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Arabisation à tout-va : un étranger dans son propre pays !

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Le président de la FAF.
La FAF adopte l'arabisation totale de ses moyens de communication et de diffusion.

La Fédération algérienne de football vient de bannir le français dans ses documents officiels. Voilà un autre fragment de la muraille qui s’effondre pour moi. Je ne peux pratiquement plus lire ni comprendre, chaque jour davantage, les moindres faits ou documents de mon pays natal.

Il me faudrait un traducteur pour y vivre comme nous l’étions pour nos grands-parents qui étaient à cette époque des illettrés malgré eux. La différence est que, nous, nous sommes allés à l’école. J’écoute le journal télévisé, je ne comprends pas. J’écoute un discours, il est aussi opaque pour moi que si j’étais en voyage à l’étranger. Et les exemples ne manquent pas pour me signifier en permanence que je suis devenu un étranger dans mon pays. 

L’effet est absolument le même lorsqu’on réside à l’étranger car le contact avec mon pays est naturellement constant, par les médias, par les amis et en ce qui me concerne, par mon Algéroise. Certains m’accusent de parler en espagnol avec elle. Je plaide non coupable, je sais à peu près bien le parler mais elle, absolument pas sinon pour négocier les prix. 

On me répond à chaque fois, ce sera probablement la même chose si mon interlocuteur était la FAF, c’est la langue nationale inscrite dans notre constitution. Je cours la lire et je lis effectivement dans son art. 3. — L’arabe est la langue nationale et officielle. 

Mais cela, je le sais, je parle arabe depuis ma tendre jeunesse. Je ne comprends pourtant pas celle qu’on me dit être langue nationale et officielle, ni dans sa lecture, ni dans son prononcé. Ou alors, peut-être, on m’aurait caché que mes grands-parents et parents étaient des Suédois. Il faut parfois cacher certaines vérités aux enfants. 

Que dire en plus de nos compatriotes berbérophones qui, eux, sont garantis par l’article 4 de la constitution qui nous dit que  tamazight est également langue nationale et officielle. Moi je suis exclu de la constitution mais eux devraient théoriquement bénéficier de la lecture de documents avec une langue reconnue comme nationale et officielle. 

Tu es coupable me dit-on également, c’est de ta faute de ne pas savoir la langue arabe classique. Je plaide coupable d’être né en 1955 dans une Algérie sous administration française. Mes parents sont coupables car ils m’ont obligé à aller à l’école où le français était au programme. Que voulez-vous, on ne peut pas choisir ses parents qui se rendent coupables d’avoir scolarisé leurs enfants.

J’ai été coupable en 1962, à l’âge de sept ans, d’avoir continué l’infamie avec une scolarisation en français. Je suis coupable des accords d’Evian qui ont permis aux professeurs français de continuer à enseigner dans mon pays. Je suis coupable des accords de coopération et n’avoir eu qu’un seul professeur algérien, en classe de terminale. Pas de chance, l’unique que j’avais eu était lui également aussi coupable que moi de ne connaître que la langue du colon.

On me rappelle toujours à ma supposée mauvaise foi car j’oublierais que des professeurs d’arabe, nous en avions eu par centaines. Ils étaient venus de pays lointains qui eux-mêmes étaient à cette époque empêtrés dans leur recherche identitaire postcoloniale.

Je ne sais pas comment ils les avaient choisis mais là, mes chers amis, je ne plaiderai pas coupable même avec la menace de me faire arracher la langue. Je laisse témoigner à ma place les algériens de ma génération. Attention, permettez-leur un traducteur car ils sont aussi étrangers à l’arabe classique que moi au chinois.

Ces professeurs nous regardaient avec les yeux du reproche et nous disaient, nous sommes venus pour vous remettre dans le droit chemin de vos racines (absolument incroyable mais incroyablement véridique, au mot près). Mes chers lecteurs, nous aurions dû avoir un GPS pour retrouver ce chemin.

Voilà comment on s’est senti progressivement reclus au statut d’étranger. Car qu’est une personne qui ne comprend pas la langue officielle de son pays sinon un étranger, ce que nous dit le dictionnaire.

Que doit-on faire ? Accepter l’exclusion de notre nationalité algérienne, le bannissement du pays ou nous emprisonner pour des cours obligatoires ? À nos âges, il faut inventer une période d’incarcération plus longue que la perpétuité car il y a du boulot.

Si nous revenions à la décision de la FAF, il me reste encore un souffle de force pour lui faire une explication de texte de la constitution. L’article 3 parle de la langue arabe nationale et officielle.

J’ai dû ne rien comprendre au cours de droit constitutionnel pendant mes études. C’est peu probable car c’était dans la même langue étrangère que la mienne. Les qualificatifs, nationale et officielle, ne concernent que les actes des autorités administratives et les discours politiques publics. Ainsi que tout ce qui dépend directement des prérogatives de l’état comme les programmes scolaires.

Or, la FAF est une association de droit privé de type association. Elle est certes reconnue d’utilité publique, notamment par la loi n°12-06 du 12 janvier 2012 relative aux associations, ce qui justifie et légitime un financement de l’Etat à ce titre. Mais elle reste une entité de droit privé.

Aucune disposition de la Constitution algérienne ne l’obligeait à supprimer le français comme langue d’usage en même temps que la langue arabe classique. Ou alors vouloir avec acharnement notre déchéance de nationalité, notre exclusion de notre pays. C’est un souhait aussi contestable qu’impossible car on n’arrache pas un citoyen du lien avec sa terre natale. On peut le faire souffrir seulement, c’est ce qui est acté depuis longtemps déjà pour cette histoire de communication. Personne autant que moi ne peut ressentir cette terrible colère de ne pas comprendre l’expression écrite et orale de son pays natal.

Cet acte n’était donc pas obligé de la part de la FAF. Je souhaite qu’elle me respecte car le français est une langue d’usage, la seule que je puisse encore comprendre. Est-ce ma faute si l’arabe de chez nous n’a pas été choisi. Dans ce dernier cas, nous aurions été d’excellents citoyens pour la FAF. 

Je fais un appel vibrant au secrétaire national de cette organisation en le suppliant d’attendre notre mort avant de bannir la langue française comme seconde langue dans les documents. Ma génération est la dernière à compter en son sein des algériens exclusivement francophones si on exclut l’arabe courant national.

Ayez la décence de patienter jusqu’à ce moment. En attendant je m’accroche à ma citoyenneté algérienne, en dehors des proches, avec le seul outil de communication qu’il me reste, ce journal francophone. 

Et je l’en remercie.

Boumediene Sid Lakhdar

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Cheikh Khaled Bentounès : figure marquante du soufisme, défenseur du dialogue interculturel

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Cheikh Khaled Bentounsi

Cheikh Khaled Bentounès est une figure respectée du soufisme contemporain et un fervent défenseur de la paix. Né à Mostaganem, en Algérie, il est le guide spirituel de la confrérie soufie Alâwiyya, fondée par son ancêtre Cheikh Ahmad al-Alawi. Cette confrérie est reconnue pour son approche spirituelle centrée sur l’amour, la tolérance et la quête intérieure.


Cheikh Bentounès a joué un rôle déterminant dans la promotion de la paix à l’échelle mondiale. Il est l’initiateur de la Journée Internationale du Vivre Ensemble en Paix, adoptée par l’ONU, qui vise à encourager la coexistence harmonieuse entre les peuples. Il a également fondé les Scouts Musulmans de France, une organisation qui promeut les valeurs de respect, de solidarité et de citoyenneté auprès des jeunes.

Son engagement dépasse les frontières religieuses. Il a participé à de nombreuses rencontres internationales, notamment les rencontres d’Assise, où il a plaidé pour un dialogue entre les traditions spirituelles. Il a aussi créé l’association Terre d’Europe pour renforcer les liens entre l’Islam et le monde occidental, et il est l’un des fondateurs du Conseil Français du Culte Musulman.

Cheikh Bentounès met l’accent sur une spiritualité universelle, accessible à tous, indépendamment des croyances religieuses. Pour lui, la spiritualité est un moyen de surmonter les divisions et de construire une société basée sur la dignité humaine et la fraternité. Son enseignement est profondément enraciné dans les valeurs soufies, qui prônent la méditation, l’amour divin et le service à autrui.

En tant qu’écrivain, il a publié plusieurs ouvrages sur la spiritualité, la paix et le vivre ensemble. Ses écrits invitent à réfléchir sur notre rôle dans le monde et à adopter une attitude de compassion et de responsabilité. Cheikh Bentounès incarne une vision d’un Islam ouvert, inclusif et tourné vers l’avenir, et son travail continue d’inspirer des milliers de personnes à travers le monde.

Cheikh Bentounès est reconnu pour son travail en faveur de la paix. Il est l’initiateur de la Journée Internationale du Vivre Ensemble en Paix, adoptée par l’ONU, et continue de promouvoir une culture de coexistence pacifique.

Il a participé à de nombreuses rencontres internationales et fondé des associations, comme Terre d’Europe, pour renforcer le dialogue entre les cultures et religions, et il œuvre pour une meilleure compréhension de l’Islam en France.

Convaincu que l’éducation est un outil puissant pour un avenir pacifique, il a fondé les Scouts Musulmans de France pour inculquer aux jeunes des valeurs de respect et de solidarité.

Son enseignement soufi est basé sur une spiritualité accessible à tous, sans distinction de croyances religieuses, et cherche à éveiller une conscience intérieure et à promouvoir des valeurs de fraternité et d’amour.

Cheikh Bentounès plaide également pour une approche spirituelle de la protection de l’environnement, soulignant l’importance de vivre en harmonie avec la nature.

Cheikh Bentounès a eu un impact profond dans plusieurs domaines, notamment la spiritualité, la paix mondiale, et le dialogue interculturel. Son influence est reconnue à travers diverses distinctions, et son travail continue d’inspirer des initiatives locales et internationales pour construire un monde plus pacifique et inclusif.

Cheikh Khaled Bentounès, en tant que guide spirituel, humaniste et défenseur de la paix, est une figure de grande influence dans le monde du soufisme et au-delà. À travers ses initiatives, telles que la Journée Internationale du Vivre Ensemble en Paix, il incarne une vision d’un islam ouvert, inclusif et profondément ancré dans les valeurs de fraternité et de coexistence. Son enseignement spirituel, centré sur l’universalité et l’harmonie, a inspiré des milliers de personnes à travers le monde.

Dans cet entretien, nous explorons les sources de son engagement et les aspirations qui nourrissent sa vision d’un avenir fondé sur la paix, l’unité et une spiritualité partagée.

Le Matin d’Algérie : Qu’est-ce qui vous a conduit à devenir le guide spirituel de la confrérie soufie Alâwiyya, et comment cette responsabilité a-t-elle influencé votre vie ?

Cheikh Khaled Bentounes : Né à Mostaganem, en Algérie, dans un milieu soufi, j’ai d’abord fui cet héritage spirituel en partant étudier en Europe, puis en menant une vie mondaine à Paris, entre contestation et mode. Mais en 1975, à la mort de mon père, le Cheikh Hadj al-Mahdi Bentounes, les sages de la confrérie m’ont désigné comme successeur. D’abord réfractaire, j’ai vécu une profonde crise intérieure avant d’accepter cette mission. Ce retour à la spiritualité a marqué le début d’une transformation : ce qui était un héritage intellectuel est devenu une initiation vivante, révélant une sagesse profonde et accessible à qui sait la reconnaître.

