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Mohamed-Saïd Zahiri ou le spectre de l’islamo-fascisme ! 

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Cheikh Zahiri 1954
Cheikh Zahiri 1954. Crédit photo : DR

« Je crois que l’un des principaux titres de gloire de la France, c’est qu’elle est venue de ce côté-ci de la mer pour réveiller un monde assoupi et lui montrer les vertigineuses perspectives des temps modernes. Elle a ainsi permis au Maghreb de prendre conscience de ses possibilités », nous enseigne le cheikh Mohamed-Said Zahiri (1899-1956) sur les colonnes de La Dépêche quotidienne d’Algérie du 3 juillet 1954. 

Il est l’un des plus tortueux cheikh zaytounien algérien que l’on considère aujourd’hui comme l’une des références de l’islam d’État. Élevé au «33ᵉ grade » de la littérature religieuse du pays, il n’est autre que celui qui a été exécuté par un fedayin du FLN-ALN le 21 mai 1956, devant son domicile de la rue de la Lyre (Alger). La sentence est approuvée par Abane Ramdane en personne, le condamnant pour collaboration avec la police politique de la colonisation. Sa réhabilitation en Algérie d’après 1982, s’est faite en toute discrétion à un moment où les leaders de l’opposition ne pouvaient s’exprimer librement.

 C’est Hocine Aït-Ahmed, chef historique de l’OS qui avait le premier relevé dans son Mémoire d’un combattant que « cet homme d’âge mûr (il avait passé la cinquantaine) j’ignorais tout, sauf qu’il avait fait ses études dans deux prestigieuses universités islamiques (…) En compagnie de Rihani et Sid-Ali, il rendait souvent visite à Messali, qui nous parla un jour en terme des plus flatteurs (…) Il faudrait des années avant que découvrant des preuves flagrantes, le FLN apprenne que le cheikh Zahiri était l’homme du colonel Schoen, le chef des Services des Liaisons Nord-Africaines, autrement dit, du renseignement » (p. 108). 

De son côté, Sadek Hadjerès dans sa contribution août 1949 : au-delà de Ferhat Ali (2006), écrivait : « Dans tous les cas, objectivement, les services français n’ignoraient pas ce qui bouillonnait dans les milieux d’Alger, de Kabylie et d’autres régions du pays ainsi que dans la Fédération MTLD de Paris. Ces services avaient déjà mené leurs opérations de dévoiement d’ « Al-Maghreb Al-Arabi» qui fut un moment l’organe de presse officieux du MTLD, dirigé par leur agent, le cheikh Zahiri. La mission de ce dernier était de propager nombre de confusions très nocives pour la vocation d’un nationalisme libérateur » (p. 2). 

Un Sadek Hadjerès qui s’interrogeait sur le démantèlement aussi rapide des organismes de l’OS, notait avec justesse : « Les archives de la police coloniale, si elles ne sont pas escamotées, nous renseigneront sur les secrets de ses arrestations, opérées étrangement à un pareil « bon moment ». Les deux figures patriotiques aux horizons politiques bien divergeant, avançant un même témoignage sur cet énigmatique personnage, aujourd’hui, objet « d’études» et de rencontres par les milieux de l’islamisme universitaire. Totalement réhabilité et entièrement « blanchi » de son intelligence avec la colonisation, nous interroge sur tout l’intérêt d’une demande de repentance de la part de l’ancienne puissance coloniale. 

Le cheikh Zahiri est une partie intégrante de la famille des oulémas certificateurs de l’unicité séculaire et de l’invariable histoire culturelle algérienne ! C’est un turban rouge qui entra, un jour, en rivalité avec son homologue El-Ibrahimi, afin de l’accuser d’être un membre d’une Loge maçonnique de Sétif… Fielleux et dogmatiques face aux idées de progrès, les cavernicoles de la réaction islamo-fasciste s’alignent en légions de volontaires serviteurs derrière celui qui, dans un éditorial de son Al-Maghreb Al-Arabi, qualifia Ferhat Abbas de « Monsieur le respectable mulet ». 

L’injurieux homme du saint Livre de l’islam, croyait répondre aux propos du Dr. Abbas où il aurait dit, lors d’une de ses rencontres électorales, que « les gens du PPA veulent aller vite, à l’allure d’un cheval, mais un cheval risque de buter et de s’effondrer. Nous préférons l’allure d’un mulet qui est plus lent, mais plus sûr ». C’est par ce verbe que M. S. Zahiri menait sa campagne politique. Un rudiment de l’éveil spirituel, le cheikh de la DST coloniale est aujourd’hui un dévot du nouvel ordre de pensée. De la publication de sa biographie dès 1982 au tout récent numéro spécial Politis-El-Moudjahid de novembre 2021, c’est toute une linéarité idéologique qui verse dans un même delta : celui de l’onction de la momie. Blanchi plus que le blanc de toute incrimination, le cheikh Zahiri est devenue une icône de la « quincaillerie » islamiste en Algérie. 

Son itinéraire politique est riche en détours entre la section des Oulémas de Tlemcen aux rejetons du MTLD-MNA de Messali, en passant par le Bloc ouvrier des musulmans de l’Oranais (BOMO) du Front populaire. Encouragé par l’émir Druze Chekib Arslan lorsqu’il trifouillent quelques nouvelles “littéraires”, il accédera au porte-voix de la haine de tout ce qui représente l’Occident, et ce, en apparence. Le cheikh Zahiri, ex-candidat de l’Union populaire, au 2ᵉ collège durant les municipales d’avril 1953, considère que l’Association des Oulémas qu’il quitta en 1938, avait pour mission « de créer des medersas, de les entretenir et de leur choisir des éducateurs… » et non de faire différentes alliances avec les partis politiques. Des propos qui ont fait l’objet d’une longue interview, méconnue de nos jours, qu’il donna au journaliste Jean Brune (1912-1973) de La Dépêche quotidienne d’Algérie entre le 30 juin et le 3 juillet 1954 et qui sera reprise par L’Echo du Soir d’Oran, du 2 au 30 novembre de la même année. 

Une rencontre qui dresserait bien les poils du sanglier, mais que les adeptes des « loges messianiques » de l’Arabisme, ne sont pas prêts à lire. Tout comme ses écrits d’animateur de la page islamique du quotidien Oran-républicain, avant de renier son appartenance au marxisme ouvriériste, il ne manquera pas d’assister, en janvier 1939, au vin d’honneur à l’occasion de la tournée de Maurice Thorez en Algérie. Quelques années après, on ne dira mot sur son rôle durant le règne de l’Administration vichyste en Algérie, une sorte d’hibernation obligatoire pour se ressourcer. MTLD, UDMA et Oulémas, tous victimes des communistes Habilement menée par le journaliste Jean Brune, l’interview fleuve du cheikh est une page d’histoire de cet entrisme islamiste au sein de ce mouvement national. Et avec dissimulation, l’enfant de Aïn-Bessam et ami d’Albert Camus, notait qu’à une époque où « les violences politiques ne respectent plus rien, et où la fourberie des propagandes tire l’essentiel de sa force de la confusion, l’Association des Oulémas ne pouvait pas être entraînée à se mêler aux luttes politiques ». 

Sage pensée de quelqu’un qui trouva en cheikh Zahiri, le rétrograde artilleur qui, par son tir croisé, n’épargnera personne à quelques mois du « séisme armée » de la “Toussant” indépendantiste. Pour le cheikh Zahiri, la masse musulmane en Algérie, souhaitait que ces Oulémas restent dans les limites du rôle d’éducateurs religieux. Mais, certains d’entre eux « n’ont pas su résister aux tentations de la politique ». Parmi eux, selon M. S. Zahiri, le cheikh El-Ibrahimi qui se trouvait au moment de cette interview, au Caire et aux côtés de Sayed Kotb, le leader des Frères Musulmans d’Egypte. 

El-Ibrahimi « est sorti de son rôle de guide neutre pour prendre parti pour l’UDMA », estime Zahiri. Il aurait même écrit un article dans un quotidien communiste algérien, sous le titre de « Pourquoi je suis pour l’UDMA ? ». Suite à cette « dérive du cheikh », le quotidien en question avait tiré, selon Zahiri, quelque 100 000 exemplaires de l’article et publié sous la forme d’un tract bilingue. 

Les adhérents de l’Association avaient compris que leur structure risquait de devenir un parti politique, par cette « machination communiste » (Zahiri) ; selon ce dernier, seul le cheikh Tayeb El-Okbi « représentait la résistance à cette évolution ». Il avait compris que « l’Association des Oulémas ne jouerait son rôle de gardienne de la tradition musulmane que si elle savait éviter les compromissions de la politique ». Mais que représente réellement l’Association des Oulémas en cette année 1954 ? 

