammeri. En parallèle, j’ai interviewé plusieurs individus sur l’auteur et son œuvre. Avec toute cette riche documentation j’ai pu retracer la vie intellectuelle de Mammeri dont son rôle pendant les périodes charnières de sa société voire au-delà.
Enfin, le recueil Écrits et paroles regroupe des documents méconnus ou inédits (études scientifiques, articles, scénarii, interviews, entretien et entrevues radiophoniques, conférences…) de l’auteur dans différentes langues (kabyle-tamazight, français, allemand, anglais et espagnol) qui permettent un autre regard perspectif sur l’œuvre, la lucidité et le cheminement de la recherche permanente à laquelle s’est livré Mammeri durant toute sa vie et à travers lui sa société.
Le Matin d’Algérie : Comment percevez-vous aujourd’hui l’impact de Mammeri – et de votre propre travail autour de lui – sur les nouvelles générations d’écrivains, de chercheurs ou de militants culturels, notamment au sein de la diaspora amazighe ?
Boussad Berrichi : L’impact de la pensée et de l’œuvre de Mammeri est considérable. De nos jours encore en Afrique du Nord et à l’international, on évoque Mammeri par Da Lmulud, c’est-à-dire Grand-Frère respecté. Il incarne à la fois la lucidité, la sagesse, la droiture, voire taqvaylit tamazight pour Imazighen en général. Mes travaux s’inscrivent dans la pérennité de Tamusni de Da Lmulud et à travers lui, celle de toute la société dans un transvasement avec les autres. Ainsi, Mammeri reste une référence identitaire kabyle voire amazighe et il représente un symbole de l’Amusnaw par excellence.
Depuis des décennies, on parle de l’écriture Tamaamrit et non de caractères latins de tamazight car la transcription de tamazight avec l’adaptation des caractères dits latins a été stabilisée par Mouloud Mammeri avec ses divers travaux.
Cette dénomination de la transcription en Tamaamrit incarne grandement le poids et la place de Mammeri dans la conscience amazighe à travers l’Afrique du nord et à l’international. Ainsi, il est plus judicieux de parler de tamaamrit que de caractères latins pour tamazight. La transcription d’autres langues avec des caractères dits latins est mondiale et les dénominations de ces transcriptions sont multiples telle que celle du chinois appelée Pinyin.
Le Matin d’Algérie : Votre parcours est profondément transfrontalier : Algérie, France, Canada. Comment ces différents espaces influencent-ils votre approche critique de la littérature, et votre engagement pour les identités plurielles ?
Boussad Berrichi : Mon parcours sur les trois continents a cheminé vers une cosmogonie transculturelle, à savoir transfrontalière loin de la binarité étouffante. Mon expérience entre les deux rives de la Méditerranée m’a marqué à l’image de l’expression du poète-artiste Slimane Azem : « Mi d-nusa nevgha annughal, mi nughal nevgha ad nass » (Quand nous arrivons, nous voulons repartir, quand nous sommes repartis, nous voulons revenir). Et ce qui nous anime profondément, c’est tamurt imawlan. Tamurt, nous la chérissons, nous la portons, nous l’habitons même étant « canadianisé ». Également, tamurt nous habite car nous rêvons nous écrivons, nous dansons, nous chantons, etc., tout avec tamurt même à distance.
Ne dit-on pas en kabyle « nezdagh tamurt, tamurt tez-dghagh ». Encore aujourd’hui, je me rappelle comme si c’était hier, durant les vacances scolaires, je lisais des tas de livres (littérature, philosophie, histoire, etc.) sous un olivier ou un frêne, tout en surveillant une vache ou une chèvre et ses petits, sur les hauteurs du Djurdjura à plus de mille mètres d’altitudes. Ce n’est pas du tout de la nostalgie, mais plutôt la vie d’un jeune montagnard aux fins de la Kabylie qui se nourrissait, comme d’autres, de sa culture primaire vécue en même temps à l’écoute des autres par le biais des livres, mais pas seulement, dans une société attachée et jalouse de sa terre (pour paraphraser Frantz Fanon).
Ensuite, il y a lieu de conjuguer les deux rives de la Méditerranée, le Nord de l’Afrique et le Sud de l’Europe, à savoir l’Algérie et la France dont certaines similitudes sont frappantes. Deux systèmes politiques centralisateurs avec une dose de la pensée linéaire productrice de l’idéologie binaire. Ceci dit, il y a lieu de repenser ce qui est positif des deux côtés de la Méditerranée car étant au Canada, il y a plus de recul et de distance vis-à-vis de certaines questions socio-politiques-économiques afin de saisir la nuance et faire une critique plus objective possible et préconiser des approches plus inclusives et humaines notamment dans le domaine de la culture spécifiquement la littérature.
Enfin, le Canada. Un « pays-continent » avec un « climat exigeant » notamment dans le Grand Nord ou Nuna (comme disent les Inuit). Son système décentralisé avec l’autonomie de ces dix provinces et trois territoires incarne le creuset de son dynamisme dans plusieurs domaines notamment celui des Universités et de la recherche scientifique.
De nombreux éléments de ce système canadien viennent de certains savoirs autochtones ce qui explique l’enracinement d’une certaine cosmogonie canadienne. De plus, cette décentralité des pouvoirs y compris celles des Universités (qui dépendent des provinces et non de l’État fédéral) alimente une synergie de la diversité et une certaine sérénité productrice de sens.
Au-delà de mes expériences passées en Algérie et en France, qui sont globalement fructueuses sur certains points, le milieu universitaire qui me convient le mieux comme professeur depuis plusieurs années est celui à l’Université d’Ottawa (UOttawa). À ce propos, l’Université d’Ottawa est située dans la capitale fédérale et c’est la plus grande université bilingue au monde. Et chaque année, elle attire des milliers d’étudiants canadiens et internationaux de toutes les origines car ses programmes sont très demandés et répondent aux exigences et complexités du monde actuel. De plus, c’est une université où l’enseignement et la recherche se conjuguent au pluriel ce qui fait son dynamisme dans la pluralité. Comme l’UOttawa est interdisciplinaire avec ses diverses facultés, je saisi cette opportunité de connexion interdisciplinaire afin d’élargir mes champs d’enseignement et de recherche en arts, éducations et sciences sociales à la lumière des études comparées.
À travers les acquis pédagogiques pluridisciplinaires et les expériences de terrain dans les trois continents, il y a lieu d’offrir à nos étudiant(e)s des occasions de s’ouvrir à la diversité qui peuple le monde. Aussi, les introduire à la richesse cosmopolitique par laquelle les champs d’études littéraires, éducatives, historiques, politiques, anthropologiques, etc., participent à l’histoire de l’humanité. Enfin, il y a lieu de partager le résultat des recherches à travers colloques et congrès nationaux et internationaux et de nouer des collaborations entre collègues et universités des quatre coins de la planète pour cheminer vers un humanisme des savoirs critiques.
Si tout ça c’est un engagement pour des identités plurielles, alors on ne peut que l’assumer.