Le Matin d’Algérie : Quelles étaient vos motivations pour initier La Journée Internationale du Vivre Ensemble en Paix, et quel impact espérez-vous qu’elle ait sur les générations futures ?

Cheikh Khaled Bentounes : Face à la montée des conflits, de l’extrémisme violent, de la haine et de la méfiance entre peuples, cultures et religions, la communauté internationale est confrontée à une urgence : construire une paix durable par le dialogue, la tolérance et la reconnaissance mutuelle. L’absence de compréhension entre civilisations alimente l’exclusion, le repli sur soi et les discriminations, menaçant la cohésion mondiale.
C’est dans ce contexte que le concept de la Journée Internationale du Vivre Ensemble en Paix a émergé comme réponse pour dépasser ces fractures. Il vise à créer du lien, encourager la fraternité, la solidarité, et reconnaître la richesse des différences dans un esprit de coexistence pacifique.

Initiée en 2014 lors du congrès international Féminin, Parole aux femmes, à Oran, l’idée a été soutenue par des ONG, des personnalités engagées et des institutions internationales, jusqu’à être portée à l’ONU avec le concours de la diplomatie de l’Algérie. Cette journée internationale a été pensée comme un outil symbolique et pratique pour mobiliser chaque année les États et les citoyens autour des valeurs de paix, d’unité et de respect mutuel, afin de prévenir les radicalisations et promouvoir une humanité réconciliée.
Cette Journée a été adoptée par la Résolution A/RES/72/130 à l’unanimité des 193 États Membres des Nations Unies, le 8 décembre 2017.

Le Matin d’Algérie : Selon vous, quels sont les principaux défis et opportunités du dialogue interreligieux dans le monde d’aujourd’hui ?

Cheikh Khaled Bentounes : Le but ultime de tout être humain conscient est de vivre en paix et en sécurité, dans le respect des différences. Pour y parvenir, le dialogue interculturel et interreligieux est une voie essentielle : il permet de dépasser les clivages, de mieux se comprendre et de s’encourager mutuellement vers le bien. La Parole divine nous y invite clairement. Le Coran dit :
ٰﯾَٓﺄَﯾﱡﮭَﺎ ٱﻟﻨﱠﺎسُ إِﻧﱠﺎ ﺧَﻠَﻘْٰﻨَﻜُﻢ ﻣِّﻦ ذَﻛَﺮٍ وَأُﻧﺜَٰﻰ وَﺟَﻌَﻠْٰﻨَﻜُﻢْ ﺷُﻌُﻮﺑًﺎ
وَﻗَﺒَﺎٓﺋِﻞَ ﻟِﺘَﻌَﺎرَﻓُﻮٓا۟ إِ ﱠن أَﻛْﺮَﻣَﻜُﻢْ ﻋِﻨﺪَ ٱ ﱠِÜ أَﺗْﻘَٰﯨﻜُﻢْ إِ ﱠن ٱ ﱠَÜ ﻋَﻠِﯿﻢٌ ﺧَﺒِﯿﺮٌ
Ô hommes ! Nous vous avons créés d’un mâle et d’une femelle, et Nous avons fait de vous des nations et des tribus pour que vous vous entre-connaissiez. Le plus noble d’entre vous, auprès d’Allah, est le plus pieux. (Coran 49:13) Ce verset nous rappelle que la diversité n’est pas une menace, mais une richesse voulue par Dieu pour favoriser la connaissance de l’autre.
De même, il est dit :
وَﻟَﻮْ ﺷَﺎٓءَ ٱ ﱠُÜ ﻟَﺠَﻌَﻠَﻜُﻢْ أُ ﱠﻣﺔً ٰوَﺣِﺪَةً وَٰﻟَﻜِﻦ ﻟِّﯿَﺒْﻠُﻮَﻛُﻢْ ﻓِﻰ ﻣَﺎٓ ءَاﺗَٰﯨﻜُﻢْ
ﻓَﭑﺳْﺘَﺒِﻘُﻮا۟ ٱﻟْﺨَﯿْٰﺮَتِ إِﻟَﻰ ٱ ﱠِÜ ﻣَﺮْﺟِﻌُﻜُﻢْ ﺟَﻤِﯿﻌًﺎ ﻓَﯿُﻨَﺒِّﺌُﻜُﻢ ﺑِﻤَﺎ ﻛُﻨﺘُﻢْ
ﻓِﯿﮫِ ﺗَﺨْﺘَﻠِﻔُﻮنَ

Si Dieu avait voulu, Il aurait fait de vous une seule communauté. Mais Il veut vous éprouver en ce qu’Il vous donne. Concurrencez donc dans les bonnes œuvres. (Coran 5:48)

Cela nous enseigne que nos différences ne doivent pas nous diviser, mais plutôt nous pousser à œuvrer ensemble pour le bien commun. En somme, il ne s’agit pas de s’opposer, mais de dialoguer. C’est dans cette reconnaissance mutuelle que réside la clé d’une humanité réconciliée, fidèle à l’esprit de paix que prône le message divin.

Le Matin d’Algérie : Comment le soufisme peut-il répondre aux besoins spirituels des individus dans une société moderne et souvent matérialiste ?

Cheikh Khaled Bentounes : On vient au soufisme lorsque naît en nous un besoin profond de sens, de spiritualité et de compassion. Mais cette quête ne se limite pas à une simple recherche intérieure : elle tend à réconcilier l’humain avec sa véritable nature. Car avant d’être croyant, savant ou même pratiquant, il s’agit d’être humain. Et l’humanité n’est pas un simple état, c’est une qualité qui se cultive.

L’homme, comme tout être vivant, naît, grandit et agit. Mais l’humanité — cette capacité à aimer, à comprendre, à servir — se construit. Elle se forge dans l’expérience, à travers les épreuves, la patience, les échecs et les sacrifices. C’est ce lent façonnement de l’âme qui, tel un artisan, polit la pierre brute jusqu’à la révéler dans sa beauté.

Notre époque, malheureusement, semble emprunter un autre chemin. L’ego y est érigé en modèle, le culte du « moi-je », du plus fort, du plus visible, s’impose comme norme. Dans ce contexte, méditer, prier, revenir à soi devient un acte de résistance. C’est une manière de retrouver l’essentiel, de se rappeler que la vie est précieuse, fragile, et qu’elle doit être vécue avec sens, conscience et responsabilité.

Et lorsque viendra le moment de quitter ce monde, que restera-t-il de nous ? L’empreinte que nous aurons laissée. Non pas celle de nos paroles, mais celle de nos actes. Une trace humaine, écologique, spirituelle. Une famille aimée, des enfants éduqués, un jardin planté, une paix semée. Ce que les autres diront de nous résumera tout : « Celui-là a fait le bien », ou bien « Celui-là a causé du tort ». Dans la voie soufie, la quête de Dieu n’est pas un isolement mystique.

Elle n’a de sens que si elle s’inscrit dans le lien, dans le partage, dans le service. Car chercher Dieu pour soi seul est une illusion. Le véritable chemin spirituel, c’est de se mettre au service du divin en chaque être, et non de se servir de Dieu pour nourrir son ego.
Celui qui vit cet amour avec sincérité devient un être profondément sociable. Tous ceux qui croisent son chemin ou entendent parler de lui l’estiment, parce que Dieu l’aime — et aussi parce que l’amour l’a transformé. Il devient doux, généreux, joyeux, honnête, humble et lumineux. Il est ennemi du mensonge et de toute forme de domination.

C’est dans cet esprit que le maître soufi Shakik al-Balkhi, décédé en l’an 165 de l’Hégire (782 AD), décrivait la dimension sociale de cette spiritualité : une élévation de l’âme qui se traduit concrètement dans la relation à l’autre. Quant à l’Envoyé de Dieu (ssp), d’après Ahmad b. Hanbal, quand on l’interrogea pour connaître la religion la plus aimée de Dieu, il répondit : « Le monothéisme primordial et indulgent ».

Le Matin d’Algérie : Vous parlez souvent de la nécessité de protéger la nature. Comment la spiritualité peut-elle contribuer à une prise de conscience écologique globale ?

Cheikh Khaled Bentounes : La spiritualité nous invite à prendre conscience des liens profonds qui nous unissent à la nature, et à reconnaître le miracle discret mais constant de ses bienfaits quotidiens.

Car la nature n’est ni une marchandise, ni une simple ressource à exploiter. Elle est notre mère nourricière, source de vie, d’équilibre, de beauté et d’inspiration. Elle nous offre la force, le réconfort et le rêve. La considérer uniquement à travers le prisme de l’utilité ou du profit revient à trahir notre lien originel avec elle. Il nous revient donc d’adopter une posture de gardiens responsables, et non de prédateurs insatiables. En nous plaçant en tant que gestionnaires conscients, nous comprenons que protéger la nature, c’est en réalité protéger notre propre avenir.

En observant la diversité infinie de ses formes, de ses rythmes et de ses cycles, se révèle un principe fondamental : celui de l’unité dans la diversité. Tout dans la nature est issu des mêmes éléments, recyclés dans une harmonie parfaite. L’économie de la nature est circulaire, sans gaspillage, sans déchet. Le Coran nous le rappelle dans un verset empreint de sagesse et d’humilité : أُﺧْﺮَٰى ﺗَﺎرَةً ﻧُﺨْﺮِﺟُﻜُﻢْ وَﻣِﻨْﮭَﺎ ﻧُﻌِﯿﺪُﻛُﻢْ وَﻓِﯿﮭَﺎ ﺧَﻠَﻘْٰﻨَﻜُﻢْ ﻣِﻨْﮭﺎ

C’est d’elle (la terre) que Nous vous avons créés, en elle Nous vous ferons retourner, et d’elle encore Nous vous ferons sortir une fois de plus. (Coran 20:55)

Ce rappel spirituel nous pousse à faire émerger une conscience écologique globale, fondée sur le respect et la préservation de la sacralité de la vie. Car en prenant soin de la Création, c’est aussi notre lien avec le Créateur que nous honorons.

Le Matin d’Algérie : Quels conseils donneriez-vous aux leaders et aux citoyens pour promouvoir la paix dans un monde marqué par les conflits et les divisions ?

Cheikh Khaled Bentounes : C’est en effet une grave question qui s’impose à nous aujourd’hui face à la gouvernance du monde. Je me sens bien modeste pour prétendre conseiller ceux qui dirigent les affaires planétaires. Pourtant, si l’on me demandait mon avis, je dirais que l’état actuel de notre planète devrait à lui seul suffire à nous alarmer.

Il est temps d’adopter une nouvelle approche : chercher, individuellement et collectivement, des remèdes et des solutions aux défis qui nous assaillent. La gravité de la situation nous invite à une profonde introspection.

Ce constat nous touche au plus intime de nous- mêmes. Il nous rappelle que l’humanité, avant d’être une appartenance à une culture, une religion ou une nation, est d’abord un état de conscience. Une conscience élargie devient indispensable pour faire face aux enjeux colossaux de notre époque – qu’ils soient sociaux, politiques, écologiques, climatiques, économiques ou spirituels.

Il nous faut une nouvelle vision, capable d’ouvrir en chacun de nous un espace où l’autre a pleinement droit à sa place et à sa dignité. Cette vision seule peut susciter une remise en question salutaire : de nos systèmes, de nos ambitions, de notre rapport au monde. Pour vivre et prospérer, notre société a besoin d’une orientation commune, d’un idéal fédérateur porteur de sens et de cohésion.

Alors, chacun pourra prendre conscience qu’il fait partie d’un tout, d’un même corps. Et qu’en œuvrant pour le bien commun, il agit aussi pour son propre avenir.