Selon Zahiri, elle voulait « être à la fois un parti politique et un arbitre de la fois au-dessus des Partis, (elle) n’est naturellement ni l’un ni l’autre ». Zahiri visera plus loin dans son interview, le cheikh Larbi Tébessi qui, tout en étant le président de l’Association est aussi président du Front Algérien une coordination politique des trois Partis algériens ce qui laisse à Zahiri de dire, « qu’au lieu de faire un appel en faveur des medersas, et les masses musulmanes eurent compris la portée d’un tel geste !.. » Il a préféré de participer à un appel de fonds en faveur d’un quotidien communiste (Alger-républicain). 

C’est pour cette raison, dira le cheikh Zahiri, qu’il avait quitté l’Association pour « être libre de participer aux controverses politiques sans y entraîner les Oulémas qui n’ont rien à y faire ! ». Que pensait le chantre du réformisme religieux douteux, des marabouts ? La question de Jean Brune est d’autant plus d’actualité à cette époque, puisque M. S. Zahiri s’est rapproché de l’Association des Zaouïas déjà dès 1938, comme valeur d’un réformisme traditionaliste sûre et l’impacte des marabouts sur la masse musulmane « Est énorme ! Les marabouts représentent, noteront Zahiri, la plus grande force algérienne. Mais leur influence politique reste restreinte. C’est un parti en puissance à qui il ne manque qu’un chef. Avant la guerre, les marabouts collaboraient étroitement avec l’Administration. Ils ont été l’objet de telles attaques qu’ils se sont repliés sur eux-mêmes. Si demain, ils trouvaient un chef, ils seraient susceptibles de peser efficacement sur les masses pour jouer un rôle politique capital ! ». 

Pour M. S. Zahiri, le malheur des marabouts est l’absence du leader qui mettrait fin à leurs interminables et graves « rivalités personnelles ». Une manière de se proposer comme candidat à la chefferie de la mouvance la plus réactionnaire et des plus dangereuses politiquement. L’auteur de la nouvelle François et Rachid, 1925 en arabe, a été longtemps salué comme une des plus marquantes référence de la littérature d’écriture arabe en Algérie. 

Avant de se « racheter » dans cette interview, il fut l’un des premiers auteurs oulémistes à évoquer cette origine arabe des Berbères. À la question sur la différence capitale entre Kabyles et Arabes, le cheikh Zahiri et après quelques secondes de méditations, il répondra en français en affirmant que « les Berbères sont dynamiques et volontiers portés vers l’aspect concret des choses. Ils bougent beaucoup et ne méditent pas. Les Arabes sont nonchalants et se laissent séduire par les fascinations abstraites de l’absolu. Ils ne remuent pas… Mais ils méditent beaucoup ! ». 

Craignant que ses propos ne soient interprétés comme une forme d’hostilité envers les Berbères, il précisera que « Attention ! Je ne suis pas anti-berbères, loin de là… et il faut se souvenir que le PPA a chassé les berbéristes qui voulaient dissocier les Berbères des Arabes ! ». 

Cheikh Zahiri un virulent du macarthisme ! 

Si Messali Hadj, selon M. S. Zahiri, est surtout « un homme habile et réfléchi » avec un cœur qui a toujours détesté le communisme, la création du PPA est bien passé par la consultation de l’émir Chekib Arslan bek qui l’a encouragé dans la voie de « soustraire les masses musulmanes à l’influence néfaste du marxisme ». Le PPA était donc l’instrument arabiste permettant « d’arracher la jeunesse et les travailleurs musulmans du communisme ». 

Le cheikh natif de Liana (Biskra) interrogera à cet effet, sur l’existence d’un Parti communiste en Algérie, alors que dans le reste du Monde arabe, ils n’existent nullement. L’auteur du pamphlet salafiste intitulé, L’islam a besoin d’être prêché et prosélytisé ( 1929, en arabe ) considère la situation politique de l’Algérie de juin 1954 est désespérée, puisque « la controverse, dit-il, qui sépare les deux communautés humaines qui s’affrontent en Afrique du Nord au lieu d’essayer d’apprendre à vivre ensemble, est arrivée à un tel degré de tension qu’il est presque impossible d’on aborder la discussion ».

Dès qu’il s’agit de parler de réformes, précise Zahiri, « les Français imaginent que l’on rêve de les chasser par la violence..» et si l’on tente d’expliquer aux Musulmans « les raisons de la conduite française, ils se demandent dans quel piège on veut les faire tomber…». Face à ce dilemme, il y a toujours ce communisme comme source de tous les malheurs politiques des musulmans algériens. C’est cette « menace rouge » qui exploite les impatiences et aggrave la tension, selon le cheikh Zahiri, et les communistes qui soufflent « sur toute les flammes de la rancœur… et ils poussent les exaltés à accomplir des gestes irréparables !..». 

En conclusion, le cheikh de la religion de la soumission à l’ignorance, s’est exclamait de son vivant, qu’il fallait faire « quelque chose avant qu’il ne soit trop tard ! ». Mais son employeur de l’époque, François Mitterrand ministre de l’Intérieur de l’époque, n’avait d’écoutes que ses seules sirènes pétainistes. 

Mohamed-Karim Assouane, universitaire.

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Marguerite – Les circonstances : l’amour face à la modernité

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Marguerite – Les circonstances
Marguerite – Les circonstances. Crédit photo : DR

Marguerite – Les Circonstances, de son vrai nom Marguerite Chauvin, explore l’amour à l’ère moderne avec finesse et humour. À travers le parcours sentimental de Marguerite, elle mêle textes profonds, compositions élégantes et interprétation sensible pour offrir une réflexion poétique sur la fragilité des relations humaines et la résistance aux diktats de performance imposés par la société contemporaine.

Le développement narratif et thématique de Marguerite – Les Circonstances repose sur une opposition fondamentale : celle entre l’amour tel qu’il est vécu — complexe, fragile, soumis aux « circonstances » — et l’amour tel qu’il est dicté ou idéalisé par la société de consommation. Dans l’œuvre, la notion de « sans sous-titres » se traduit par une exploration de l’authenticité émotionnelle, là où le sentiment ne requiert pas d’explication simplifiée ni de performance scénarisée.

La trajectoire de Marguerite, des premiers émois adolescents aux réalités du mariage et de la maternité, est dépeinte sans fard. Elle met en lumière non seulement les grandes joies, mais aussi les tensions, les doutes et la routine, qui constituent les véritables composantes d’une relation durable. C’est l’amour dans son état brut, non romancé, qui exige honnêteté et attention, loin de toute façade idéalisée.

Les paroles de Fabrice Hadjadj, par leur ironie mordante, critiquent le désir de la société de sous-titrer et de labelliser l’amour. L’amour moderne est souvent présenté comme un produit qui doit être instantanément compréhensible, jetable et performant. Marguerite, au contraire, célèbre ce qui est imprévu, gratuit et parfois maladroit — ces « circonstances » qui échappent à toute logique marchande et qui rendent les relations humaines réellement vivantes.

L’interprétation de Marguerite Chauvin, formée au chant lyrique et au jazz, apporte une dimension supplémentaire à l’œuvre. Sa voix traduit une richesse émotionnelle qui va au-delà du sens littéral des mots, exprimant l’indicible, les non-dits et les contradictions de l’amour. L’auditeur est invité à ressentir plutôt qu’à recevoir une émotion pré-mâchée, à plonger dans la complexité intime des personnages.

En définitive, Marguerite – Les Circonstances propose une expérience d’écoute attentive et dénuée de préjugés. L’œuvre rappelle que les histoires de cœur les plus profondes n’ont pas besoin de sous-titres pour être comprises : elles parlent directement à notre humanité partagée, dans toute sa fragilité, sa beauté et son imprévisibilité.

L’originalité et la richesse de Marguerite – Les Circonstances reposent sur la synergie subtile et complémentaire de ses trois piliers créatifs, qui confèrent à l’album sa personnalité unique et cohérente. Marguerite, l’interprète, apporte une dimension vocale rare, fruit de son parcours alliant danse et chant lyrique/jazz. Cette formation lui permet de moduler sa voix avec une finesse exceptionnelle, passant de la légèreté espiègle aux intonations profondes et chaleureuses, traduisant ainsi les nuances émotionnelles des textes. Sa capacité à incarner à la fois la fragilité et la force, le doute et la joie, rend chaque morceau vivant et profondément humain, transformant l’écoute en expérience immersive.

Fabrice Hadjadj, philosophe reconnu, signe des paroles qui vont bien au-delà de la simple narration sentimentale. Chaque texte devient un microcosme où se croisent analyse existentielle et critique sociale. Son style combine une ironie subtile, parfois grinçante, qui désamorce les tensions et éclaire les absurdités de la vie moderne, avec une bienveillance constante envers ses personnages et leurs vulnérabilités. Ce mélange permet à l’auditeur de réfléchir tout en se laissant porter par l’émotion, rendant chaque chanson à la fois drôle, touchante et profondément réfléchie.

Vincent Laissy, quant à lui, habille ces textes d’une orchestration musicale raffinée, qui puise ses influences dans le jazz et la pop, mais reste toujours au service du récit. Ses arrangements apportent rythme, fluidité et mélodie, créant une atmosphère qui tempère la densité philosophique des paroles. L’harmonie entre instruments et voix souligne chaque nuance émotionnelle, permettant au public de ressentir pleinement l’intention derrière chaque mot, chaque pause, chaque respiration.

