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L’Algérie condamne fermement l’agression israélienne contre l’Iran

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L'Iran bombardé

Par la voix du ministère des Affaires étrangères, l’Algérie a exprimé ce vendredi sa vive condamnation de l’attaque israélienne contre la République islamique d’Iran. Dans un communiqué officiel, Alger dénonce ce qu’elle qualifie d’« agression manifeste » et impute cette escalade aux politiques d’impunité dont bénéficierait Israël à l’échelle internationale.

Le ministère considère que cet acte constitue une violation flagrante du droit international et des principes fondamentaux de la Charte des Nations unies. « C’est une agression qui ne pourrait avoir lieu sans l’absence de mécanismes de reddition de comptes et sans la tolérance internationale dont jouit l’agresseur », précise le texte.

Le gouvernement algérien estime que cet épisode s’inscrit dans une politique israélienne systématique d’expansion et de provocation, fondée sur l’occupation et le fait accompli. « Il s’agit là d’une stratégie qui privilégie la sécurité unilatérale d’Israël au détriment de celle de ses voisins, notamment les Palestiniens, toujours privés de leurs terres occupées », lit-on encore dans le communiqué.

L’Algérie met également en garde contre « l’arrogance et l’aveuglement » de l’État israélien, qui, selon elle, accentuent les tensions au sein de la communauté internationale. Elle appelle le Conseil de sécurité de l’ONU à assumer pleinement ses responsabilités dans la préservation de la paix et de la sécurité internationales, et à œuvrer concrètement pour une solution juste mettant fin aux politiques d’occupation israéliennes.

Cette déclaration intervient dans un contexte de fortes turbulences régionales, alors que les tensions entre Tel-Aviv et Téhéran ne cessent de croître. Alger, fidèle à sa position historique de soutien aux causes justes, réitère ainsi son engagement en faveur du droit international, du respect de la souveraineté des États et d’une paix durable au Moyen-Orient.

La rédaction

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Samir Toumi, l’écrivain qui fait dialoguer l’intime et le politique 

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Samir Toumi,

Dans cet entretien exclusif avec Le Matin d’Algérie, Samir Toumi, écrivain algérien aux multiples facettes, nous ouvre les portes de son dernier roman, Amin, une fiction algérienne. À travers une exploration subtile des contradictions de l’Algérie contemporaine, il tisse une intrigue où l’intime se mêle au politique, où Alger devient un miroir de l’âme et où les figures du pouvoir, qu’elles soient familiales ou sociétales, vacillent.

Consultant en ressources humaines, photographe amateur et romancier, Toumi partage avec une sincérité désarmante sa vision de l’écriture, son rapport à la ville d’Alger et son rôle d’écrivain-témoin dans une société en pleine mutation. De la genèse d’Amin à sa résonance avec L’Effacement, en passant par sa fascination pour la mélancolie et le potentiel cinématographique de son œuvre, cet échange révèle un auteur qui capte l’épaisseur du réel avec une plume visuelle et sensible.

Le Matin d’Algérie : Votre nouveau roman s’intitule Amin, une fiction algérienne. Pourquoi ce sous-titre ? Qu’y a-t-il de « fictionnel » et d’« algérien » dans cette histoire ?

Samir Toumi : Le sous-titre reflète profondément l’esprit du roman. Il s’agit bien d’une fiction, parce que tout part d’un pacte entre Djamel B., un écrivain en mal d’inspiration, et un certain Amine — un personnage énigmatique qu’il rencontre lors d’une soirée mondaine. Amin propose quelque chose d’inattendu : que Djamel écrive un roman inspiré de sa propre réalité, de son parcours, de sa connaissance intime de ce qu’on appelle « le système ». Il insiste d’ailleurs : il veut une fiction, pas un essai, ni un article journalistique.

Le roman permet, selon lui, une liberté de ton et d’expression plus grande, qui seule peut rendre compte de la complexité de ce qu’il a vécu. Djamel, à la fois intrigué, troublé, voire effrayé par Amin, accepte malgré tout ce pacte étrange. Quant au mot « algérienne », il s’impose naturellement : l’intrigue se déroule en Algérie, à Alger plus précisément. On y parle du pays, de ses contradictions, de ses zones d’ombre, de ce fameux système. Le roman interroge ainsi, en creux, la manière dont la fiction peut dire le réel — et ce que ce réel a de profondément algérien. Ce sous-titre a aussi pour but de susciter une forme d’interrogation chez le lecteur. Il complète un titre très simple, « Amin », et l’ouvre vers quelque chose de plus large, à la fois littéraire et politique.

Le Matin d’Algérie : Dès les premières pages, on sent qu’Amin est un personnage en crise, pris entre plusieurs réalités. Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire sur ce tiraillement intérieur ?

Samir Toumi : Plutôt que de parler d’un personnage en crise, je dirais que ce que vous percevez comme un tiraillement intérieur est avant tout une interrogation sur ses intentions. Et c’est très intéressant, car cela reflète votre lecture, votre projection de lecteur — ce que je trouve toujours précieux. Dès le début du roman, une question plane : qui est vraiment Amin ?

Pourquoi veut-il que Djamel écrive ce roman ? Est-ce qu’il cherche à dénoncer quelque chose ? À transmettre un témoignage ? À régler des comptes ? Il a, c’est certain, des intentions fortes — mais qu’il ne dévoile pas complètement. Et c’est cette part d’ombre qui intrigue Djamel. Elle le trouble, mais elle le captive aussi. Djamel, en tant qu’écrivain, réagit un peu comme un requin qui perçoit l’odeur du sang : il est irrésistiblement attiré. Même s’il ne comprend pas tout, il sent qu’il y a là une matière vivante, complexe, brûlante — et il a besoin d’écrire. Il va donc s’embarquer dans cette aventure littéraire, malgré les doutes, malgré les zones floues. Parce qu’un écrivain écrit souvent à partir de ce qu’il ne comprend pas encore tout à fait.

Le Matin d’Algérie : Vos romans semblent toujours convoquer Alger comme décor, mais aussi comme miroir intérieur. Quel rôle joue la ville dans Amin ?

Samir Toumi : Effectivement, Alger occupe une place centrale dans mes textes, dès mon premier récit, Alger, le cri. Ce livre était une sorte de projection de mon dialogue intérieur dans l’histoire et le présent de la ville. Une déambulation à travers Alger me permettait alors d’interroger ma place dans le monde, mon histoire personnelle, mais aussi l’histoire collective à laquelle j’appartiens. Marcher dans Alger, c’était chercher des mots, tenter « d’enfanter » une parole au fil de mes pas et de mes réflexions.

Dans Amin, Alger est encore là — mais dans une version très particulière : celle d’un Alger mondain, parfois clinquant, celle des salons, des milieux fermés, des apparences. C’est dans ce microcosme que Djamel B., l’écrivain, évolue. Et c’est à travers ses yeux que la ville est observée, scrutée, presque poétisée. Car même dans ses contradictions, Alger conserve pour moi une grande puissance d’évocation. Plus largement, la ville joue toujours un rôle essentiel dans mon écriture. Dans L’Effacement, par exemple, j’ouvre le champ à Oran, que le personnage principal découvre comme un touriste maladroit, tant il est peu sorti de son univers.

Mais Alger reste, à mes yeux, une source d’inspiration inépuisable. C’est une ville intensément visuelle : on a envie de la décrire, de s’y perdre, de suivre du regard ses reliefs, ses bâtiments, d’être assailli par son chaos urbain. C’est une ville qui invite à la contemplation, mais aussi à l’introspection.

Le Matin d’Algérie : On retrouve dans ce roman des échos de L’Effacement : le thème du double, la perte de soi, la difficulté d’habiter son identité. Est-ce une suite en creux ?

Samir Toumi : C’est une question intéressante. Il y a en effet des résonances entre les deux textes. Peut-être que le lien le plus évident se situe dans les personnages eux-mêmes. Djamel B., l’écrivain, Amin, ce personnage mystérieux, et le narrateur sans prénom de L’Effacement ont tous quelque chose d’instable, de déréglé. Djamel évolue dans un milieu mondain, il publie des romans, mais on sent bien qu’il n’est pas heureux. Il est traversé par des addictions, des errances, une forme de vide. Il fallait un personnage comme lui, un peu perdu, pour accepter de se lancer dans une aventure aussi trouble.

