Jeudi 25 mars 2021
Réponse au Comité de préparation de la Conférence régionale, c’est non !
Le Comité de préparation de la Conférence régionale vient de rédiger un long communiqué que j’ai pu lire dans ces colonnes. Que l’on ne se méprenne pas sur mon titre, il est catégorique dans son refus de rejoindre l’appel mais certainement très cordial et respectueux.
Le Comité ne s’adresse pas exclusivement à moi car je suis insignifiant par rapport à la masse. Mais la foule à laquelle s’adresse un communiqué est, par définition, composée d’individualités. C’est à chacun de nous que s’adresse cet appel sinon il n’y aurait pas de sens à communiquer avec une entité impersonnelle. Ce communiqué s’adresse aux Algériens, je le suis.
Mon approche se caractérise par une argumentation qui ne rejette pas le plus long de la proposition globale. Elle est claire et suscite toute mon adhésion.
Mais ce qui me fait écarter toute possibilité de rejoindre l’appel est dans ce qui n’est pas dit, ce qui est occulté depuis toujours et que les algériens n’osent pas affronter, par manque de courage politique, par frilosité et, je le dis droit dans les yeux de certains, pour couvrir leurs allers-retours entre l’Assemblée nationale un jour et l’opposition de la rue un autre jour. Et inversement…
Oui, j’adhère en partie
Commençons par l’essentiel de ce qui nous réunit. L’État fédéral auquel appelle ce Comité est sans aucun doute une position qui est confirmée par mon militantisme et mes écrits depuis trois décennies.
Je ne puis qu’acquiescer cette revendication qui n’est pas la meilleure possible mais la seule possible. Elle n’est pas simple et comporte de nombreuses difficultés surtout après plus d’un demi-siècle de régime militaire et d’abrutissement nationaliste et religieux.
Mais ce choix, que j’avais moi-même approuvé et rédigé dans tant d’articles, au nom d’une organisation politique, dans une autre vie, n’est pas un risque de rupture mais un pari sur le seul chemin à prendre.
C’est très paradoxalement un chemin pour permettre une sérénité dans un pays dangereusement assis sur une poudrière et que ce peuple n’a pas voulu entendre dans les avertissements à travers des éruptions sporadiques du volcan qui bouillonne dans les profondeurs et se réveillera un jour dans un cataclysme si des positions fortes ne s’expriment pas clairement, avec les mots qu’il faut.
On nous rétorque que nous sommes des incendiaires et voulons diviser le pays. Mais il faut être aveugle, sourd et stupide pour ne pas avoir constaté que le pays est déjà profondément fracturé, brisé et explosé en deux communautés qui feignent de se retrouver dans des valeurs nationales communes.
Ces valeurs nationales communes commencent à disparaître dans leurs effets. La lutte de libération, ses mythes et ses réécritures sont du siècle passé. C’est comme si vous parliez de Napoléon à un jeune soldat de la première guerre mondiale, c’est exactement la même distance temporelle.
Oui, j’adhère depuis des décennies à une régionalisation de l’Algérie dans un pacte fédéral. C’est difficile, c’est risqué mais c’est un pari nécessaire pour sortir d’une fracture qui n’est plus un risque mais une réalité profonde.
Il y a un gros mais… !
Et puis, comme toujours, le combat des organisations politiques algériennes, après avoir rédigé des textes indéniablement attirants dans leur fond, il y a l’oubli volontaire, le dissimulé, ce qu’il est interdit de prononcer en dehors des discussions privées ou internes.
Leurs textes sont une science d’ingéniosité pour tourner autour du problème, l’imager, l’insinuer mais jamais l’exprimer clairement, la pensée bien reliée au vocabulaire. Les mots de l’adversaire, de sa terreur et de son identité ne sont jamais exprimés.
J’ai toujours un peu de scrupules de référencer dans un article une citation que tous les lycéens ressortent mais elle est si vraie. Albert Camus nous rappelle que lorsqu’un peuple n’ose pas nommer le fléau, c’est ajouter à la misère du monde.
Dans l’appel du CPCR il n’est mentionné nulle part, pas une seule fois, les mots « Religion », « Généraux », « Régime militaire » et « Milliardaires populistes, amis des généraux ».
Pas une seule fois dans le texte je n’ai lu le mot « laïcité », ce n’est pourtant pas un gros mot. Un mot redouté, qui fait peur et dont les rédacteurs n’osent imaginer pouvoir le prononcer. Un oubli volontaire ? En tout cas inexcusable et qui suscite la suspicion d’une personne comme moi, profondément attachée à ce mot. Le seul qui peut éviter d’enterrer l’Algérie, encore plus profondément qu’elle ne l’est déjà, dans les ténèbres de l’humanité.