C’est cette rencontre entre une interprétation sensible, une écriture intellectuellement stimulante et une composition musicale délicate qui fait de Marguerite – Les Circonstances un projet profondément original. Ensemble, ces trois piliers créent un équilibre subtil entre réflexion et émotion, légèreté et profondeur, humour et humanité, donnant à l’album une identité qui lui est propre et un impact durable sur l’auditeur.

L’apport majeur de Marguerite – Les Circonstances réside dans sa capacité à offrir une vision à la fois honnête et humoristique de l’amour au XXIᵉ siècle. L’album refuse la romance idéalisée et linéaire, préférant plonger dans la complexité réelle des sentiments et des relations. Il se construit autour de deux axes thématiques puissants et complémentaires.

Le premier est l’exploration de la condition amoureuse. À travers le parcours de Marguerite, l’œuvre cartographie un spectre émotionnel vaste et universel : la maladresse des premiers émois adolescents, les joies intenses des rencontres passionnées, la désillusion des ruptures et des incompréhensions, jusqu’aux joies complexes et aux angoisses profondes liées à l’engagement durable, au mariage et à la maternité. L’album met en lumière la richesse de ces expériences, où le bonheur et la douleur coexistent, où les contradictions et les imperfections deviennent la matière même de l’amour. Ce regard réaliste et empathique transforme chaque chanson en miroir pour l’auditeur, offrant une compréhension profonde et sincère des dynamiques du cœur humain.

Le second axe est la critique sociale subtile, qui constitue le cœur philosophique du projet. Les textes dénoncent, souvent par l’absurde poétique, l’emprise de la société techno-marchande sur les relations intimes et la tendance contemporaine à rationaliser, classifier et standardiser les émotions. Dans ce contexte, Marguerite devient la « chantre de la faiblesse, de l’imprévu, de la gratuité », incarnant une forme de résistance face aux injonctions modernes : l’efficacité, la performance, le calcul et le consumérisme des sentiments. L’album rappelle, avec humour et finesse, que l’amour ne peut pas être géré comme un produit : il échappe aux modèles préétablis et se nourrit de spontanéité, de fragilité et de liberté.

L’exemple le plus frappant de cette critique se trouve dans l’extrait de À La Poubelle, où l’album ironise sur l’idée de l’amour jetable : « que nos sentiments soient jetables, c’est déjà un bel objectif, pourvu qu’ils soient bien recyclables et voués au tri sélectif ! » Cette phrase met en lumière l’absurdité de la marchandisation des émotions et la pression sociale qui pousse à traiter les relations comme des biens de consommation. Par son humour, sa poésie et sa lucidité, l’album propose ainsi une réflexion sur la manière dont nous aimons aujourd’hui, tout en célébrant la beauté des instants imprévus et de la fragilité humaine.

L’impact de Marguerite – Les Circonstances se manifeste à plusieurs niveaux dans sa relation avec le public, offrant une expérience à la fois émotionnelle, réflexive et esthétique. En retraçant un cheminement amoureux crédible et nuancé, l’album touche directement à la nature humaine de chacun. La sincérité avec laquelle sont abordés les doutes, les maladresses, les ruptures, mais aussi les joies et les instants de bonheur pur, crée une résonance profonde, transformant l’écoute en une expérience intime et personnelle. Chaque chanson devient un miroir dans lequel l’auditeur peut se reconnaître, percevoir ses propres émotions et se confronter à la complexité de ses relations.

La finesse des textes de Fabrice Hadjadj ajoute une dimension philosophique à cette immersion émotionnelle. L’auditeur est subtilement invité à questionner l’authenticité de ses propres sentiments et la manière dont il se situe face aux injonctions sociales de réussite, de performance et de productivité, qui façonnent souvent les relations modernes. L’album devient alors un appel à valoriser la fragilité, à accepter les imperfections et à reconnaître la beauté des sentiments imparfaits, loin des normes et des pressions extérieures.

Parallèlement, l’élégance de l’interprétation vocale de Marguerite et la qualité des arrangements musicaux de Vincent Laissy contribuent à créer une expérience esthétique raffinée. La précision de la voix, la richesse des nuances et l’harmonie des instruments enveloppent l’auditeur dans une atmosphère musicale subtile, à la fois chaleureuse et sophistiquée. Cette attention portée à la forme assure non seulement une première réception positive, captivant l’auditeur dès les premières écoutes, mais confère également une durabilité à l’œuvre, lui permettant de s’inscrire dans le temps et de rester pertinente, émotionnellement et artistiquement.

Ainsi, l’album agit à la fois sur le cœur, l’esprit et les sens, mêlant introspection, réflexion sociale et plaisir esthétique, pour offrir une expérience musicale complète et profondément humaine.

Marguerite – Les Circonstances dépasse largement le cadre d’un simple recueil de chansons ; il se présente comme une véritable fresque poétique et satirique de la vie sentimentale moderne, explorant avec humour et lucidité les complexités des relations humaines. L’album réussit le pari d’allier une dimension intime et universelle : chaque morceau devient un petit tableau où se mêlent fragilité, tendresse, absurdité et émotion brute.

L’interprétation sensible et nuancée de Marguerite donne vie aux textes avec une justesse rare. Sa voix, capable de passer de la légèreté espiègle à la gravité profonde, exprime les contradictions, les hésitations et les moments d’intimité que chaque auditeur reconnaît instinctivement dans sa propre expérience. Les mélodies de Vincent Laissy, à la fois entraînantes et chaleureuses, soutiennent cette narration avec élégance, créant une atmosphère musicale à la fois raffinée et accessible, qui fait résonner les émotions au plus près du cœur.

Les paroles de Fabrice Hadjadj apportent, quant à elles, une profondeur inattendue, mêlant philosophie, ironie et humanité. Elles interrogent les normes sociales, dénoncent les pressions de performance sur les relations modernes et célèbrent la beauté des imperfections et des imprévus. Le trio créatif fonctionne ainsi en parfaite symbiose : la voix de l’interprète, les arrangements musicaux et les textes philosophiques s’entrelacent pour donner naissance à une œuvre à la fois ludique et sérieuse, poétique et critique.

Au final, Marguerite – Les Circonstances rappelle avec force et tendresse que l’amour véritable s’épanouit loin de tout plan marketing ou logique de rendement. Il trouve sa beauté, sa profondeur et sa vérité dans les moments les moins planifiés, dans les émotions spontanées, dans la fragilité et l’imprévu. C’est cette capacité à capter l’essence humaine, à célébrer les hasards et les failles de la vie sentimentale, qui confère à l’album sa singularité et en fait une œuvre capable de toucher durablement son public.

Brahim Saci

Lien : Marguerite

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France : les députés rejettent le budget de l’Etat

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L'Assemblée nationale

Après 125 heures de débats parfois houleux, 404 députés ont rejeté dans la nuit de vendredi à samedi la partie « recettes » du texte, emportant ainsi l’ensemble du projet de loi, sans même étudier la partie « dépenses ».

C’est une première sous la Ve République. L’Assemblée nationale a rejeté à une écrasante majorité, dans la nuit du vendredi au samedi 22 novembre, le budget de l’Etat. Ce vote sans surprise, qui a eu lieu un peu avant 2 heures du matin, augure mal de son adoption avant la fin de l’année. Après 125 heures de débats parfois houleux sur la fiscalité du patrimoine, ou celle des grandes entreprises, 404 députés ont rejeté la partie « recettes » du texte (un pour, 84 abstentions), emportant ainsi l’ensemble du projet de loi, sans même étudier la partie « dépenses ».

Les groupes de gauche et le RN ont voté contre, ceux du camp gouvernemental se sont divisés entre votes contre et abstentions. Le seul à voter pour a été le député du groupe centriste Liot, Harold Huwart. L’Assemblée avait déjà rejeté en 2024 le budget de l’État, de manière inédite sous la Ve République. Mais c’est une première qu’il le soit avec une telle ampleur.

Si elle a vu dans le « plus long débat budgétaire » de la Ve République, un « travail utile », la ministre des Comptes publics Amélie de Montchalin a aussi déploré un « certain nombre de mesures inconstitutionnelles, irréalistes ou inapplicables ». Sur X(Nouvelle fenêtre), elle a dénoncé l’« attitude cynique » des « extrêmes », se disant cependant « convaincue » de la possibilité d’un compromis

« Il faut que cela fonctionne »

Le camp gouvernemental a largement invoqué les mesures votées par les oppositions – « des horreurs économiques », selon Paul Midy (Renaissance) – pour justifier son absence de soutien au texte de l’exécutif. Le Premier ministre Sébastien Lecornu avait lui pointé vendredi des « coups tactiques des extrêmes qui rendent la copie insincère ».

Le PS, qui a accepté de ne pas censurer le Premier ministre en échange de la suspension de la réforme des retraites et d’un abandon du 49.3, espérait que les débats permettent d’arracher une mesure de justice fiscale, « taxe Zucman » ou succédané. Des propositions rejetées.

