21 mai 2024
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Pour des décennies, primauté de la violence sur le débat (II)

Août 1949 : au-delà de Ferhat Ali

Pour des décennies, primauté de la violence sur le débat (II)

Pourquoi ce silence public des dirigeants MTLD autour du grave incident et des données réelles du contentieux, alors qu’en sous-main et dans les appareils internes, les calomnies se déchaînaient, multipliant les invectives, les accusations virulentes de complot séparatiste anti-arabe, anti-islamique etc. ?

La démagogie autoritaire contre le mûrissement politique

Quelles étaient les motivations inavouées de certaines composantes de la direction et les raisons pour lesquelles d’autres composantes dans le parti et la société se sont montrées passives ou vulnérables à l’escamotage d’un problème national et démocratique de premier plan ?

Pour mieux le comprendre, il faudrait remonter à longtemps avant l’évènement malheureux du 18 août, aux raisons plus générales qui ont alimenté la dégradation politique interne et qui remontent à plusieurs années Je les évoquerai dans leurs manifestations des mois précédents. Elles déboucheront sur des implications plus concrètes dans les semaines qui ont précédé l’évènement.

Les raisons générales, c’est le pourrissement des pratiques politiques illustré au niveau de la direction par le choix des solutions autoritaires, en lieu et place d’un travail sérieux d’élaboration et de formation politique. Vaste question, qui aurait mérité une étude à part. Je précise que quand je parle de direction, j’entends par là ceux qui étaient en situation de prendre à ce moment-là des décisions opérationnelles. Car au sein des acteurs qui se coalisaient ou s’opposaient au sein de la direction, il y avait une grande hétérogénéité et même une conflictualité aussi bien dans leurs inclinations politiques et idéologiques, que dans leurs motivations conjoncturelles.

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Autour du même mot d’ordre d’indépendance, les convictions (ou préjugés) sincères et les calculs de pouvoirs et de prérogatives s’entrecroisaient chez les uns et les autres dans la confusion, y compris parfois dans la tête du même militant ou responsable. Seul un débat tenant compte des aspirations et des inquiétudes saines dans la base militante et la population, aurait pu éclaircir cette complexité, Car quant au fond, elle était inhérente à un mouvement national et à des militants encore en train de chercher leurs repères. Il était encore possible, et c’était le bon moment, de répondre de façon constructive aux attentes des uns et des autres, au lieu de favoriser un climat passionnel en nourrissant ces attentes de slogans démagogiques et de rejets réciproques.

La brochure de Idir El Watani, ou une autre plate-forme présentée par la direction, auraient pu quelles que soient leurs insuffisances, jouer ce rôle d’effort doctrinal consensuel. Il est significatif que certains dans la direction, à défaut de fournir les aliments attendus, aient préféré briser cette possibilité, pour reprendre quelques années plus tard à leur compte, une fois l’irrémédiable accompli, des pans entiers de «L’Algérie libre vivra ». Trop tard, ce mea culpa à retardement inaugurait une nouvelle pratique qui aura hélas de beaux jours devant elle : produire des documents mirobolants contredits par des pratiques toujours marquées par leur péché originel de 1949 : parlez toujours, je détiens les rênes de l’appareil.

Précisément, le refus du débat, reflet de la maturité générale insuffisante, a débouché sur une situation qui accentuait l’arbitraire des dirigeants nantis des leviers de décision et des moyens de l’appareil exécutif. Ils légitimaient ce privilège auto octroyé par la situation de clandestinité. Jouer sur l’alarmisme était pour eux une façon d’éviter de rendre des comptes sur nombre de problèmes d’orientation et de gestion. Ils ont tranché de manière brutale là où il fallait s’efforcer de dénouer et de déminer le terrain en écoutant tout le monde. D’autres, nombreux, plus hésitants et circonspects, ont subi plus ou moins passivement le climat et les préjugés ambiants et surtout le fait accompli. Plusieurs d’entre eux s’expliqueront plus tard, trop tard, jusqu’à de longues années après avoir constaté les dégâts ou subi eux-mêmes des pratiques similaires. Ils se contenteront, chose déjà positive, d’émettre des doutes et d’affirmer que les torts étaient partagés, que la crise de 1949 aurait pu être dénouée autrement. Seuls deux ou trois resteront irréductibles sur leur point de vue d’alors, déformant les faits et surtout demeurant aveugles aux leçons qu’ont données les décennies suivantes.

