6 novembre 2024
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Fatiha Benabbou : Pour une élection présidentielle et une révision de la constitution

ENTRETIEN

Fatiha Benabbou : Pour une élection présidentielle et une révision de la constitution

Fatiha Benabbou. Crédit photo : Zinedine Zebar.

Il est des rencontres aussi éclairantes que lumineuses. Celle avec Madame Fatiha Benabbou en fait inévitablement partie. Madame Benabbou enseigne le droit depuis plus de 38 ans à l’université d’Alger. Précisément, professeur de droit constitutionnel et très au fait du déroulement des évènements que traverse le pays, elle accepte de nous éclairer sur certains aspects cruciaux.

Le Matin d’Algérie : La date du 9 juillet étant passée, dans quelle situation se trouve le pays d’un point de vue constitutionnel ?

Fatiha Benabbou : Tout d’abord il faut savoir que la constitution n’a pas explosé. Elle est toujours en vigueur. Elle est composée de trois parties : les principes généraux, les droits et libertés fondamentaux des citoyens, et l’organisation des pouvoirs. 

On peut distinguer trois types de pouvoir. Le pouvoir judiciaire, composé de la Cour suprême, des tribunaux, du conseil d’Etat qui sont en activité. Le pouvoir législatif représenté par l’Assemblée nationale et le conseil de la nation qui existent toujours ; le Conseil constitutionnel est aussi présent. Le problème se situe au niveau du pouvoir exécutif qui est composé du chef de l’Etat et d’un premier ministre. De ces deux têtes, le chef de l’Etat n’a plus la légalité depuis le 9 juillet. Mais ceci ne signifie pas que la constitution a disparu, puisque tous les autres organes sont là. 

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D’ailleurs les citoyens manifestent et considèrent qu’ils ont le droit de le faire. Qui leur confère ce droit ? C’est la constitution qui garantit ce droit à travers les droits et libertés fondamentaux des citoyens. Elle garantit un climat démocratique, c’est le baromètre des libertés. L’absence de constitution ouvre la voie à toutes les dérives. Il est primordial de garder la constitution. La légalité reste la protection ultime pour le citoyen. En ce qui concerne l’indépendance de la justice, même si la vox populi parle de justice par téléphone pour certaines affaires dites politiques, il faut savoir qu’une grande partie des affaires restent jugées conformément à la loi.

Le Matin d’Algérie : Et la légalité du chef de l’Etat ?

Fatiha Benabbou : Il est clair que le chef de l’Etat a perdu la légalité que lui confère l’article 102 qui a atteint ses limites. C’est vrai qu’aujourd’hui, nous sommes face à un « pouvoir de fait ». Cela arrive dans des circonstances exceptionnelles. Cela s’est déjà produit ailleurs en France, par exemple, en juin 1944, le gouvernement provisoire du général De Gaulle, et en 1992 avec le Haut comité d’Etat (HCE) en Algérie. Ce qu’il faut garder en tête, c’est que quelles que soit les circonstances, le pouvoir est inévitablement récupéré par quelqu’un. L’armée à travers l’article 28 alinéa 2 a pour mission permanente la sauvegarde de l’indépendance nationale et la défense de la souveraineté nationale. Dans une situation de désordre, en l’absence d’un pouvoir légitime, la nature ayant horreur du vide,  le pouvoir finira par échoir aux militaires. C’est pour cela que j’insiste sur le fait d’organiser des élections démocratiques qui nous donneront un pouvoir légitime.

Le Matin d’Algérie : Faut-il une courte constitution pour aller rapidement dans cette transition et sortir de l’impasse ?

Fatiha Benabbou : Les petites constitutions ou constitutions de transition existent lorsque l’on est dans une période de transition. Lorsque l’Etat s’effondre, les organisations internationales mettent en œuvre une constitution de transition pour que les droits et libertés fondamentaux des citoyens soient garantis et éviter tous types de dérives. 

Le Matin d’Algérie : Lors d’une interview sur la chaîne 3 vous avez préconisé un dialogue national mené par des personnes non clivantes et n’ayant pas d’attache partisane ?

Fatiha Benabbou : Pourquoi soutenir un dialogue ? Simplement parce que l’on est régi ou par la légalité ou par la violence. Le pouvoir se prend par les urnes ou par la force. Le dialogue reste la solution la moins violente et la plus civilisée. En temps de guerre les militaires font la guerre, les politiques négocient la paix. Le dialogue est nécessaire : il est inévitable.

Le Matin d’Algérie : Que pouvez-vous nous dire de la conférence national du dialogue, initiée par les forces du changement, à laquelle vous avez été conviée, dont le coordonnateur est Monsieur Rahabi et qui donne l’impression de battre de l’aile ?

La plupart des formations et personnalités politiques présentes à Zeralda en 2014 ont été conviées à cette conférence mais des défections ont été constatées au dernier moment. Ce genre d’attitude est caractéristique au paysage politique algérien. Certaines parties ont critiqué le fait de n’avoir pas participé à l’élaboration de la feuille de route qui se discute depuis déjà plus de deux mois.  Quoiqu’il en soit cette première rencontre n’est qu’un prélude, une amorce. Rien n’empêchait les différentes parties à participer et à intégrer les différentes commissions lors de la prochaine conférence qui se tiendra le mois prochain.

Le Matin d’Algérie : Vous êtes donc pour l’organisation d’élections. Est-ce qu’il s’agit de présidentielles ou pour une assemblée constituante ?