Le budget va désormais être examiné par le Sénat, qui devrait en débattre dans l’hémicycle dès jeudi, en repartant du projet initial du gouvernement. Son adoption avant la fin de l’année apparaît comme une gageure, aussi bien en terme de délais qu’en terme de majorité pour le voter, mais le gouvernement espère : « il faut que cela fonctionne », a toutefois martelé le Premier ministre.

Francetvinfo/AFP

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Sommet du G20 en Afrique du Sud : Ramaphosa mise sur le multilatéralisme

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G20 en Afrique du sud

L’Afrique du Sud est sous le feu des projecteurs, ce week-end du 22-23 novembre 2025. Cyril Ramaphosa veut faire de ce sommet un succès diplomatique et prouver que le multilatéralisme a de beaux jours devant lui.

Les rues de Johannesburg n’ont jamais été aussi propres et les parterres aussi fleuris. La plus grande ville d’Afrique du Sud s’est refait une beauté afin d’accueillir les dirigeants du monde, pour ce premier sommet des chefs d’État organisé sur le sol africain. « L’histoire retiendra cette année comme un tournant pour la coopération globale », s’est félicité le président Cyril Ramaphosa en amont de l’arrivée de ses homologues du club fermé du G20.  

L’enjeu est en tout cas de taille pour l’Afrique du Sud qui tient à démontrer qu’elle a encore un rôle à jouer sur la scène internationale, malgré son faible poids économique aux côtés d’autres géants comme ses alliés des Brics. Pretoria a pour défi de faire accepter l’idée d’un monde multipolaire et la fin des décisions prises unilatéralement par quelques superpuissances. « La coopération multilatérale est notre seul espoir afin de surmonter des défis inédits », a d’ailleurs précisé le ministre des Affaires étrangères Ronald Lamola.

« Étant la seule nation africaine à évoluer au sein du G20, jusqu’à l’invitation de l’Union africaine, l’Afrique du Sud souhaite démontrer qu’elle a toute sa place au sein des forums mondiaux et qu’elle peut aussi pousser les demandes de l’Afrique sur la scène internationale », explique l’analyste sud-africain Oscar van Heerden. Et pour jouer ce rôle de porte-voix pour le reste du continent ce week-end, le pays a mis à l’ordre du jour des sujets tels qu’une transition énergétique juste et financée par les États pollueurs, l’obtention de conditions plus équitables en matière d’allègement de la dette et l’avancée d’accords miniers qui permettent la création de valeur ajoutée sur place.

Épreuve de force avec Trump

Mais au-delà du rayonnement diplomatique de l’Afrique du Sud, ce qui se joue surtout lors de ce G20 est le bras de fer entre Pretoria et Washington. En témoigne l’imbroglio diplomatique qui a vu Cyril Ramaphosa annoncer une éventuelle participation américaine, suivi d’un démenti de la Maison Blanche confirmant vouloir boycotter l’événement.

Entre sa posture de « non-alignement », son appartenance aux Brics, son soutien à la cause palestinienne, ses amitiés avec l’Iran, les choix de la nation arc-en-ciel sont de nombreuses sources de courroux pour Donald Trump. C’est cependant la cause des fermiers afrikaners qu’il met constamment en avant. Encore récemment, le dirigeant américain employait les termes de « politiques d’extermination » pour parler du traitement, en Afrique du Sud, de ces populations blanches descendantes des premiers colons européens, relayant le mythe infondé d’un « génocide » à leur encontre. « Ils ne nous écoutent pas à cause de leur parti pris idéologique », a rétorqué Ronald Lamola lors d’une conférence organisée par Bloomberg. Las de devoir répéter les mêmes démentis et explications, le ministre a regretté de voir les États-Unis alimenter des « vues de suprématie blanche ».

Le pays de Nelson Mandela entend donc montrer qu’il ne compte pas céder aux diktats du milliardaire et, pour cela, la signature d’une déclaration commune lors de ce sommet lui permettrait de prouver que le monde peut continuer à tourner sans la présence américaine. Selon des sources diplomatiques, en l’absence de représentants de l’administration Trump, les sherpas réunis en amont du sommet ont à cœur de soutenir cette volonté, ce qui laisse augurer une possibilité de consensus entre les chefs d’État présents.

Investissements et réussites politiques

Enfin, d’un point de vue interne, l’accueil de ce G20 est également une occasion pour le parti de l’ANC en perte de vitesse, de se targuer d’un succès. Bien qu’il opère au sein d’un gouvernement de coalition, « à partir du moment où ce G20 se sera terminé de façon positive, et que tous les accords bilatéraux qui pourront en sortir seront connus, je pense que Ramaphosa s’en servira pour affirmer que c’est un nouvel accomplissement à ajouter à l’actif de l’ANC », explique l’expert politique Oscar van Heerden. « Cela pourra jouer en faveur du parti lors du scrutin local prévu l’année prochaine et en vue des élections générales de 2029 », ajoute-t-il.

Le sommet est en effet aussi un lieu de choix afin de débloquer des investissements en marge des réunions plénières. Une série d’accords a déjà été signée, ce 20 novembre, avec l’Union européenne, notamment dans le secteur des minerais critiques. Le président français Emmanuel Macron, arrivé ce vendredi, a pour sa part officiellement lancé un conseil d’affaires franco-sud-africain, à l’image de celui existant au Nigeria, afin de fluidifier les contacts entre les entreprises des deux pays.

RFI

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Victor Barrucand, l’activiste venu en Algérie pour contrer les antisémites, défendre le droit des musulmans

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Né à Poitier (Vienne, France) le 07 octobre 1864, Victor Barrucand usera ses fonds de culotte au 27 rue des Cordeliers, adresse d’une boutique de chaussures proche de la rue Gambetta mais dont il n’assumera pas la reprise puisque le décès du père l’incitera à quitter en 1879 le quartier commerçant pour aller étudier l’harmonie et l’orchestration à Paris où les cours rythmés du Conservatoire de musique seront remplacés la nuit par la bohème mouvementée des cafés.

Embarqué dans les tourbillons de la capitale, le jeune homme voudra d’abord se faire connaître comme poète. L’essai Rythmes et rimes (1886) et quatre recueils mensuels intitulés Le Poème (1889) lui ouvriront les portes des cénacles littéraires. Dès lors, il sera reçu chez Stéphane Mallarmé, Catulle Mendès et Théodore de Banville, lequel lui présentera le peintre Georges Rochegrosse. Familier de Léon Willette et de Puvis de Chavannes, le contemplatif de l’heure fréquentera également Henri Cros, le sculpteur à l’origine de la technique de la pâte de verre (il lui accordera une importante étude au sein de la revue L’Art dans les Deux Mondes).

L’écrivain boulimique se consacrera également à la rédaction de livres d’histoire et de philosophie, d’œuvres dramatiques ou romanesques. Ses affinités avec Félix Fénéon (l’éditorialiste, critique d’art et futur négociateur de la galerie parisienne « Bernheim ») seront déterminantes dans son engagement artistique et anarchiste. Embrassant pendant les années 1890 les idéaux libertaires, il collaborera dès lors aux revues parisiennes Temps nouveaux, l’En-Dehors (de Zi d’Axa) ou La Sociale.

Tout en luttant contre les misères de la société, le désormais polémiste participera en 1993 aux conférences du groupe de « L’İdée Nouvelle », adhérera à la ligne éditoriale du journal Les Temps nouveaux de Jean Grave et se retrouvera mêlé au procès de Joseph Félix Émile Henry (anarchiste marqué par les récits sur la Commune de Paris et mort guillotiné le 21 mai 1894). Deux années après, il s’essayera au théâtre en adaptant la pièce Chariot de terre cuite (drame hindou), lancera, en compagnie du prince russe Kropotkine, du musicien Tortelier et journaliste Émile Pouget (connu sous son nom journalistique de « Père Peinard ») une campagne nationale en faveur d’un pain gratuit à offrir à tous les ouvriers (l’idée sera reprise en 1906 par le syndicaliste Charles Dhooghe).

Défenseur de plusieurs causes, il se déclarera en 1897 socialiste fédéraliste, se présentera vingt-quatre mois plus tard au Congrès des organisations socialistes françaises (groupement dissident du Parti ouvrier français d’inspiration marxiste) réunies à la salle parisienne « Japy » puis sous l’étiquette « socialiste indépendant », cette fois aux élections législatives d’Aix-en-Provence.

Chargé, par la Ligue des Droits de l’Homme (fondée à Paris en février 1898), de suivre de près la campagne de délation lancée à l’encontre du capitaine Dreyfus, il assistera au second procès de Rennes et deviendra à la suite l’éditorialiste des Nouvelles de Rennes. Placé aux premières loges de l’arène politique, Barrucand sera nommé en décembre 1899 délégué de la Fédération autonome du département des Bouches-du-Rhône, représentera à ce titre les groupes socialistes « L’Espoir social de la Valentine » et celui de Marseille dénommé « Saint- Marcel ». Également pilier du magazine d’avant-garde La Revue blanche, le journaliste y publiera des articles littéraires aux côtés de Félix Fénéon.

