30 avril 2024
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Ben Mohamed, du connu au moins connu sur ses textes chantés

Dimanche, 7 avril 2024, a eu lieu un récital de poésie quasi confidentiel donné par Ben Mohamed au restaurant Ighouraf dans le vingtième arrondissement de Paris.

La salle qui nous accueillait était une galerie de portraits où se côtoyaient Ouali Bennaï, Abane Ramdane, Ould-Hamouda Amar, Messaoui Rabah … Chacun de ces noms dit une page de notre histoire douloureuse. L’établissement avait appartenu à Mohand Amokrane Khelifati, militant de l’Étoile nord-africaine et membre fondateur de l’Académie berbère, qui l’avait cédé à Ramdane Haïfi, lequel lui a donné ce nom Ighouraf.

C’est dans cet espace que le poète a évoqué ses premiers pas à la radio kabyle alors qu’il quittait son village tapi dans la montagne pour être plongé dans le tumulte d’Alger. On n’imagine pas la gymnastique à laquelle était contraint l’animateur radio dans une société percluse d’interdits et de surcroît sous la coupe d’un régime de parti unique.

Pour cette rencontre, Ben Mohamed avait pris le parti de ne lire que ses poèmes repris en chansons. Il avait avoué ne s’être pas préparé à cette séance improvisée et, de fait, il trébuche à la lecture de certains vers tandis que la sono crachotait à chaque redémarrage du frigidaire. Mais la magie du verbe enveloppe rapidement la soirée.

On l’a oublié aujourd’hui, mais il avait écrit à ses débuts quelques chansons d’amour qu’il avait commencé à chanter lui-même avant de renoncer finalement (1) au rôle d’interprète. Les quelques indications fournies sur chaque texte nous plongeaient dans les années soixante et soixante-dix. D’emblée, on est frappé par la maîtrise d’une langue riche, belle et précise. Et certains textes tressés de mots justes et enchantés, atteignent le statut de chefs d’œuvre.

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Dans cette période de bouleversements, Ben Mohamed est peut-être celui qui incarne le mieux le renouveau de la poésie kabyle. Faut-il voir un hasard dans le fait qu’Idir qui, lui-même, a porté la révolution musicale de ce temps, se soit tourné vers lui pour puiser les textes qu’il mit en musique avec le succès que l’on sait. Le poète nous apprit ce soir que c’est Idir lui-même qui a composé la chanson Muqleγ en butinant dans trois de ses textes. Sous la chape de plomb de 1975, où le mot amazigh était proscrit de tous les textes officiels, ce titre était une déflagration.

Mais quand le talent du poète et de l’interprète sont de la partie, aucune chape de plomb ne peut jamais empêcher la terre d’amaziγ d’incarner, par-delà les millénaires, le visage de Yugurten. Aucune dictature ne peut empêcher la brise de chanter son nom. Aucun tyran ne peut empêcher des millions de cœurs de vibrer à l’unisson de la voix qui le chante.

Ben Mohamed est repris par nombre d’artistes. Idir, bien sûr, mais aussi Djamel Allam, Matoub, Takfarinas, Amar Sersour sans oublier l’admirable Nouara.

À cette rencontre du 7 avril, l’assistance prenait plaisir à remonter à la source de succès gravés dans sa mémoire. Elle insistait pour écouter même les poèmes les plus connus qui ont fait le tour de la planète, servis par des talents exceptionnels et portés par des merveilles de mélodies. Ainsi, voulait-elle savourer le « goût nature » des mots que leur restitue la voix nue de l’auteur de Zwi ţ, rwi ţ qui nous en a délivré la surprenante genèse. Il a écrit ce poème, sur une musique d’Idir, parce qu’il avait observé que le cours des fêtes était émaillé de furtives piques que se lançaient les membres indélicats d’une même famille qui profitaient d’un événement dédié à la joie pour titiller leurs proches. C’est ce constat qui a fait de Zwi ţ, rwi ţ une invite à la trêve, à l’oubli des mesquineries, un appel à partager dans l’innocence et la concorde, une joie pure. Et s’agissant toujours du texte, l’auteur est questionné sur certaines expressions telle que jedditneγ lla d issanaw (2),  que tant de fois j’ai entendu fredonner Jedditneγ lla d issawal (3),  ou bien encore sur cette autre formule urar agi ḥelsemt as (4).

On apprit quelque chose de cocasse : c’est à un apparatchik de la radio que l’on doit une de ses œuvres célèbres. Cet homme qui avait saisi le danger que représente l’écho de cette poésie auprès du public crut piéger Ben Mohamed, qui assumait son progressisme, en lui faisant une proposition que ce dernier ne pouvait refuser : célébrer le sommet des non-alignés organisé en 1976 à Alger, en écrivant un texte dédié à l’événement. Mais au lieu d’encenser les dignitaires qui festoyaient au Club des Pins, Ben Mohamed écrivit Tiγri n wegdud, « Le cri du Peuple » qui réclame son dû, sa liberté qu’il arrachera dut-t-il pour cela emprunter des chemins escarpés.