Le Matin d’Algérie : Vous avez également mis en lumière des voix féminines amazighes et francophones, comme dans Tamazgha francophone au féminin. Quels sont, selon vous, les apports spécifiques des femmes à la construction d’une mémoire littéraire décoloniale ?
Boussad Berrichi : Le collectif Tamazgha – Afrique du nord – francophone au féminin est le fruit des Actes augmentés d’une séance dans le cadre du Colloque International organisé par le CELAT (Centre interuniversitaire d’Études sur les Lettres, les Arts et les Traditions) de l’Université Laval. Cet ouvrage collectif – que j’ai initié et dirigé ensuite publié – réunis les travaux de dix-huit universitaires femmes de plusieurs pays (Algérie, Allemagne, Canada, France, Maroc, Nouvelle Calédonie, Tunisie) dans plusieurs disciplines (anthropologie, ethnologie, histoire, linguistique, littérature et poésie). Les travaux abordent plusieurs sujets et thématiques d’hier et d’aujourd’hui. Pourquoi au féminin ? Parce qu’il y a des « perspectives au féminin » non exploré en profondeur dans le champ de la recherche en arts et en sciences sociales. Les textes dans ce collectif constituent de nouvelles approches sur la pluralité de l’Afrique du nord au niveau historique, littéraire, anthropologique, linguistique, etc.
De nombreux travaux collectifs ont été publiés dans le passé sous une vision linéaire et le cloisonnement des approches alors qu’il y a lieu d’étudier les littératures voire les arts sous diverses approches et c’est ce que le collectif Tamazgha a tenté de préconiser.
Le Matin d’Algérie : On connaît Mouloud Mammeri écrivain et intellectuel, mais beaucoup moins son rôle pendant la guerre d’indépendance. Que peut-on dire de son engagement durant la guerre de 1954-1962, et comment cela se reflète-t-il dans ses écrits clandestins ?
Boussad Berrichi : Mammeri a été, avant l’heure, un militant de la décolonisation, d’abord à Paris en tant qu’étudiant au Lycée Louis-le-Grand et à la Sorbonne. Durant ces années d’études, il rédigea les communiqués de l’union des étudiants nord-africains à Paris qui lutta pour l’indépendance des peuples colonisés d’Afrique notamment d’Afrique du nord. E
n 1956, Mammeri fonda, avec certains de ses amis, L’Espoir Algérie, journal anti-colonial qui porta en sous-titre « Expression des libéraux d’Algérie » et signa les éditoriaux sous le pseudonyme Brahim Bouakkaz. Ensuite, sous un autre pseudonyme, Kaddour en 1957, il rédigea un volumineux Rapport pour la délégation du FLN à l’ONU sur les tortures, les exactions et les viols perpétrées par l’armée coloniale. De son vivant, Mammeri refusa d’évoquer son passé durant la Guerre sauf dans l’entretien avec Tahar Djaout de 1987 car il considéra son engagement et son nationalisme comme un devoir.
À ce propos, lors d’une interview à Alger, M’hamed Yazid (représentant du FLN à l’ONU durant les années 1950), me relata et me confirma avec précisions le rôle déterminant du Rapport de Mammeri aux sessions de l’ONU.
De même, dans son livre Si Smail (1981), Tahar Oussedik raconta les détails en ces termes « Chargé de rédiger un rapport relatant les exactions de l’armée française, Si Bouakkaz recueillit, tout d’abord, la presque totalité des tracts distribués par les autorités d’occupation. Puis il s’attacha à sa rédaction et, lorsqu’il l’eut achevé, les divers feuillets furent répartis dans les enveloppes […] Le transport de ce courrier destiné à l’ONU fut assuré par Si Smaïl et Makhlouf Mammeri qui exerça alors la fonction d’inspecteur de la sûreté. »
Son engagement durant la Guerre a été sans faille, avec la rédaction du Rapport pour les sessions de l’ONU, son implication dans le journal L’Espoir Algérie et son action durant la bataille d’Alger dont il composa une pièce de théâtre Le Fœhn mais contraint de détruire son manuscrit, mais aussi il cacha chez lui à Alger des militants et combattant-e-s nationalistes. Ainsi, pour toutes ces raisons, voire d’autres, Mammeri est traqué et menacé de mort par les parachutistes de Bigeard.
Lors de la traque, Mammeri se cacha quelques jours chez un Français à Alger, ensuite se réfugia au Maroc mais continua son militantisme notamment la finalisation du Rapport pour l’ONU. À ce propos, les médias de l’époque rapportèrent la traque de Mammeri par les sanguinaires de Bigeard dont Franc-Tireur (6 avril 1957) titra « L’écrivain Mouloud Mammeri (sic) aurait été arrêté à Alger le 15 avril.», de même France-Soir publia la dépêche« On est toujours sans nouvelles de l’écrivain algérien Mouloud Mammeri… » et le journal Les lettres françaises (du 18 au 24 avril 1957) s’interrogea « Mais que signifie la recherche, par les parachutistes, à son domicile algérien, d’un écrivain qu’on déclare officiellement se trouver au Maroc ? ».
Enfin, il y a lieu de re-lire le dossier « Mouloud Mammeri dans la guerre de libération » dans le tome 1 de Écrits et paroles (éditions CNRPAH, Alger, 2008) mais son roman L’Opium et le bâton pour mesurer le rôle crucial de Mammeri et ses semblables durant cette guerre effroyable.
Le Matin d’Algérie : Entre 1969 et 1979, Mammeri a dirigé le CNRPAH à Alger, formant une véritable école de chercheurs. En quoi ce travail institutionnel a-t-il été déterminant pour les études amazighes et plus largement pour la recherche en sciences humaines en Algérie ?
Boussad Berrichi : Tout à fait, Mouloud Mammeri dirigea le CRAPE (Centre de Recherches Anthropologiques, Préhistoriques et Ethnographiques, devenu CNRPAH) à Alger de 1969 à 1979 et plusieurs travaux de recherches en sciences humaines et sociales ainsi que des périodiques scientifiques, Libyca et Bulletin intérieur du CRAPE au sein du même centre.
Lors de la prise de la direction du Centre, plusieurs problèmes s’imposèrent dont le manque de chercheurs et l’absence d’une orientation à donner à un centre de recherche pluridisciplinaire. Ainsi, la tâche fut titanesque. Or, en très peu de temps, Mammeri releva les défis par un plan novateur, à savoir former une nouvelle génération de chercheurs et initier de nouvelles approches scientifiques notamment l’anthropologie et l’ethnologie car de nombreuses questions épistémologiques s’imposèrent.
La situation fut la suivante : aux indépendances des années 1960, il y eu dénonciation de l’instrumentalisation de l’anthropologie par le colonialisme et remise en cause de l’anthropologue par les régimes politiques des États nouvellement nés des indépendances.