Amin, lui, reste insaisissable. On ne sait pas vraiment qui il est, ce qu’il veut, ni ce qui le pousse à vouloir ce roman. Il semble chercher quelque chose — peut-être une vérité, une rédemption, un miroir. Là encore, on retrouve ce motif du mal-être, d’une quête d’identité, d’un besoin de se définir à travers la parole ou la fiction. Mais au-delà des personnages, ce qui relie vraiment mes textes — Amin, L’Effacement, mais aussi Alger, le cri — c’est cette volonté de raconter l’Algérie contemporaine. De dire qui nous sommes, non pas à travers des discours théoriques, mais par le biais de récits incarnés, profondément subjectifs. J’ai toujours été attiré par une littérature qui témoigne, qui interroge notre présent sociologique, politique, historique, mais depuis l’intime. Depuis une voix.

Le Matin d’Algérie : La question du père — ou plutôt des pères — traverse vos livres. Peut-on dire que votre œuvre s’écrit aussi contre ou avec cette figure tutélaire ?

Samir Toumi : Il s’agit effectivement d’une figure centrale, mais plutôt dans sa vacillation que dans sa stabilité. Le père, dans mes textes, est souvent une présence fragile, incertaine, parfois dévorante — comme dans L’Effacement — face à laquelle il devient difficile d’exister pleinement. Il représente à la fois le guide, celui qui transmet des valeurs, and le pouvoir qui peut étouffer. Il incarne cette tension entre héritage et autonomie.

C’est une figure qui me fascine parce qu’elle traverse en profondeur la société algérienne : le rapport aux « pères fondateurs » de l’État indépendant, par exemple, mais aussi celui au père traditionnel, face aux mutations sociales, notamment l’émancipation des femmes. Entre autorité morale, verticale, et crise de légitimité, cette figure se fissure. Dans Amin, cette symbolique s’élargit à la question de la gouvernance. J’y interroge des formes de pouvoir que l’on pourrait qualifier de kakistocratiques, où la figure du père — ou du leader — devient défaillante, empêchée, parfois même enfermée dans sa propre logique. Il y a là un écho direct entre le père familial et le père politique, tous deux porteurs d’un ordre ancien en tension avec le présent.

Le Matin d’Algérie : Vous êtes ingénieur de formation, photographe passionné, écrivain reconnu. Comment ces trois dimensions coexistent-elles dans votre processus créatif ?

Samir Toumi : Je suis en réalité deux fois ingénieur — plutôt deux fois qu’une, comme on dit (rire). Mais je n’ai jamais exercé en tant que tel. Mon métier, depuis plus de trente ans, c’est le conseil en ressources humaines. Je dirige un cabinet en Algérie, et c’est cette fonction de consultant et de dirigeant d’entreprise qui occupe mon quotidien professionnel. Quant à la photographie, je la pratique en amateur. Je ne me définis pas comme photographe, mais c’est une passion qui m’accompagne. J’ai notamment une petite obsession : photographier chaque jour le même lieu.

C’est une manière pour moi de souligner l’impermanence dans la permanence. Ce qui m’émerveille, c’est notamment cette couleur du ciel d’Alger, toujours changeante. Je publie ces images sur les réseaux sociaux comme une sorte de rituel — discret, mais intime. Et puis il y a l’écriture. Un jour, j’ai ressenti le besoin de dire certaines choses, d’exprimer ce qui me semblait important — en tout cas pour moi.

L’écriture s’est alors imposée comme un prolongement naturel de cette envie de comprendre et de témoigner. Comment tout cela coexiste ? Assez naturellement, en fait. J’ai toujours eu des vies multiples, et cela ne m’a jamais posé de problème. Chaque dimension nourrit les autres. Il y a parfois quelques contraintes d’emploi du temps, bien sûr, mais rien d’insurmontable.

Le Matin d’Algérie : Votre écriture est très visuelle, presque cinématographique. Est-ce que vous « voyez » vos romans avant de les écrire ?

Samir Toumi : Absolument. J’écris en visualisant. L’écriture, pour moi, c’est d’abord cette capacité à voir, à ressentir, à écouter. C’est une forme de perception élargie, où tous les sens sont mobilisés : ce que l’œil capte, ce que l’ouïe perçoit, mais aussi les textures, les odeurs, les ambiances… et bien sûr, les émotions. Ce sont ces perceptions-là, sensorielles et affectives, que je cherche à traduire en mots. J’ai un goût très affirmé — que je qualifierais presque de « naturaliste » — pour la description précise, qu’il s’agisse des lieux, des paysages ou des personnages. J’aime entrer dans le détail, dans « l’épaisseur du monde ».

C’est quelque chose que j’adore faire en écrivant, mais aussi lire chez d’autres auteurs. La visualité est centrale, oui, mais elle n’est jamais seule : elle convoque tous les sens et vient nourrir la complexité psychologique des personnages, leur densité, leurs contradictions. Et pour être honnête, je ne fais pas vraiment de distinction entre une démarche littéraire et une démarche artistique au sens large : cinéma, arts plastiques, photographie, sculpture… Pour moi, la création est un processus unique. Elle naît d’un même mouvement : celui d’une émotion, d’un regard, d’une nécessité intérieure de dire.

Le Matin d’Algérie : Dans Amin, il est aussi question de système, de pouvoir, de duplicité. Est-ce un roman politique, même s’il se cache derrière une trame intime ?

Samir Toumi : J’ai commencé à écrire ce livre en 2018, à la fin du quatrième mandat présidentiel. Il y avait alors dans l’air quelque chose d’indicible, une tension sourde, comme si un basculement se préparait. J’ai ressenti le besoin de décrire, à travers la fiction, ce que l’on appelle communément le système : son opacité, sa complexité, son fonctionnement basé sur les rumeurs, les réseaux, les rôles flous. C’est un sujet qui m’interpelle depuis longtemps. Ce roman est né de multiples rencontres avec des personnes qui se disaient « proches du système », ou en faire partie.

Il y a toujours, dans certains cercles, des personnages comme Amin : on ne sait pas vraiment ce qu’ils font, ni quelle est leur fonction exacte. Je voulais explorer cette zone grise, cette duplicité, par la littérature. Et c’est justement cela qui rend l’approche politique plus subtile, plus sensible. Je me suis nourri de nombreuses lectures : essais, recherches, travaux sur les formes de pouvoir, les kakistocraties.

Mon métier, qui touche à la gouvernance d’entreprise, m’a également donné des clés de lecture. Ce croisement entre réalité politique de l’époque, analyse sociologique et imagination littéraire a façonné la trame de Amin.

Le Matin d’Algérie : La mélancolie traverse vos textes comme une lumière sourde. Est-ce un choix esthétique, ou une tonalité imposée par l’époque ?

Samir Toumi : Probablement les deux. La mélancolie est un sentiment complexe, et je la trouve intéressante, riche. Elle habite mes personnages parce qu’elle traduit souvent une forme de sensibilité accrue, parfois même d’hypersensibilité face au monde. Cette gravité, ce léger retrait qu’elle induit, me touche.

C’est une tonalité que j’aime travailler, en tant qu’écrivain, parce qu’elle offre une profondeur singulière au regard porté sur les choses. Mais bien sûr, il y a aussi l’époque. Elle n’est pas joyeuse, objectivement — même si nos quotidiens, heureusement, peuvent encore être remplis de petits bonheurs simples, qui sont peut-être, au fond, les plus essentiels.

Néanmoins, quand on prend un peu de recul sur la manière dont le monde évolue, la mélancolie peut vite nous étreindre. Et parfois même laisser place à des émotions plus vives encore, comme la colère ou le sentiment d’impuissance. Face à cela, ma conviction est la suivante : la seule réponse possible, c’est l’action. C’est créer, continuer à avancer, à faire de belles choses. Chacun dans son domaine, chacun à sa manière, mais avec la même énergie de vie. L’écriture, pour moi, est une manière d’habiter cette mélancolie sans s’y noyer.

Le Matin d’Algérie : Vous avez été adapté au cinéma avec L’Effacement. Aimeriez-vous voir Amine porté à l’écran ?

Samir Toumi : Oui, bien sûr. L’Effacement a été adapté par Karim Moussaoui, un réalisateur dont j’appréciais déjà le travail, notamment avec Les Jours d’avant et En attendant les hirondelles. Ce fut un grand bonheur pour moi, d’autant plus qu’il s’agissait d’une adaptation libre. Karim a créé sa propre histoire à partir du roman, en suivant une direction qui lui était propre, singulière. Et c’est précisément ce qui m’a profondément touché : voir comment une matière littéraire peut se transformer en une œuvre cinématographique autonome, forte, bouleversante.