Mais, le poète sait que les régimes qu’il dénonce ne sont pas toute la source du mal. Il y a dans notre société, niché au tréfonds de nos âmes, y compris dans celles des plus humbles, le mal qui la ronge en profondeur, celui dont souffrent les femmes.

C’est au cœur de la nuit qu’est né le poème Tecnam akw γef zzin iw (Vous avez tous chanté ma beauté) écrit d’un seul jet par Ben Mohamed qui venait de se réveiller à trois heures du matin. Le constat chanté par la voix pure de Nouara n’épargne personne. En premier lieu, ceux qui, de bonne foi, se croient au-dessus de tout soupçon. Ceux-là mêmes qui célèbrent la beauté, le sens de l’honneur de la femme kabyle et piétinent ses droits élémentaires sans même en avoir conscience. Car pour elle, rien ne va dans la vraie vie. Dès la naissance. Nulle réjouissance n’accueille la venue au monde d’une fille.

Les visites rendues à la mère à cette occasion ne sont pas faites pour la féliciter et souhaiter longue vie à la nouvelle-née, elles visent à la soutenir dans son chagrin : Tennam i yemma selleγ Rebbi a kem isebbeṛ a yelli (« Vous disiez à ma mère – et j’entendais – Que Dieu t’apporte résignation »). Taqaeet-nni ideg d γliγ, teţdeggir-iyi-d γer leryaf, (« Même le sol qui me reçut me reléguait aux marges. »)

Asmi i bdiγ la ttnerniγ, ḥulfaγ ziγ yella leḥyaf, […] ala arrac i nemsenyaf

(« À mesure que je grandissais, je découvrais l’iniquité […] La primauté va aux seuls garçons »).

Et au final, cette femme que nous choyons, admirons, jusqu’à enfouir en elle notre identité, la voilà qu’en retour, elle se dresse en rebelle : tura mi d llint wallen iw yidwen ad mḥasabeγ ! (« À présent que mes yeux s’ouvrent, je vous demande des comptes »). Le constat est implacable et le poème n’a pas pris une ride. Hélas !

Concluons par un autre poème né d’une requête d’Idir. Ce dernier qui avait une musique toute prête voulait un texte consacré à la tradition et plus précisément aux peines et souffrances de nos mères. Ben Mohamed ressentait une sorte d’inadéquation entre le tonus de la musique et le thème suggéré. C’était en 1973. Au même moment, il lut dans Jeune Afrique un entrefilet relatant le sort tragique réservé au chanteur contestataire Chilien Victor Jara. On avait broyé les mains du guitariste Victor Jara que l’on avait torturé à mort dans le stade de Santiago du Chili lors du coup d’État de Pinochet, le 11 septembre 1973. Le cœur n’était plus à la nostalgie et Idir s’adapta de bonne grâce. Ce fut Izumal (5) écrit à la mémoire de Victor Jara. Un torrent de larmes qui jaillit de l’horreur, un torrent bouillonnant de révolte et de colère qui déterre des armes.

Ce 7 avril est un anniversaire double. Celui de la marche à Alger du 7 avril 1980 où nous avions fini la nuit au deuxième sous-sol du commissariat du boulevard Amirouche sur les murs desquels étaient gravées les traces de sévices subis durant la guerre. C’est aussi celui de l’assassinat d’Ali Mécili, le 7 avril 1987 à Paris.

Hend Sadi

Notes

 1/En fait, il a chanté surtout en privé. En public, il fit deux tentatives. Une première en 1961 dans l’émission de Cheikh Nordine (Nnuba iḥeffaḍen) et une seconde en 1966 dans l’émission de Chérif Kheddam (Iɣennayen uzekka où il a connu Aït Menguellat, Athmani, Slimani…). Après quoi, il décida alors d’arrêter définitivement de chanter.

 2/Sinew : marcher péniblement mais résolument.

 3/Siwel : appeler.

 4/Ḥelles : s’apprêter.

 5/Il y avait un esprit de parfaite entente artistique entre les deux créateurs. Idir a composé des musiques pour certains textes que Ben Mohamed a écrit, tout comme l’inverse s’est aussi souvent produit.

2 Commentaires

  1. Avec un nom pareil, qui n’a, a l’evidence, pas pousse’ sur la pierre Kabyle, comment et pourquoi ne l’a-t-il jamais change’ ou abandonne’ ? L’heritage colonial est-il aussi Sacre’ ?

    • Peut importe le contenant ; YA SIDI MOUH ……
      Cela dit mohamed à l’origine n était pas un prénom musulman puisque le prophète n’est pas né musulman.

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