Ainsi, une interrogation s’imposa : Que se passe-t-il lorsque des Africains, par exemple, entreprennent d’étudier leur propre société et/ou leur propre culture? De plus, l’anthropologue africain, qui n’eut pas déconstruit la question épistémologique, se regarda lui-même avec les yeux des autres, se faisant, le plus naturellement, le chantre de sa propre différence. Donc, son analyse sur sa culture se présenta doublement problématique : exotique (voire du chauvinisme) ou réductrice.
Et durant les années 1960-70 en Afrique, la recherche en anthropologie (en particulier) connut une évolution comme suit : la remise en cause de l’épistémologie avec l’ethnologie évolutionniste qui fut instrumentalisée durant la nuit coloniale; l’émergence de nouvelles approches anthropologiques qui s’opposèrent à l’uniformisation culturelle qu’impliqua la mondialisation en montrant la diversité et la richesse des cultures et des langues africaines.
Quelques anthropologues africains incarnèrent cette nouvelle anthropologie parmi eux, citons Mouloud Mammeri, Amadou Hampaté Ba, Cheikh Anta Diop, et bien d’autres. Avec leurs travaux novateurs, ces anthropologues africains inaugurèrent « l’anthropologie pratique ».
À ce propos, dans son étude (publiée dans Awal, n.5), Mammeri exposa les soucis méthodologiques suivants : de nombreux travaux d’anthropologues « étrangers » sur les sociétés colonisées, d’avant les indépendances, furent des regards majoritairement extérieurs voir incomplets parfois exotiques ou réducteurs. Et pour les anthropologues africains, un double risque de la partialité se présenta comme suit : une discipline (telle que l’anthropologie) dont ils sont à la fois juges et parties, ajoutant leur familiarité avec les données dont ils sont issus ainsi que de leur culture.
Aussi, la non-reconnaissance de l’anthropologie (surtout de l’ethnologie) par les régimes post-indépendance : condamnation éthique de l’anthropologie comme science coloniale. De plus, la science fut perçue comme danger scientifique et cette idéologie politique sur l’orientation scientifique des universités entrava durablement la recherche. Malgré toutes les embuches, Mammeri orienta le CRAPE sur une voie prometteuse voire futuriste dont il préconisa de faire de l’anthropologie à la fois « une science et un instrument de libération » (je paraphrase Mammeri). Ainsi, c’est sur cette base qu’il forma une génération de chercheurs en anthropologie, voire en sciences sociales et humaines, en leur créant un cadre et un lieu adéquat à la recherche par excellence dans ce haut lieu de la recherche de dimension internationale que fut le CRAPE sous sa direction. Des bourses de recherches, des publications soutenues et de qualité, des expéditions sur le terrain, l’encouragement et l’encadrement de jeunes chercheurs propulsèrent les savoirs et les connaissances Bref, Mammeri fut la cheville ouvrière de toute une génération, donc le pionnier de l’anthropologie pratique.
Le Matin d’Algérie : Dès les années 1960, Mouloud Mammeri a commencé à enseigner le tamazight à Alger, dans un contexte où cette langue était encore largement marginalisée. En quoi cette initiative précoce a-t-elle marqué l’histoire de la transmission de tamazight, et quel en a été l’impact sur la formation d’une génération de spécialistes et militants de la langue amazighe ?
Boussad Berrichi : L’apport de Mammeri est considérable quant aux bases de tamazight. De nos jours, on parle de Tamaamrit, donc c’est tout une école.
Il y a lieu de rappeler que durant les années 1950, Mammeri demanda, à plusieurs reprises, à enseigner tamazight au lycée de Ben Aknoun et les autorités lui refusèrent alors que dans le même lycée à Alger et, dans d’autres écoles d’Algérie de l’époque, l’arabe était enseigné officiellement et régulièrement.
De plus, à la même période, Mammeri demanda à enseigner tamazight à la Faculté d’Alger, il essuya plusieurs refus.
Après son retour d’exil à l’automne 1962, Mouloud Mammeri devint professeur d’ethnographie à l’université d’Alger et enseigna tamazight (un cours informel), bien qu’aucun texte officiel n’autorisât ce cours et qu’aucun texte ne l’interdît, « on » y mit cependant fin en 1973.
De plus, son cours attira de plus en plus d’étudiants dans un immense amphithéâtre. Certains de ces étudiants devinrent plus tard des chercheurs, militants, écrivains, politiques, etc., et formèrent à leur tour d’autres générations d’enseignants de tamazight mais aussi dans d’autres domaines.
Suite à l’interdiction de son cours en 1973, Mammeri s’adressa, plusieurs fois, au ministère et n’eut aucune réponse. L’exclusion de ce cours de tamazight marqua durablement Mammeri, mais il ne cessa de revendiquer, par ses écrits et ses conférences, tamazight langue nationale et officielle et langue d’État pour son pays et ceux de l’Afrique du nord. Pour lui, la pérennité de tamazight passe par la généralisation de son enseignement dans toutes les écoles et les institutions de l’État.
Malgré l’interdiction de son cours dans son propre pays, Mammeri s’attela avec abnégation et conviction dans la préservation et le développement de tamazight. Ainsi, par son travail minutieux et son érudition, dès 1967, il publia Précis de grammaire berbère(kabyle), suivi de Lexique français-touareg, dialecte de l’Ahaggar (avec Jean Marie Cortade). Et, en 1973, avec certains de ses étudiants et collaborateurs, il édita Amawal : Tamaziγt-Tafransist, Tafransist-Tamaziγt – Lexique berbère-français, français-berbère. Enfin, en 1976, il élabora un manuel de grammaire tamazight sous le titre Tajerrumt n Tmaziγt (Tantala taqbaylit) qui décrocha le prix de la typographie.
Ainsi, toute sa vie durant, Mammeri milita avec lucidité pour la sauvegarde, la promotion, le développement et la transmission de tamazight, par son enseignement, ses publications, ses conférences, sa formation de chercheurs. Aujourd’hui, quand on parle de son œuvre et de sa pensée on dit « Da Lmulud », terme de respect et d’affection pour un Amusnaw.
Le Matin d’Algérie : Mammeri était aussi scénariste, dramaturge et anthropologue. Comment ces différentes facettes – parfois négligées – enrichissent-elles notre compréhension de son œuvre globale et de son approche de l’amazighité ?
Boussad Berrichi : Il y a chez Mammeri une autre activité peu connue et c’est celle de l’écriture de scénarii. Il est, en effet, l’auteur de six scénarii dont Le village incendié (1963), premier long métrage qui relate la destruction par l’armée coloniale d’un village en Kabylie pendant la Guerre d’indépendance 1954-62. Il a également écrit des textes pour d’autres films : L’Aube des damnés (1965) qui s’inscrit dans les approches postcoloniales genre cinéma documentaire ; Morte la longue nuit (1979) fait le constat sur la situation de certains peuples dans l’histoire humaine depuis les fausses découvertes des Amériques jusqu’aux années 1970 et la dialectique des puissances durant la guerre froide.