J’ai lu, relu, bien fait attention aux tournures, à la sémantique et à tous les qualificatifs, rien de tout ce qui provoque la terreur et la descente au moyen-âge de ce pays n’est exprimé. Ils n’existent pas ou alors uniquement dans mon esprit.
On a l’impression qu’ils sont effacés du dictionnaire. D’ailleurs, lorsque je les écrit dans un article, je m’aperçois que seul le Matin d’Algérie a le dictionnaire complet pour les publier. Les autres font la traque au moindre de ces mots, comme la douane dans les années 70. Ils les traquent, les poursuivent et dès qu’ils apparaissent je n’ai aucune chance de passer la frontière de la publication.
Les rédacteurs du CPCR ont fait un travail d’orfèvre de la culture politique algérienne pour passer la frontière. Ils ne sont tombés dans aucun des pièges sémantiques. Ils ont la virtuosité habituelle, celle de choisir les expressions comme « Le pouvoir », « Le régime politique », « Le système de domination politique » (ce dernier étant dans le texte, un chef-d’œuvre) et toutes ces expressions que j’ai connues lorsque j’étais militant dans un parti d’opposition et que mes camarades évitaient la plupart du temps sauf si leurs propos étaient dissimulés dans la colère d’une foule, anonymes puisque sans incarnation individuelle.
« Boumédiene, il ne faut pas choquer, il ne faut pas heurter, il faut faire la part des choses… » me disaient-ils, tout ce laïus algérien si bien rodé pour frôler les lignes et ne jamais traverser cette frontière de l’autocensure.
Mais il y n’y a pas que les mots que n’ose pas affronter le CPCR, il y a les faits. Ces faits qui sont douloureux, honteux, ceux qui laissent une blessure profonde et qu’on camoufle par le déni pour mieux avoir bonne conscience en les oubliant volontairement.
D’une part, ce texte ne parle jamais de l’opposition et de ses représentants qui ont cautionné les institutions en rejoignant l’Assemblée nationale du régime militaire. Je n’ai pas lu une seule ligne à propos d’une tâche qui les déshonore au plus profond de la conscience des vrais démocrates et humanistes.
Et puis, il faut arrêter de mettre en avant les « vendus » de la région qui seraient le fruit de la manipulation du régime militaire pour briser l’élan politique de cette région. C’est trop facile comme argument, l’ennemi intérieur, cette vieille rengaine pour dissimuler les errements d’un plus grand nombre.
C’est se cacher les yeux que de croire que tous ces « vendus », généraux, fonctionnaires, hommes politiques et journalistes de la région sont des pantins manipulés. Il y en a des dizaines de milliers qui ont toujours été volontaires pour une vaste compromission, de pouvoir et d’argent. Des fortunes se sont bâties par la proximité des généraux. Le nier c’est cacher une profonde blessure en la maquillant du terme de manipulation.
Ils sont les fossoyeurs d’une région magnifique dont la majorité de la population combat avec courage et sincérité pour le recouvrement de son droit légitime, c’est-à-dire la reconnaissance de sa spécificité, sa liberté et son autonomie.
Au final, c’est un «non» ferme !
Basta, cela suffit, trente ans de manifestations des rues, de textes à rallonge au bla bla bla du genre « Démocratie et liberté ».
Le jour où les organisations politiques de ce pays affronteront la réalité des maux algériens et leur donneront un visage, une identité et des mots, alors ils commenceront à avoir un minimum de crédibilité. La terreur a un visage et une incarnation, c’est celui des généraux et de la religion.
Alors, ou ces organisations ont le même vocabulaire que moi ou nous n’avons rien à avoir ensemble. Le CPCR ne m’attend pas, il n’a pas besoin de mon soutien. Cela tombe bien car je n’en ai pas à lui donner. J’ai trop perdu de temps avec ce genre de discours et de tergiversations.
Je reste militant éternel de « ma région » qui souffre et qui revendique ses droits légitimes. Je suis oranais et donc la Kabylie est « ma région, mon pays » au même titre que les autres et de n’importe quel citoyen qui est né dans ce beau pays de mon enfance.
Elle a toujours mon soutien, mon amitié et mes mots de combat. Je n’ai pas déchiré des pages à mon dictionnaire, les mots généraux, religion et Dieu, milliardaires compromis, Y sont encore présents.