Si la parution se fait en deux fois, la première partie s’arrêterait ici, en mettant : A suivre

Le texte reprendrait ensuite sous le même grand titre général, en précisant ; suite et fin

Mais cette deuxième partie commencerait en reprenant le paragraphe précédent, comme suit :

Précisément, le refus du débat, reflet de la maturité générale insuffisante, a débouché sur une situation qui accentuait l’arbitraire des dirigeants nantis des leviers de décision et des moyens de l’appareil exécutif. Ils légitimaient ce privilège auto octroyé par la situation de clandestinité. Jouer sur l’alarmisme était pour eux une façon d’éviter de rendre des comptes sur nombre de problèmes d’orientation et de gestion. Ils ont tranché de manière brutale là où il fallait s’efforcer de dénouer et de déminer le terrain en écoutant tout le monde. D’autres, nombreux, plus hésitants et circonspects, ont subi plus ou moins passivement le climat et les préjugés ambiants et surtout le fait accompli. Plusieurs d’entre eux s’expliqueront plus tard, trop tard, jusqu’à de longues années après avoir constaté les dégâts ou subi eux-mêmes des pratiques similaires. Ils se contenteront d’émettre des doutes et d’affirmer que les torts étaient partagés, que la crise de 1949 aurait pu être dénouée autrement. Seuls deux ou trois resteront irréductibles sur leur point de vue d’alors, déformant les faits et surtout demeurant aveugles aux leçons qu’ont données les décennies suivantes.

Mentalités et batailles de « koursis »

Le climat et le mode de fonctionnement de la direction favorisait donc le recours aux ficelles politiciennes, au détriment de la recherche des solutions de fond. Procédé de plus en plus dominant, il fut l’une des raisons de la crise,

Avant de décrire comment ce « mode d’emploi » s’est traduit dans les semaines précédant le mois d’août, je rappellerai en passant que le rôle de « bouc émissaire » du « complot séparatiste » kabyle aura eu aussi pour effet de faire passer à l’arrière-plan une autre contestation, celle du Dr Lamine Debbaghine. Sur certains aspects de fond, les points de vue de ce nationaliste de la première heure, intègre et attaché à une conception plus saine et moderne de l’arabité et de l’islamité de l’Algérie, rejoignaient les nôtres.

A sa façon et indépendamment de nous, il dérangeait beaucoup les deux pôles qui bien avant les crises du MTLD des années cinquante, étaient en concurrence pour le leadership. D’un côté les bureaux de direction de la rue Marengo, et de l’autre côté Messali, ses fidèles et ses réseaux à partir de sa résidence de Bouzaréah.

Beaucoup plus tard, au début des années cinquante, le Dr Lamine sera lui aussi éloigné, victime des pratiques de sérail et des méthodes de règlement en circuit fermé, qui avaient fonctionné si bien contre les amis politiques de Bennaï Ouali.

Abordons maintenant comment, dans ce contexte de dégradation, les particularités de la situation en Kabylie ont été utilisées au cours des semaines qui ont précédé le 18 août par les dirigeants en question, en suscitant et allumant des conflits organiques et d’appareils. De sorte que, sans qu’ils l’aient forcément voulu directement, cela aboutit à un incident tragique et lourd de conséquences. Leur responsabilité politique tient au fait qu’ils souhaitaient la cassure avec les courants démocratiques et partisans de la discussion dans les instances régulières. Passant à côté de l’essentiel, ils ont mis à profit les arrestations des responsables de Kabylie pour des changements organiques qui leur permettent d’asseoir leur autorité en faisant d’une pierre deux coups. Leur calcul était d’opposer les uns aux autres deux courants issus de la région de Kabylie et qui les inquiétaient l’un et l’autre. Les dirigeants d’Alger tournaient ainsi le dos à leur vocation et fonction de dirigeants nationaux qui auraient dû les inciter à tout faire pour rapprocher et unir ces deux courants dans le cadre d’une solution plus globale de sauvegarde nationale.