Par ces scénarii, Mouloud Mammeri déconstruit le revisionnisme historique que prônent certains groupes voire mouvements ou régimes politiques dans leur discours trompeur et colonial. Enfin, La dernière caravane est un scenario inédit écrit par Mammeri qu’allait porter à l’écran par l’infatigable Abderrahmane Bouguermouh, éminent réalisateur du film Tawrirt Ittwattun (La Colline oubliée). Il y a aussi d’autres scénarii inédits dont l’un sur Si Mohand Ou-Mhand.
À rappeler aussi, que Mammeri est auteur de plusieurs nouvelles et pièces de théâtres. À ce propos, il a écrit Le Fœhn (dont la première mouture a été détruite durant la bataille d’Alger en 1957) et a repris son écriture après 1962 et a été jouée au TNA en 1967. Également, auteur de Le Banquet, suivi de La mort absurde des Aztèques, une pièce de théâtre assortie d’un essai philosophico-historique – qui est à la fois la dénonciation des crimes contre l’humanité du passé et la mise en garde de leurs reproductions au présent et dans le futur. Dans son texte, Mammeri a déconstruit la « fausse découverte » des Amériques.
Et il consacra plusieurs travaux anthropologiques depuis son premier essai sur la « Société berbère », publié dans la revue Aguedal en 1938-39, jusqu’à son dernier livre Inna yas Cix Muhend (Les Dits de Cheikh Mohend). Ainsi, il publia plusieurs essais qui font autorité à l’heure actuelle en « anthropologie pratique » dont ses études sur « L’évolution de la poésie kabyle » (Revue Africaine, 1950), Les Isefra, poèmes de Si Mohand ou M’hand (1969) ; Poèmes kabyles anciens (1980) ; L’Ahellil du Gourara (1985). Par ses travaux, Mammeri fut fermement convaincu que « l’âme d’un peuple peut s’exprimer dans la musique et le chant, dans la pierre ou les mythes. Celle des Kabyles a choisi le Verbe. La parole – Awal a valeur fondamentale. Et le poème dit à valeur imminente » (Mammeri). A ce propos, en 1985, il fonda le CERAM (centre de recherche amazigh) à Paris faute de pouvoir le faire dans son pays natal. Avec le CERAM, il créa Awal (Cahiers d’études berbères) revue scientifique internationale à l’image de Libyca qu’il dirigea au CRAPE devenue une revue de référence internationale en sciences humaines et sociales.
Le Matin d’Algérie : Avez-vous des projets en cours ou à venir ?
Boussad Berrichi : Avec mon activité d’enseignant à l’Université, certains manuscrits souffrent dans le tiroir faute de temps, mais ils feront objet de publication. Parmi ces projets, il y a ceux sur certains écrivain-e-s et intellectiel-le-s dont le pédagogue-écrivain humaniste Mouloud Feraoun et Mohand Arkoun. Donc, les deux manuscrits, celui de/sur Feraoun et sur Arkoun ainsi que Mouloud Mammeri Amusnaw (revu et augmenté) seront proposés pour publication cette année ou en 2026.
En ce moment, je suis sur la finalisation de deux essais interdisciplinaires concernant le Canada à la fois sur les Autochtones et le Canada dans sa mondialité et sa place dans le monde. Les deux essais couronnent mes années d’enseignement universitaires sur le Canada.
Ensuite, d’autres projets feront objet de publication tels que les documents oraux collectés durant les années 1990. Ces documents de l’oralitude (poésie, devinette, contes, légendes, etc.) datent des étés de cette période quand je sillonnais, avec mon petit enregistreur audio et mon carnet de notes, certains villages du Djurdjura et de l’Akfadou pour collecter des textes oraux chez des personnes âgées avant que la mort ne les happe.
Le Matin d’Algérie : Un dernier mot peut-être ?
Boussad Berrichi : À la fin de mes cours, je dis souvent à mes étudiants « Pour ne pas conclure » car il n’y aura pas jamais de conclusion ni de dernier mot (rire). À ce propos, je cite Mammeri : « Si les mots n’étaient que ce qu’ils veulent dire, ce serait la fin de toute littérature ».
Après le sommet Trump-Poutine en Alaska, qui n’a produit aucune avancée concrète sur le conflit en Ukraine, les dirigeants européens se préparent à un déplacement symbolique et stratégique : accompagner le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, à la Maison-Blanche ce lundi 18 août 2025.
Cette rencontre avec le président américain Donald Trump constitue un signal fort d’unité face aux pressions russes et aux tensions diplomatiques qui agitent la scène internationale depuis plusieurs mois.
Le sommet de l’Alaska, qui avait été présenté comme un moment clé pour la diplomatie internationale, s’est soldé par un constat d’échec. Aucun accord, aucune avancée tangible n’a émergé, et les propositions russes, notamment celle d’un gel du conflit en échange de la cession du Donbas, ont été accueillies avec scepticisme par Kiev et ses alliés. Dans ce contexte, l’Europe souhaite montrer qu’elle reste un acteur engagé et cohérent, capable de soutenir la souveraineté de l’Ukraine tout en préservant l’unité transatlantique.
La délégation européenne qui se rend à Washington rassemble plusieurs figures politiques majeures : Emmanuel Macron pour la France, Friedrich Merz pour l’Allemagne, Giorgia Meloni pour l’Italie, Keir Starmer pour le Royaume-Uni, Alexander Stubb pour la Finlande, Ursula von der Leyen pour la Commission européenne et Mark Rutte pour l’OTAN. Leur présence témoigne de la volonté des capitales européennes de maintenir un front uni et de souligner l’importance de la solidarité internationale dans un contexte de tensions exacerbées avec Moscou.
Volodymyr Zelensky, qui a réaffirmé à plusieurs reprises que toute concession territoriale est inacceptable selon la Constitution ukrainienne, espère que cette réunion permettra de renforcer le soutien de Washington et de prévenir toute initiative unilatérale susceptible de fragiliser son pays. Les Européens, de leur côté, entendent convaincre les États-Unis que le dialogue et la coordination avec les alliés sont indispensables pour éviter une escalade militaire et pour préserver l’intégrité territoriale de l’Ukraine.
Cette rencontre s’inscrit également dans un contexte diplomatique tendu entre Kiev et Washington. En février 2025, un échange houleux avait opposé Trump à Zelensky, le président américain exprimant son mécontentement face au refus ukrainien de négocier avec Moscou. Depuis, la dynamique a évolué : les Européens se positionnent comme un relais et un soutien pour Zelensky, souhaitant éviter que les décisions américaines ou russes ne compromettent la souveraineté ukrainienne.
Au-delà de l’aspect symbolique, la réunion de lundi pourrait avoir des implications concrètes sur la stratégie internationale vis-à-vis de la Russie. Les dirigeants européens cherchent à maintenir la pression sur Moscou tout en affirmant que toute solution durable doit respecter le cadre juridique et constitutionnel de l’Ukraine. Ils mettent en avant l’importance de la diplomatie multilatérale et de la concertation entre alliés pour trouver des solutions pacifiques et éviter une escalade militaire qui serait désastreuse pour la région.