Ce film, je le recommande vivement. Concernant Amin, oui, évidemment : quel écrivain ne rêverait pas de voir son texte adapté à l’écran ? Plusieurs lecteurs m’ont déjà confié que le roman avait quelque chose de très visuel, et qu’il pourrait tout à fait devenir un film, ou même une série télévisée. Je pense qu’un roman, une fois publié, suit sa propre trajectoire. Il devient un objet vivant, qui appartient aussi aux lecteurs. Et si cette trajectoire devait passer par une adaptation cinématographique, j’en serais très honoré. Ce serait une nouvelle vie offerte au livre — et une nouvelle lecture, par un autre regard.

Le Matin d’Algérie : La littérature algérienne contemporaine explore de nombreux territoires : l’intime, la mémoire, le social, l’exil. Où vous situez-vous dans ce paysage ?

Samir Toumi : Clairement du côté de l’intime, de la mémoire et du social. L’exil, en revanche, n’est pas au cœur de mon écriture — même si j’effleure parfois la question du désir de fuite. Dans Alger, le Cri, par exemple, ce thème traverse le récit, mais il s’agit moins d’un exil géographique que d’une envie de changement de vie. Ce moment de bascule intérieur, où l’on se demande : « Est-ce que je veux vraiment partir, ou est-ce que je veux simplement vivre autrement ? » C’est une interrogation universelle, mais aussi très liée à la condition contemporaine en Algérie.

Ce que je cherche à explorer, c’est justement ce cheminement intérieur : comment on crée du possible pour soi, comment on s’invente une vie vivable dans un monde parfois contraignant. D’une manière plus générale, et au-delà des thèmes explorés, je me reconnais pleinement dans ce qu’on appelle la littérature algérienne contemporaine. J’en fais partie, comme écrivain algérien, aux côtés de nombreux autres auteurs, qu’ils soient arabophones ou francophones. Ce qui nous relie, au fond, c’est ce territoire immense — l’Algérie — à la fois comme espace réel, mais aussi comme matière littéraire. Un lieu d’expérimentation foisonnant, traversé par une histoire dense, un présent complexe, et un avenir que nous cherchons à penser. C’est ce substrat collectif que je partage avec mes contemporains, et que je n’ai jamais fini d’explorer.

Le Matin d’Algérie : Quel est, selon vous, le rôle de l’écrivain aujourd’hui, en Algérie ?

Samir Toumi : Les trois, mon capitaine ! Témoin, guetteur, perturbateur — sans hésitation. Mais certainement pas donneur de leçons ! L’écrivain n’est pas là pour tout expliquer, ni pour asséner des vérités définitives. Il n’a ni vocation à savoir tout, ni à comprendre tout, ni à émettre un avis sur tout. Je me méfie de cette posture de l’intellectuel omniscient. Ce qui m’intéresse, c’est l’écrivain en prise avec son époque, traversé par ses doutes, ses questions, ses contradictions. Un écrivain qui observe, qui capte les signaux faibles, qui interroge sans imposer. Quelqu’un qui perturbe parfois, mais sans chercher le scandale ; simplement parce qu’il ne nome pas de choses que d’autres préfèrent taire.

Le Matin d’Algérie : Si vous deviez adresser une phrase à un jeune lecteur algérien qui ne vous connaît pas encore, que lui diriez-vous pour l’inviter à entrer dans votre univers ?

Samir Toumi : Très sincèrement, je n’ai pas grand-chose à lui dire. Entrer dans un univers littéraire n’a rien d’une obligation. Un livre, c’est une rencontre. On le tient entre les mains, on regarde la couverture, on est peut-être attiré par le titre — ou pas. On lit quatrième de couverture, on accroche — ou pas. And si quelque chose se passe, on ouvre le livre, on lit les premières lignes. Si ça résonne, on continue. Sinon, on referme. C’est aussi simple que ça. Il n’y a pas de message à délivrer, pas d’invitation particulière. Il y a juste des livres qui attendent de rencontrer leurs lecteurs. Et c’est très bien ainsi.

Entretien réalisé par Djamal Guettala  

Né en 1968, Samir Toumi vit et travaille à Alger, où il dirige une entreprise de conseil. Écrivain discret mais essentiel, il est l’auteur d’Alger, le cri (2013), un récit intime et poétique sur la ville et ses silences, et de L’Effacement (2016), un roman salué pour sa profondeur existentielle. Ces deux ouvrages sont parus aux éditions Barzakh. En 2024, il publie Amin, une fiction algérienne, toujours chez le même éditeur, poursuivant son exploration des failles individuelles dans une société en quête de sens.
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Lune des fraises, tête en l’air !

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Constellations

On ne peut tout connaître et tout maîtriser, c’est certain. Cependant, pour les phénomènes physiques qui nous passionnent il est inévitable de ressentir un profond regret de ne pas y avoir mis plus d’acharnement qu’en toute autre chose pour les comprendre. 

Le lecteur s’est peut-être souvent posé cette question pour un nombre important de situations équivalentes. Quoi de plus disponible dans son esprit que son propre vécu ? Un phénomène donné en spectacle dans le ciel ce mercredi 12 juin permet de trouver opportunité pour réfléchir sur l’ignorance, particulièrement la mienne.

Pour développer ma chronique à ce sujet, il me faut poser la question de son titre car deux sens sont possibles pour l’expliquer. La tête en l’air dans son sens réel est la conséquence de ma passion pour le ciel et l’espace. Dans son sens figuré, avoir la tête en l’air signifie oublier par distraction de l’esprit.

L’oubli par la tête en l’air concerne un spectacle d’une extrême beauté pour l’humanité que je n’ai pas eu le réflexe de partager avec vous dans une chronique immédiate. Faute avouée… Vous connaissez le dicton.

Pour le nom de Lune des fraises, appelée plus simplement Lune rose, heureusement qu’un très petit niveau de connaissances suffit à en expliquer la couleur. Elle a été nommée ainsi par une ancienne peuplade (laquelle ? Encore une ignorance). Ce jour-là la lune est basse dans le ciel et dans cet angle, la lumière traverse l’épaisseur importante de l’atmosphère. Elle apparait ainsi dans une couleur rose.

Je serai incapable de répondre à une autre question, pourquoi dans les autres positions de la lune le phénomène n’apparait pas alors que cette même lumière traverse aussi la couche de l’atmosphère ? C’est pour cela que je parlais d’ignorance sans excuse pour ce qui est d’une passion. 

Le phénomène ne se produit qu’une fois dans une période de douze mois mais pas à la même date ou très rarement. Comme pour toute honte, les êtres humains essaient de la camoufler par l’excuse de ne pas avoir eu les capacités cognitives de comprendre un phénomène complexe ou qu’on n’en n’a pas eu l’enseignement. C’est vrai que cette explication semblerait plus pardonnable. 

Pardonnable pour moi ? En vérité, pas du tout. Car faute n’est pas de la société et de l’école de m’avoir donné toutes les opportunités de comprendre. À l’internat de Bouisseville, près d’Oran s’est passé le premier cours sur le ciel par un professeur du collège. Les lecteurs non Oranais sont dévoilés eux aussi dans leur ignorance, ils n’ont aucune excuse de ne pas connaitre le lieu.

Par une soirée d’un ciel magnifique, le noir du ciel permettait d’apercevoir une multitude impressionnante d’étoiles qui brillaient comme les lumières d’un arbre de Noël ou, par malice méchante, autant que la brillance des pellicules sur les épaules d’un de nos camarades (le pauvre, même plus d’un demi-siècle après, il devra supporter notre plaisanterie douteuse).

Et ce jour-là, j’ai eu mon premier doute sur la possibilité de mes capacités à être plus tard un expert en astrologie. Il a eu beau nous montrer les constellations, de la Grande ourse, du Sagittaire ou du Capricorne, je ne voyais que les pellicules de notre camarade dans le ciel, ce n’est bien entendu qu’une image sur mon ignorance. Vous connaissez aussi le très célèbre proverbe chinois, lorsque le sage montre la lune, l’idiot regarde le doigt. Cette fois-ci ce n’est pas seulement une image.

L’être humain trouve également une autre excuse classique pour dissimuler sa honte ou son embarras, celle de prétendre qu’à cette époque lointaine, nous n’avions pas les mêmes conditions d’apprentissage. À l’idiotie se rajoute un mensonge grossier, Bouisseville n’avait pas tant de lumière pour voiler le ciel à cette époque. L’endroit était assez isolé des maisons qui, elles aussi, n’étant vraiment pas nombreuses. De plus, à Bouisseville comme dans le monde, la pollution n’était pas l’écran qu’il est maintenant.

