3 mai 2024
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L’abîme s’est creusé à nos pieds

REGARD

L’abîme s’est creusé à nos pieds

«Si le monde tolère un malheur, n’est-ce pas pour le façonner à son usage, en tirer profit, le bâter, lui mettre un mors, une housse, le monter, en faire une joie ? ». Honoré de Balzac   

À bien y réfléchir, ces quelques semaines d’enfermement ne sont ni maussades ni cafardeuses ni même perdues d’avance. Chacun prend le temps de se regarder au fond de soi-même et de travailler sur lui suivant les dispositions qu’il comptait prendre pour arriver à faire fructifier ce temps de la claustration. Le pragmatisme veut que l’expérience que nous avons acquise puisse servir par la suite tant la période que nous franchissons actuellement est dense et soutenue.

Dès mon réveil ce matin, je pensais à la quantité astronomique de douleurs et de deuils qui a envahi la planète depuis le commencement de nos problèmes suite à l’apparition de la pandémie à partir de la Chine. Je me suis évertué à me convaincre que la masse de désolation du monde n’est pas plus nourrie qu’avant l’apparition du virus.

Les conflits, les attentats terroristes, la torture, les excès du capitalisme, la pauvreté extrême, les viols, la mise sous tutelle de la femme et de sa dignité par une secte bien précise, l’esclavage qui perdure, les morts par milliers de migrants en mer ou ailleurs, toutes ces horreurs existent depuis belle lurette et ne nous condamnent pas à l’insomnie nuit après nuit.

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Ce qui diffère cette fois, c’est que l’abîme s’est creusé à nos pieds. La panique est tapie tout près de chez nous. Elle s’est même installée dans nos têtes. Elle a envahi nos rues et nos places. Elle s’est tellement approchée de nos cœurs qu’elle nous empêche de visiter et d’embrasser nos proches. Son nom est devenu le sceau indépassable de l’année en cours Et cette horreur est nommée partout.

À la télévision déjà dès que nous l’allumons, sur les affiches apposées sur les vitrines des magasins d’alimentation et les autres magasins fermés, dans les transports en communs qui fonctionnent au ralenti, dans les courriels que nous recevons à propos de n’importe quel sujet.

Sa dénomination et sa signature sont omniprésentes quel que soit l’endroit où nous nous trouvons. Chez nous en particulier, là où chacun d’entre nous doit s’isoler du monde extérieur. Dans notre salle de bains où nous nous savonnons les mains vingt fois par jour, dans nos cuisines où nous bichonnons nos légumes en les épluchant mieux que d’habitude, dans nos jardins où nous passons plus de temps que de coutume, dans nos têtes où son nom résonne en écho… Nous nous rendons compte définitivement qu’il ne s’agit pas d’un film de science-fiction mais d’une réalité que nous vivons jour après jour sans possibilité pour nous de nous en extraire.

Hier soir, je me suis endormi habité de pied en cap par une angoisse poisseuse qui me collait à la peau. Ce matin, en me réveillant, je me suis pris par la main et me suis convaincu que ces péripéties fantasmagoriques sont le lot quotidien d’une bonne partie de femmes et d’hommes anémiés qui vivent une vie branlante et boiteuse.

C’est précisément ce que l’humanité, dans sa composante le plus fragile, vit depuis toujours. Et la seule question qui se pose dorénavant, c’est comment retourner après ça à notre confort habituel, à notre nonchalance méprisante et à notre dédain légendaire ?

Auteur
Kamel Bencheikh, écrivain

 




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