Le Matin d’Algérie : Selon vous, comment la spiritualité peut-elle contribuer à libérer les sociétés des inégalités et des divisions

Cheikh Khaled Bentounes : Sortir de notre inconscience est un facteur clé pour atteindre la paix avec soi, avec l’autre et avec le reste du vivant. En affirmant le choix de notre interdépendance et de nos responsabilités envers les autres êtres humains et envers la planète Terre, nous pouvons agir de manière plus éthique et plus respectueuse, favorisant ainsi la justice, l’égalité, la coopération. Cet effort impératif doit contribuer à réduire les tensions, les conflits et les violences. Il devient un guide vertueux universel pour promouvoir des décisions capitales qui préservent l’avenir des jeunes générations tout en nous réconciliant les uns avec les autres.

Le Matin d’Algérie : Avez-vous des projets en cours ou à venir ?

Cheikh Khaled Bentounes : Le projet est clair : sortir de la culture du « Je » pour entrer dans celle du « Nous ». Placer la paix au cœur des enseignements et des apprentissages — voilà l’objectif auquel je consacre aujourd’hui tous mes efforts et tout mon espoir. Car si nous aspirons sincèrement à la paix, alors nous devons investir pleinement dans sa construction.

Et pourtant, il n’existe aujourd’hui ni ministère, ni académie, ni université, ni école véritablement dédiée à cet enjeu, alors même que les conflits et les guerres s’intensifient partout dans le monde. C’est précisément pourquoi l’Éducation à la Culture de Paix, dès le plus jeune âge, est essentielle : elle porte en elle la promesse d’une nouvelle conscience.
Atteindre un état de paix durable implique de réfléchir en profondeur aux conséquences de nos choix — individuels et collectifs — et d’engager une transformation de nos comportements, de nos mentalités et de nos politiques, à tous les niveaux : local, national et global.

Comme le rappelle le préambule de l’Acte constitutif de l’UNESCO, adopté à Londres le 16 novembre 1945 : « Les guerres prenant naissance dans l’esprit des hommes, c’est dans l’esprit des hommes que doivent être élevées les défenses de la paix. »

La conscience humaine, siège de notre bien- être, peut devenir un levier puissant pour développer l’empathie, la tolérance, la coopération et une véritable économie de paix. Intégrer la complexité et la diversité des réalités sociales, culturelles et politiques nous aide à mieux comprendre les enjeux actuels, et à construire ensemble une culture qui valorise l’engagement citoyen et la participation active à un vivre-ensemble pacifique et équitable.
La Paix – Salam, à laquelle j’invite et consacre toute ma dévotion.

Le Matin d’Algérie : Un dernier mot peut- être ?

Cheikh Khaled Bentounes : Je souhaite que dans notre pays la Journée Internationale du Vivre Ensemble en paix soit célébrée le 16 mai de cette année dans les écoles et les universités afin que nos enfants puissent construire leur avenir l’un avec l’autre et pas l’un contre l’autre.

Dans le cadre de la célébration de la 8ème édition de la célébration de la JIVEP 2025, la Fondation Méditerranéenne du Développement Durable, Djanatu al Arif à Mostaganem, quant à elle organise un colloque international en partenariat avec la Fondation Konrad Adenauer sur le thème : Médiation et Culture du Vivre Ensemble en Paix.

Je voudrais féliciter l’Organisation Mondiale du Mouvement Scout qui a adopté la Résolution 2024-J « Vivre Ensemble en Paix » lors de sa 43ème Conférence Mondiale du Scoutisme, au Caire, 13-23 août 2024 et qui par cette action engage plus de 50 millions de jeunes scouts dans le monde.

Pour changer les choses, il faut investir en premier lieu dans l’éducation. L’éducation est un devoir sacré et nous ne pouvons fuir cette responsabilité vis-à-vis de nos enfants. Mettre nos savoirs, nos avoirs, nos connaissances et notre technologie en synergie au service du bien commun et de l’avenir. Agir ensemble pour la paix, le Vivre ensemble, la justice et la dignité. Chacun de nous est une cellule d’un même corps. Ce corps s’appelle Humanité.

Élaborée lors du colloque au Palais des Nations, la Déclaration de Genève pour l’Éducation à la Culture de Paix a été proclamée à l’occasion de la célébration de la 7ème édition de la Journée Internationale du Vivre Ensemble en Paix, le 16 mai 2024. Elle permet de rassembler toutes celles et ceux qui s’engagent dans la promotion de l’Éducation à la Culture de Paix dans les programmes scolaires.

Entretien réalisé par Brahim Saci

Liens

https://www.change.org/DeclarationGeneve

https://16mai.org/

www.cheikh-bentounes.com

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Ahmed Laabidi, alias Kafon, s’éteint à 42 ans : la Tunisie perd une voix de la rue

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Ahmed Laabidi, alias Kafon
Ahmed Laabidi, alias Kafon, s'en est allé.

La scène artistique tunisienne est en deuil. Le rappeur et acteur Ahmed Laabidi, plus connu sous le nom de Kafon, est décédé ce samedi 10 mai 2025, à l’âge de 42 ans, après une longue lutte contre la maladie.

Kafon s’était imposé comme une figure majeure du rap tunisien dès le début des années 2010. Son titre emblématique « Houmani », en collaboration avec Mohamed Amine Hamzaoui, avait propulsé sa carrière, devenant un hymne des quartiers populaires. D’autres morceaux marquants comme « Maâlich », « El Ayam », « Nheb N’galleâ », « 4070 » ou encore « Mahboula » ont consolidé sa place dans le paysage musical tunisien. Son dernier titre, « Snine », avait été publié il y a environ un mois.

Au-delà de la musique, Kafon avait également fait ses premiers pas au cinéma, affirmant sa polyvalence artistique. Il avait notamment participé à des séries télévisées telles que « Nouba », « Kan Ya Makanch » et les deux volets de « Rgouj ».

Ces dernières années, l’artiste avait affronté de graves problèmes de santé, qui ont conduit à l’amputation de ses deux jambes en 2017 et 2018. Malgré ces épreuves, il était parvenu à reprendre sa carrière artistique avec une détermination remarquable.

La nouvelle de son décès a provoqué une onde de choc dans les milieux artistiques et parmi ses nombreux admirateurs. De nombreuses personnalités culturelles ont rendu hommage à ce pionnier du rap et du reggae tunisien, saluant son courage, son authenticité et son apport indélébile à la culture locale.

Le décès de Kafon laisse un vide immense dans le paysage musical tunisien. Son engagement, sa voix singulière et son authenticité continueront d’inspirer les générations futures.

Djamal Guettala 

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Le festival Voyage au cœur de l’été : un carrefour vibrant des cultures à Amiens

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Du 2 au 27 juillet 2025, Amiens se transformera en un véritable carrefour culturel avec le Festival Voyage au cœur des cultures. Pendant près d’un mois, la ville résonnera au rythme des musiques du monde, des spectacles vivants et des saveurs exotiques, offrant aux visiteurs une immersion totale dans la diversité artistique et gastronomique internationale.

Fondé par l’Amiénois Yakoub Abdellatif, le Festival Voyage au cœur de l’été est né d’une véritable passion pour les cultures du monde et leur mise en lumière. Depuis ses débuts, son fondateur s’est entouré d’une équipe investie, partageant une même ambition, faire de cet événement un rendez-vous incontournable de la vie culturelle amiénoise. Amiens Métropole accompagne activement cette initiative, en apportant un soutien logistique déterminant et en mettant à disposition le Cloître Dewailly, un cadre prestigieux et symbolique où le festival se déploie chaque été. Cette synergie entre l’initiative citoyenne et l’appui institutionnel permet de proposer une programmation riche et accessible, mêlant musiques du monde, artisanat d’ailleurs et gastronomie traditionnelle, dans un esprit de rencontre et de partage interculturel.

Le festival incarne avant tout la vision humaniste et généreuse de Yakoub Abdellatif, amateur de musiques métissées et fervent défenseur des échanges humains. À travers cet événement, il propose aux habitants d’Amiens un “voyage immobile” : une plongée sensorielle dans la diversité culturelle planétaire. Pour concrétiser ce projet, il a su rassembler autour de lui une équipe plurielle de bénévoles et de professionnels issus d’horizons variés, unis par la volonté de valoriser les patrimoines culturels mondiaux tout en mettant en lumière les talents locaux. Artistes, artisans, cuisiniers, médiateurs culturels et techniciens conjuguent leurs savoir-faire pour offrir chaque année une édition chaleureuse, festive et ouverte à tous.

Si le festival repose avant tout sur un engagement citoyen fort, il bénéficie désormais du soutien structurant d’Amiens Métropole. La mise à disposition du Cloître Dewailly et l’apport logistique permettent une organisation fluide et une programmation ambitieuse. Ce partenariat entre initiative privée et accompagnement public garantit une large accessibilité, condition essentielle à l’inclusivité de l’événement. Par ailleurs, de nombreuses associations locales et structures culturelles contribuent à sa mise en œuvre, créant un véritable réseau de coopération autour du projet. La culture y devient un moteur de lien social, d’émancipation et de développement local.

L’une des spécificités du festival réside dans sa capacité à interagir avec les habitants. Certains événements sont pensés et co-organisés avec des communautés locales et diasporas amiénoises, ce qui renforce l’ancrage du festival dans son territoire tout en favorisant le dialogue interculturel. Ateliers créatifs, expositions collaboratives, repas partagés et échanges autour des traditions renforcent les liens entre les cultures représentées et le public. Cette dynamique participative permet au festival de se réinventer chaque année, tout en restant fidèle à son essence : promouvoir la diversité, encourager le dialogue et célébrer la richesse des cultures du monde.

Chaque été, Voyage au cœur de l’été transforme le centre d’Amiens en une scène ouverte sur le monde. Loin de se limiter à une simple programmation estivale, le festival se veut une vitrine vivante des patrimoines musicaux, artisanaux et culinaires, à travers des expériences immersives uniques. Le Cloître Dewailly, lieu historique et emblématique, devient l’épicentre d’un événement à la fois ancré dans le local et résolument tourné vers l’ailleurs. Portée par une organisation rigoureuse, chaque édition propose une nouvelle immersion sensorielle, avec des artistes, des artisans et des cuisiniers venus des cinq continents pour partager leur art et leur univers.

Au-delà du divertissement, le festival joue un rôle essentiel dans la valorisation de formes artistiques souvent peu représentées dans les grands circuits culturels : chants traditionnels, danses ancestrales, percussions tribales, gastronomie méconnue. Ce brassage culturel éveille la curiosité, ébranle les habitudes et invite à l’ouverture d’esprit. Il fait émerger une autre manière de vivre la culture : plus vivante, plus accessible, plus humaine.

Avec plusieurs milliers de visiteurs accueillis chaque année, le festival constitue aussi un levier de dynamisation économique pour Amiens. Il génère un afflux bénéfique pour les commerces de proximité, les restaurateurs, les hébergements, et crée des opportunités concrètes pour les exposants, artisans et créateurs. Ces derniers trouvent dans le festival une vitrine idéale pour élargir leur public, tester de nouveaux marchés ou développer leur activité. 

Mais son impact dépasse le cadre économique. Il est avant tout un espace de rencontres, où artistes, exposants et festivaliers interagissent de manière libre et spontanée. Cette ambiance conviviale et bienveillante renforce le lien social, valorise les différences et favorise une culture de la tolérance.