Ah non, les jeunes, vous ne vous en sortirez pas aussi facilement avec cette excuse pour me blâmer. Moi je n’avais pas Internet et d’autres possibilités pour éviter mon ignorance. Encore une piètre excuse des hommes pris en flagrant de délit d’ignorance, je persiste dans le mensonge ! 

En conclusion générale, contrairement à ce que le laisse supposer ma chronique, l’être humain n’est paradoxalement jamais blâmable pour son ignorance mais pour son manque dc curiosité et de passion pour les magnifiques choses de ce monde. Et là, on aura du mal à me prendre à défaut, au risque de la prétention.

Je m’en suis bien sorti ? 

Boumediene Sid Lakhdar

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La finance mondiale au service des guerres sans fin

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Palestinien destruction

Et si la guerre n’était plus seulement l’échec de la diplomatie, mais aussi la réussite silencieuse des marchés financiers ? Dans un monde où les conflits ne sont plus des accidents, mais des variables intégrées aux modèles financiers, il devient urgent de comprendre comment la logique spéculative façonne les dynamiques de sécurité globale.

Ce n’est pas une dénonciation, mais une mise en lumière : celle d’un capitalisme contemporain où la paix semble coûter plus cher que la guerre, où les armes ne sont plus seulement des instruments de dissuasion mais des actifs financiers à part entière, et où la géopolitique dialogue en permanence avec les stratégies d’investissement. Dans un monde façonné par les flux de capitaux, les arbitrages budgétaires et les réseaux d’influence, une question s’impose : jusqu’où la finance internationale contribue-t-elle à entretenir la logique des guerres sans fin ?

Défendre sans agresser : les dilemmes stratégiques

Certes, dans un monde où la souveraineté des nations peut être menacée par des agressions extérieures, développer une capacité autonome de production d’armements revêt une importance stratégique majeure. Ce n’est pas une fuite en avant militariste, mais un impératif moral, politique et économique : assurer la sécurité de ses citoyens, défendre les principes de liberté, protéger l’intégrité territoriale, dissuader toute velléité d’invasion et favoriser le développement économique. Lorsqu’une guerre est imposée, la capacité à se défendre avec efficacité devient une condition de survie nationale, mais aussi un acte de responsabilité à l’égard de l’ordre international. Dans ce contexte, produire des armes, c’est refuser la dépendance et affirmer que la paix, parfois, se construit aussi par la force de la dissuasion.

Le capitalisme de guerre : une mécanique bien huilée

Mais cette logique défensive ne saurait en aucun cas justifier que l’on déclenche ou prolonge des guerres à des fins lucratives. Faire de la guerre un simple vecteur de profit, une variable d’ajustement pour les dividendes, une mesure de relance pour l’économie, relève d’un cynisme insoutenable. Aucune courbe boursière, aucun rendement financier ne saurait compenser le chaos, les destructions massives, les vies humaines perdues ou les traumatismes durables que laisse derrière elle toute guerre inutile. Entre défense légitime et commerce de la mort, la frontière est fine, mais essentielle. Il est du devoir des États, des entreprises et des investisseurs de ne jamais la franchir.

Et pourtant, cette frontière est aujourd’hui largement brouillée. Depuis 2001 quand les bombes explosent, certaines courbes boursières montent. Dans le silence feutré des salles de marché la guerre est perçue comme une opportunité. Car derrière les discours sur la paix et la diplomatie, un capitalisme de la guerre s’organise, porté par les plus puissants fonds d’investissement du monde qui constituent les plus importants actionnaires des géants de l’armement. Une collusion d’intérêts se dessine : celle entre les stratégies d’allocation des grands fonds, la rémunération des dividendes et la perpétuation des conflits.

Trump face au complexe militaro-industriel

En septembre 2024, lors d’un rassemblement dans le Wisconsin, le candidat à la présidentielle Trump a vivement dénoncé cette collusion :

« Je vais expulser les va-t-en-guerre. Nous avons des gens qui veulent faire la guerre tout le temps. Vous savez pourquoi ? Les missiles coûtent 2 millions de dollars pièce. Voilà pourquoi. Ils adorent larguer des missiles partout. Moi, je n’ai lancé aucune guerre… Je vais expulser les va-t-en-guerre de notre appareil sécuritaire national et mener un grand nettoyage du complexe militaro-industriel pour mettre fin au profit de guerre et toujours faire passer l’Amérique d’abord. Nous mettons l’Amérique d’abord. Nous allons mettre un terme à ces guerres sans fin. Des guerres sans fin, ça ne s’arrête jamais ».

Si la campagne affichait une volonté de rupture, les décisions budgétaires prises une fois au pouvoir ont témoigné d’une continuité stratégique inattendue.

Trump devenu président a annoncé le mois dernier (mai 2025) un budget de la défense flirtant avec le seuil symbolique des 1 000 milliards de dollars (!), ce qui a suscité une avalanche de réactions et de critiques au sein de son propre camp au Congrès, au sein des milieux stratégiques et de la presse spécialisée.

Malgré ce budget faramineux, Roger Wicker, président républicain de la commission des forces armées du Sénat, a dénoncé une proposition qui risque, selon lui, « d’anéantir les capacités militaires américaines et le soutien à nos troupes ». Mike Rogers, son homologue à la Chambre, a fustigé une « trajectoire budgétaire irréaliste ». Susan Collins et Mitch McConnell, figures modérées et influentes, ont exprimé leurs réserves quant à l’usage d’« artifices comptables » pour faire illusion, prévenant que le Congrès ne saurait être « dupé par une ingénierie financière aussi instable ».

Les consultants en défense mènent depuis un mois une campagne auprès des élus, expliquant que « la crédibilité de la puissance américaine est à ce prix ».

Dans les médias et les publications proches du lobby militaire, les tribunes se multiplient pour alerter sur le « décrochage capacitaire » des États-Unis face à la Chine, à la Russie ou même à l’Iran. La Foundation for Defense of Democracies, fortement financée par l’industrie de l’armement, s’indigne : « On ne peut pas faire la paix par la force avec un modeste budget de paix ». Ce refrain trouve un écho jusque dans les réseaux sociaux, où certains influents vétérans n’hésitent pas à qualifier ce budget de « trahison envers nos troupes ».

Enfin, la réaction la plus révélatrice est le « silence » des marchés financiers. À l’annonce du budget, les titres de la défense ont peu réagi, signe que les investisseurs savent déjà que, quel que soit le chiffre affiché, les arbitrages réels se jouent ailleurs. Dans les commissions. Dans les comités restreints. Et dans ce triangle d’influence où la guerre est moins une nécessité qu’un modèle économique.

La guerre, ultime valeur refuge des fonds d’investissement ?

Le silence des marchés face à la montée en puissance des dépenses militaires révèle moins une indifférence qu’un ajustement structurel : celui d’un capitalisme qui intègre la guerre comme levier stable, mais économiquement questionnable. L’industrie de la défense, hautement concentrée et protégée par des contrats publics, opère en marge des logiques de marché, échappant à la concurrence et à l’allocation efficiente des ressources. Sa production, orientée vers la dissuasion, ne contribue que marginalement à l’innovation ou à la croissance civile.

Ce déséquilibre s’accompagne d’un arbitrage budgétaire risqué : en canalisant des ressources considérables vers des secteurs à faible rendement sociétal, il fragilise à terme l’investissement dans les infrastructures fondamentales de l’économie réelle. Cette logique, désormais renforcée par les flux de capitaux institutionnels orientés vers un secteur jugé résilient, accentue la tension entre impératif stratégique immédiat et soutenabilité économique de long terme.

Financiarisation stratégique du complexe militaro-industriel

Les fonds d’investissement sont les plus importants actionnaires de toutes les grandes entreprises de défense : Lockheed Martin, Raytheon, General Dynamics, …. Leur poids est tel qu’ils votent les orientations stratégiques, influencent les politiques ESG (Environnementales, Sociales et de Gouvernance), et orientent les flux de capitaux vers les secteurs jugés « résilients ».

Ces fonds n’investissent pas par idéologie, mais par logique : la guerre, c’est du rendement prévisible. Les contrats publics sont massifs, récurrents, indexés sur l’inflation. Les marges sont solides. Et les besoins, depuis 2001, sont devenus structurels. Difficile de trouver un secteur plus protégé du cycle économique.

Dividendes record, morts invisibles

En 2023, Lockheed Martin a distribué environ 9,1 milliards de dollars en dividendes et rachats d’actions, Raytheon Technologies environ 3,24 milliards de dollars exclusivement en dividendes, et General Dynamics environ 1,35 milliard de dollars ; en 2024, les montants versés s’élèvent à environ 3,13 milliards de dollars pour Raytheon et 1,43 milliard de dollars pour General Dynamics, tandis que Lockheed Martin n’a pas encore publié de total annuel consolidé.

