Depuis deux jours je suis bouleversé, même dévasté, par le réquisitoire de 10 ans à l’encontre de Boualem Sansal. Je ressens une profonde rage envers ceux qui se réjouissent de ce réquisitoire et qui se revendiquent humanistes et démocrates. C’est à eux que je m’adresse
L’humanisme, la démocratie et l’Etat de droit ne s’identifient pas aux actions de brandir des drapeaux, de chanter un hymne ou d’étaler son amour pour un pays.
Si vous n’avez pas compris que la démocratie et l’esprit libéral acceptent jusqu’au fait qu’on n’aime pas son pays et qu’on le dénigre, c’est que vous n’avez aucune compréhension des exigences de ce que vous revendiquez. Cela veut dire qu’ils ne vous sont pas accessibles.
Comment identifier les sentiments et la morale, les interpréter juridiquement ou philosophiquement et les condamner ? Moi, je ne sais pas lire ce qui est dans les âmes et je m’interdis de les juger et de les condamner. Les sentiments comme l’amour et la morale sont hors du droit. Heureusement !
C’est le fascisme qui prétend la légitimité de ce droit à les contrôler et condamner. Imagineriez-vous et accepteriez-vous qu’on vous brandisse le glaive de la loi s’ils estiment qu’ils ne sont pas conformes à une doctrine politique ou à une imposition sociale ?
Je m’interdis de dire si Boulam Sansal aime ou non son pays. Même s’il l’affirmait lui-même je ne peux être sûr d’un sentiment qui serait le fruit d’une colère ou d’une provocation volontaire d’un esprit libre. Qu’il l’aime en le dissimulant ou qu’il le déteste en le déclarant, c’est une liberté de sentiment qu’il n’appartient à personne de juger.
Boualem Sensal est Algérien, il a un lien juridique avec un pays, c’est cela la définition juridique d’une nationalité (c’est réellement la définition). Ce n’est ni un sentiment ni une parole. Boualem Sansal par ce lien juridique a tous les attributs de ce qu’on appelle la personnalité juridique, c’est-à-dire bénéficier de droits et assumer des obligations.
Le sentiment et le ressenti ne sont ni dans l’un ni dans l’autre mais dans les principes fondamentaux du droit. Où qu’il soit dans le monde, il transporte sa personnalité juridique puisqu’elle lui est attachée.
Si on condamne un citoyen libre (le mot citoyen renvoie à la définition de la nationalité), de surcroît lorsqu’il a 80 ans et malade, c’est qu’on est dans une dimension autre que celle de l’humanisme et de la démocratie. On est dans le monde du sordide fascisme et de la terreur.
Je ne dénie à Boualem Sansal ni sa nationalité au sens juridique ni ses sentiment au sens de l’intime. J’ai passé ma vie à essayer d’atteindre le haut de la montagne de l’humanisme et de la démocratie. Il est prétentieux de penser que j’y suis arrivé, j’en suis certainement assez loin encore. Mais il est sûr que j’ai choisi de prendre le bon chemin pour essayer d’y parvenir. Et c’est très difficile, très contraignent et souvent incompréhensible d’accepter leurs règles.
On a souvent envie de s’en dérouter car beaucoup de tentations du diable nous poussent à le faire dans certains cas. Il faut avoir la force de résister.
Boualem Sansal, je l’ai très durement critiqué pour la bêtise de son comportement et dans la stratégie qu’il a choisie. Mais je n’ai aucun droit de lui interdire sa nationalité et de juger son amour du pays ou sa détestation.
C’est vrai qu’il n’a pas choisi la stratégie de les vivre en silence dans le cercle de ses relations privées. En cela, puisqu’il a choisi d’aller sur le terrain de la déclaration publique, alors il m’est légitime de dire mon accusation publique de sa stratégie dans ce journal.
Son positionnement dans le champ de l’expression publique m’en donne le droit sans qu’on puisse m’accuser de hurler avec la meute. Je m’interdis de tomber dans le piège qui consisterait à m’enfermer dans le dilemme, ou le silence ou rejoindre la meute.
Boualem, bon courage car tu traverses un moment très difficile, c’est dans leur nature de ne se positionner que dans le mal qu’ils font, ce qui leur procure un sentiment de jouissance infini.
Je n’ai lu aucun de tes livres mais est-on obligé de le faire lorsqu’on est algérien et qu’on te soutient ? Et comme à chaque fois, depuis tant d’années, que j’exprime ma solidarité envers ceux qui sont brimés par ce monstrueux régime, je leur demande pardon pour n’avoir aucune capacité de les en sortir.
Je n’ai que la force de mes idées et du clavier d’ordinateur, ce n’est pas grand-chose pour te libérer. Pardon !
Boumediene Sid Lakhdar
Je ne sais pas pourquoi il merite plus d’attention d’Octets que les 100aines d’autres derriere les barreaux. mais je vais t’envoyer un mouchoir tout de meme…