Cette initiative européenne à Washington démontre aussi la prise de conscience des capitales du Vieux Continent : face aux ambitions russes et à l’imprévisibilité de l’administration américaine, l’Europe doit montrer qu’elle peut agir en cohérence avec ses valeurs et ses engagements internationaux. La visite à la Maison-Blanche, en accompagnant Zelensky, constitue un message clair : la défense de l’intégrité territoriale ukrainienne et le soutien à son gouvernement sont des priorités partagées par l’ensemble des alliés européens.
En somme, ce déplacement marque une étape symbolique et stratégique dans la diplomatie internationale autour de la guerre en Ukraine. Alors que le conflit se poursuit et que les négociations directes avec Moscou restent difficiles, l’Europe entend réaffirmer son rôle de partenaire fiable et solidaire. La réunion de lundi à la Maison-Blanche sera suivie de près par la communauté internationale, car elle pourrait dessiner les contours d’une nouvelle dynamique diplomatique, fondée sur l’unité, la coopération et le respect de la souveraineté nationale.
Pour Zelensky et ses alliés européens, l’enjeu est clair : présenter un front uni face à la Russie, convaincre les États-Unis de la nécessité d’un soutien cohérent et montrer que l’Ukraine, malgré les pressions, reste déterminée à défendre son intégrité territoriale.
Dans Abba Abba – La pierre de convoitise,(Éditions Arcadia Tunisie) Soufiane Ben Farhat entraîne le lecteur dans un univers où la poussière millénaire se mêle au vent venu du large, porteur des murmures de Takrouna. Ce nid d’aigle berbère, suspendu au-dessus de la plaine d’Enfida, devient le théâtre d’un roman dense et puissant, traversé par les tensions entre sacré et profane, mémoire ancestrale et modernité en crise.
Récit polyphonique, le livre donne voix à des personnages pris dans la tourmente d’une Tunisie contemporaine marquée par l’abandon, la violence symbolique et la quête obstinée de sens. Entre les ruelles étroites et les souvenirs gravés dans la pierre, Ben Farhat mêle réalisme cru et onirisme habité, interrogeant les blessures profondes de la société, l’héritage ancestral et les silences du père, tout en scrutant la place de Dieu dans un monde livré à lui-même.
Journaliste affûté et romancier inspiré, il compose une fresque où la réconciliation, peut-être impossible dans le réel, trouve refuge dans la littérature. À l’occasion de la parution de ce Roman qui oscille entre thriller psychologique et réalisme magique, il nous livre ici les clés de son écriture, ses inspirations littéraires, et les enjeux spirituels et sociaux qui l’ont guidé.
Le Matin d’Algérie : « Abba Abba » débute par un cri biblique, emprunté au Nazaréen sur la croix. À quel moment ce verset s’est-il imposé comme socle de votre roman ? Était-ce une fulgurance ou le fruit d’une longue gestation ?
Soufiane Ben Farhat : Une question très pertinente. En fait, en écrivant mon roman, je me suis rendu compte que la majeure partie des personnages étaient des personnages crucifiés ou engagés sur le chemin de croix menant à l’inévitable Golgotha. Je me suis donc inspiré des paroles de Jésus sur la croix, particulièrement la septième et dernière phrase : « Jésus poussa un grand cri : ‘Père, Père entre Tes mains je remets mon esprit’ » (Luc 23,46). Et sur ces mots, il mourut. »
En araméen, l’équivalent du terme père est Abba, cela est passé d’ailleurs dans la langue arabe où, dans le bled notamment, en Tunisie, en Algérie et au Maroc on dit « Abba » ou « Abbay » pour appeler son père. Ça a quelque part une connotation divine, en Tunisie on dit bien de quelqu’un qui est simple et bonhomme « Oueld Baballah », le fils de Père-Dieu en quelque sorte. Pour mes personnages, les solutions d’ici-bas étant inexistantes, on s’en remet à Dieu…
Le Matin d’Algérie : Le roman est ancré à Takrouna, lieu réel mais aussi hautement symbolique. Pourquoi ce choix ? Que représente Takrouna dans votre imaginaire personnel et littéraire ?
Soufiane Ben Farhat :Takrouna est un vieux village berbère, un nid d’aigle juché sur la fascinante plaine d’Enfida dans le Sahel tunisien, entre Hammamet et Sousse. J’y vais souvent et j’y ressens un souffle salvateur. Mes pas m’y guident d’une manière sourde bien souvent.
D’ailleurs, Firas, le narrateur, dit à ce propos : « Les sentiers qui serpentent à travers cette mosaïque rurale ressemblent à de subtils filets, témoignages silencieux de l’éternelle quête de l’homme, de son labeur acharné pour tirer sa subsistance de cette terre. Des chemins millénaires, chargés d’histoire. Ils ont vu défiler les pas résolus des Berbères autochtones, les cultivateurs carthaginois, les légions romaines, les Vandales pillards, les administrateurs pressureurs byzantins, les caravanes arabes, les réfugiés morisques méticuleux et habiles, et plus récemment, les colons français. En contemplant cette plaine intemporelle, je ressens une connexion profonde avec l’histoire immémoriale de ce lieu et les générations d’hommes et de femmes qui avaient foulé cette terre. Un sentiment de paix et de sérénité m’envahit, contrastant avec le tumulte des pensées qui agitent mon esprit concernant l’enquête. »
Le Matin d’Algérie : Ce roman semble traversé par les figures de l’abandon : Dieu, le père, la patrie. Est-ce un roman de filiation interrompue ou de réconciliation impossible ?
Soufiane Ben Farhat :La vie d’un artiste, a fortiori celle d’un romancier, est une perpétuelle crise. Nos sociétés subissent les contrecoups globalisants et pervers de la mondialisation forcée au bout du compte. Il y a plus de servitude que de libre choix. Mais, au fond, la société tunisienne, à l’image de nos sociétés maghrébines, garde un socle indestructible, là où se ressourcent les âmes. Même notre approche du temps en garde des imprégnations têtues et indélébiles. C’est là que s’ancrent et s’épanchent, en profondeur, nos aiguilles de l’âme. C’est anthropologique, vous savez, et je dis souvent que la technologie ne peut guère vaincre l’anthropologie. Grattez le Tunisien, vous y trouverez toujours, enveloppé de gangues opaques, un Jugurtha ou un Hannibal, d’autant plus un musulman différent des autres musulmans qu’il est pétri à cette merveilleuse pâte du terroir. Les Maghrébins ont été « produits » une seule fois, ils sont très très anciens et inimitables. Le personnage de Habiba dans le roman, entrelacs d’insaisissable physique et de réalisme magique, atteste que la réconciliation est possible, mais dans la dimension onirique du rêve. Sans le rêve, parfois tragique, intransigeant et fou, l’homme ne saurait exister. Les gens de Takrouna, dans mon roman, sont de cette étoffe-là.
Le Matin d’Algérie : Vous évoquez sans détour la crasse, les déchets, les râles et les vomissures. Est-ce un choix esthétique pour dire l’abjection du corps, ou une manière de ramener le sacré dans le réel le plus cru ?