Mais au-delà des chiffres et des bilans financiers, un autre bilan s’impose : celui du coût réel des guerres.

Depuis 2001, les guerres en Afghanistan, en Irak, en Syrie, au Yémen, au Pakistan, en Ukraine et au-delà ont engendré un coût global estimé à plus de 9 000 milliards de dollars. Ce fardeau colossal, majoritairement financé par la dette publique, représente non seulement une charge budgétaire intergénérationnelle, mais alimente aussi les dividendes d’un complexe militaro-industriel devenu structurellement dépendant de la guerre. 

Mais le coût humain est encore plus vertigineux. Selon le Watson Institute, ces conflits ont causé entre 4,5 et 4,7 millions de morts, dont près d’un million directement sur les champs de bataille, et plus de 3,6 millions de morts indirects liés aux déplacements forcés, aux famines, aux effondrements sanitaires. Ces chiffres dévoilent un paradoxe glaçant : alors que la guerre est devenue un levier budgétaire et un actif spéculatif pour les marchés, elle demeure un gouffre humanitaire aux conséquences irréparables.

Ce paradoxe est d’autant plus alarmant qu’il ne relève pas du hasard : il est entretenu, nourri et diffusé par un écosystème d’influence où les intérêts économiques dictent les récits stratégiques.

Think tanks et narratifs : une guerre des idées financée

Une analyse approfondie du Quincy Institute met en lumière une mécanique troublante au cœur du débat stratégique américain : la majorité des think tanks qui commentent les guerres sont financés par des fabricants d’armes ou leurs sous-traitants. Sur 27 institutions analysées, 21 reçoivent des fonds du complexe militaro-industriel, et 100 % des dix plus citées dans les médias entretiennent des liens financiers directs avec des acteurs de l’armement. Ce biais se traduit dans l’espace médiatique par une surreprésentation systématique : 85 % des citations d’experts dans la presse proviennent de ces think tanks, dont les analyses s’alignent majoritairement sur les intérêts économiques de l’industrie de la défense. Dans ce système, le financement privé façonne discrètement le discours public, tandis que près d’un tiers de ces institutions refusent même de divulguer leurs bailleurs de fonds.

Ce réseau d’influence tisse une alliance implicite entre les fonds d’investissement, les entreprises d’armement, les producteurs d’idées et les politiques. Il crée une symbiose singulière où la guerre devient une variable de croissance, et la paix, un risque pour les dividendes. Les experts relayés ne sont pas neutres : ils sont souvent liés aux intérêts financiers qui bénéficient du prolongement des conflits. 

Trois géants détenus majoritairement par les fonds d’investissement

A titre d’exemple et pour ne citer que celles-ci, les trois grandes entreprises américaines d’armement Lockheed Martin, Raytheon Technologies et General Dynamics sont cotées à Wall Street, sur le New York Stock Exchange (NYSE)-la bourse de New York, l’une des plus grandes bourses au monde. Elles font toutes partie de l’indice S&P 500 (les 500 plus grandes capitalisations boursières), ce qui signifie qu’elles sont largement présentes dans les portefeuilles institutionnels et fonds indiciels – Exchange Traded Fund (ETF) qui répliquent la performance de cet indice boursier.

Lockheed Martin, symbole de la puissance militaro-industrielle américaine, est un géant incontournable dans le domaine de l’armement avancé et des technologies de défense. Son cœur d’activité gravite autour de l’aéronautique militaire avec des fleurons comme le chasseur furtif F-35 Lightning II, le F-22 Raptor ou encore les célèbres F-16 Fighting Falcon et le transport militaire C-130 Hercules.

Mais Lockheed ne s’arrête pas là : il conçoit également des missiles de haute précision et à longue portée, à l’image du Trident II D5 (missile balistique intercontinental lancé par sous-marin), de l’AGM-158 JASSM (missile de croisière furtif) ou du PAC-3 MSE, intercepteur emblématique intégré au système Patriot. L’entreprise excelle aussi dans les systèmes de défense antimissile, les satellites militaires et les dispositifs de guerre électronique.

Au capital de Lockheed Martin, on retrouve une constellation des plus grandes institutions financières mondiales. State Street Corporation figure en première ligne, suivi de près par The Vanguard Group et BlackRock. 

D’autres acteurs majeurs comme Charles Schwab Investment Management, Geode Capital, Morgan Stanley et Capital World Investors composent également l’architecture actionnariale, illustrant le poids massif de la finance passive et de la gestion institutionnelle dans l’industrie de guerre.

Raytheon se positionne comme un maître d’œuvre global dans les systèmes d’armement de précision, avec une expertise reconnue dans les missiles, les radars, la défense aérienne, les capteurs avancés et la guerre électronique.

Parmi ses créations les plus redoutées figurent les systèmes de missiles sol-air, les radars phasés, les solutions de contre-mesures électroniques embarquées, ainsi que des plateformes de détection sophistiquées utilisées dans les théâtres d’opérations les plus complexes.

Raytheon est souvent au cœur de l’architecture de défense aérienne intégrée de nombreux pays de l’OTAN et alliés des États-Unis.

Son actionnariat repose sur les piliers institutionnels de la finance mondiale. Vanguard et State Street, véritables mastodontes de la gestion passive, détiennent une part substantielle de l’entreprise, suivis par BlackRock, Capital Research, Dodge & Cox, ainsi que Merrill Lynch International. Cette présence dense des grands gestionnaires dans le capital de Raytheon témoigne de la rentabilité structurelle de la guerre dans les portefeuilles long terme.

General Dynamics se distingue par une capacité rare à couvrir l’ensemble du spectre de la guerre conventionnelle. Ses spécialités vont des systèmes terrestres — notamment les chars Abrams, les blindés Stryker et d’autres véhicules de combat — à la construction navale avec des sous-marins nucléaires et des destroyers pour la marine américaine. L’entreprise est également active dans la fourniture de munitions, de pièces d’artillerie et de systèmes d’information et de cybersécurité destinés à l’armée et aux agences de renseignement.

Le capital de General Dynamics est dominé par Longview Asset Management, suivi de près par The Vanguard Group et BlackRock. Newport Trust Company et State Street Corporation complètent ce noyau actionnarial. Cette composition reflète, là encore, une alliance solide entre le capital institutionnel et l’économie de défense, où la rentabilité s’appuie sur des contrats publics de longue durée, une demande stable, et une position stratégique dans l’appareil militaire américain.

Quand l’instabilité devient une stratégie d’investissement

Derrière les équilibres actionnariaux, c’est une architecture financière sophistiquée qui se déploie, où l’instabilité géopolitique cesse d’être une menace pour devenir une source anticipée de rendement. Dans ce paradigme inversé, la guerre n’est plus un choc mais un scénario intégré, valorisé pour sa prévisibilité budgétaire, ses marges garanties et sa capacité à structurer durablement les flux de capitaux.

La paix, quant à elle, devient un actif incertain, moins lisible pour les algorithmes de gestion. Désormais, les tensions mondiales alimentent les matrices d’allocation, transformant la guerre en variable stratégique — non pas subie, mais modélisée, arbitrée, et parfois implicitement souhaitée. Ce déplacement moral du capital appelle une reconfiguration urgente des critères d’investissement et des finalités géoéconomiques.

Ainsi se dessine, au croisement de la géopolitique et de la finance, une mécanique redoutablement rationnelle où la guerre, jadis tragédie, devient opportunité ; où la paix, hier horizon de progrès, se voit reléguée au rang d’anomalie risquée. Loin d’un simple dysfonctionnement moral, c’est l’architecture même du capitalisme contemporain qui est interpellée, dans sa capacité à distinguer création de valeur et destruction de sens.

Face à la financiarisation croissante des guerres, il devient urgent de repenser les grilles d’évaluation, redéfinir les finalités de l’investissement, et restaurer l’exigence d’un rendement aligné non sur l’effondrement des nations, mais sur leur stabilité, leur dignité et leur avenir. Car si les marchés peuvent tout anticiper — y compris la guerre — il appartient aux sociétés humaines de choisir, lucidement, ce qu’elles veulent valoriser.

Ould Amar Yahya, économiste, banquier et financier

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Attaques israéliennes contre l’Iran : le chef des Gardiens de la Révolution tué

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Attaques israéliennes de l'Iran

Plusieurs fortes explosions ont été entendues dans la nuit du jeudi 12 au vendredi 13 juin en Iran, notamment dans la capitale Téhéran. Dans la foulée, une source militaire israélienne a indiqué que l’État hébreu avait pris pour cible plusieurs installations du programme nucléaire iranien.