Leur première bête noire était ceux qu’on a traités de « séparatistes berbéristes » qui en réalité voulaient ouvertement, sans intrigues ni jeux de coulisses, faire avancer le parti vers une base doctrinale sérieuse et des règles de fonctionnement transparentes. Ils voulaient fonder cette base doctrinale et organique sur le triptyque « Nation cohérente, Révolution active et Démocratie dans le contenu et les méthodes ».

Cela supposait entre autres, crime de lèse-majesté, qu’on mette fin à des situations de bricolage dans lequel s’affrontaient sournoisement différents groupes pour privatiser un temple dont ils se considéraient les seuls défenseurs. Les contours de ces groupes d’influence étaient flous et mobiles car les principes invoqués étaient faussés et pollués par les rivalités de pouvoir. D’un côté les surenchères radicales et populistes des uns, plus ou moins illustrées par le groupe Messali et de l’autre côté les signes d’un opportunisme rampant des autres, véhicule par quelques-uns des animateurs pro Chevallier dans le futur groupe des « centralistes ».

La deuxième bête noire de la direction, était constituée par le gros des « maquisards » recherchés, notamment les militants issus de Kabylie ou s’y réfugiant. Considérés avec méfiance par la direction qui les considérait acquis à Bennaï Ouali et ses compagnons, ils étaient en quête de repères politiques depuis que leurs responsables emblématiques et organiques avaient été arrêtés.

Des activistes faiblement politisés

D’une façon générale, l’activisme de ces partisans de la lutte « directe » (ils entendaient par là le volet exclusif de la lutte armée), que ce soit en Kabylie ou dans les autres zones géographiques, embarrassait depuis longtemps les courants de la direction qui craignaient des débordements préjudiciables à leurs propres orientations. Il est bien établi que des membres de la direction du MTLD, sans en arriver à remettre en cause ouvertement la décision de création de l’OS, considéraient ces activistes comme un boulet, gênant ou dangereux pour leur démarche penchant davantage vers le légalisme.

Il est vrai qu’à cette époque déjà, la montée au djebel n’était pas dans tous les cas le résultat d’un volontariat et d’une sélection sur la base de critères politiques et de trempe morale, Pour certains, leur montée résultait de motifs pressants de sécurité pour se soustraire à la répression colonialiste. Il est arrivé que Bennaï Ouali et ses compagnons prennent des mesures de vigilance pour brider chez certains de leurs subordonnés des initiatives individuelles mal inspirées ou suggérées par d’autres cercles de la direction de façon irresponsable ou manoeuvriers, qui risquaient de porter tort aux objectifs politiques locaux ou nationaux du mouvement.

C’est justement en mettant à profit ce genre de faiblesses politiques que la direction qui boudait jusque-là les maquisards, s’est adressée à certains d’entre eux. Elle les invita à prendre bureaucratiquement la succession des responsables de Grande Kabylie, tout en les mettant en garde contre les cadres et militants étudiants et syndicalistes qui continuaient, notamment à travers la diffusion de la brochure « L’Algérie libre vivra » à revendiquer une rénovation démocratique des orientations du parti.

Ces activités, selon les dirigeants en place, étaient la cause du climat perturbé dans les rangs des militants de Grande Kabylie et en France. Sans crainte de se contredire, ils en attribuaient la source à l’influence pernicieuse tantôt de courants colonialistes, tantôt de courants communistes, inventant même pour l’occasion la formule de « berbéro-marxistes » accolée à celle de séparatistes,

J’ai eu à cette même époque la confirmation de cette démarche des dirigeants et des arguments qu’ils avaient utilisés auprès de certains maquisards de Kabylie. C’était à l’occasion de la rencontre que j’eus avec l’un d’entre eux, Fernane Hanafi, venu aux nouvelles et s’informer sur nos intentions. Je ne me souviens plus si c’était Yahia Henine ou Saïd Oubouzar qui m’accompagnait à cette rencontre.

Nous avons discuté toute une après-midi dans le minuscule atelier de tailleur du vieux Si Djilani, ancien cadre de l’Etoile Nord-Africaine, au quartier la Marine, détruit quelques années plus tard sur l’emplacement actuel de l’avenue du 1er Novembre. Fernane voulait connaître nos points de vue et nos intentions. Nous l’avons rassuré en lui précisant que nous n’avions pas d’objectif organique, Nos activités visaient à informer les militants sur les problèmes qui avaient surgi. Notre souhait était qu’un large débat se déroule sur les questions essentielles, l’idéal étant la réunion d’un Congrès. Nous souhaitions que la direction s’engage sur la voie de solutions démocratiques et de sagesse.