Les nombreux textes de l’agitateur tous azimuts furent illustrés par les peintres Félix Vallotton, Léon Pourtau, Édouard Vuillard, Théophile Alexandre Steinlen ou Henri de Toulouse-Lautrec. Si Pierre Bonnard lui offrira plus tard sept dessins à l’occasion de la sortie de son recueil de poésies D’un Pays plus beau, l’univers parisien des Lettres ne semblait déjà plus convenir à cet agitateur en quête d’ailleurs. İl abandonnera finalement les lauriers et gratifications que lui offrait la Ville des lumières, d’abord pour le Maroc puis l’Algérie. La Ligue des Droits de l’Homme l’y dépêchait en 1900, toujours dans le souci de contrecarrer l’antisémitisme ou combattre les campagnes antijuives qui imprégnaient les localités de la rive méditerranéenne. Selon son fils Pierre-Ali (né à Alger en 1922), le Poitevin aurait été contacté par Georges Clemenceau, président du Conseil mais aussi redoutable commentateur du journal L’Aurore connu pour avoir placardé à la « Une » le J’accuse d’Émile Zola. Le politicien bataillait contre l’injuste condamnation de Dreyfus, tentait de contrer la campagne séparatiste et antisémite que menaient à Alger Maximiliano Régis Milano, Max Régis et Édouard Drumont. Les soubresauts idéologiques du moment inciteront Barrucand à s’installer à Alger afin, indiquera ensuite sa femme Lucienne, « d’y soutenir l’action culturelle de la France et d’y défendre les İndigènes soumis à de très rigoureuses lois d’exception » (1).

À l’époque, la forte audience de la presse anarchiste étalait les scandales de l’affairisme colonial (attribution de grands domaines agricoles ou des meilleures terres à quelques privilégiés prêts à verser des dessous de table et à s’accaparer plus bien et de fonciers), l’horreur des bagnes militaires, la fameuse controverse autour du soulèvement dit « Margueritte » (2) et l’instauration des tribunaux répressifs (3) révélant la montée grandissante d’une haine anti-arabe. Les polémiques passionnelles se déversaient au sein de quotidiens dont les directeurs zélés ou opportunistes changeaient parfois de cap au gré des fluctuations électorales.

Ce fut le cas du sénateur Paul Gérente, patron du périodique Les Nouvelles que Barrucand finira par lâcher après deux années de loyaux services. Aussi, rachète-t-il le 30 novembre 1902 L’Akhbar, le plus vieux titre privé de la Colonie (4). Soutenant les « İndigènes » d’Afrique du Nord, le premier hebdomadaire bilingue d’union franco-arabe imposera une distribution gratuite (grâce à l’aide financière des notables européens et musulmans) et une approche humaniste axée sur des rapports de conciliation. Persuadé d’affinités communes entre les deux entités ethniques de la population, son récent et virevoltant acquéreur entendait démontrer aux républicains de la métropole qu’il existait en Algérie une autre manière d’appréhender les réalités, qu’il fallait savoir modérer les excès de la colonisation. Les « İndigènes » éduqués commenteront les articles dans les lieux publics, les propageront oralement au-delà du cercle algérois, un élargissement informatif pas forcément du goût d’une administration coloniale le considérant de nature anti-européenne, fauteur de troubles et à l’origine d’un schisme entre des cultivateurs colons et des Arabes appréhendés comme des semeurs d’insécurités. Elle s’emploiera, avec un nombre conséquent de détracteurs, à dénaturer l’action d’un investisseur (saisie du journal suivie du noyautage d’une Ligue des droits de l’Homme empêchée d’y ingurgiter des fonds, de lettres anonymes ou d’attaques personnelles) enclin à neutraliser les visées nocives des antijuifs. L’ensemble de la presse algérienne se liguera contre ce marginal fonctionnant hors des sentiers battus et des conventions corporatistes, diffusera à grande échelle une propagande le qualifiant d’ « imprudent trafiquant». Suivra la désaffection croissante d’un lectorat se plaignant du prix élevé de L’Akhbar, journal soupçonné d’être écrit par des İsraélites alors que, de tendance indigénophile, il oscillera entre une conception assimilationniste et une vision orientalisante d’acceptation de l’İslam que partageait le général Maréchal de France Huber Lyautey, politico-militaire basé à Aïn Sefra.

C’est d’ailleurs dans cette ville bâtie au sud d’Oran qu’il récupérera les carnets et feuillets que l’intrépide İsabelle Eberhardt perdra à la suite d’une noyade advenue en 1904 (lors du débordement des eaux boueuses de l’oued) puis adressera à son complice Barrucand (ils partagèrent ensemble une longue correspondance épistolaire étendue sur plus de trente ans) les documents sauvés de la crue ou inondation. Premier réel soutien de la jeune baroudeuse, l’instigateur multi carte lui ouvrira dès 1901 les colonnes des Nouvelles puis celles (en 1903) de L’Akhbar. Tout en se déclarant épris des récits sur l’İslam du Sud oranais, et disposé à œuvrer en faveur d’un « colonialisme à visage humain », donc de musulmans privés de droits politiques, ce révélateur de talents fit apprécier à ses lecteurs les reportages de l’indépendante réfractaire.

Assistant moral et matériel de cette dernière, le mécène et proche conseiller Barrucand l’engagera en tant que reporter, l’encouragera à écrire et l’épaulera sans cesse, surtout lorsqu’elle sera mise en cause pendant 1′ « Affaire de Ténès » (5). Mais la polémique la plus acerbe viendra du libraire algérois René-Louis Doyon. Contredisant la version liminaire assertant (dans le L’Akhbar du 28 mai 1905) que le ramassis de papiers sauvé des eaux « ne contenait aucune page intacte ou achevée», ce « Mandarin » (son surnom) condamnera les ajouts et corrections accomplis au sein des opus Dans l’Ombre chaude de l’İslam (1906), Notes de route (1908), Pages d’İslam (1920) et Trimardeur (1922), quatre volumes édités à Paris chez Eugène Fasquelle.

Réunissant l’essentiel des écrits presque inédits d’İsabelle Eberhardt, ils participeront à sa gloire posthume même si la toute première parution fut l’objet des sarcasmes de Robert Randau. Ciblant l’incriminé, l’administrateur et écrivain regrettera qu’il crut « (…) de son devoir, pour rendre les écrits de son amie sympathiques aux lettrés, de les pomponner, de les farder, de les parfumer, de les calamistrer » (6). Ernest Mallebay, le responsable des Annales Africaines lui imputera une dommageable spoliation littéraire et arguera que «Ce dindon du journalisme continuait à arborer fièrement la queue constellée du paon royal et l’aigrette de l’oiseau du paradis, sans consentir à avouer que pas une plume n’était à lui (…)» (7).

S’appropriant presque la paternité du manuscrit, le potentiel ou supposé falsificateur triturera certains passages de manière à les rendre plus prudes, sans doute à cause des travers d’une audacieuse libertine dorénavant métamorphosée en être idéal, en «(…) sainte du désert, nimbée de mysticisme », en un personnage culte et vénéré que Maxime Noiré, « le peintre des horizons en feu et des amandiers en pleurs » (8) côtoiera dans le Sud-Oranais. Victor Barrucand voyait quant à lui dans cet individu à la « (…) barbe de fleuve et (au) faux air de Rodin(…), le chant de flûte des Hauts-Plateaux, la caresse jasminée du littoral (…), le père audacieux de la peinture nord africaine, celui qui marque une date, un départ et une arrivée» (9).

Le nouveau directeur du tabloïd L’Akhbar se faisait aussi le chroniqueur des manifestations culturelles et artistiques. Relais assidu de celles-ci, il rendra compte des salons et expositions, reproduira les discours et annoncera les concours, saura comment faire estimer des activités littéraires et penchants poétiques ou une affection prononcée pour L’Algérie et les peintres orientalistes. La lecture de ses deux tomes nous apprend qu’Arsène Alexandre se prononçait en 1907 « (…) en faveur de la fondation d’une nouvelle « Villa Médicis » à Alger. İl en désignait même l’emplacement que nous avions repéré au cours d’une promenade que nous fîmes ensemble avec Maxime Noiré et Henri Mahaut ». Soumise ensuite au Gouverneur de l’Algérie, Charles Jonnart, la localisation de la Villa Abd-el-Tif impliquera davantage le rapporteur des « Réflexions sur les Arts et les İndustries d’art en Algérie ».

Le rédacteur en chef de L’Akhbar rassemblera les quatre articles (sortis entre novembre à décembre 1906) en édition spéciale. En retour, le futur critique d’art au Figaro lui enverra le 11 juin 1920 de bienveillantes salutations et lui rappellera à cette occasion que « La vie m’a maintenant orienté bien loin de l’Algérie, et je n’ai plus l’âge de refaire des projets de ce côté, mais j’ai conservé un beau quoique trop bref souvenir de ma promenade et de nos relations » (10).

