Dimanche 16 juin 2019
Dissolution de l’Office central de répression de la corruption : l’AACC interpelle le gouvernement
L’Association algérienne de lutte contre la corruption (AACC) nous a fait parvenir le communiqué suivant sur la dissolution de l’Office central de répression de la corruption. Cette décision remonte à l’ère Ouyahia, révèle l’AACC.
Cependant, l’association s’interroge sur cette manoeuvre et interpelle le gouvernement pour que ce projet soit retiré sans tarder. Lecture du communiqué de l’AACC :
Pendant que l’opération « Mains propres » menée par la justice bat son plein, frappant de plein fouet nombre de « Personnes politiquement exposées » (PPE), le Conseil de la nation programme, contre toute attente et en catimini, la dissolution de l’Office central de répression de la corruption (OCRC). Une date pour ce faire a même été arrêtée : le jeudi 20 juin 2019.
L’AACC livre à l’opinion publique la chronologie d’un complot qui ne dit pas son nom.
En fait, cette dissolution est l’œuvre du précédent gouvernement présidé par Ahmed Ouyahia – aujourd’hui détenu à la prison d’El Harrach pour accusation notamment de corruption-, à travers un projet de loi modifiant la loi du 20 février 2006 relative à la prévention et à la lutte contre la corruption. Dans ce projet de loi, il est clairement énoncé la disparition de l’OCRC, projet adopté par l’APN le 24 février dernier et déposé sur le Bureau du Conseil de la Nation quelques jours plus tard.
Pour rappel, le ministre de la Justice, garde des Sceaux, Tayeb Louh, avait annoncé, le jeudi 19 juillet 2018 à Tipasa, la formation d’un groupe de travail restreint début septembre prochain qui se chargera de la « réforme » de l’Office central de répression de la corruption (OCRC), et ce, dans le but de «consolider davantage les mécanismes à même de contribuer à la lutte contre ce phénomène». « Il est devenu impératif de réactiver les mécanismes de prévention qui est de la responsabilité de tous les secteurs et de la société de façon générale et qui est considéré comme un des moyens efficaces dans la lutte contre la criminalité », avait-t-il ajouté. Le même ministre récidive le 9 septembre 2018, cette fois-ci à partir de…Tindouf, en déclarant : « une justice forte et indépendante » peut contrecarrer les différentes formes de la corruption…… »
Le ministre avait, à l’occasion, annoncé la création d’un pôle pénal dédié aux affaires financières « qui sera doté de tous les moyens humains et matériels nécessaires lui permettant de mener sa mission avec efficacité, dans la lutte contre le crime de la corruption, dans le cadre de la poursuite des réformes du système juridique visant l’amélioration de l’efficacité de lutte contre la corruption ».
Le gouvernement avait trouvé la parade pour justifier la dissolution de l’OCRC : il crée une juridiction spécialisée dans la lutte contre la délinquance économique et financière, en faisant croire que l’OCRC ferait doublon !
L’Exécutif sonne la charge de ce complot contre l’OCRC à quelques jours du nouvel an : le 27 décembre 2018, le Conseil des ministres présidé par Abdelaziz Bouteflika entérine la dissolution de l’Office central de répression de la corruption, en adoptant un projet de loi dans ce sens.
Moins de deux mois après la décision du Conseil des ministres, l’APN adopte le projet de loi le 24 février 2019 : du jamais vu en terme de célérité parlementaire, lors d’une séance plénière présidée par le nouveau président de l’Assemblée, Mouad Bouchareb, en présence du ministre de la Justice, Garde des Sceaux, Tayeb Louh, et du ministre des Relations avec le Parlement, Mahdjoub Bedda.