Le Festival Voyage au cœur de l’été n’est donc pas seulement un événement culturel, c’est une invitation à découvrir le monde autrement, une expérience immersive où les frontières s’effacent, laissant place à l’émerveillement, à la découverte et au partage. 

À travers cette initiative, Amiens affirme son attachement à une culture vivante, accessible et inclusive. Chaque été, le festival rappelle combien la rencontre avec l’autre enrichit notre regard sur le monde, et sur nous-mêmes.

Brahim Saci

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Origine et identité en Algérie, la grande confusion ! 

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Drapeau amazigh

Si un pays devait être comparé à un corps humain, le squelette serait l’équivalent de sa racine. La partie qui tient et contient les organes vitaux. Le facteur qu’on ne peut modifier. L’identité serait quant à elle, l’apparence extérieure.

Tout ce qu’on peut faire évoluer selon les vents qui soufflent,  l’air du temps, l’histoire et l’interaction avec ses contemporains. Par la guerre, ou par le commerce, le frottement avec l’Autre laisse des traces sur différents niveaux :  la langue, la croyance et même les habitudes alimentaires. L’origine est immuable quand l’identité est évolutive. 

L’origine n’est donc pas l’identité. L’origine est la racine. La combinaison espace-temps. La terre investie de l’ensemble des mythes et expériences partagée par un groupe précis sur un temps long. La résilience de la langue qui, même si elle varie, ne disparait pas. Le socle sur lequel se pose donc une nation, c’est la partie sur laquelle nous n’avons pas ou peu d’influence. On en hérite et on construit dessus. Telle une fondation  sans laquelle rien ne tiendrait debout. 

L’identité, à contrario, est souple. Elle est soumise aux rapports de force entre puissances de son temps.  Aux idées et choix idéologiques qu’elle adopte de force ou de gré. Aux croyances et religions qui la traversèrent. Aux langues qui sont adoptées ou recyclées. Ou tout simplement aux aléas nombreux qui poussent tout homme vers l’exil. Notre identité bouge et se transforme. Tantôt elle évolue en combinaison prospère, tantôt elle régresse quand elle se replie ou se renie. L’identité est quintessence d’une multitude d’éléments, et  l’origine   son essence. 

En Algérie, l’opinion ne différencie pas ces deux notions, d’où la dissonance qui en découle. L’Algérien confond ses origines avec son identité. Sa langue avec sa croyance. Son appartenance ethnique avec sa loyauté envers sa religion. L’idéologie avec la vérité absolue. Il faut avouer qu’on n’a absolument rien fait pour l’aider à clarifier des éléments de cohésion pourtant essentiels à la compréhension de son histoire. A sa survie même comme groupe homogène faisant nation. On le pousse constamment d’un extrême à l’autre. 

L’amazighité,  qui dès la guerre d’indépendance, fut abordée comme un élément de discorde entre révolutionnaires, continue d’être appréhendée sous le prisme confessionnel politisé ou celui de l’idéologie, par définition conjoncturelle. 

Panarabisme et négationnisme originel

Prenons le panarabisme qui s’est construit sur le mythe de l’union. A force d’homogénéisations forcées, il a fini par générer les causes de son propre effondrement. Antagoniste, négateur des différences, dictatorial et impulsif, il a tué la raison et la capacité de ses élites intellectuelles, à adapter leurs pays aux mutations de leur temps. A l’identité d’inclure les éléments qui la fécondent.

Imaginez un arbre planté à l’envers. La partie feuillue destinée à pousser et donner des fruits sous terre, et les racines à l’extérieur pour être taillées. C’est la nécrose assurée ! 

L’intelligence et le bon sens populaires ont été réduits à néant. La créativité criminalisée, et l’art en berne après qu’il fut influent et  universel. Semant la discorde et la frustration, cette idéologie a plus divisé qu’unifié. Pire, elle a transformé la diversité, source de richesse, en carte géostratégique dans les mains de ses ennemis. Intentant à ses propres intérêts territoriaux et sécuritaires. On ne compte plus les erreurs fatidiques, générées par la confusion entre identité et origines, ayant conduit à la fragmentation de la majorité des Etats se revendiquant du panarabisme. 

Aujourd’hui, avec les enregistrements fuités du président égyptien Jamal Abdel Nasser, on s’aperçoit que cette idéologie génératrice d’une identité artificielle, en plus d’être destructrice de l’individu et de ses libertés, s’est avérée également malhonnête intellectuellement et dissimulatrice quant à ses  intentions réelles et bilan. Que de temps perdu et de tergiversations coûteuses pour comprendre que l’opinion dite arabe a vécu de slogans creux et de mensonges.

Que les chocs frontaux n’étaient pas du courage, mais un manque de discernement, de moyens, et de préparation minutieuse. De simples précipitations suicidaires qui ont décimé des armées, ravagé des populations et morcelé des pays. 

La guerre, en plus d’être à multiples facettes, est un art que les  dirigeants nationalistes, n’ont pas su gérer. 

Islamisme et perdition identitaire

L’autre plaie qui crée confusion entre origine et identité, est l’islamisme. Sa conception supranationale du pouvoir. Son approche fascisante de la religion qu’il transforme en machine de guerre pour accéder au pouvoir. Son attachement au ciel et non à la terre. Ses principes prosélytiques transfrontaliers à l’allégeance, sinon floue, vénale et pathétique, ont réduit beaucoup d’Etats nations dits arabes en territoires-confettis dirigés par des émirs-parrains. En nids intégristes violents, où femmes et hommes de nationalités différentes s’octroient le droit de massacrer les populations de pays qui ne sont pas en conflit avec les leurs. Un droit de tuer mercenaire sous couvert religieux qui absout toute règle et frontières qu’elles soient d’ordre éthique, morale, juridique ou territoriale. 

Sous cet ordre fondamentaliste, les origines comme les identités se retrouvent menacées d’une uniformisation aliénante. D’autonégation de leurs propres cultures et langues. D’une atomisation fatale à tout particularisme. L’islamisme est l’un des visages contemporains du néolibéralisme débridé.

En préambule ou en queue des menées néocoloniales, il prépare ou conclut les prédations. Il ne couvre pas uniquement les corps des femmes d’un étendard à son idéologie pour éliminer toute trace visuelle de l’identité mère des peuples, il pulvérise la notion même de  nation.

Semant confusion entre langues et textes sacrés. Culture ancestrale et apostasie. Erigeant son propre temps calendaire d’avant et d’après l’ère de l’état séculaire post colonial dans les pays musulmans. Il est l’illustration même du « chaos constructif».  

Nous avons subi les deux idéologies. L’une après l’autre, puis en mode « pot pourri ». D’où cette négation et méconnaissance de soi. Une schizophrénie identitaire qu’on ne retrouve pas uniquement en Algérie, mais aussi en Egypte, au Liban, en Syrie et dans les pays du Sahel. Des pays qu’on a ramenés de la diversité féconde vers l’uniformité morbide par la force. 

Hirak, la voie oubliée ! 

Cinq années se sont écoulées depuis l’avènement du Hirak. Une éternité selon les valeurs de l’ère numérique et de l’intelligence artificielle. Un temps précieux qu’il aurait fallu davantage investir dans les réformes structurelles réclamées par le mouvement populaire. Dans la remise en question de notre modèle politique et des lois régissant la liberté d’expression. Or, il s’est passé exactement le contraire. On a bloqué toutes les issues d’expression de telle sorte que l’opinion locale se fabrique désormais à l’étranger. Par les blocs mainstream internationaux. Du Golfe arabe aux pays occidentaux. Ou pire au travers d’aventuriers mercenaires populistes et dangereux. 

Une presse aux ordres est un bras de défense collective saboté. Une alarme qui ne sonne plus. Un vivier de louanges qui aveugle davantage des responsables sans idées, au lieu de les mettre devant leurs responsabilités. Pourtant, il est moins hasardeux d’encaisser des opinions contraires chez soi, aussi désagréables soient-elles, que le rapt fatidique de son opinion publique, par des pays tiers.

Surenchérir sur les islamistes. Faire montre d’une orthopraxie encore plus exigüe que la leur, est non seulement un choix qui a déjà fait la preuve de sa faillite, mais il risque de nous conduire vers une autocratisation intégrale. 

Si le pays ne veut pas se transformer en arène taurine qu’on affole d’un simple chiffon, il doit faire de ces attaques médiatiques, des opportunités de débats et de réflexion. D’outils à détecter son talent d’Achille. D’occasions inespérées pour amorcer les réformes nécessaires dans les milieux sinistrés par l’ignorance, la médiocrité et la bigoterie. De l’école élémentaire à l’université gangrenée par les approches  intégristes.

La priorité doit aller à la connaissance académique sans aucune interférence confessionnelle. A libérer le champ de l’expression libre pour convaincre et non contraindre ou emprisonner. Bref sortir du tout répressif qui bouche les issues de la réflexion et des débats salvateurs. 

Donner carte blanche aux artistes et aux éditeurs afin de promouvoir la culture dans toute sa diversité et immensité. Réconcilier tout le peuple avec ses racines amazighes en explicitant l’enjeu d’unité et d’authenticité qui ancrent leurs pieds et renforce leur adhésion à la patrie. Traiter plus largement des siècles précédant l’histoire coloniale française, afin d’enraciner le pays dans sa géographie immédiate et sa profondeur civilisationnelle méditerranéenne. 

Enfin, l’amazighité n’est pas seulement une composante indiscutable de notre identité, elle en est le noyau. Si des parents ou des élèves refusent son apprentissage, ce n’est pas par mépris, mais par manque de pédagogie et de valorisation. L’Algérien pense la langue comme il pense sa citoyenneté qu’il juge incapable de répondre à ses besoins et espérances. Il lui préfère les autres langues européennes, jugées  plus utiles en cas d’exil. C’est du pragmatisme déguisé en nationalisme identitaire. 

Bref, toute acceptation pleine de nos origines amazighes, ne doit pas être appréhendée comme une menace pour la dimension arabophone inhérente à notre identité. Dans un pays de la taille de l’Algérie, la place des langues et autres croyances  ne sont pas une menace, mais une réalité qu’il faudra pleinement assumer et défendre. 

Myassa Messaoudi, écrivaine

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Soudan : des armes de pointe fournies par les Émirats arabes unis utilisées au Darfour

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Armes émiraties au Darfour

Une nouvelle enquête, rapporte Amnesty International, révèle que des armes chinoises de pointe fournies par les Émirats arabes unis enfreignent l’embargo sur les armes

Des armes chinoises sophistiquées, réexportées par les Émirats arabes unis, ont été interceptées à Khartoum, et utilisées au Darfour, en violation flagrante de l’embargo des Nations unies sur les armes, a déclaré Amnesty International au terme d’une nouvelle enquête.

En analysant des images et des vidéos montrant les répercussions d’attaques menées par les Forces d’appui rapide, Amnesty International a identifié des bombes guidées GB50A et des obusiers AH-4 de 155 mm de fabrication chinoise. C’est la première fois au monde qu’il est établi que des bombes GB50A ont été utilisées dans un conflit. Ces armes sont fabriquées par le groupe Norinco, également connu sous le nom de China North Industries Group Corporation Limited, une entreprise publique chinoise du secteur de la défense. Ces armes ont très certainement été réexportées au Soudan par les Émirats arabes unis.

« Il est manifeste que des bombes guidées et des obusiers sophistiqués de fabrication chinoise ont été utilisés au Soudan », a déclaré Brian Castner, responsable de la recherche sur les crises à Amnesty International.