Soufiane Ben Farhat :Entre le sacré et le profane, comme entre l’amour et la haine, la faute et la transgression, le fil est ténu. À l’instant même où il agonise, l’un des protagonistes se dit : « Je sombre parmi les crachats, les vomissures, les mégots et des déchets de crasse que mon corps inerte a lâché au moment ultime. Et c’est fini. » Pour lui, la mort est une libération en quelque sorte, libération de ses obsessions, craintes et frayeurs qui confinent à la psychose. C’est une victime de surcroît, il a été tué pour des motifs crapuleux et de croyances surannées et insensées toujours en vigueur. On parle bien chez nous de « ousakh eddinya » ou carrément concernant l’argent de « ousakh dar eddinya », la saleté d’ici-bas, par opposition aux valeurs.
Le Matin d’Algérie : La spiritualité traverse le texte, mais toujours dans la tension : Dieu y est aussi silence, absence, abandon. Peut-on parler d’un roman mystique, ou au contraire d’un texte post-théologique ?
Soufiane Ben Farhat :Oui Dieu est silence, en ce qu’il est traduit par les hommes par l’abandon ou par les fourvoiements. Mais plutôt que de Dieu, ce roman aborde l’incontournable problématique du tragique, l’absurde du destin en quelque sorte. Depuis les tragiques grecs, Eschyle, Sophocle et Euripide (auxquels j’enjoins l’unique quatrième tragique, Shakespeare), la tragédie se vérifie, que ce soit à l’échelle des individus ou à l’échelle des nations.
Et contrairement à ce qu’on croit, la tragédie n’est pas le triomphe du mal sur le bien mais bien plutôt la souffrance causée par le triomphe de quelqu’un de bien sur une autre personne de bien. Il y a quelque chose d’irrémédiablement faux dans le monde. Mon roman suggère que, abandonnés par Dieu, les gens sont livrés à leur tragédie. C’est un texte post-théologique, considéré sous cet angle.
Le Matin d’Algérie : Peut-on lire Abba Abba comme une critique de la société tunisienne actuelle – sa violence symbolique, son oubli des humbles, sa religion vide de compassion ?
Soufiane Ben Farhat : Oui, bien évidemment, c’est une critique de la société tunisienne, il y a d’ailleurs dans ce roman beaucoup d’exclus et de laissés-pour-compte, tels Autogène, Gaddour, Zohra et bien d’autres. Les événements ont lieu en 2022, juste après la grande crise du Covid-19. La trame du roman « Abba Abba La Pierre de Convoitise » se déroule essentiellement à Takrouna, et déborde sur Hammamet, Sousse et Haouaria en 2022.
Au premier degré, il s’agit d’une mort suspecte, un meurtre déguisé en suicide. Plusieurs protagonistes représentant un microcosme de la société tunisienne sont aux prises et interpellés à divers titres autour de l’enquête policière et judiciaire. J’en profite pour disséquer les différentes formes de psychose et de pathologies mentales générées par l’épidémie du Covid-19 en Tunisie. Une occasion aussi pour plonger dans l’univers clos de Takrouna, enveloppée de réalisme magique certes, mais avec son lot d’exclus et de laissés-pour-compte.
Le roman oscille, avec dextérité, entre le thriller psychologique et le réalisme magique. Ce qui me permet de tenir le lecteur en haleine moyennant les multiples rebondissements de l’intrigue. D’ailleurs, je conclus dans le droit fil de l’opera aperta.
Le Matin d’Algérie : Votre écriture est dense, incantatoire, parfois hallucinée. Comment travaillez-vous la langue ? Vous sentez-vous plus proche du poète, du romancier ou du prophète ?
Soufiane Ben Ferhat : Boileau avait bien dit : « Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement, et les mots pour le dire arrivent aisément ». Al Jahidh avait écrit la même chose plus de huit siècles avant Boileau !
Je suis journaliste, il ne faut pas l’oublier, je travaille sur les mots, ces carrefours de sens avec lesquels on ne peut mieux traduire le monde. Je suis également romancier, dramaturge et scénariste. Je suis proche du romancier bien évidemment.
À vrai dire, j’aime beaucoup le style de Céline ou de Blaise Cendrars. L’écriture syncopée de Céline et de Cendrars se caractérise par l’utilisation de phrases courtes, souvent exclamatives, et par un style qui imite le langage parlé, notamment l’argot. Cette technique vise à reproduire l’oralité et à transmettre les émotions de manière directe et intense, parfois sur un ton désespéré. Je suis un infatigable lecteur et, pour la petite histoire, je relis chaque été les contes de Voltaire et l’incommensurable littérature d’Al Jahidh. Un écrivain, ça lit beaucoup, à raison de deux à trois livres par semaine.
Le Matin d’Algérie : Le roman épouse parfois le souffle d’un monologue intérieur post-mortem. Pourquoi ce choix narratif ? Ce « je » qui parle après la mort, est-il encore vivant d’une autre manière ?
Soufiane Ben Farhat :Ce roman est une polyphonie à sept voix. Sept personnages s’y expriment à la première personne. Le monologue post-mortem intervient une seule fois, en moins de cinq-cents mots alors que le roman contient près de 70 000 mots. La polyphonie sert l’intrigue.
Le Matin d’Algérie : On pense en vous lisant à Dostoïevski, à Faulkner, à Mahmoud Darwich ou à Kateb Yacine. Quelles sont vos filiations littéraires conscientes ?
Soufiane Ben Farhat :Vous me flattez. Dostoïevski et Faulkner sont parmi mes maîtres incontestés. Kateb Yacine est incommensurable. J’ai lu et relu Nedjma des dizaines de fois, au même titre que les écrits, notamment les romans de l’inégalable Albert Camus, toujours imité, jamais égalé.Les romanciers latino-américains tels Gabriel Garcia-Marquez, Alejo Carpentier, Octavio Paz, Jorge Amado ou Mario Vargas Llosa sont mes préférés. Sans oublier Colette, Marguerite Yourcenar et Karen Blixen.
Le Matin d’Algérie : Dans quelle mesure votre travail de journaliste et d’observateur du réel nourrit-il votre écriture romanesque ?
Soufiane Ben Farhat :Ah, inévitable question. Le journaliste est l’historien de l’instant et je dirais même le romancier du réel. Le journalisme m’autorise, parfois en scrutateur ou observateur privilégié ou en spectateur engagé, d’avoir une part inespérée à l’intensité du monde et du vécu.
J’observe tout, davantage dans ce que les sociétés rejettent et ostracisent que dans les discours pompeux ou en trompe-l’œil. Cette posture journalistique me conforte dans mon travail de romancier.
Dans mon roman, quelqu’un dit : remuez les ordures, vous ausculterez mieux les sociétés et leurs pulsions profondes. C’est dans les poubelles et leurs déchets qu’on retrouve l’âme profonde des nations.