Dans l’exposé des motifs pour justifier la dissolution de l’OCRC, voici ce qu’avait déclaré le ministre de la Justice devant les députés : « ….En raison de la complexité de sa composition et le manque de coordination entre les différents services représentés à son niveau. Ce qui a influé négativement sur l’efficacité de cet Office…. ». Comme le calendrier de la programmation à l’APN de ce projet de loi était très serré, sous la forte pression du gouvernement, la « Commission des affaires juridiques, administratives et des libertés » de l’APN a liquidé ses auditions et ses consultations en 48 heures, les 21 et 22 janvier dernier, consultations limitées et restreintes où les représentants de la société civile n’ont pas été invités !
A peine 3 jours après le 3ème vendredi des manifestations populaires contre « la bande » au pouvoir, manifestations entamées le vendredi 22 février 2019 et dont un des principaux slogans est « Klitou lebled ya serrakines » (« Vous avez « bouffé » le pays, voleurs ! »), comme si de rien n’était, la commission des Affaires juridiques, administratives, des droits de l’Homme, de l’organisation locale, de l’aménagement du territoire et du découpage territorial au Conseil de la nation tient le dimanche 11 mars 2019, une réunion consacrée à l’examen du projet de loi relatif à la prévention et à la lutte contre la corruption.
Puis plus rien du 11 mars au 10 juin 2019 : silence total du Conseil de la nation sur ce projet de loi.
Et au moment où on ne s’y attendait plus, en pleine « opération Mains propres » menée par la justice, voilà que le Conseil de la Nation remet le projet sur le tapis. Lundi 10 juin 2019 : réunion du Bureau du Conseil de la Nation sous la présidence de Salah Goudjil. Lors de cette réunion le Bureau a décidé la reprise de ses travaux en plénière à partir du lundi 17 juin par la présentation et le débat du projet de loi amendant et complétant la loi 06-01 relative à la prévention et à la lutte contre la corruption, et le mardi 18 mai par la présentation et le débat du projet de loi relatif aux règles générales de prévention des risques d’incendie et de panique. Ces deux projets de loi seront soumis au vote lors de la plénière du jeudi 20 juin 2019.
Pour rappel, le chef de l’Etat par intérim avait le jeudi 17 mai 2019 mis fin aux fonctions de Mokhtar Rahmani en sa qualité de Directeur général de l’Office central de la répression de la corruption (OCRC) et désigné à ce poste Mokhtar Lakhdari : ce dernier avait occupé les fonctions de directeur central au ministère de la justice pendant de longues années, en charge des « Affaires pénales et de la grâce ».
Puis le lundi 3 juin 2019, le ministre de la Justice a présidé l’installation du nouveau directeur général de l’OCRC. Comment peut-on relancer les activités d’une institution aussi importante dans un contexte de corruption généralisée tout en maintenant sa dissolution ?
Pour l’AACC, le gouvernement doit retirer le projet de loi
Qui au sein du pouvoir veut à tout prix la disparition de l’OCRC, ce dernier subissant depuis sa création les luttes de clans ? A qui mettra la main dessus totalement pour l’instrumentaliser. Pour justifier cette dissolution, le pouvoir met en avant la création « d’un « Pôle pénal financier », alors que ce dernier et l’OCRC sont deux choses différentes : le 1er est une nouvelle juridiction et le second est un organe de police judiciaire.
Avec cette opération « Mains propres » et toutes ses limites, des magistrats souhaitent le maintien de l’OCRC, soutenus par quelques « décideurs », alors que la « contre-révolution » au contraire veut se débarrasser de l’OCRC, ce qui explique le « réveil » du Conseil de la Nation. Il y a des mécanismes législatifs qui permettent le retrait du projet de loi en question, selon l’article 138 de la Constitution : il faut que le Conseil de la Nation soit en désaccord avec l’APN, ce qu’il devrait exprimer dès aujourd’hui, lundi 17 juin 2019, lors de sa plénière où sera présenté le projet de loi. Suite à ce désaccord, la commission mixte APN-CN n’aboutissant pas, le gouvernement retire le projet de loi.
L’AACC demande au Conseil de la nation de rejeter ce projet de loi infâme et donc au gouvernement d’annoncer sans plus tarder le retrait de ce projet de loi.