La présence dans le Darfour du Nord de bombes chinoises de fabrication récente constitue une violation claire par les Émirats arabes unis de l’embargo sur les armesBrian Castner, responsable de la recherche sur les crises à Amnesty International.

« La présence dans le Darfour du Nord de bombes chinoises de fabrication récente constitue une violation claire par les Émirats arabes unis de l’embargo sur les armes. Les informations que nous avons recueillies sur la présence d’obusiers AH-4 à Khartoum viennent s’ajouter au nombre croissant d’éléments attestant que les Émirats arabes unis apportent un important soutien aux Forces d’appui rapide soudanaises, ce qui est contraire au droit international.

« Il est honteux que le Conseil de sécurité des Nations unies ne fasse pas respecter l’embargo sur les armes au Darfour, et ne tienne pas compte des appels à l’étendre à l’ensemble du Soudan. Des civil·e·s sont tués et blessés du fait de l’inaction mondiale, tandis que les Émirats arabes unis continuent de faire fi de l’embargo. Les Émirats doivent immédiatement cesser leurs transferts d’armes aux Forces d’appui rapide. Tant que cela ne sera pas le cas, les transferts internationaux d’armes vers les Émirats arabes unis doivent également être suspendus. »

La Chine, en sa qualité d’État partie au traité sur le commerce des armes, doit prendre des mesures urgentes pour empêcher le détournement d’armes vers le Soudan. En continuant à procurer de telles armes aux Émirats arabes unis – un État ayant l’habitude de fournir des armes dans des conflits où des crimes de guerre et des violations du droit international humanitaire sont régulièrement commis – la Chine risque de fournir indirectement des armes au conflit.

Les Émirats arabes unis, qui ont pourtant signé le traité sur le commerce des armes, ont systématiquement compromis son objet et sa finalité. Les autres États devraient cesser de transférer des armes aux Émirats arabes unis jusqu’à ce que ces derniers puissent garantir qu’aucune arme ne sera réexportée vers le Soudan ou vers d’autres destinations soumises à un embargo, et que toutes leurs atteintes passées aux embargos sur les armes décrétés par le Conseil de sécurité des Nations unies fassent l’objet d’une enquête approfondie et que leurs auteurs soient amenés à rendre des comptes.

L’an dernier, le rapport d’Amnesty International intitulé New Weapons Fuelling the Sudan Conflict a montré que des armes de fabrication récente provenant de pays tels que la Chine, la Russie, la Turquie et les Émirats arabes unis ont été transférées au Soudan et à l’intérieur du territoire, souvent en violation flagrante de l’embargo sur les armes en vigueur au Darfour. Amnesty International a également révélé que des systèmes d’armement fabriqués en France étaient utilisés sur le champ de bataille au Soudan.

Le 18 avril 2025, Amnesty International a envoyé des lettres au groupe Norinco concernant ses conclusions. Au moment de la publication du rapport, l’organisation n’avait pas reçu de réponse.

Armes au Darfour et à Khartoum

Dans la nuit du 9 mars 2025, les Forces d’appui rapide ont lancé une attaque de drone près de la ville d’al Malha dans le Darfour du Nord, visant probablement les Forces armées soudanaises. Les médias locaux et une organisation soudanaise de défense des droits humains ont indiqué que 13 personnes avaient été tuées et plusieurs autres blessées. Amnesty International s’est entretenue avec quatre membres de la famille de témoins de la frappe. Amnesty International n’a cependant pas pu recueillir les propos des témoins eux-mêmes car, selon leurs proches, il s’agissait de dirigeants communautaires ayant été pris pour cible et tués par les Forces d’appui rapide après leur capture d’al Malha. Amnesty International n’a pas été en mesure de confirmer cette information.

En analysant des images numériques des restes de la bombe utilisée lors de la frappe, Amnesty International a déterminé que ces fragments appartenaient à une bombe aérienne guidée Norinco GB50A. Des inscriptions présentes sur les fragments indiquent que cette bombe a été fabriquée en 2024. Ces bombes peuvent être larguées par divers drones chinois, notamment le Wing Loong II et le FeiHong-95, tous deux uniquement utilisés par les forces soudanaises de sécurité et fournis par les Émirats arabes unis.

Les fragments de bombes visibles sur les images présentent des ailerons et des supports distinctifs sur la queue, qui permettent d’identifier cette arme jusqu’alors jamais photographiée. Les inscriptions bien conservées correspondent également à des images de référence de la bombe GB50A, notamment la police, la couleur et le style des pochoirs.

Dans un autre cas, des vidéos diffusées sur les réseaux sociaux montrent les Forces armées soudanaises saisissant des armes laissées par les Forces d’appui rapide après qu’elles ont été contraintes de se retirer de Khartoum les 27 et 28 mars 2025. Amnesty International a déterminé que l’une des armes figurant dans la vidéo était un obusier Norinco AH-4 de 155 mm. Les Émirats arabes unis sont le seul pays au monde à avoir importé des obusiers AH-4 depuis la Chine. Le transfert a eu lieu en 2019, selon l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm.

Cela indique que les Émirats arabes unis continuent de soutenir les Forces d’appui rapide ; le Groupe d’experts des Nations unies sur le Soudan et d’autres rapports ont tiré des conclusions similaires. Amnesty International a précédemment fait état d’éléments prouvant que les Émirats arabes unis avaient enfreint l’embargo sur les armes, notamment lorsqu’ils ont agi de manière similaire en fournissant des drones Wing Loong en Libye.

Le groupe Norinco est tenu de respecter les droits humains dans l’ensemble de ses activités mondiales, ce qui l’oblige à observer le principe de diligence due en matière de droits humains tout au long de sa chaîne de valeur afin d’identifier, de prévenir et d’atténuer toute implication réelle ou potentielle dans le cadre de violations des droits fondamentaux. Norinco Group doit réexaminer en urgence toutes ses exportations d’armes, passées, présentes et futures, vers les Émirats arabes unis, et cesser ses exportations d’armes vers les Émirats arabes unis si ce pays continue à détourner des armes vers le Soudan.

Contexte

Le conflit entre les Forces armées soudanaises et les Forces d’appui rapide, qui s’est intensifié depuis avril 2023, continue de dévaster le Soudan. Des dizaines de milliers de personnes ont été tuées et de nombreuses autres blessées. Une enquête récente d’Amnesty International a révélé que les Forces d’appui rapide s’étaient rendues coupables de violences sexuelles généralisées – notamment de viols, de viols en réunion et d’esclavage sexuel – contre des femmes et des jeunes filles, ce qui constitue des crimes de guerre et de possibles crimes contre l’humanité. 

Amnesty International a par ailleurs lancé une pétition mondiale exhortant le Conseil de sécurité de l’ONU à étendre à tout le Soudan l’embargo sur les armes en vigueur au Darfour. Cela s’inscrit dans le cadre d’une campagne d’Amnesty International plaidant pour la protection des civil·e·s au Soudan et réclamant que les responsables d’atrocités commises contre des civil·e·s répondent de leurs actes.

A. I.

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Léon XIV : un pape missionnaire, héritier de Saint Augustin

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Saint Augustin
Saint Augustin à Annaba

À peine élu 267e évêque de Rome, le pape Léon XIV s’est présenté au monde avec des mots qui résonnent particulièrement fort pour l’Afrique du Nord. « Je suis un fils de Saint Augustin », a-t-il déclaré, depuis la loggia centrale de la basilique Saint-Pierre, devant une foule de plus de 100 000 fidèles.

Par cette simple phrase, Léon XIV a ancré son pontificat dans la lignée spirituelle du grand évêque d’Hippone, fils de Madaure, figure majeure née sur cette terre d’Afrique du Nord.

Dans le prolongement de cette référence, Léon XIV a tracé la ligne directrice de ce qu’il entend incarner : une Église missionnaire. « Nous devons chercher ensemble comment être une Église missionnaire », a-t-il lancé, invitant tous les catholiques à proclamer l’Évangile « sans crainte », en s’appuyant sur la certitude que « le Christ nous précède » et que « le monde a besoin de sa lumière ».

Né Robert Francis Prevost le 14 septembre 1955 à Chicago, le nouveau pape n’est pas un inconnu pour ceux qui suivent de près les affaires de l’Église. Entré chez les Augustiniens à 22 ans, il a été formé à la fois aux États-Unis, à Rome et surtout au Pérou, où il a longuement servi comme missionnaire.

De Chulucanas à Trujillo, il a cumulé responsabilités pastorales, formation de séminaristes et enseignement théologique. Cette longue expérience sud-américaine a façonné un homme profondément enraciné dans la réalité des périphéries, fidèle à l’esprit de son Ordre, celui de saint Augustin.

Prieur général des Augustiniens pendant plus de dix ans, puis évêque de Chiclayo, préfet du Dicastère pour les évêques et cardinal depuis 2023, Léon XIV a su conjuguer rigueur intellectuelle, proximité pastorale et sens du gouvernement. C’est d’ailleurs en espagnol qu’il a salué hier soir sa « querida diócesis » de Chiclayo, soulignant son attachement à ces terres de mission où il a tant œuvré.

Son élection résonne avec une intensité particulière pour l’Afrique du Nord, berceau de saint Augustin, fils de Madaure, l’un des plus grands docteurs de l’Église, dont la pensée irrigue encore la théologie contemporaine. En se réclamant « fils » de cet évêque d’Hippone, Léon XIV rappelle non seulement l’universalité de l’Église, mais aussi la richesse spirituelle de cette région, berceau du christianisme d’Afrique au temps de l’Antiquité.

Tout au long de son pontificat qui s’ouvre, l’Église universelle découvrira un pasteur façonné par le souffle missionnaire et l’héritage intellectuel augustinien. À Rome comme en Afrique du Nord, l’écho de cette filiation pourrait trouver un écho inattendu et fécond.

Djamal Guettala

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Pour comprendre l’impact des mesures tarifaires prises par les USA sur l’économie algérienne

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Importations

Mouloud Hedir du Cercle d’action et de réflexion pour l’entreprise (CARE) décrypte l’impact des mesures tarifaires prises par les USA sur l’économie algérienne.

Il est difficile d’évaluer correctement les décisions de politique commerciale externe que le président Trump a prises au début du mois d’Avril 2025, à raison aussi bien de l’ampleur des mesures annoncées, de l’imprévisibilité qu’elles introduisent dans le système commercial mondial et de la versatilité de leurs modalités de mise en œuvre. L’objet de la présente note de CARE est de tenter de comprendre cette nouvelle politique commerciale que les USA entendent promouvoir et, par là-même, d’en apprécier l’incidence à l’échelle de l’économie algérienne.