Fatiha Benabbou : Je suis pour des présidentielles dans lesquelles  les candidats s’engageront préalablement, à travers une charte, à  ouvrir dès leur élection, certains chantiers dont la révision de la constitution surtout en ce qui concerne le volet organisation du pouvoir. Je suis pour un équilibre des pouvoirs. Le futur président doit perdre une partie des pouvoirs que lui confère la constitution actuellement.

Le Matin d’Algérie : Que pensez-vous de la proposition de certaines formations et personnalités politiques à procéder à l’élection d’une assemblée constituante avant de passer à l’élection d’un président ?

Fatiha Benabbou  : Non je ne suis pas de cet avis. Dans la constituante on remet le compteur à zéro. En mettant tout à plat on détruit toutes les institutions. Le statut juridique de ces institutions figure dans la constitution ; enlever la constitution c’est scier l’arbre sur lequel les institutions et le pouvoir puisent leur légalité et leur légitimé. Ce qui entraînerait inexorablement l’effondrement des institutions et de l’Etat. Cela me parait effrayant. L’Etat c’est le peuple éternel, qui représente l’Algérie depuis des siècles et des siècles. C’est une personne morale, qui incarne les générations passées, nos ancêtres : Massinissa, la Kahina, Aksel. C’est pour cette raison qu’il ne faut pas toucher à cette mémoire, à ce peuple éternel, qui ne meurt pas. Revoir la constitution oui, mais pas aujourd’hui. La constituante peut mener vers le désordre et le chaos. L’implication de l’armée dans la gestion de la cité ne serait que plus grande. Allons vers des élections et transférons le pouvoir aux civils 

Le Matin d’Algérie : Pourquoi  donc différer ces débats, pourquoi éviter certains sujets fâcheux comme la laïcité ?

Fatiha Benabbou : La société est-elle prête ? La société algérienne est très conservatrice. Le risque est d’ouvrir la boîte à Pandore. Certains voudront remettre en cause certains précieux acquis, jusqu’au statut de république pour le pays. Je suis pour une nouvelle constitution mais pas sous la forme d’une assemblée  constituante ; on ne remet pas en cause toute la constitution ; on garde une partie de l’actuelle et on revoit l’autre. De Gaulle, en 1958, afin d’éviter une division de la France en deux, refusa d’organiser des élections pour une assemblée constituante et confia la rédaction de la constitution à un comité d’experts après avoir posé des garde fous par une loi de juin 1958.; la constitution a été ratifiée par référendum : elle est toujours en vigueur. 

Le Matin d’Algérie : Comment désormais créer des gardes fous effectifs qui mettent en pratique la loi fondamentale ?

Fatiha Benabbou : Le premier garde-fou est l’équilibre des pouvoirs. En droit constitutionnel moderne la notion de séparation des pouvoirs est dépassée. Il s’agit d’avoir par exemple une cour constitutionnelle en mesure d’être un contre-pouvoir pour parvenir à sa modération, qu’elle ait la faculté d’empêcher. Ses membres doivent être des professionnels du droit et ne pas appartenir au monde politique.

Le Matin d’Algérie : Comment passer pratiquement d’une conférence nationale du dialogue vers des élections ?

Fatiha Benabbou : D’abord réunissons-nous, discutons et œuvrons à l’émergence d’un climat démocratique afin d’aller à des élections dans cet état d’esprit au lieu de le faire dans un climat autoritaire. Bien sûr, il faut élargir les détenus d’opinion, revoir les lois et les listes électorales ainsi que certains textes liberticides.

Le Matin d’Algérie : Démocratie absolue, démocratie constitutionnelle ?

Fatiha Benabbou : La démocratie absolue peut devenir tyrannique, c’est une notion dépassée. Majoritaire aujourd’hui on peut devenir minoritaire demain. C’est un danger en soi pour les minorités. Aujourd’hui, on parle  de démocratie constitutionnelle qui se résume en un mot : le respect des droits et libertés fondamentaux des minorités. Le député socialiste Laignel disait en 81 : vous avez juridiquement tort parce que vous êtes politiquement minoritaire.

Le Matin d’Algérie : Pour finir Madame Benabbou, pensez-vous que les membres de l’Etat-major militaire sont favorables à un dialogue véritable et sincère ?

Fatiha Benabbou : Ils sont dans l’obligation d’aller vers le dialogue. Les politico-militaires sont biologiquement en voie de disparition ; les jeunes officiers ne sont plus initiés à la politique depuis 1989. Ils n’ont ni la prétention ni les compétences pour aborder la chose politique. Ils ne savent pas négocier, ce sont des professionnels de la guerre.

Le Matin d’Algérie : Les politico-militaires sont-ils disposés à transférer le pouvoir aux civils de but en blanc ?

Fatiha Benabbou : Vous savez il existe une idée très simpliste, très mécanique. Les militaires algériens sont un peu comme leurs homologues latino-américains, « ils montrent du doigt » le candidat qu’ils voudraient voir accéder à la magistrature, pour lequel ils souhaiteraient voir les citoyens voter. Ils ne désirent pas et n’ont pas la capacité de gérer. Ça les incommoderait de se voir refiler la patate chaude du pouvoir ! De plus, la majorité des militaires sont des conscrits qui reflètent les divisions de la société algérienne, et, par conséquent, l’armée ne peut pas risquer de mettre en péril sa cohésion. 

 

Auteur
Entretien réalisé par Djalal Larabi

 




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