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vendredi 19 septembre 2025
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Ouverture différée de la session parlementaire : Tebboune pietine encore la Constitution

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Tebboune
Le chef de l'Etat devient M. Bricolage.

En ajournant l’ouverture de la session parlementaire en dehors du cadre constitutionnel, Abdelmadjid Tebboune illustre une présidence qui s’arroge le droit de remodeler les règles à sa convenance. Face à cette dérive, un Parlement défaillant, privé de toute autonomie, confirme son rôle d’institution docile plutôt que de véritable contre-pouvoir.

Eu égard des dérives autoritaires et du mépris souverain des textes fondamentaux du pays, qu’on ne s’étonne pas que Tebboune ne triture la Constitution pour avoir un 3e mandat.

« Pour l’avoir connu comme wali et ministre de Bouteflika, Tebboune était sans consistance et poigne se croit désormais investi d’une mission presque divine », glisse une ancienne connaissance du locataire d’El Mouradia. C’est dire !

Quelques jours à peine après la nomination d’un Premier ministre par intérim, un acte contraire à la constitution, la présidence et les instances dirigeantes du Parlement affichent un mépris assumé des délais constitutionnels. 

En effet, l’Algérie connaît une fois encore, une violation manifeste de sa Loi fondamentale :  l’ouverture de la session parlementaire 2025–2026, prévue par l’article 138 de la Constitution pour « le deuxième jour ouvrable du mois de septembre », n’aura pas lieu conformément au calendrier parlementaire convenu. 

Selon les déclarations du député Abdelwahab Yagoubi (MSP), aucune convocation officielle n’a été adressée aux députés à deux jours de l’échéance constitutionnelle, alors que des informations officieuses fixent la première séance plénière au 15 septembre.

Au-delà du simple retard, c’est le principe même du respect de la Constitution qui est une nouvelle fois mis en cause. Car la loi fondamentale ne laisse aucune marge d’interprétation : la session doit démarrer début septembre et durer dix mois. Retarder son ouverture pour des raisons de « cérémonial protocolaire » n’a aucun fondement juridique.

Un Parlement réduit à un médiocre décor

Dans ce contexte de dérives répétées, où le texte constitutionnel apparaît davantage comme une variable d’ajustement politique que comme une règle contraignante, les rares voix discordantes peinent à se faire entendre. L’opposition parlementaire, marginalisée, n’a qu’un écho limité, tandis qu’une majorité résignée semble avoir accepté la mise entre parenthèses du rôle du Parlement, renforçant ainsi l’image d’élus en « vacances permanentes », incapables d’exercer un véritable contrôle sur l’exécutif.

Dès lors, la question soulevée par ce nouvel ajournement dépasse largement le cadre juridique : qui, parmi les parlementaires des deux chambres, peut réellement s’émouvoir d’un tel dépassement quand l’institution n’a jamais assumé sa mission de contre-pouvoir ?

Dans un système où la verticalité de la décision s’impose à toutes les institutions, le report de l’ouverture de la session parlementaire illustre, plus clairement que jamais, le déclassement de l’Assemblée populaire nationale et du Conseil de la nation, réduits à un simple décor institutionnel.

Un signal ignoré

La dénonciation d’Abdelwahab Yagoubi a le mérite de rappeler que le respect de la Constitution ne saurait être une option. Mais peut-elle, à elle seule, réveiller des consciences politiques assoupies ? Rien n’est moins sûr. Car l’acceptation tacite de ces entorses répétées traduit la soumission d’une classe politique à un exécutif qui s’arroge le droit d’interpréter et de remodeler les règles du jeu à sa convenance.

Chaque jour qui passe conforte cette constante dans la pratique des présidents qui se sont succédé au pouvoir en Algérie : la Constitution demeure, plus que jamais, un texte de référence symbolique, rarement un cadre contraignant.