  1. De quoi s’agit-il ? 

Les USA ont décidé que le système commercial mondial, tel qu’il fonctionne actuellement, est largement défavorable à leur économie et qu’il contribue à la désindustrialisation de leur pays et à la fuite des activités et des emplois vers le reste du monde. A leurs yeux, cela se traduit par un déficit commercial structurel et croissant depuis de longues années, et qu’ils considèrent comme une menace à laquelle il convient de mettre fin, en optant pour les principales mesures suivantes :

  • L’application, à compter du 9 avril 2025, d’un tarif dit réciproque à l’ensemble des importations en provenance de pays avec lesquels ils sont en déficit commercial. Ce tarif oscille entre 11% et 50% selon les pays, tenant compte du niveau du déficit commercial bilatéral ;
  • Pour les autres pays avec lesquels les USA n’enregistrent pas de déficit commercial, un tarif minimal de 10% sera appliqué à compter du 5 avril 2025 ;
  • Tous ces nouveaux tarifs s’additionnent au tarif NPF (Nation la plus favorisée) qui était appliqué jusque-là aux importations US ; 
  • Une annexe 1 à la déclaration du président Trump du 2 avril 2005 définit les taux réciproques à appliquer à une liste de pays, avec pour chacun d’eux le taux additionnel correspondant. Une annexe 2 fixe une liste de produits (position tarifaire à 8 chiffres) qui sont, pour l’heure, non concernés par les mesures tarifaires ainsi énoncés. Parmi ces produits exclus figurent notamment les hydrocarbures ;
  • La déclaration ouvre la voie pour chaque pays concerné à une possible négociation bilatérale avec les USA, suggérant que les mesures prises puissent être levées en échange de concessions commerciales à définir au cas par cas ; 
  • Quelques jours après leur annonce, un moratoire de trois mois suspend l’application de ces mesures, mais gardant tout de même le tarif minimal supplémentaire de 10% applicable à tous les pays, en dehors de la Chine qui, elle, demeure sous sanction. Le moratoire est censé courir donc jusqu’au 9 juillet 2025.
  1. Qu’en est-il de l’argumentation de l’administration américaine justifiant les mesures tarifaires annoncées ?

Pour tranchantes et surprenantes qu’elles soient, les mesures tarifaires américaines étaient clairement affichées dans le programme électoral du président Trump et donc largement prévisibles. Quant à saisir leur motivation profonde, il suffit d’observer l’ampleur prise depuis de longues années déjà par le déficit global des échanges commerciaux de marchandises des USA. 

Evolution du Déficit Commercial des USA – 2005 à 2024 – Mds de $US
20052010201520202021202220232024
8346908139821 1811 3131 1531 295

La balance commerciale des USA est structurellement déficitaire depuis de longues années. Ce déficit s’aggrave, de plus, d’année en année. Le souhait de mettre un frein à ces déficits croissants est donc en soi un objectif raisonnable et qui peut parfaitement être entendu. 

Il reste cependant que la méthode utilisée, celle d’un ajustement brutal et systématique des tarifs appliqués sur tous les produits importés aux USA et avec l’ensemble des pays du monde, soulève de nombreuses questions. L’une de ces questions a trait à la légalité même du procédé utilisé.

  1. Quid de la légalité de cette ordonnance exécutive du Président Trump portant régulation des importations sur le sol américain ?

La constitution américaine prévoit, en son article premier, section 7, que « Tous projets de loi comportant la levée d’impôts émaneront de la Chambre des représentants ; mais le Sénat pourra proposer ou accepter des amendements à y apporter comme aux autres projets de loi ». De même, la section 8 du même article premier dispose que c’est le Congrès qui « aura le pouvoir : (…) – de réglementer le commerce avec les nations étrangères »

C’est pour contourner cet obstacle constitutionnel que l’ordonnance du Président Trump a invoqué la section §1701 du National Emergencies Act (NEA) des États-Unis qui prévoit que « Le président des États-Unis peut déclarer une urgence nationale lorsqu’il identifie une menace inhabituelle ou extraordinaire contre les États-Unis, ses territoires ou ses citoyens, qu’elle soit d’ordre militaire, économique, technologique ou autre ». Cette déclaration permet d’activer des pouvoirs exceptionnels », parmi lesquels, « la régulation des importations et des exportations », mais pouvant aller beaucoup plus loin, jusqu’au blocage des biens étrangers, à l’imposition des sanctions économiques, à l’interdiction d’entrée des étrangers, etc…

Si les pouvoirs reconnus au Président américain en situation d’urgence nationale concernent parfaitement le contrôle du commerce avec l’étranger, il est difficile en revanche de penser que la question des déficits de la balance commerciale soit assimilable à une « menace inhabituelle et extraordinaire contre les Etats-Unis ». Cela demeure encore plus malaisé à admettre quand on sait que le tarif douanier consolidé applicable aux importations fait partie d’un engagement international, dûment ratifié par le Congrès des Etats-Unis, dans le cadre de l’acceptation de leur statut de membre de l’OMC – Organisation mondiale du commerce, une institution boudée jusqu’ici mais de laquelle ces derniers ne se sont toujours pas retirés. Au demeurant, la Chine et le Canada ont même déposé une plainte officielle devant l’Organe de règlement des différends de l’OMC, pour contester les mesures ainsi décidées par l’administration US. 

C’est donc un véritable paradoxe que cette situation où les USA en sont arrivés à invoquer l’application par eux-mêmes de leur propre législation économique et commerciale comme une menace justifiant le recours à la déclaration d’une situation d’urgence nationale. 

Au total, il y a tout lieu de penser que les nouvelles mesures tarifaires donneront lieu à des contentieux multiples devant les tribunaux américains. Toutefois, comme de telles démarches légales sont par essence longues et fastidieuses, il est vraisemblable que, dans l’intervalle, de très nombreux partenaires commerciaux opteront pour la voie de la négociation, contribuant dans la pratique à une forme de remodelage, non encore clairement définie, du système commercial mondial, recherché par l’administration américaine. 

  1. Une puissante secousse qui ébranle l’économie mondiale

Les mesures tarifaires de l’administration Trump, par leur ampleur, leur brutalité et l’incertitude intrinsèque de leur mode de mise en œuvre contribuent à une désorganisation en profondeur des chaînes d’approvisionnement, qui menace le fonctionnement de l’économie mondiale dans son ensemble. Tout laisse à penser que le choc immédiat provoqué à la suite de l’annonce des nouvelles taxes douanières américaines va devoir se prolonger et, saut revirement, risque même de s’amplifier au cours des mois et sans doute des prochaines années :

* Certains partenaires commerciaux des USA ont annoncé des contre mesures de nature à affecter sérieusement les échanges avec ce pays. Les risques d’escalade sont réels, en particulier avec la Chine et, à un degré moindre, avec l’Union européenne, les deux économies les plus puissantes aux côtés de celle des USA ;

* La déclaration du président Trump du 02 avril 2025 en appelait à des négociations bilatérales directes avec chacun des partenaires concernés. Cependant, et même dans l’éventualité où un tel processus pourrait s’engager effectivement, l’ampleur d’une telle négociation touchant l’ensemble des produits du commerce US et l’ensemble des pays partenaires prendrait à minima plusieurs mois, une période durant laquelle l’impact sur la croissance de l’économie mondiale serait en tout état de cause incommensurable ;

A ce stade, l’imminence d’un véritable blocage de l’économie mondiale avec des effets récessifs pour tous les pays du monde, USA y compris, a conduit le président Trump à suspendre les mesures pour une période de trois mois les mesures tarifaires réciproques, conservant néanmoins le principe du tarif minimal additionnel de 10%. Néanmoins, cette suspension temporaire ne s’applique pas aux importations en provenance de la Chine, donnant ainsi lieu à une guerre commerciale ouverte entre les deux premières puissances économiques mondiales. 

Aussi, quand bien même le moratoire actuel aura été accueilli positivement sur les marchés, la menace d’une récession économique mondiale sévère reste donc plus que jamais présente. La chute importante et rapide des cours observable sur le marché pétrolier mondial est un des signes de cette menace de plus en plus palpable et de l’incertitude qu’elle fait peser sur l’état général de l’économie mondiale, au cours des prochains mois. 

  1. Une démarche tarifaire incohérente et hasardeuse de la part des USA  

Si, comme on l’a vu plus haut, la préoccupation du rétablissement d’un meilleur équilibre de ses échanges commerciaux avec le reste du monde peut paraître légitime, la démarche adoptée pour y parvenir paraît plutôt inadéquate et, à plusieurs égards, incohérente. En effet, même en passant outre les inévitables tensions inflationnistes sur le marché US, inhérentes à des coûts d’importation plus élevés, plusieurs questions demeurent posées :

i)- l’objectif affiché étant de stimuler la production sur le territoire américain de biens aujourd’hui importés, on aurait parfaitement compris que l’administration US se fixe des objectifs précis et particuliers en termes d’industries qu’elle considère comme stratégiques ou prioritaires à un titre ou un autre et qu’elle souhaiterait protéger de la concurrence externe. Mais le procédé consistant à imposer des tarifs additionnels systématiques sur la quasi-totalité des produits importés rend la démarche inutilement complexe et crée plus de problèmes qu’il n’est supposé en résoudre ;

ii)- De la même manière, le ciblage systématique de toutes les productions agricoles ne parait pas très rationnel : en quoi des tarifs douaniers plus élevés aideraient-il à stimuler la production aux USA du café brésilien, des épices de Madagascar, du cacao ivoirien ou des dattes algériennes ? 

iii)- la logique qui est à la base du niveau retenu pour les tarifs réciproques est en elle-même difficilement compréhensible. En quoi l’imposition d’un tarif réciproque additionnel de 50% sur les 242 millions de $US d’exportations du Lesotho, de 47% sur les 750 millions de $US de Madagascar, de 44% sur les 683 millions de $US du Myanmar serait-elle de nature à réduire les 1 265 Milliards de $US de déficit commercial américain enregistré en 2024 ?

iv)- dans la mesure où, sur le fond, c’est l’ouverture d’une négociation commerciale avec les pays à l’origine des déficits commerciaux US qui est recherchée, rien ne s’opposait dès le départ, à aller rechercher des compromis acceptables aux yeux de l’administration commerciale US avec ces mêmes pays, sans prendre le risque d’une récession mondiale et sans avoir à menacer inutilement autant de pays. 

Cela parait tellement évident quand on observe que 10 partenaires commerciaux (Chine ; UE ; Mexique ; Vietnam ; Taipei Chinois ; Canada ; Japon ; Corée ; Inde & Thaïlande) concentrent à eux seuls 97,4% du déficit commercial américain de l’année 2024. Observons du reste qu’une négociation sereine aurait été d’autant plus appropriée que, en dehors de la Chine, tous ces pays sont des alliés plus ou moins proches des USA, depuis longtemps.

Au final, c’est tout le projet ainsi porté par la nouvelle administration américaine qui semble hasardeux, dans sa conception comme dans son mode de mise en œuvre.

  1. Quel impact sur les exportations algériennes ? 

C’est la question essentielle qui nous interroge et nous intéresse, et sur laquelle CARE appelle à ouvrir le débat.

C’est bien connu, l’Algérie exporte essentiellement des produits hydrocarbures, en direction des Etats Unis d’Amérique – comme en direction du reste du monde, il faut le souligner. Les hydrocarbures représentaient quelque 82% de nos exportations vers ce pays, au cours de l’année 2024. Les autres 18% de produits hors hydrocarbures exportés sont principalement les engrais, les pneumatiques, les ciments et les aciers, soit dans l’ensemble des produits tous fortement énergivores. 

De ce point de vue, il est patent que, comme on l’observe déjà, ce sont les fortes perturbations générées à l’échelle de l’économie globale et leurs conséquences inévitables en termes de baisse des prix du baril de pétrole, qui constituent la principale source de préoccupation pour l’Algérie. 

Le principal risque pour l’économie algérienne est donc bel et bien celui d’une chute importante de la valeur de nos exportations non seulement vers les USA, mais également vers le reste du monde, résultat d’une évolution défavorable et d’ampleur du marché pétrolier mondial au cours des prochains mois ou même des prochaines années. 