Attentif à l’éveil d’un mouvement pictural propre à l’Algérie et affectueusement proche des peintres Marius de Buzon, Maurice Bouviolle, Armand Assus, Louis Antoni, André Suréda ou Charles Brouty, l’auteur de Avec le Feu (11) entretiendra des connivences plus fraternelles avec Ketty Carré (auprès duquel il demandera une couverture pour L’Algérie et les peintres orientalistes) et Léon Carré, avouant respectivement à leur sujet que les gouaches du premier « (…) sont ce que l’Afrique du Nord a produit de plus oriental (…). Ses œuvres des poèmes pensés, médités, expressifs et naïfs comme des sourires » et que le second « s’est appliqué à sertir le joyau, à aimer la terre que nous foulons, à jeter sur les choses un regard franciscain, à considérer la fleure en elle-même et l’arbre en son essence.» (12).

Prorogeant une accointance presque fusionnelle avec Étienne Dinet (qui partageait son désir de rapprochement franco-arabe), l’archiviste signalera toutes ses créations. Après sa mort, il verra encore en lui « (…) l’exemple le plus probant de la sympathie française pour l’İslam. Son enthousiaste attachement à la terre d’Afrique resserre les liens qui unissaient son pays de naissance et son lieu d’élection morale » (13).

L’analyste de la scène artistique retrouvera à Alger Georges Rochegrosse, une ancienne connaissance parisienne. İnstallé, depuis 1900, chaque hiver à El-Biar, le peintre offrira (comme Dinet et Noiré) des reproductions de tableaux servant à agrémenter en 1914 les Notes de route d’İsabelle Eberhardt. Barrucand, qui publiera ces nouvelles, commandera (juste avant la guerre 14-18) à Léon Carré vingt illustrations pour le Chariot de Terre cuite

(14). À partir des années vingt, il tiendra la chronique littéraire, musicale et artistique du journal La Dépêche algérienne. Son directeur, Lucien Perrier, approuvait le style de rubriques connues « (…) même de l’autre côté de la Méditerranée » car lues « (…) par l’élite algérienne et métropolitaine » (15).

Pas en reste, sa femme Lucienne contribuera aux articles de La Défense, se réclamera de l’orientalisme en littérature et en peinture tandis que la demi-sœur Odette fera de sa librairie le siège d’une école orientaliste de laquelle se rapprochera Mohamed Racim ou le journaliste André Servier (16). Ainsi assisté, le mari et frère avait son bureau rue du Rempart, entre la Casbah et la mer, dans ce quartier cosmopolite de La Marine où se retrouvaient au restaurant écrivains, peintres, musiciens, journalistes, élus et politiciens de toutes les générations. Auréolé « (…) de la plus enviable réputation », le protecteur dévoué des arts, l’admirateur et camarade de peintres reconnus, le judicieux découvreur respecté pour ses qualités de mémorialiste fut donc aussi, de l’avis du médecin et futur maire d’Octon, Paul Vigné, ce « pilleur d’épaves » accusé en novembre 1923 « d’anarchiste repenti, devenu journaliste bourgeois à la solde de la Défense algérienne, organe de la ploutocratie nord- africaine ». Celui qui décrochera en 1919 quelques conquêtes politiques favorables aux « combattants indigènes » survivants de la guerre 14-18 paraissait à ses yeux plus affilié au réformisme aristocratique ou du parlementarisme politique que des aspirations réellement révolutionnaires. Collaborateur d’un canard de droite opposé à L’Écho d’Alger (quotidien républicain réputé plus à gauche), il se fera élire au conseil municipal avec l’aide des « élus musulmans » et des bourgeois assimilationnistes.

En 1927, l’ex « Missionnaire laïque » rempli d’intentions généreuses et utopiques finissait La guerre du Rif, un décryptage très conciliant avec les razzias de la conquête coloniale. Gardant en point de mire les intérêts de la France, il voudra coûte que coûte préserver l’image d’une estimable et recommandable Algérie mais hypothèquera l’initiale grandeur d’âme en épousant les courtes vues d’érudits bourgeois éloignés des véritables enjeux. Survenue à El Biar le 13 mars 1934, sa mort devancera de quelques semaines la disparition définitive du vertueux L’Akhbar.

Saâdi-Leray Farid, sociologue de l’Art et de la Culture

  • Propos consultables au dépôt des Archives d’Outre-Mer.
  • En avril 1901, une insurrection locale d’inspiration religieuse provoqua des échauffourées entre paysans musulmans et colons.
  • Composés d’un juge de paix et de deux juges choisis chaque année par le gouverneur, ils rendaient des jugements établis selon les règles du flagrant délit et sans la présence d’avocats, de sorte qu’aucun appel n’était recevable en-deçà de six mois de prison et du paiement de cinq cent francs d’amende. Le décret du 29 mars 1902 augurait ainsi la compétence correctionnelle, c’est-à-dire un type particulier de juridiction offerte à des musulmans confrontés à des fonctionnaires sans formation et susceptibles de décerner des mandats d’arrêt ou de dépôt, sans avoir à en référer préalablement au Procureur général.
  • Créé en juillet 1839. Les officiels l’Estafette et Le Moniteur algérien disparaîtront quant à eux rapidement du circuit, tout comme Le Mobacher (1847), journal gouvernemental de langue arabe, Le Progrès de l’Est d’Arthur de Fontvielle (1877) et L’Astre d’Orient (1880), une tribune libre dédiée à tous les Arabes du bassin méditerranéen (faillite déclarée en 1883).
  • Barrucand et Eberhardt furent la cible d’une cabale ourdie par un parti colon qui s’empressa de confondre relation amoureuse, corruption de fonctionnaires et extorsion de fonds publics.
  • Robert Randau, in İsabelle Eberhardt. Notes et souvenirs, Alger, Chariot, 1945, p. 235.
  • Ernest Mallebay, Cinquante ans de journalisme, Alger, Fontana, 1938, t. III, p. 267.
  • İsabelle Eberhardt, in Pleurs d’amandiers.
  • Victor Barrucand, in L’Algérie et les Peintres orientalistes, Grenoble, Arthaud, 1930, p. 14. Publiés à l’occasion du Centenaire de l’Algérie, les deux tomes, qu’imageront Ketty Carré et Mohammed Racim, affichent les hors textes de Louis Antoni, Armand Assus, Maurice Bouviolle, Léon Carré, Léon Cauvy, Henri Chevalier, Étienne Chevalier, Marius de Buzon, Eugène Deshayes, Louis Fernez, Augustin Ferrando, Pierre Frailong, Édouard Herzig, Gustave Lino, Lucien Mainssieux, Paul Nicolaï, Francisque Noailly, Maxime Noiré, Louis Randavel, Marius Reynaud, Alex Rigotard, Georges-Marie Rochegrosse, Joseph Sintès et André Suréda.
  • Centre des Archives d’Outre-mer, correspondance de Victor Barrucand : 31 MIOM 32, n° 32.
  • Roman sur le milieu anarchiste, paru en 1900 et réédité en 2005 aux éditions Phébus.
  • Victor Barrucand, in L’Algérie et les Peintres orientalistes, opus cité, p. 18.
  • Victor Barrucand, in L’Akhbar, 15 janvier 1930.
  • Une édition bibliophilique vulgarisée en 1921 chez Piazza, l’éditeur des douze volumes des Mille et une Nuits.
  • Lucien Perrier, La Dépêche algérienne, 14 mars 1934, p. 2.
  • Jean Servier, père de l’ethnologue, lequel se mettra au service d’une armée française commettant pendant la Guerre de libération des exactions en Kabylie.
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Windyam Assétou Maiga : « On peut s’aimer dans nos différences »

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Windyam Assétou Maiga
Windyam Assétou Maiga. Crédit photo : Le Matin d'Algérie

Dans L’Exil de l’amour, Windyam Assétou Maiga explore les liens profonds entre générations et cœurs, mêlant tendresse familiale et passions adolescentes. Son roman s’inspire de son enfance à Ouahigouya, ville du nord du Burkina Faso et capitale de la province du Yatenga, centre historique du royaume mossi au riche patrimoine culturel.

À travers cette histoire, l’auteure met en lumière le pardon, la solidarité et l’amour, tout en racontant la vie quotidienne et la transmission des valeurs qui façonnent ses personnages.

Windyam Assétou Maiga est née le 31 décembre 1985 à Ouahigouya. Titulaire d’une maîtrise en sciences de l’information et de la communication de l’université de Ouagadougou, actuelle Université Joseph Ki Zerbo. elle ne compte pas s’arrêter à ce premier roman : un recueil de poésie est annoncé prochainement. Le livre est édité par Ecovie Burkina Faso.

Le Matin d’Algérie : Qu’est-ce qui vous a inspiré pour écrire L’Exil de l’amour ? Est-ce un récit autobiographique ou purement fictif ?