Soupçonnant Téhéran de vouloir se doter de l’arme atomique, Israël a annoncé dans la nuit du jeudi 12 au vendredi 13 juin avoir mené une première série de « frappes préventives » contre des cibles militaires et nucléaires iraniennes. Selon une source militaire israélienne, l’État hébreu a mené « des dizaines » de frappes à travers toute la République islamique. Des explosions ont notamment été entendues dans la capitale ainsi que sur le site d’enrichissement d’uranium de Natanz, dans le centre de l’Iran.

Téhéran riposte. « L’Iran a lancé environ 100 drones en direction du territoire israélien que nous nous efforçons d’intercepter », a déclaré le général de brigade Effi Defrin à la télévision, vendredi 13 juin, quelques heures après plusieurs frappes israéliennes contre des sites militaires et nucléaires en Iran. La diplomatie iranienne a déclaré avoir le « droit légitime » de répondre à cette attaque.

Le Premier ministre britannique Keir Starmer appelle au « retour de la diplomatie »

« Les informations sur ces frappes sont préoccupantes, et nous exhortons toutes les parties à faire un pas en arrière et à réduire d’urgence les tensions. L’escalade ne sert personne dans la région », a déclaré le Premier ministre travailliste dans un communiqué. « La stabilité au Moyen-Orient doit être la priorité. C’est le moment de faire preuve de retenue, de calme et de revenir à la diplomatie », a-t-il ajouté.

La Jordanie annonce fermer son espace aérien

L’autorité de l’aviation jordanienne a annoncé la fermeture de son espace aérien et l’immobilisation de tous les avions après le lancement de frappes israéliennes contre l’Iran. « L’espace aérien du royaume est temporairement fermé et le trafic aérien est suspendu pour tous les avions (…) par mesure de précaution face aux risques potentiels résultant de l’escalade régionale », a indiqué cette instance dans un communiqué. La Jordanie a par ailleurs précisé qu’elle n’autorisera aucune violation de son espace aérien dans le cadre d’un quelconque conflit.

L’Arabie saoudite condamne « l’agression israélienne » contre l’Iran

L’Arabie saoudite a condamné ce vendredi les frappes israéliennes meurtrières contre l’Iran, les qualifiant « d’agressions flagrantes » contre un « pays frère ». Le royaume « exprime sa ferme condamnation et sa dénonciation des agressions israéliennes flagrantes contre la République islamique d’Iran, pays frère, qui portent atteinte à sa souveraineté et à sa sécurité et constituent une violation flagrante des lois et des normes internationales », a affirmé le ministère saoudien des Affaires Étrangères dans un communiqué.

Donald Trump a affirmé à Fox News avoir été mis au courant de l’attaque

Le président américain Donald Trump a dit à Fox News avoir eu connaissance qu’Israël allait conduire des frappes en Iran, et déclaré que Téhéran ne devait pas obtenir l’arme nucléaire. « L’Iran ne peut pas pas avoir la bombe nucléaire et nous espérons revenir à la table des négociations. Nous verrons », a déclaré M. Trump, cité vendredi par la chaîne de télévision américaine. Des négociations entre Washington et Téhéran sont censées se tenir à partir de dimanche à Oman.

Avec Rfi/AFP

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Ali Ghediri quitte la prison de Koléa

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Ali Ghediri
Ali Ghediri, général-major à la retraite et ancien candidat à la présidentielle

L’ancien candidat à la présidentielle, le général à la retraite, Ali Ghediri, a quitté ce jeudi la prison de Koléa après avoir purgé la totalité de la peine de 6 ans prononcée arbitrairement contre sa personne.

Ne rigolez pas, Ali Ghediri, grand patriote devant l’éternel et général à la retraite, a été jeté en prison pour le fallacieux chef d’inculpation d’« atteinte au moral de l’armée en temps de paix ». Condamné en mai 2023, il avait vu sa peine alourdie à un mois de sa libération initialement prévue, ce qui a prolongé son incarcération jusqu’à ce jour.

Cette libération d’Ali Ghediri intervient dans un contexte politique particulièrement tendu, marqué par la répression des voix dissidentes et les rumeurs d’arrestations et de purges. L’ancien candidat retrouvera l’Algérie pire que dans l’état où il l’avait laissée il y a six ans.

Ali Ghediri, en tant qu’ancien haut responsable militaire, avait osé défier le système en place en appelant à l’arrêt du projet de cinquième mandat d’Abdelaziz Bouteflika, ce qui lui a valu son arrestation en juin 2019. Sa fameuse lettre aux aînés (*) a jeté la panique au sein des décideurs.

Sa condamnation a été perçue par de nombreux observateurs comme une tentative de museler toute opposition politique et de maintenir un statu quo autoritaire. Elle est aussi une espèce de punition de cet enfant de l’armée qui avait pour projet de réformer le pays. La prolongation de sa détention a renforcé cette perception, alimentant les critiques sur l’indépendance de la justice et le respect des droits fondamentaux en Algérie.

La libération d’Ali Ghediri après avoir purgé sa peine, n’est pas un cadeau pour cet ex-bagnard. Il a payé lourdement son indépendance d’esprit. Il demeure à observer quelle sera la position de ses geôliers et leurs intentions.

La sortie de prison d’Ali Ghediri est un événement symbolique fort, non pas pour le régime qui a consenti à le libérer, mais bien pour l’ex-détenu d’opinion. Cette sortie de prison après une première aggravation de sa peine ne doit pas occulter les défis persistants auxquels l’Algérie est confrontée. Il reste encore près de 250 prisonniers d’opinion. Et un nombre indéterminé de citoyen.nes sous Interdiction de quitter le territoire national.

Seul l’avenir dira si cette libération marque le début de quelque chose ou si elle reste un épisode isolé dans un système politique encore largement verrouillé avec l’arbitraire et la paranoïa obsidionale comme ADN.

Yacine K.

(*) Beaucoup de médias en ligne ont mystérieusement supprimé cette lettre de leurs archives.

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Tebboune : 6 ans de promesses brisées et d’espoirs trahis

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Tebboune
Tebboune conduit le pays vers l'irréparable.

Il y a cinq ans, Abdelmadjid Tebboune était installé par le général-major Ahmed Gaïd Salah à la tête d’une Algérie en dissidence avec ses dirigeants. Le pari était risqué. La rue régnait en majesté. L’espoir était permis. Aujourd’hui, « réélu », nous assure-t-on avec un score soviétique de 84,3% qui insulte l’intelligence des Algériens, le chef de l’Etat peut-il encore regarder ses concitoyens dans les yeux sans rougir ?

L' »Algérie nouvelle » : le grand mensonge

Pendant que le monde vacille sous nos pieds, le régime s’enferre chaque jour un peu plus dans le mensonge et le ridicule. Parlons franchement : où est donc passée cette fameuse « Algérie nouvelle » brandie comme un étendard pendant la campagne de 2019 ? Cinq ans plus tard, l’Algérie ressemble davantage à un navire qui fait du sur-place qu’à un pays en marche vers la modernité. Comme l’a si justement observé Jeune Afrique, « pour le pouvoir, l’Algérie nouvelle est sur la bonne voie. Pour une partie des Algériens, le pays est muselé. »

Le constat est implacable : les mêmes réseaux de pouvoir, les mêmes pratiques opaques, les mêmes promesses creuses. Tebboune n’a fait que repeindre la façade d’un système vermoulu sans jamais s’attaquer aux fondations pourries.

Le Hirak trahis, la démocratie enterrée

Quelle gifle pour tous ceux qui ont cru aux promesses démocratiques ! Le traitement réservé au Hirak révèle la véritable nature du régime Tebboune. Quand le chef de l’Etat déclare en juin 2021 : « Je n’utilise plus ce mot (Hirak) parce que les choses ont changé », ne reconnaissant que le Hirak « authentique et béni », il révèle son mépris pour le mouvement populaire qui l’a pourtant porté au pouvoir.

Les militants emprisonnés, les manifestations réprimées, les voix dissidentes étouffées : voilà la réalité de la « démocratie » version Tebboune. La Constitution de 2020 ? Un hochet pour endormir les naïfs, une vitrine pour les observateurs internationaux.

Une économie aux abois malgré la manne gazière

Cinq ans après, l’Algérie reste désespérément accrochée aux jupes de ses hydrocarbures comme un enfant à sa mère. Plus de 95% des exportations dépendent encore du pétrole et du gaz ! Où sont les promesses de diversification ? Où sont les réformes structurelles ?