6.2 – L’autre menace, plus directe quant à elle, est celle de l’incidence sur nos exportations futures vers le marché américain. Une taxe dite « réciproque » de 30% devait en principe être imposée aux exportations algériennes à compter du 9 avril 2025, censée corriger le déséquilibre des échanges tel que perçu par l’administration commerciale américaine. Ce qu’il faut retenir, à ce stade, ce sont deux éléments importants :

– d’une part, il apparaît que nos exportations d’hydrocarbures vers les USA ne sont pas concernées dans l’immédiat par cette taxe réciproque. Cela étant, il importe de garder à l’esprit que cette exemption n’est pas permanente, la déclaration des autorités américaines ayant laissé entendre que celle-ci pourrait être remise en cause à tout moment et au cas par cas si, selon elles, les partenaires commerciaux concernés n’assouplissaient pas, de leur côté, les conditions d’accès des produits US sur leur marché interne ;

– d’autre part, et à raison des turbulences importantes apparues sur les marchés mondiaux, la date de mise en application de la taxe réciproque de 30%, censée au départ démarrer le 9 avril 2025, a finalement été reportée pour une période de trois mois. Dans l’intervalle, les exportations en provenance du monde entier se verront appliquer la même taxe minimale uniforme de 10% à leur entrée sur le territoire américain. Si cette suspension des tarifs douaniers supplémentaires de 30% est bienvenue, il importe toutefois de ne pas perdre de vue qu’elle n’est que provisoire.

6.3 – Le tableau ci-dessous établit un point de situation sur le niveau de nos exportations à fin 2024 vers les USA et sur les conditions dans lesquelles l’accès de nos produits va devoir s’y opérer au cours des prochaines semaines et des prochains mois.

Point de Situation – Accès au Marché US pour les Exportations Algériennes
Code TarifaireProduitExportations en                    Millions de $USPart de marché Année 2024Tarif NPFTarif RéciproqueTarif Moratoire
202220232024Export DZImport USA
Tous Produits3 166,43 150,92 540,95,5%0,1%
271019Distillats1 844,71 865,31 745,063,7%4,9%5,25 cts/BlNonNon
270900Pétrole brut615,2530,8334,33,4%0,3%5,25 cts/BlNonNon
310210Urée175,9231,615717,3%11,5%0%30%10%
252329Ciment normal18,353,364,671,6%2,4%0%30%10%
721420Barres en aciers301,9285,853,560,6%31,9%0%55% (**)30% (**)
281410Ammoniac anhydre010,643,42,5%0,8%0%30%10%
721391Fil machine en aciers84,818,626,615,4%3,0%0%55% (**)15,5% (**)
280429Gaz rares0,7721,71,9%4,7%3,7% (*)NonNon
80410Dattes10,89,5157,2%12,1%13,2 ct/Kg30%10%
252321Ciments blancs06,814,332,3%2,4%0%30%10%
310280Nitrate d’ammonium010,713,799,6%1,3%0%30%10%
252310Ciments ‘clinkers’016,27,43,9%19,0%0%30%10%
271112Propane liquéfié15,406,20,0%0,0%0%NonNon
711292Déchets de platine0060,0%0,0%0%NonNon
401110Pneumatiques7,64,22,141,4%0,0%4% (*)55% (**)20% (**)
700529Feuilles en verre00,11,40,2%0,1%0%30%10%
310540Ammonium Phosphaté06,80,2100,0%1,1%0%30%10%
841459Ventilateurs0,200,211,6%0,0%0%30%10%
200570Olives000,10,0%0,0%5,4 cts/Kg30%10%
220210Eaux minérales0,10,20,11,2%0,0%0,2 cts/L30%10%
970610Objets d’antiquité000,10,0%0,0%0%30%10%
150930Huile d’olive vierge00,10,110,5%0,2%5 cts/Kg30%10%

Source: ITC & USTR – Harmonized Tariff Schedule, Revision 9, April 2025

Notes explicatives :

(*) – Les deux produits visés ici (pneumatiques et gaz rares) bénéficiaient en pratique de l’exemption de droits de douane (0%), au titre du SGP – Système Général des Préférences des USA

(**) – Depuis le 12 mars 2025, les USA avaient décidé d’appliquer un taux de droit de douane de 25% sur l’ensemble des produits en aciers et pour les intrants dans la fabrication des véhicules automobiles. Durant cette période moratoire, ce taux additionnel varie entre 5% et 20%, selon les produits ; il s’additionne au taux minimal de 10%

Tarif NPF (Nation la plus favorisée) : Tarif de base applicable aux importations US du produit concerné, hors mesures préférentielles

Tarif réciproque : Tarif applicable à titre de réciprocité aux pays avec lesquels les USA sont en déficit commercial. Dans le cas algérien, ce taux est de 30% : il devrait s’additionner au tarif NPF. L’application de ce tarif réciproque est suspendue pour trois mois (jusqu’au 9 juillet 2025), suite au moratoire annoncé par le président Trump, le 10 avril 2025. 

Tarif Moratoire : Suite au moratoire de trois mois, annoncé par l’administration US en date du 10 avril 2025, il a été retenu d’appliquer dans l’intervalle le taux minimal de 10% de droits de douane applicable à l’ensemble des importations et pour tous les pays du monde. 

6.4 – En résumé, la situation à ce stade est à appréhender comme suit :

– le sursis de trois mois pour l’entrée en application du tarif réciproque de 30% sur les exportations hors hydrocarbures de l’Algérie vers les USA est une forme de statuquo plutôt acceptable : le taux minimal de 10% étant imposé de la même manière à tous les pays du monde et les conditions de concurrence ne changeant donc pas, les entreprises exportatrices auront la possibilité de s’adapter, chacune selon ses possibilités ;

– la situation sera en revanche nettement plus grave à compter de juillet prochain (fin du moratoire), pour ces mêmes entreprises, aucune d’elles ne pouvant raisonnablement absorber un choc à la baisse de 30% ou plus sur les prix de leurs produits. Si ce taux réciproque venait à être appliqué effectivement et comme cela est prévu, c’est une chute sévère du niveau de nos exportations hors hydrocarbures à laquelle il faudra s’attendre, très vraisemblablement. Comme celles-ci commençaient tout juste à enregistrer un début de croissance plutôt très encourageant, la perte du marché US serait aussi regrettable que dommageable.

6.5 – Face au défi ainsi posé, à notre pays comme à une soixantaine d’autres à travers le monde, il est fondamental que ce temps de latence de trois mois qui nous est laissé soit mis à profit pour explorer les voies et moyens de le surmonter. En particulier, la voie quasi-obligée est celle d’une négociation à laquelle notre administration commerciale a certainement commencé de s’atteler dès à présent et d’en préparer les termes potentiels, de concert avec les entreprises concernées. 

Il faut souligner que l’administration américaine a publié un document qui recense les barrières commerciales aux exportations de produits US dans l’ensemble des pays du monde. L’examen et l’analyse des reproches, justifiés ou non, adressés en la matière à notre pays, devraient faire l’objet d’une attention particulière de nos administrations compétentes. C’est là, semble-t-il, l’approche pratique la plus appropriée de cette négociation.

  1. Quelle évolution possible au cours des prochains mois ?      

Suite aux premières semaines ayant suivi ce « Liberation Day » du Président Trump, force est de constater que c’est plutôt une vague de désordres qui a été libérée, faisant rentrer l’économie mondiale dans une zone de fortes turbulences : une situation dont on mesure mal comment elle va pouvoir évoluer au cours des prochains mois.

Une lecture optimiste de la situation laisserait envisager un possible revirement de la part des autorités américaines, face aux risques sérieux de déstabilisation de l’économie mondiale provoqués par leur politique tarifaire. Cependant, plusieurs éléments majeurs rendent une telle issue hautement improbable.

7.1 – Si toutes les mesures de défense commerciale qui viennent d’être prises en ce début du mois d’avril 2025 sont certainement mal calibrées dans leur conception comme dans leur formulation, il demeure que les difficultés objectives qui en sont à l’origine du point de vue US, à savoir un déficit commercial abyssal, une forte désindustrialisation, une perte de terrain lente mais inexorable face aux puissances émergentes et à la Chine en particulier, etc. 

Les attaques dirigées contre le système commercial mondial, dans son architecture actuelle, et singulièrement contre le système des règles de l’OMC datent de plusieurs années déjà, ils correspondent à des griefs partagés par les administrations américaines depuis une quinzaine d’années et qui font largement consensus dans les milieux politiques US. 

Il est donc vraisemblable que la contestation de l’ordre commercial actuel continuera d’être, pendant longtemps encore, au cœur de la politique commerciale externe des USA.

7.2 – Un des enjeux importants derrière cette guerre commerciale en cours a trait à la place du dollar US comme instrument principal des échanges internationaux et comme monnaie de réserve mondiale. Le système monétaire qui s’est mis en place depuis que le Président Nixon avait acté en 1971 le décrochage de la convertibilité dollar/or, a conféré à la monnaie américaine un rôle quasi-hégémonique dans la régulation des flux financiers et commerciaux mondiaux. 

D’une certaine façon, l’accumulation de déficits commerciaux massifs par les USA aura été une des contreparties inévitables de ce système et, au fil du temps, une des conditions de son équilibre. Et c’est cet équilibre qui semble maintenant contesté et remis en cause : les USA estiment en effet que ces déficits cumulés affaiblissent leur économie, tandis que, de leur côté, leurs partenaires économiques n’apprécient pas l’usage excessif qu’ils en font, que ce soit en finançant les déficits de leur commerce comme de leur budget ou travers les sanctions extraterritoriales qu’ils se sont donné potentiellement le droit d’appliquer à l’encontre de toute entreprise à travers le monde dont ils estiment qu’elle contrevient à telle ou telle règle de leur législation interne. 

Il est vraisemblable que la solution de cette équation monétaire sera partie intégrante du compromis qui devra solder, demain, la querelle commerciale actuelle.

7.3 – Le caractère erratique de la démarche des autorités américaines ne permet pas, en l’état actuel, d’entrevoir la voie de sortie qu’elles envisagent, ni la nature des compromis auxquels elles souhaitent parvenir par voie de négociation, ni encore moins la configuration du nouvel ordre commercial mondial qu’elles souhaitent voir mis sur pied. 

Le système commercial actuel, dit du GATT-OMC, conçu et bâti sous la houlette des Etats-Unis au sortir de la seconde guerre mondiale, a été longtemps contesté – en particulier par les pays en développement – et n’a été finalement adopté de manière quasi-unanime qu’en 1995 avec la création de l’OMC (Organisation mondiale du commerce). C’est cette organisation internationale qui administre toute une multitude d’accords régissant la presque totalité des échanges commerciaux internationaux. Alors que le reste du monde, développé et en développement, parait en être globalement satisfait (même si d’aucuns estiment utile d’en réformer le fonctionnement), les Etats-Unis ont choisi au contraire d’en perturber le fonctionnement, sans aller pourtant jusqu’à s’en retirer effectivement. 

Le fait est que, même si ces derniers figurent parmi les premiers acteurs commerciaux dans le monde, ils ne représentent que moins de 11% du total des échanges internationaux en 2024 et ils ne peuvent donc à eux seuls décider de ce que pourrait être, à l’avenir, l’architecture du système commercial mondial.

7.4 – Enfin, cela fait plus d’une dizaine d’années que les Etats-Unis ont commencé à engager des actions visant à contrarier la montée en puissance de l’économie chinoise et sa volonté affichée de devenir la première économie du monde à l’horizon 2049.  C’est là un des objectifs centraux qu’ils poursuivent explicitement au travers de la guerre commerciale qu’ils viennent de déclencher en ce mois d’avril 2025. Aussi, il n’est pas surprenant que ce soit entre ces deux puissances que la querelle prend de l’ampleur et s’intensifie, la Chine ayant été un des seuls pays à avoir réagi par des contre mesures significatives aux nouvelles taxes douanières américaines. 