Windyam Assétou Maiga : Depuis le lycée j’aimais beaucoup la lecture et je m’essayais à écrire de petites histoires. Je participais aussi à l’animation d’une bibliothèque de quartier à Ouahigouya et j’étais en contact avec les œuvres littéraires et des écrivains burkinabè. Ce qui me donnait une grande envie d’écrire. À travers L’Exil de l’amour, j’ai voulu retracer une histoire d’amour vécue avec une grand-mère exceptionnelle et montrer aussi une relation amoureuse entre deux jeunes. C’est un récit à la fois autobiographique et fictif.

Le Matin d’Algérie : Lafibala, la ville où se déroule l’histoire, est-elle inspirée de votre enfance à Ouahigouya ou est-ce une ville totalement fictive ?

Windyam Assétou Maiga : Lafibala est inspirée de ma ville natale, Ouahigouya, où j’ai passé mon enfance aux côtés de ma grand-mère.

Le Matin d’Algérie : La relation entre la narratrice et sa grand-mère occupe une place centrale. Comment avez-vous construit cette figure ? Est-elle inspirée d’une personne réelle ?

Windyam Assétou Maiga : Mémé dans L’Exil de l’amour est inspirée de ma grand-mère, qui n’est plus de ce monde. Sa photo figure d’ailleurs en couverture. Elle a profondément marqué ma vie par son enseignement, son éducation, ses valeurs et son amour inconditionnel pour ses petits-enfants.

Le Matin d’Algérie : Votre roman aborde le pardon, la jalousie et les tensions familiales. Pourquoi ces thèmes vous ont-ils paru essentiels à explorer ?

Windyam Assétou Maiga : Le pardon est fondamental dans la vie en société. Il favorise la cohésion et constitue un acte de libération personnelle. La jalousie, elle, est inhérente à l’être humain et peut créer des tensions si elle n’est pas maîtrisée, comme avec tante Rosalie qui, par pure jalousie, a dit à Alice qu’elle n’était pas la vraie petite fille d’Arlette. Cette situation a provoqué un conflit familial, mais Alice a finalement pardonné, comme le lui enseignait sa grand-mère, preuve de grandeur et de sagesse.

Le Matin d’Algérie : Les scènes de la vie quotidienne, comme la corvée d’eau ou la préparation des repas, sont très détaillées. Quel rôle jouent ces éléments dans votre récit ?

Windyam Assétou Maiga : Ce sont des aspects du quotidien dans les familles africaines. Ces activités, menées par les femmes et les filles, favorisent la socialisation et la transmission des valeurs. Dans le roman, elles permettent à Alice de comprendre le fonctionnement de sa société et d’apprendre les recettes traditionnelles.

Le Matin d’Algérie : la figure de tante Rosalie est complexe, à la fois provocatrice et humaine. Comment avez-vous imaginé ce personnage ?

Windyam Assétou Maiga : En observant la société. Certaines personnes, comme tante Rosalie, sont belles mais présentent des défauts tels que la provocation ou une jalousie excessive.

Le Matin d’Algérie : Les enfants du roman, Patrice, Nadège et Kader, sont confrontés à des réalités difficiles mais conservent leur innocence. Que souhaitiez-vous montrer à travers leur regard ?

Windyam Assétou Maiga : L’enfant est associé à l’innocence et à l’émerveillement. Alice s’émerveille devant des tombes jumelles, Kader l’accompagne, Patrice et Nadège restent inséparables malgré la jalousie qu’ils suscitent. Même confrontés à des difficultés, comme le petit Mamadou orphelin de mère, les enfants expriment leurs émotions et leur curiosité.

Le Matin d’Algérie : L’amitié et la solidarité entre enfants sont des fils conducteurs du récit. Comment ces liens influencent-ils le parcours de vos personnages ?

Windyam Assétou Maiga : Alice partage son gâteau avec Mamadou, Patrice et Nadège s’entraident. Awa vient soutenir la grand-mère d’Alice pendant sa maladie. Ces liens forgés dans l’enfance perdurent à l’âge adulte, permettant aux personnages de rester soudés malgré les épreuves.

Le Matin d’Algérie : Votre écriture mélange tendresse, nostalgie et tension. Comment décririez-vous votre style et votre approche narrative ?

Windyam Assétou Maiga : Je cherche à raconter l’histoire de manière simple et compréhensible, en montrant la vie dans une société et ce qu’elle peut enseigner et faire réfléchir.

Le Matin d’Algérie : Quelle place occupe la mémoire dans votre travail d’écriture et comment influe-t-elle sur vos personnages ?

Windyam Assétou Maiga : La mémoire est essentielle. Elle donne du sens aux souvenirs. Ma grand-mère, par son sens du détail, a transmis à Alice un héritage affectif et identitaire, de l’histoire des tombes fictives à l’exil de Patrice et Nadège.

Le Matin d’Algérie : Vous êtes également journaliste et animatrice de bibliothèque. Comment ces expériences influencent-elles votre écriture ?

Windyam Assétou Maiga : Ces activités sont compatibles avec l’écriture. Le journalisme a renforcé mon style, et l’animation de bibliothèque m’a permis de rester en contact avec les livres et de nourrir ma passion pour l’écriture dès le secondaire.

Le Matin d’Algérie : Quel message ou quelle émotion souhaitez-vous transmettre à vos lecteurs à travers L’Exil de l’amour ?

Windyam Assétou Maiga : Le thème principal est l’amour sous deux formes : celui d’une grand-mère pour sa petite-fille et celui entre deux jeunes, Patrice et Nadège. Le message est clair : on peut être heureux et s’aimer dans nos différences, malgré le rang social ou les origines. L’amour est possible dans la diversité.

Entretien réalisé par Guettala Djamal 

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Brahim Saci retrouve son recueil perdu

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L’enfant arrive à Paris, la ville de toutes les lumières. L’ambiance est bonne, vivante, coloriée. Le père est là, protecteur, le sourire au coin des lèvres. L’enfant pense encore à cette belle Kabylie qu’il vient de quitter. Mais il faut oublier ces bonheurs passés sur la montagne pour espérer s’accrocher dans cette grande cité.

Cet enfant grandira et racontera ses pérégrinations dans des livres de poésie. Brahim Saci n’a rien oublié. Au 54 rue des maraichers, dans le vingtième arrondissement de Paris, il y avait son deuxième village. « Adieu ce bar restaurant hôtel, qui a traversé les époques à tire-d’aile, où se retrouvaient les amis et les frères, autour d’un couscous ou d’un verre », écrit Brahim Saci, dans son 22e recueil de poésie, intitulé, Le Recueil perdu. Préfacé par Jean-Pierre Luminet, ce nouveau livre continue le voyage poétique ininterrompu de Brahim Saci.

On y retrouve son monde, ses aspirations à des jours meilleurs, ses quêtes salvatrices de spiritualité, ses chagrins et sa vision de l’existence. C’est un mot fort de l’écrivain Jean Giono qui introduit ce nouveau recueil : « Perdre est une sensation définitive : elle n’a que faire du temps. Quand on a perdu quelqu’un, on a beau le retrouver, on sait désormais qu’on peut le perdre ».

Proche de Taos Amrouche, Jean Giono avait fait partie du jury Goncourt ; il avait avoué, plus tard, qu’il ne votait que pour les livres édités par Gallimard. Voilà une affirmation qui situe bien les enjeux cachés des prix littéraire, y compris les plus prestigieux. Brahim Saci n’écrit pas pour avoir des prix littéraires ; il se fait plaisir en faisant voyager ses lecteurs, tout en n’attendant pas grand-chose des plus puissants de ce monde encerclé par le mensonge.

La préface de Jean-Pierre Luminet est intitulée : Les vertiges du cœur et du monde. Vaste programme qui tente de saisir la vérité de la création poétique. Astrophysicien, écrivain, poète, Jean-Pierre Luminet semble apporter la lumière au gré de ses passages, au gré de ses regards, au gré des mots qu’il écrit, souvent avec une belle magie.

A la recherche de son recueil perdu, Brahim Saci sait apporter de l’espoir à ses lecteurs ; il aime dialoguer avec eux : c’est ce qu’il fera ce dimanche 23 novembre 2025 à l’occasion du 300e café littéraire parisien de l’Impondérable, au 320, rue des Pyrénées, à partir de 18h. L’entrée est libre et la rencontre sera certainement conviviale et festive !

Youcef Zirem

Le recueil perdu de Brahim Saci, éditions du Net, 2025

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Le Collectif des Algériens à Lyon dénonce des dérives négationnistes

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Conférence d'Alain Ruscio à Lyon.
Conférence d'Alain Ruscio à Lyon.

Dans un communiqué rendu public, le Collectif des Algériens de France, acteur de la mémoire et du dialogue républicain à Lyon depuis un quart de siècle, s’élève avec la plus grande fermeté contre la recrudescence, dans certains médias lyonnais, d’un racisme mémoriel qui bafoue les valeurs fondamentales de la République. Le PCF a mené en soutien une action pour débaptiser la rue Bugeaud (illustration).