Pendant que les cours du gaz s’envolaient avec la guerre en Ukraine, offrant une aubaine inespérée au régime, qu’a fait Tebboune ? Il a distribué quelques miettes sociales – augmentation du SNMG, allocations diverses – comme on jette des pièces à la foule pour acheter la paix sociale et double le budget de l’armée. Pendant ce temps, le chômage des jeunes explose et la classe moyenne s’appauvrit inexorablement.

« La nouvelle Algérie » de Tebboune est un sacré pied de nez à la liberté. Parlons de liberté de presse sous Tebboune : elle se résume à une mascarade. Nous macérons chaque jour dans la schizophrénie du régime. D’un côté, on emprisonne les journalistes indépendants ; de l’autre, on se gargarise de « dialogue » avec la presse.

Près de 250 détenus d’opinion croupissent dans les prisons. Si l’ancien candidat à la président Ali Ghediri a quitté ce soir la prison après avoir purgé une peine arbitraire de 6 ans de prison, il reste encore Boualem Sansal (80 ans) et des dizaines d’Algériennes et d’Algériens embastillés pour avoir dit ce qu’ils pensent.

Une diplomatie brouillonne et inefficace

Sur la scène internationale, Tebboune navigue à vue. Les relations avec la France oscillent entre réchauffement de façade et tensions diplomatiques. Avec le Maroc, c’est la guerre froide permanente. Et que dire de cette diplomatie du « ni-ni » qui consiste à ménager tout le monde sans jamais prendre position ?

L’Algérie, jadis respectée pour ses positions de principe, est devenue un acteur marginal sur la scène internationale, incapable d’influencer les grands dossiers régionaux. La meilleure preuve ? Les échecs dans la défense de la cause sahraouie, les tensions avec presque tout le voisinage et son absence lamentable dans les grands rendez-vous internationaux.

Le score de la honte

Comment ne pas évoquer cette réélection grotesque de septembre 2024 ? 84,3% des voix ! Même les plus fervents partisans du régime ont dû grimacer devant ce score digne des « démocraties » populaires d’antan. Comme l’a justement souligné The Conversation, ce résultat est tout simplement « irréaliste ».

Cette mascarade électorale insulte l’intelligence du peuple algérien et révèle le mépris profond du régime pour la démocratie. Avec une telle disproportion, Tebboune signe l’acte de décès de sa légitimité démocratique.

Six ans après son arrivée au pouvoir, Tebboune laisse derrière lui un pays plus divisé, plus appauvri intellectuellement, plus replié sur lui-même. Les jeunes continuent de fuir en masse vers l’Europe, les cerveaux s’expatrient. L’absence de quelque espoir de changement structurel a fini par décourager les plus patriotes et les investisseurs les plus nationalistes.

L’heure du réveil

Il n’y a ni présent ni avenir avec ceux qui dirigent le pays actuellement. Il est temps que les Algériens ouvrent les yeux sur la réalité de ce énième quinquennat raté. Derrière les discours lénifiants et les promesses en trompe-l’œil se cache un pouvoir fossilisé, incapable de se réformer et de porter le pays vers l’avenir.

L’Algérie mérite mieux que cette médiocrité institutionnalisée. Elle mérite des dirigeants à la hauteur de ses défis, capables de vision et de courage. Pas un président qui se contente de gérer l’immobilisme en le parant des atours du changement.

Le réveil sera douloureux, mais il est nécessaire. Car l’Algérie de demain ne se construira pas sur les ruines des promesses brisées de Tebboune.

Sofiane Ayache

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Basma Omrani : « L’écriture nous confronte à la solitude »

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Besma Omrani

Du silence naissent des voix qui portent en elles ses tremblements. Celle de Basma Omrani en est une, profonde et fragile. Dans Sursis à volonté, son premier roman, elle fait vibrer la vie de Sobhi, un homme en déséquilibre, errant dans une société sourde, entre mémoire fracturée, solitude nue, et vertige d’exister. Son écriture, dense et rythmée, révèle le délitement intime, l’exil intérieur, la quête obstinée d’une lumière — aussi ténue soit-elle. Ce livre ne se contente pas de raconter ; il crée un refuge où s’entendent enfin ceux que l’on tait.

Basma Omrani a accepté de se livrer avec la même intensité qui traverse ses pages : sincérité, pudeur et un regard aigu posé sur le réel, porté par une exigence littéraire rare. Rencontre.

Le Matin d’Algérie : Votre roman s’intitule Sursis à volonté. Pouvez-vous nous parler de ce choix de titre, à la fois paradoxal et poétique ?

Bessma Omrani : Sursis à volonté n’était pas mon premier choix de titre. Mais au fil de l’écriture, il s’est imposé presque naturellement. Le personnage principal évolue dans une sorte de labyrinthe intérieur, dont il ne parvient pas à s’extraire. Il avance dans un équilibre précaire, qu’il doit reconstruire à chaque instant. Il se sent en permanence incompris, écrasé, exclu de la vie, et de sa propre vie. Il aurait pu connaître d’autres possibles, dignes d’une vie humaine, mais rien ne se présente à lui.

Le Matin d’Algérie : Sobhi, votre personnage principal, traverse une forme de précarité existentielle. Est-il inspiré d’une personne réelle ou est-il une somme de figures croisées, imaginées, pressenties ?

Bessma Omrani : Lorsque je me promène dans les rues de Tunisie ou de Paris, je suis frappée par les visages vides, les corps fantomatiques, chacun absorbé par son smartphone, coupé du monde extérieur. Je crois profondément que la littérature est un lieu d’empathie entre les êtres.

J’ai voulu écrire et décrire cette perte d’épaisseur humaine dans nos sociétés contemporaines. Chaque jour, on assiste à des scènes glaciales d’indifférence, qui blessent. Sobhi est toutes ces personnes que j’ai croisées. Sobhi incarne cette tentative de comprendre autrui. Je suis attirée par les écritures qui donnent une voix aux solitaires, aux aliénés, aux fous, aux amoureux, aux marginalisés. Oui, donner la parole à ceux qui ne l’ont pas.

Le Matin d’Algérie : Le roman donne une voix à ceux qu’on n’entend pas. Écriviez-vous avec une forme de mission ou de devoir éthique ?

Basma Omrani : Lorsque j’ai entamé l’écriture de cette histoire, je ne savais pas où elle allait me mener. Je voulais dénoncer les ravages de la solitude, de la pauvreté, du vide existentiel que traversent tant de gens. Je voulais aussi démystifier l’image idéalisée de l’Europe : arrêter de croire qu’elle offre des solutions à tous les problèmes, et évoquer ces immigrés qui se sentent marginalisés, stigmatisés, souvent confrontés à des conditions de vie très précaires.

Le Matin d’Algérie : Votre langue est à la fois sobre et très travaillée, poétique sans ostentation. Quelle est votre relation au style ? Est-ce un acte de résistance face à la banalité ?

Basma Omrani : Tout au long du processus d’écriture, j’ai écouté beaucoup de musiques très différentes. Cela a été pour moi une véritable source d’inspiration. La musique a ses propres battements, ses rythmes, et je pense que cela a influencé mon style. J’ai opté pour des phrases courtes, pour créer un rythme saccadé qui pousse le lecteur à avancer. Je voulais que l’écriture soit presque cinématographique, comme si une caméra suivait Sobhi, en gros plan, captant son visage, sa mémoire, et la réalité qui l’environne.

Le Matin d’Algérie : On sent chez Sobhi une quête de sens, un besoin de respirer autrement. Est-ce que cette quête est aussi la vôtre, en tant qu’écrivaine et femme ?

Basma Omrani : En écrivant ce roman, j’ai goûté à une liberté nouvelle, et il m’était impossible de revenir en arrière. Il y a un avant et un après l’écriture. Écrire, pour moi, c’est à la fois un besoin et un tourment.

Le Matin d’Algérie : L’espace urbain semble peser sur les personnages. Quelle importance accordez-vous à la ville dans votre roman ? Est-elle un personnage à part entière ?

Basma Omrani : Dans ce roman, l’espace finit par envahir le personnage : sa mémoire, son intimité. Sobhi se sent agressé par tout ce qui l’entoure : les immeubles, l’architecture sans âme, les trottoirs, les lieux de vie… Ce n’est qu’à la fin du roman, lorsqu’il change d’environnement, qu’il parvient enfin à faire la paix avec lui-même.

Le Matin d’Algérie : La solitude traverse tout le texte. Est-elle une condition moderne selon vous, ou un symptôme d’une société plus largement malade ?