Et, dans ces conditions, il y a tout lieu de penser que, même si un compromis négocié entre ces deux protagonistes devait être trouvé à bref délai, leurs différends commerciaux ne devraient pas s’estomper avant longtemps. 

  1. Eléments de conclusion, d’un point de vue algérien

i) – Quelles que soient les raisons qui ont amené les autorités américaines à ouvrir le champ de cette nouvelle guerre commerciale avec l’ensemble de leurs partenaires, il apparaît clairement que l’impact est à prendre au sérieux chez nous, aussi bien dans l’immédiat que dans la durée. La fermeture potentielle du marché américain pour nos entreprises n’est sans doute pas l’éventualité la plus probable, mais c’est une hypothèse qui ne peut pas être exclue totalement et qui, pour ces raisons, demande à être évaluée en profondeur, dès à présent.

ii) – Notre pays est, faut-il le rappeler, inscrit régulièrement sur la « watch-list » annuelle de l’administration commerciale US (l’USTR – United States Trade Représentative) à raison de certaines limitations touchant notamment aux droits de la propriété intellectuelle en général, des brevets pharmaceutiques en particulier. Le rapport annuel de cette même administration quant à la situation en matière de barrières commerciales dressées face aux exportations de produits américains pointe régulièrement, sans y porter d’appréciation, un certain nombre de restrictions au commerce imposées par la législation algérienne. Une évaluation formelle de ces observations de l’administration commerciale US semble requise, en même temps que des réponses possibles à y apporter.

iii) – Par ailleurs, et pour sévères que puissent être les restrictions que les USA projettent d’appliquer aux exportations algériennes, il reste que de nombreux pays africains sont encore plus durement impactés que le nôtre. Il serait sans doute utile de réfléchir à des initiatives à prendre à l’échelle des pays africains concernés, et des instances compétentes de l’Union Africaine, à l’effet de pouvoir engager de concert le dialogue avec la partie américaine.

iv) – Plus globalement, nul ne peut se prononcer à ce stade sur l’architecture future du système commercial mondial vers laquelle voudrait pousser la nouvelle politique commerciale externe des USA. Aussi, ce qui semble requis pour l’heure, c’est à minima un mécanisme de veille stratégique sur les implications potentielles que cette nouvelle situation pourrait induire sur les relations économiques et commerciales futures de notre pays, en particulier avec ses deux grands partenaires commerciaux que sont la Chine et l’Union européenne, tous deux déjà durement affectés à ce stade par les mesures tarifaires américaines. 

v) – Enfin, toutes ces turbulences qui traversent actuellement l’économie mondiale, avec notamment leurs effets délétères sur le prix du baril de pétrole, viennent nous rappeler une fois de plus à quel point, en ces temps agités, notre dépendance excessive à l’égard du marché des hydrocarbures est en elle-même la plus grave menace pesant durablement sur la vitalité de notre propre économie. 

Elles nous rappellent surtout l’urgence extrême qu’il y a à engager une fois pour toutes les réformes structurelles difficiles dont celle-ci a plus que jamais besoin. 

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Mass Saci Aabdi : pionnier de l’éveil amazigh et mémoire vivante des Aurès

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Saci Aabdi :

L’histoire des peuples ne s’écrit pas seulement avec les dates et les batailles, mais avec les voix qui portent la mémoire, les âmes qui veillent sur les racines et les cœurs qui refusent l’oubli. Dans les Aurès, terre indomptée et berceau de luttes, cette mémoire amazighe a toujours trouvé des hommes et des femmes pour la défendre avec courage et constance.

Parmi ces figures, Mass Saci Aabdi s’impose comme une sentinelle infatigable, un militant farouche et une référence majeure dans la sauvegarde et la transmission de la culture amazighe. Son parcours, jalonné de recherches, d’écrits et de combats, a éclairé le chemin de nombreux activistes, dont je fais humblement partie.

Entre 2001 et 2007, porté par le même élan de défense de notre patrimoine commun, j’ai eu l’honneur de croiser sa route. Ce texte est un hommage à cet homme, à son œuvre et à la fraternité qui nous unit à travers les années et les luttes partagées.

Mass Ssasi Aabdi, la voix des vents amazighs

Mass Ssasi Aabdi est un éclaireur de l’âme amazighe, un tisseur de mots qui brode la mémoire d’un peuple sur la trame du temps. Poète, penseur et gardien des récits anciens, il traverse les sentiers de l’histoire avec une plume trempée dans l’encre des racines et des songes. Son verbe, tel un fleuve indompté, porte les échos des montagnes et des plaines, chantant la fierté d’un héritage que nul vent ne saurait disperser.

Né du feu et du silence, il a fait de l’écriture un rempart contre l’oubli, un pont entre hier et demain. Dans ses œuvres, il ressuscite les voix des ancêtres, conte les sagesses perdues et éclaire les ombres de l’Histoire. Il parle du sable et des cimes, des rois sans couronne et des poètes sans écrits, des empires d’argile effacés par le temps, mais gravés à jamais dans la mémoire des siens.

M. Saci Aabdi expose l’un de ses livres (non édité), un ouvrage monumental en deux tomes et de plus de 1000 pages… Pourquoi ne trouve-t-il pas d’éditeur ? Ce livre, consacré aux Berbères, attend encore d’être publié, malgré son importance capitale pour la mémoire et l’histoire amazighes.

Les retrouvailles du 4 avril : un hommage et un partage

Le 4 avril fut un jour marqué par l’émotion et la transmission. Lors de ces retrouvailles, M. Saci Aabdi m’a fait l’honneur de me dédier deux de ses ouvrages : La capitale de La Kahena et son dernier combat et un recueil de poésie intitulé Ithrene essfawen ifrene, témoins de son engagement littéraire et de sa passion pour la culture amazighe. Un geste profond, empreint de fraternité et de reconnaissance, qui résonne comme une passerelle entre les générations de militants et de penseurs amazighs.

En plus de ces précieux livres, il m’a également remis l’œuvre de notre sœur aînée, Tikerkert n Yixallufen d’Ult Gana, un témoignage littéraire puissant ancré dans notre mémoire collective. Ces écrits sont bien plus que des livres : ils sont des éclats d’histoire, des fragments d’âme, des racines profondément ancrées dans la terre des ancêtres.

Un combat partagé, un héritage vivant

Ma première rencontre avec M. Saci Aabdi fut le fruit d’une coïncidence marquante. À l’époque, j’étais un activiste engagé dans la cause amazighe entre 2001 et 2007, alors que lui était déjà un militant farouche, plus ancien, figure de référence incontestée dans le combat pour la culture et les droits amazighs. Nous nous sommes retrouvés pour la première fois dans une association, animés par un même objectif : la mouvance aurésienne de l’époque et le militantisme amazigh, qui ont marqué nos combats respectifs. Cette rencontre fut un moment de convergence, un instant où les idéaux se sont croisés et où nos chemins se sont unis pour défendre l’héritage et la mémoire amazighes.

Cet engagement, nourri de luttes partagées et de réflexions profondes, a renforcé notre solidarité et a consolidé un héritage commun que nous poursuivons avec passion et détermination.

Aujourd’hui encore, je salue la persévérance de son combat, un élan que nous partageons depuis ces premières rencontres. Son œuvre mérite d’être reconnue et diffusée, afin que les générations futures puissent puiser dans ses écrits la force de poursuivre la lutte pour la préservation de notre patrimoine.

Djamal Guettela

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Décès de Hamid Sidi Saïd : itinéraire d’un haut commis de l’État controversé 

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Hamid Sidi Said
L'ancien ministre Hamid Sidi Said décédé.

Hamid Sidi Saïd, ancien ministre et wali, est décédé jeudi à l’âge de 83 ans. Il a été enterrée, ce vendredi 9 mai, au cimetière Garidi d’Alger. 

La nouvelle de sa disparition a suscité des réactions partagées, entre hommages officiels et critiques sur son rôle dans des épisodes clés de l’histoire politique algérienne.

Père de Kamel Sidi Saïd, actuel conseiller à la Présidence de la République en charge de la communication, Hamid Sidi Saïd a été l’un des visages familiers de l’appareil d’État durant les dernières décennies. 

 Derrière le parcours classique d’un serviteur de l’État se dessine en réalité une trajectoire plus complexe, révélatrice des logiques de pouvoir et des fractures persistantes entre le centre et les marges, notamment en Kabylie.

Originaire d’Aïn El Hammam( une quarantaine de kms à l’est de TiziOuzou), issu d’une grande famille maraboutique, cet ancien instituteur a connu une trajectoire remarquable au sein de l’État. Son parcours l’a conduit à occuper des fonctions stratégiques durant les décennies 1980 et 1990 : d’abord , au sein du parti-Etat FLN puis au sein de l’administration et du gouvernement algériens. Il sera wali, puis ministre de la Poste et des Télécommunications en 1989, avant de diriger le ministère de la Santé en 1990. Plus qu’une simple ascension administrative, son intégration au cœur de l’appareil d’État portait une forte charge symbolique : celle d’un héritier d’un lignage familiale qui a toujours constitué un levier pour  accéder  aux leviers du pouvoir moderne.

 À première vue, son parcours illustre celui d’un cadre compétent, promu au sein des institutions au gré des conjonctures politiques. Mais cette intégration au cœur du pouvoir ne fut jamais neutre sur le plan symbolique.

Pour une partie de l’opinion, notamment parmi les militants kabyles favorables à une rupture avec le système politique en place, Hamid Sidi Saïd incarne l’archétype du « Kabyle de service » — cette expression critique désignant des personnalités issues de la Kabylie cooptées par le régime pour asseoir sa légitimité, tout en marginalisant les véritables revendications régionales. Ce rôle d’interface, perçu comme une forme de collaboration passive, voire de trahison, a longtemps suscité défiance et rejet, particulièrement dans les milieux intellectuels et militants de la région.

Un épisode marquant résume à lui seul cette fracture mémorielle : en mars 1980, alors wali de Tizi Ouzou, Hamid Sidi Saïd interdit la conférence que devait donner Mouloud Mammeri à l’université locale. Ce geste bureaucratique, apparemment qui n’avait rien d’anodin, provoque une mobilisation sans précédent, donnant naissance au Printemps berbère — première contestation de masse portée par une conscience identitaire kabyle affirmée.

Depuis, cet épisode reste une tache indélébile dans son parcours, et symbolise pour beaucoup la subordination d’élites locales à un pouvoir central sourd aux aspirations culturelles et politiques régionales.

Aujourd’hui, alors que sa dépouille s’apprête à être inhumée à Alger, en présence de hauts responsables de l’État, le legs de Hamid Sidi Saïd interroge. Il est celui d’un haut fonctionnaire rigoureux et fidèle à l’appareil, mais aussi celui d’un homme dont la loyauté au système a cristallisé, en creux, les limites de la représentation régionale dans l’architecture institutionnelle algérienne.

Sa trajectoire illustre, en dernière analyse, la difficulté persistante de concilier participation au pouvoir et expression autonome d’identités périphériques dans un État centralisé. Elle invite, aussi, à réfléchir sur le rôle que jouent — ou refusent de jouer — les élites régionales dans les dynamiques de transformation politique.

Sofiane Ayache

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