Notre collectif constate avec amertume et inquiétude que des titres de la presse lyonnaise, à l’instar de phénomènes observés au niveau national, ont choisi d’instrumentaliser l’histoire en donnant une plateforme exclusive à des voix négationnistes et à des tenants de la pensée coloniale. La couverture de l’inauguration de la stèle historique du 17 octobre 1961 par Le Progrès dans son édition du 15 octobre dernier en est une triste illustration, ayant délibérément occulté la parole du Collectif des Algériens de France, pourtant initiateur de ce projet mémoriel depuis 25 ans, au profit d’apologistes des crimes contre l’humanité.

Cette partialité délibérée a été prolongée par d’autres publications, dont Lyon People, qui, dans une chronique récente, a enfreint tous les principes déontologiques en tenant des propos ouvertement xénophobes à l’encontre des Franco-Algériens et en glorifiant la figure du maréchal Bugeaud, dont les exactions en Algérie – qui, selon les travaux d’historiens reconnus, ont constitué un antécédent aux pires tragédies du XXe siècle – relèvent de crimes contre l’humanité.

Cette dynamique de falsification et de haine atteint son paroxysme avec le traitement médiatique réservé au projet, pourtant salutaire et républicain, de débaptiser la rue Bugeaud. Le silence imposé au Collectif, pourtant lanceur d’alerte sur ce symbole antirépublicain depuis 2020, est une faute grave. Il prive le débat public d’un éclairage essentiel et légitime l’idéologie la plus nauséabonde.

Ce négationnisme médiatique, en faisant l’apologie de crimes contre l’humanité, n’est pas une opinion : c’est un délit. Il a des conséquences directes et tangibles, comme l’a tragiquement démontré la profanation lâche et ignoble de la stèle du 17 octobre 1961, acte de violence qui n’aurait pu survenir sans le climat de haine préalablement distillé.

Face à cette situation intolérable, le Collectif des Algériens de France :

1. Met en garde l’ensemble de la profession journalistique contre les dérives d’un racisme mémoriel qui corrompt le débat public et sape les fondements de notre cohésion nationale.

2. Exige des rédactions lyonnaises un strict respect de la déontologie, impliquant un droit de réponse et une représentation équilibrée des parties prenantes, en particulier de celles qui portent depuis des décennies un travail de mémoire et de fraternité.

3. Appelle solennellement le Procureur de la République à qualifier et poursuivre, avec la plus grande rigueur, tous les écrits ou propos constituant une apologie de crimes contre l’humanité, une incitation à la haine raciale ou une négation de faits historiques établis.

4. Nous demandons de soutenir la démarche de la Ville de Lyon confiant aux historiens le soin de trancher scientifiquement sur la nécessité républicaine de débaptiser la rue Bugeaud, pour tourner la page des symboles qui divisent la France et honorent l’oppression, la haine et la déshumanisation de citoyens.

Il est temps que cesse cette entreprise de déni et de division. La République doit rester un rempart contre la haine et un garant de la dignité de tous ses citoyens, sans distinction d’origine.

Collectif des Algériens de France

Abdelaziz Boumediene

Additif

Le Parti communiste français (PCF Lyon) a organisé ce jeudi une conférence avec l'historien Alain Ruscio autour de son dernier livre "La première guerre d'Algérie", publié chez la Découverte. Un action de tractage a été organisé à Lyon 6 pour soutenir le collectif des Algériens et l'action de la mairie afin de débaptiser la rue Bugeaud. (En illustration les images des événements) 
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Christophe Gleizes : quand le football français se lève pour la liberté d’informer

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Christophe Gleizes condamné en Algérie
Christophe Gleizes condamné en Algérie arbitrairement à 7 ans de prison

À moins de deux semaines de son procès en appel, prévu le 3 décembre 2025, Christophe Gleizes, journaliste sportif français, continue de subir une détention qui choque le monde du football et de l’information.

Son histoire relève de l’invraisemblable comme souvent dans la « nouvelle Algérie  » d’Abdelmadjid Tebboune. Arrêté le 28 mai 2024 alors qu’il réalisait un reportage sur la JS Kabylie (JSK), Christophe Gleizes a été condamné le 29 juin 2025 à sept ans de prison pour « apologie du terrorisme » et « possession de publications à but de propagande nuisant à l’intérêt national ». Derrière ces accusations absurdes se cache simplement un journaliste passionné, dont le travail consistait à raconter le football, à mettre en lumière les acteurs et institutions qui font vibrer ce sport en Algérie et en Afrique.

Face à cette injustice, sept clubs de Ligue 1 — OGC Nice, RC Lens, Paris FC, FC Lorient, FC Nantes, AJ Auxerre et Le Havre AC — ont pris position publiquement. Pour RSF, cette mobilisation est un signal clair : « Cette mobilisation sans précédent du monde du football pour un journaliste sportif montre l’absurdité de la condamnation de Christophe Gleizes actuellement détenu en Algérie. Nous espérons que le bruit de cet engagement lui parvienne là où il se trouve, par-delà les barreaux de sa prison », affirme Thibaut Bruttin, directeur général de Reporters sans frontières.

Certaines actions vont au-delà du simple soutien symbolique. L’OGC Nice et l’AJ Auxerre relaient dans leurs stades, devant des dizaines de milliers de supporters, l’appel à signer la pétition en faveur de Christophe Gleizes. Virginie Rossetti, directrice communication et marque de l’OGC Nice, explique : « Réclamer la justice et soutenir Christophe Gleizes nous est apparu, dès que les faits nous ont été présentés, comme une évidence. »

Le mouvement dépasse les clubs et touche les acteurs emblématiques du football. Des joueurs et entraîneurs tels que Rai, Vikash Dhorasoo, Vahid Halilhodzic, Hervé Renard et Claude Le Roy ont publiquement manifesté leur soutien. Les journalistes sportifs, les rédactions comme So Foot, et des figures reconnues de la profession, dont Ambre Godillon, Hervé Mathoux, Nathalie Iannetta et Marie Portolano, ont également rejoint le mouvement. Pierre de La Saussay, membre du collectif #FreeGleizes, insiste : « Le soutien du monde du football à Christophe s’impose comme une évidence, mais aussi comme un devoir pour quiconque se revendique des valeurs fondamentales de ce sport. »

Pour RSF, la détention de Christophe Gleizes est plus qu’un cas individuel : elle constitue une menace pour tous les journalistes et pour la liberté d’informer. La campagne #FreeGleizes appelle à la mobilisation générale, convaincue que la pression du public, des clubs et des instances du football français — LFP et FFF en tête — peut contribuer à obtenir sa libération rapide.

À quelques semaines du procès en appel, cette mobilisation inédite montre que la liberté d’informer peut rassembler bien au-delà des terrains de football. Joueurs, clubs, journalistes et supporters sont désormais unis autour d’un même message : la justice doit l’emporter, l’absurdité doit céder face à la raison, et Christophe Gleizes doit retrouver sa liberté.

Mourad Benyahia 

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L’Algérie, premier client du Su-57E : deux avions livrés sur un contrat de 14

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Avion de combat russe Sukhoi Su-57E « Felon »
Avion de combat russe Sukhoi Su-57E « Felon ». Crédit photo : DR

L’Algérie serait le premier client étranger du chasseur furtif russe de 5e génération Su-57E « Felon », rapporte Avia News. Deux premiers exemplaires auraient déjà été réceptionnés sur une commande totalisant quatorze appareils.

D’après les informations du  site suisse d’actualité et de consulting sur l’aviation, la  Russie a livré ses deux premiers chasseurs furtifs Su-57E « Felon » de série à un client étranger non identifié, a annoncé le PDG de l’UAC, Vadim Badeha, lors du Salon aéronautique de Dubaï 2025. Cette première exportation marque une étape stratégique pour Moscou, devenue le deuxième pays au monde à exporter un avion de combat de 5ᵉ génération.

Bien que l’UAC n’ait pas révélé l’identité du destinataire, l’Algérie apparaît comme le candidat le plus probable, selon plusieurs sources spécialisées citées par Avia News. Alger aurait signé en 2021 un contrat portant sur 14 Su-57E, avec des livraisons échelonnées entre 2025 et 2027. Son partenariat militaire de longue date avec Moscou et sa flotte existante de Su-30MKA et Su-34 renforcent cette hypothèse.

L’annonce intervient dans un contexte de pressions industrielles et de sanctions internationales contre la Russie. Pour l’UAC, ces premières livraisons démontrent la capacité du complexe militaro-industriel russe à maintenir ses exportations d’équipements avancés. Vadim Badeha affirme que l’intérêt international pour le Su-57E augmente, porté par la performance opérationnelle des systèmes russes et la recherche par certains États d’une alternative aux technologies occidentales.

Avec cette première exportation, Moscou devient le deuxième pays au monde, après les États-Unis, à vendre un avion de combat de 5ᵉ génération sur le marché international, rapporté avianews.  Selon l’UAC, précise la même source, les appareils seraient déjà opérationnels au sein de la force aérienne du pays acquéreur, qui aurait exprimé sa satisfaction quant aux performances et à la qualité des avions.

Samia Naït Iqba

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