Une vision sombre, certes, mais tellement pertinente quand on regarde autour de nous…Je ne sais plus qui c’est qui a dit qu’on ne juge pas les hommes d’après l’idée qu’ils se font d’eux-mêmes. C’est tellement vrai. Le plus souvent, cette fausse conscience, cette image embellie qu’ils se renvoient, biaise complètement notre jugement.L’autojustification est un mécanisme fascinant, presque une nécessité psychologique. Mais sa véritable demeure, c’est l’inconscient, ce territoire obscur où elle se nourrit de mauvaise foi, de ces arrangements tacites avec soi-même pour éviter la confrontation avec la vérité.
Le Matin d’Algérie : La figure du père traverse tout le roman. Est-ce une évocation autobiographique ? Ou une métaphore plus vaste de l’autorité, du silence, de l’héritage manqué ?
Soufiane Ben Farhat : Plutôt que de tuer le père, je préfère qu’on réinvente le père. La matrice, c’est à la fois la mère et le père. Je suis dérouté par cette tendance occidentale visant à éliminer et la femme et l’homme, c’est-à-dire au bout du compte éliminer à la fois le père et la mère. Kateb Yacine avait abordé cela dans Nedjma.
L’un des personnages, Rachid, rappelle que les histoires individuelles ne sont pas seulement marquées par le poids de l’Histoire, mais aussi par le passé ancestral qui détermine le destin de toute une nation, de tout un peuple : « Comprends-tu ? Des hommes comme ton père et le mien… Des hommes dont le sang déborde et menace de nous emporter dans leur existence révolue, ainsi que des esquifs désemparés, tout juste capables de flotter sur les lieux de la noyade, sans pouvoir couler avec leurs occupants : ce sont des âmes d’ancêtres qui nous occupent, substituant leur drame éternisé à notre juvénile attente, à notre patience d’orphelins ligotés à leur ombre de plus en plus pâle, cette ombre impossible à boire ou à déraciner, – l’ombre des pères, des juges, des guides que nous suivons à la trace, en dépit de notre chemin, sans jamais savoir où ils sont, et s’ils ne vont pas brusquement déplacer la lumière, nous prendre par les flancs, ressusciter sans sortir de la terre ni revêtir leurs silhouettes oubliées, ressusciter rien qu’en soufflant sur les cendres chaudes, les vents de sable qui nous imposeront la marche et la soif, jusqu’à l’hécatombe où gît leur vieil échec chargé de gloire, celui qu’il faudra prendre à notre compte, alors que nous étions faits pour l’inconscience, la légèreté, la vie tout court… Ce sont nos pères, certes ; des oueds mis à sec au profit de moindres ruisseaux, jusqu’à la confluence, la mer où nulle source ne reconnaît son murmure : l’horreur, la mêlée, le vide, — l’océan — et qui d’entre nous n’a vu se brouiller son origine comme un cours d’eau ensablé, n’a fermé l’oreille au galop souterrain des ancêtres, n’a couru et folâtré sur le tombeau de son père… »C’est tellement vrai, n’est-ce pas ?
Le Matin d’Algérie : Enfin, si vous deviez résumer Abba Abba – La pierre de convoitise en une seule phrase, cri ou prière, laquelle choisiriez-vous ?
Soufiane Ben Farhat : La première des sept phrases prononcées par Jésus sur la croix : « Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font. »
Entretien Réalisé par Djamal Guettala
Bio express : Soufiane Ben Farhat (né en 1959 à Tunis) est journaliste, chroniqueur, écrivain et dramaturge tunisien. Ancien rédacteur puis président du conseil de rédaction à La Presse de Tunisie, il est l’auteur de nombreux romans, essais et pièces de théâtre. Le Regard du loup lui vaut le Prix Découverte du Comar d’or (2010) et Le Chat et le scalpel le Comar d’or du roman (2021). Il signe aussi des créations scéniques comme Les Années folles (2019) et Sayed Darwich, le chant éternel (2024). En 2025, il publie Abba Abba la pierre de la convoitise aux éditions Arcadia.
Le mouvement politique comorien RIDJA-PACTEF a publié ce vendredi 15 août 2025 un communiqué explosif depuis Mayotte, dénonçant ce qu’il qualifie de « machine mafieuse » au sommet de l’État. Son président, Maître Saïd Larifou, accuse directement le régime du colonel-président Azali Assoumani et son entourage immédiat d’être impliqués dans des opérations de trafic de drogue organisé.
Le point de départ des accusations est l’évasion de Mourad, présumé trafiquant, que le RIDJA décrit non pas comme un simple incident sécuritaire mais comme « une transaction criminelle révélant la cupidité des hautes autorités comoriennes ». Dans ce cadre, le communiqué évoque des déclarations attribuées au commandant de la gendarmerie, Takfine, laissant entendre que des officiers supérieurs auraient reçu une part des revenus issus du trafic. Le mouvement s’interroge toutefois : « Ce commandant aurait-il dénoncé ce crime pour masquer sa propre complicité ? »
Pour le RIDJA, la réaction du procureur de la République à ces accusations s’apparente à « une diversion savamment orchestrée » destinée à enterrer l’affaire, à l’image d’autres scandales étouffés par le passé. Le communiqué rappelle également les révélations par la presse internationale sur des placements offshore attribués à Nour El Fatah Azali, fils du chef de l’État et actuel secrétaire général du gouvernement.
« Les Comores ne connaissent plus une simple dérive, mais un cancer politique et institutionnel dont les métastases gangrènent l’appareil d’État », écrit Maître Larifou, décrivant une justice transformée en « bureau d’arrangements », des forces de sécurité complices, et des ministères préférant « la rente des criminels à la protection des citoyens ».
Selon lui, ce système fonctionnerait sur un double mécanisme : appauvrir la population tout en favorisant la circulation de drogue et d’alcool afin de maintenir la société dans un état de dépendance et de vulnérabilité. « Ce n’est plus un système à réformer, c’est une machine mafieuse à démanteler », insiste le communiqué, appelant à une « transition » politique et à la fin du régime en place.
Le RIDJA-PACTEF affirme enfin qu’il « combattra sans relâche » ce qu’il qualifie de « mafia gouvernementale » et exhorte le peuple comorien à « reprendre ses droits » face à un pouvoir accusé d’avoir troqué « l’honneur national contre la monnaie des trafiquants ».
Dans une tribune publiée le 16 août 2025, Jean-Luc Mélenchon, leader de La France Insoumise, demande le renvoi immédiat du Premier ministre François Bayrou et appelle les citoyens à soutenir le mouvement populaire prévu le 10 septembre.
Selon Jean-Luc Mélenchon, le gouvernement prépare la rentrée avec un projet de budget « dévastateur » qui menace directement les services publics et la Sécurité sociale, exposant les classes populaires à une « violence sociale sans précédent ».
« Après une année budgétaire déjà féroce, la vie quotidienne de millions de personnes s’est détériorée et des centaines de milliers ont basculé dans la misère », écrit-il. Pour Mélenchon, les discours gouvernementaux sur l’économie de guerre détournent l’attention des véritables urgences, qui sont climatiques et sociales. L’explosion des prix, la vie chère et la multiplication des plans de licenciement préparent, selon lui, un automne et un hiver « de privations sans fin ».