Basma Omrani : L’écriture nous confronte à la solitude, une solitude nécessaire. Pour écrire, pour descendre en soi et atteindre ce qui est enfoui, il faut être seul. Pour moi, cette solitude est un rempart, une condition essentielle pour se détacher du superficiel et aller vers l’essentiel.

Le Matin d’Algérie : Quel rôle jouent les femmes dans l’univers de Sobhi ? Sont-elles absentes par choix, par fragilité, ou par lucidité ?

Basma Omrani : Sobhi a une relation complexe avec les femmes. Il les perçoit comme une menace pour son indépendance émotionnelle. S’engager, pour lui, c’est s’exposer, risquer d’être abandonné. Seule la sexualité devient un refuge. Le chapitre avec la prostituée illustre bien cette dynamique : Sobhi cherche à dominer, à contrôler. Cette agressivité est une manière de se protéger de l’amour, en ne laissant place qu’au désir brut, sans tendresse. Le lecteur comprendra les racines de ce comportement en avançant dans le roman.

Le Matin d’Algérie : Vous êtes née à Sfax et avez étudié à la Sorbonne. Comment ces deux univers, tunisien et français, nourrissent-ils votre écriture ?

Basma Omrani : Cette double appartenance à deux pays m’a permis de voir les choses autrement. Elle me permet aussi d’éprouver des émotions complexes, de prendre du recul, de mieux comprendre certaines situations. C’est une richesse, mais aussi parfois un tiraillement.

Le Matin d’Algérie : On parle souvent de « premier roman » comme d’un rite de passage. Sursis à volonté est-il pour vous un point de départ ou une fin de cycle ?

Basma Omrani : L’écriture d’un premier roman est une aventure à la fois vertigineuse et exaltante. On s’y engage sans savoir si l’on sera publié, sans savoir où cela nous mènera. Ce fut pour moi une expérience bouleversante. C’est un moment de bascule dans ma vie. Plus j’écris, plus je trouve du temps pour le faire, et plus je m’en libère. L’écriture m’ouvre des espaces de respiration intérieure. C’est un travail de recherche, d’introspection, un véritable plongeon dans l’inconnu.

Le Matin d’Algérie : Quels auteurs ou autrices vous accompagnent dans votre parcours d’écriture ? Y a-t-il des lectures fondatrices ?

Basma Omrani : Je suis profondément marquée par Dostoïevski, pour son exploration saisissante de la psychologie humaine. Ses personnages sont tourmentés, profonds. Il pose des questions existentielles sans jamais offrir de réponses faciles. J’admire aussi Kafka, Zweig, McCullers, Calvino, Hemingway… et tant d’autres. J’aime les récits qui poussent les personnages à l’extrême, et qui montrent comment, sous la pression de leurs désirs, de leurs peurs ou de la société, ils basculent… et parfois se réinventent.

Le Matin d’Algérie : Ce roman est publié à la fois en Tunisie et en France. Avez-vous reçu des échos différents selon les lecteurs des deux rives ?

Basma Omrani : J’ai reçu de très beaux retours en Tunisie, ce qui m’a profondément touchée. En France, le roman vient tout juste de paraître, et j’ai reçu quelques retours encourageants de la part de mes amis proches.

Le Matin d’Algérie : Si vous deviez choisir un tableau, une chanson ou un film qui résume l’état d’âme de Sobhi, lequel choisiriez-vous — et pourquoi ?

Basma Omrani : Mi par d’udir ancora d’Enrico Caruso. Je suis incapable d’expliquer précisément le choix de cette musique, mais elle m’a habitée tout au long de l’écriture. Elle est restée en moi comme une empreinte sonore, une sorte de fil invisible.

Entretien par Djamal Guettala  

Publié aux éditions Zayneb en Tunisie et L’Harmattan en France, Sursis à volonté est un éclat poétique dans la grisaille du monde, un appel vibrant à ne jamais renoncer à la quête du sens et de la liberté.

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« Ben Barka – La disparition » : une bande dessinée pour rouvrir les plaies d’un crime d’État

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"Ben Barka – La disparition" : une bande dessinée pour rouvrir les plaies d’un crime d’État

Le 29 octobre 1965, Mehdi Ben Barka, l’un des leaders emblématiques du nationalisme marocain et figure de la lutte anticoloniale, disparaît à Paris dans des circonstances toujours non élucidées. Opposant au roi Hassan II, Mehdi Ben Barka inquiétait beaucoup le palais royal.

La bande dessinée Ben Barka – La disparition, parue aux éditions Futuropolis, revient sur ce crime d’État, mêlant enquête et reconstitution graphique pour éclairer une affaire emblématique des années 1960 et des complicités entre services secrets marocains et français.

Ce jour-là, Mehdi Ben Barka est attendu pour un rendez-vous devant la brasserie Lipp, boulevard Saint-Germain. Il porte alors un projet de film sur les luttes du Tiers-Monde, écrit par Marguerite Duras, réalisé par Georges Franju, avec Fidel Castro, Che Guevara, Nasser, Mao et Ho Chi Minh à l’affiche. Mais à la place d’un producteur, ce sont de faux policiers qui l’interpellent. Il est embarqué dans une voiture. On ne le reverra jamais.

Dans Ben Barka – La disparition, le journaliste David Servenay et le dessinateur Jacques Raynal rassemblent les pièces d’un puzzle resté longtemps verrouillé. Le récit s’appuie sur des archives judiciaires, des témoignages et des documents restés classés secret-défense pendant des décennies. Il met en scène des figures-clés de cette affaire : Georges Figon, intermédiaire trouble et ancien voyou reconverti, qui servit de lien entre le projet de film et les commanditaires du piège ; Philippe Bernier, journaliste proche de Ben Barka, et Maurice Buttin, avocat opiniâtre de la famille, confronté à une justice paralysée par la raison d’État.

Graphiquement, le dessin en noir et blanc de Jacques Raynal plonge le lecteur dans l’atmosphère pesante d’un polar politique. Loin des effets de style, le trait rugueux donne au récit une densité dramatique et une sobriété glaçante. Tout y est : filatures, manipulations, faux-semblants, silences… L’arrière-plan ? Une France encore engluée dans ses réflexes coloniaux, un Maroc monarchique obsédé par son opposant exilé, et des barbouzes naviguant entre deux rives, avec la complicité d’hommes d’influence.

Car l’affaire Ben Barka, au-delà de sa dimension tragique, révèle les mécanismes d’un monde bipolaire où les indépendances postcoloniales se construisent sous haute surveillance. Un monde où les alliances diplomatiques masquent des opérations clandestines. Un monde où l’engagement pour le Tiers-Monde peut valoir une condamnation à mort.

Soixante ans plus tard, le corps de Mehdi Ben Barka n’a jamais été retrouvé. Aucun responsable n’a été jugé. Le silence d’État reste la norme. Cette bande dessinée ne prétend pas résoudre l’affaire, mais elle documente, avec rigueur et précision, ce que les archives ouvertes permettent aujourd’hui de dire. Elle éclaire aussi ce que les archives fermées continuent de cacher.

Ben Barka – La disparition n’est pas seulement un exercice de mémoire. C’est un acte journalistique, une œuvre d’histoire dessinée, et un cri contre l’oubli. Elle rappelle que les disparitions politiques ne relèvent pas uniquement du passé. Elles interrogent notre présent démocratique et la capacité des États à affronter leurs zones d’ombre.

Djamal Guettala  

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Crash d’un avion d’Air India : 242 victimes

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crash d'un avion d'Air India

Un avion de la compagnie Air India s’est écrasé ce jeudi à proximité d’Ahmedabad, grande ville de l’ouest de l’Inde. L’appareil, qui assurait une liaison entre l’Inde et Londres, transportait 242 personnes au moment du drame.

Selon un communiqué d’Air India, parmi les passagers figuraient 169 ressortissants indiens, 53 Britanniques, sept Portugais et un Canadien. On ignore pour l’heure les circonstances exactes de l’accident, ainsi que le nombre de victimes.

Les secours ont été rapidement mobilisés sur la zone du crash. Des équipes de l’armée et des services civils d’urgence sont actuellement à pied d’œuvre pour sécuriser le périmètre et tenter de retrouver d’éventuels survivants.

Le gouvernement indien a annoncé l’ouverture d’une enquête. La direction d’Air India, quant à elle, a exprimé sa « profonde tristesse » et a promis de « tout mettre en œuvre pour soutenir les familles des passagers ».

L’avion devait rejoindre Londres dans le cadre d’un vol commercial régulier. Cet accident remet une fois encore en lumière les enjeux liés à la sécurité aérienne dans la région Asie-Pacifique.

Djamal Guettala  

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