Fernane Hanafi m’a paru attentif et de bonne foi. Sa mort dans les premiers mois de l’insurrection m’a attristé, lorsque mon ami le restaurateur Saïd Akli me l’a annoncée. Accueillant fréquemment les responsables de maquis après le 1er novembre, il s’était occupé de le faire soigner après les blessures mortelles qu’il avait reçues lors d’un échange de coups de feu avec une patrouille de police sur le chemin ex-Vauban qui porte aujourd’hui son nom à Hussein Dey.

La descente vers le pire

Malgré le climat ouvert de cette rencontre, plusieurs raisons nous incitaient à penser que notre entrevue aurait beaucoup de difficulté à contrecarrer les pressions de la direction. Celle-ci préférerait la voie des manipulations organiques et de la division, laissant intactes les causes politiques du malaise. Nous en avions déjà eu une illustration quand ces dirigeants, croyant désamorcer la crise par une distribution de « koursis », proposa de faire accéder deux d’entre nous au Comité central du MTLD, dont moi-même. Nous avions pensé alors que ces dirigeants n’avaient rien compris à ce qui se passait, ou au contraire, ils le comprenaient très bien mais redoutaient d’affronter les vrais problèmes à l’origine du mécontentement. Ils persistaient à naviguer entre la carotte et le bâton. Or nous avions quelques raisons de penser que certains de nos frères maquisards seraient vulnérables à ce genre de sollicitations.

La première de ces raisons était que les maquisards dépendaient entièrement de la direction pour leur soutien logistique. Ils comprenaient bien la portée du chantage de la direction mais n’avaient pas d’autre moyen de s’y soustraire. De plus, la vie qu’ils menaient et le type de préoccupations au jour le jour qu’elle impliquait n’aidait pas certains d’entre eux à mieux saisir la portée politique et de long terme des problèmes en litige.

Par un sentiment humain normal mais non maîtrisé, l’esprit activiste se détachait du contenu politique parce qu’il se résumait en un seul point, engager dès que possible le combat armé pour en finir avec les atermoiements et l’attente fastidieuse qui les rongeait. Ils étaient plus enclins à considérer les préoccupations politiques comme des spéculations fumeuses et sans intérêt ou des diversions propres à semer la division.

Avec le recul, je me suis souvenu à ce propos comment Ho Chi Minh avait convaincu ses premiers volontaires, prêts techniquement et impatients d’agir, de patienter pour tenir compte à la fois des évolutions politiques et des besoins d’une formation politique plus poussée des combattants.

La sous-estimation du politique n’existait pas chez Bennaï Ouali, pourtant l’un des pionniers de la lutte armée (voir témoignage de Yousfi dans un de ses ouvrages). Cet homme du peuple, lié au terroir et soucieux de protéger les siens des impulsions qui pouvaient se retourner contre eux, était servi par un solide bon sens et en même temps, ouvert à conjuguer l’expérience de terrain avec la réflexion. Il était attentif aux mouvements d’idées qu’il débattait avec ses compagnons d’armes issus des lycées et de l’université. Ensemble, ils avaient beaucoup fait pour transformer la région de Kabylie en un des bastions les plus dynamiques du mouvement national. L’interaction entre le terrain et la vie intellectuelle, entre les racines identitaires et l’ouverture sur l’universel devenaient une force.

C’est ce que ne comprenaient pas nombre de dirigeants d’Alger, qui croyaient faire preuve de patriotisme en cultivant chez les militants l’état d’esprit anti-intellectuel. En vérité, ils souhaitaient s’entourer de gens ayant des capacités intellectuelles, mais les appréciaient avant tout dans les fonctions de scribes ou de producteurs d’arguments pour légitimer leurs positions du moment. Sinon ils n’étaient que des « intellectomanes » voués à leur mépris. Quelle différence avec un Laïmèche Ali que j’entendais dire un jour à Ben Aknoun en 1945 à un de nos camarades : « Tu as un cerveau, c’est pour t’en servir, ce n’est pas pour le mettre en location ! »

Auteur
Sadek Hadjerès

 




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