Il dénonce également la concentration des richesses au profit d’une minorité restreinte « qui se gave déjà au-delà de tout ce qui a été vu depuis des générations ». « L’extension de leurs profits tourne à la guerre sociale contre notre peuple », affirme Mélenchon, soulignant un fossé grandissant entre les élites économiques et le reste de la population.
Le leader des Insoumis prévoit de fixer le cap de la rentrée politique lors de l’université d’été de son mouvement, qui se tiendra jeudi 21 août dans la Drôme. Cette rencontre, indique-t-il, permettra de réaffirmer son opposition au Premier ministre et de mobiliser ses partisans autour du blocage national du 10 septembre.
En appelant à cette mobilisation, Mélenchon tente de transformer le mécontentement social en un rendez-vous politique concret. Il articule son argumentation autour de deux axes : la critique des politiques économiques du gouvernement et la dénonciation d’une concentration des richesses jugée injuste. Sa tribune vise à alerter sur ce qu’il considère comme une menace pour le tissu social et à engager ses partisans dans une action directe contre le Premier ministre.
Les Algériens risquent leur vie par mer pour quitter le pays. Photo archives.
Selon le quotidien espagnol Confidential digital, plus de 600 harragas algériens ont débarqué aux Baléares en l’espace de deux jours, un chiffre jugé inédit par les autorités locales.
Les arrivées, en provenance des côtes algériennes, se sont multipliées à bord de petites embarcations précaires, souvent interceptées par la Garde civile et le service de secours maritime.
Arrivés à bord d’une trentaine de barques des côtes algériennes, ces migrants ont été transférés soit vers des centres d’accueil temporaires, soit vers les services de la Police nationale pour identification. Mais cette soudaine intensification de la « route algérienne » met en lumière les difficultés structurelles auxquelles fait face l’archipel.
La présidente du gouvernement régional, Marga Prohens, a dénoncé ce qu’elle qualifie d’« abandon » de la part de Madrid. Estimant que le phénomène dépasse les capacités locales, elle plaide pour une intervention directe de l’Union européenne.
Konestory, un migrant sud-soudanais de 20 ans, a confié à Reuters être arrivé à Palma après avoir fui l’instabilité croissante dans sa région. Il a payé 1 700 euros pour embarquer sur un bateau depuis l’Algérie, selon infosmigrants. Après environ deux jours de navigation, il a atteint l’île espagnole. Ils ont affronté « beaucoup de vagues », manqué de nourriture et d’eau, et se sont égarés en mer, a-t-il raconté.
Toujours selon la presse espagnole, les forces de sécurité soulignent que la traversée depuis l’Algérie connaît une recrudescence continue depuis plusieurs mois, en raison de conditions météorologiques favorables et du rôle croissant des réseaux de passeurs. Une hausse de 170% des arrivées est soulignées par les autorités.
Cette année, cette route migratoire au départ de l’Algérie est particulièrement active. De janvier à juillet, les îles ont accueilli environ 3 500 personnes arrivées par bateau, soit une augmentation de 170 % par rapport à la même période l’année dernière, précise le site spécialisé InfosMigrants.
Depuis le printemps 2021 et la neutralisation des manifestations du Hirak, les départs des Algériens se sont particulièrement accentués. Et le refus de visas n’empêche désormais plus ces jeunes de quitter le pays puisque, en désespoir de se réaliser au pays, la Méditerranée ne constitue plus un obstacle majeur pour se reconstruire un destin plus prometteur ailleurs.
Les spécialistes interrogés estiment que, sans stratégie sérieuse et coordonnée entre l’Espagne, l’UE et les pays d’origine, la pression migratoire sur les Baléares risque de s’accentuer. Confronté à un régime autoritaire et sans volonté de changements, les Algériens n’ont plus qu’un seul espoir : rejoindre l’Europe pour tenter de s’en sortir.
De leur côté, les ONG actives sur le terrain rappellent la vulnérabilité des personnes qui prennent la mer dans ces conditions. Elles appellent les autorités à conjuguer renforcement des contrôles et garantie de droits fondamentaux, en particulier l’accès aux soins et à une protection humanitaire digne.
Une délégation officielle rend visite aux blessés à l'hôpital
Dans le box réservé aux malades de l’hôpital Zemirli d’El Harrach, la scène avait quelque chose d’irréel. Autour du chauffeur rescapé, étendu sur son lit d’hôpital, encore hagard après avoir survécu à l’accident qui a coûté la vie à 18 personnes, se tenaient le ministre de l’Intérieur, le secrétaire général de la présidence et de hauts responsables.
Au milieu d’eux, le directeur général de la Sûreté nationale menait lui-même l’interrogatoire. Quand bien même il ne s’agissait que d’une prise d’information, le moment filmé par les caméras heurte : ce qui devrait rester un acte d’enquête discret et protégé s’est transformé en une mise en scène publique, exposant la douleur et la fragilité d’un homme à la curiosité de tous.
Ce spectacle pose un problème de fond : peut-on décemment interroger un survivant encore sous le choc quelques heures après une telle tragédie, et cela par le premier responsable de la police, et le faire devant les médias ?
En agissant ainsi, la DGSN a brouillé les frontières entre la recherche de vérité et la communication, entre la justice et le spectacle. L’image renvoyée est celle d’une institution plus soucieuse de visibilité que de rigueur procédurale et de respect humain.
Au-delà du cas particulier, c’est une question de principes. La déontologie n’incombe pas uniquement aux journalistes, comme l’a rappelé l’Autorité de régulation de l’audiovisuel : elle s’impose aussi aux institutions.
Respect de la dignité des personnes, protection de leur intimité, présomption d’innocence — ces règles fondamentales ne peuvent être sacrifiées au profit d’un effet de communication.
Un chef de police qui se substitue à l’enquêteur sur un lit d’hôpital ne donne pas l’image d’une autorité forte, mais celle d’un pouvoir qui instrumentalise la douleur. Transformer l’émotion provoquée par le drame en écran de fumée destiné à faire oublier les dysfonctionnements institutionnels.
Cet épisode, au lieu de renforcer la confiance en les institutions, l’érode. Car ce dont les citoyens ont besoin, après un drame pareil, ce n’est pas de démonstrations de force sous les projecteurs, mais d’une enquête sérieuse, menée dans le respect des règles de droit et de la dignité humaine.
Dans une société déjà marquée par une méfiance envers ses institutions, la crédibilité ne se gagne pas à coups de caméras, mais par l’exemple éthique et la transparence réelle.
C’est une marotte de vieux rouspéteurs que de prétendre que les jeunes jettent presque instantanément tout ce qui est légèrement déchiré, troué ou passé...
C’est une marotte de vieux rouspéteurs que de prétendre que les jeunes jettent presque instantanément tout ce qui est légèrement déchiré, troué ou passé...
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