Sofiane Ayache

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Agen mobilisée pour la libération de Christophe Gleizes, emprisonné en Algérie

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Banderole déployée par la ville d'Agen pour soutenir Christophe Gleizes détenu en Algérie.
Banderole déployée par la ville d'Agen pour soutenir Christophe Gleizes détenu en Algérie.

À Agen (commune du Sud-Oued de la France), la mobilisation pour le journaliste Christophe Gleizes, originaire de la ville, prend une forme visible et symbolique. Reporters sans frontières (RSF), avec le soutien de la Ville d’Agen et des élus de Boé, a déployé le 29 août une bâche géante sur la façade de la mairie, proclamant : “Agen pour la libération de Christophe Gleizes, journaliste sportif français condamné à 7 ans de prison”.

Christophe Gleizes, journaliste pigiste des médias So Foot et Society, a été arrêté en mai 2024 lors d’un reportage en Algérie. Aujourd’hui incarcéré à Tizi Ouzou et condamné à 7 ans de prison pour, entre autres, « apologie du terrorisme », il fait face à des accusations contestées d’“apologie du terrorisme” et de “possession de publications dans un but de propagande nuisant à l’intérêt national”.

Originaire du Sud-Ouest, Christophe conserve des attaches familiales à Agen et à Boé, où réside sa grand-mère. Ses parents, Sylvie et Francis Godard, saluent l’engagement des habitants et des élus : “Nous voulons le revoir très vite parmi nous.” RSF, en collaboration avec le groupe So Press et la famille, a lancé un comité de soutien regroupant des centaines de personnalités du monde de la culture, du sport et des médias, ainsi qu’une pétition qui compte déjà près de 20 000 signatures.

Après la bâche déployée en juillet sur le parcours du Tour de France, une bâche itinérante circulera dans les semaines à venir lors de plusieurs événements majeurs de la région, notamment sportifs, pour plaider la cause de Christophe Gleizes. Elle sera notamment visible le dimanche 31 août lors de “Nouvelles Confluences”, en présence de ses parents et avec le soutien des élus départementaux.

RSF insiste : “Le journalisme n’est pas un crime. Christophe Gleizes doit être libéré.”

Mourad Benyahia 

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Et si on lisait « Irina, un opéra russe », incontournable de la rentrée littéraire 2025

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Irina, un opéra russe
Irina, un opéra russe

La rentrée littéraire 2025 en France s’annonce sous le signe de la Russie et des passions intemporelles avec le nouveau roman d’Anouar Benmalek, « Irina, un opéra russe ».

Dès les premières pages, le lecteur est happé par la rencontre improbable entre Irina, soprano aux rêves de grandeur, et Walid, jeune étudiant franco-algérien en visite à Leningrad en 1978.

Devant l’entrée du musée de l’Ermitage, Irina lui demande son aide pour accéder à la « petite salle italienne » où se cache un Caravage mystérieux. Puis elle disparaît, laissant Walid épris et fasciné, lancé sur une quête qui traversera quarante années et des continents.

La force du roman réside dans la capacité de Benmalek à mêler romance intime et fresque historique. Walid tombe amoureux d’Irina Rostova, jeune chanteuse prometteuse, mais le destin décide de les séparer. Quarante ans plus tard, il revient à Saint-Pétersbourg dans l’espoir de retrouver son premier amour.

Entre-temps, Walid a traversé l’histoire : torturé par la police en Algérie, menacé par le terrorisme et contraint à l’exil en France. Ces épreuves, mêlées à ses souvenirs amoureux, nourrissent une réflexion sur le temps, la mémoire et la quête de bonheur.

Le roman s’ouvre sur des scènes d’opéra vibrantes où la musique devient langage de l’âme. Irina, sur scène, semble adresser à Walid un message unique : « J’ai tant de choses à te dire, ou plutôt, une seule, mais vaste comme la mer… » Ces phrases, simples et poétiques, condensent la profondeur du lien entre les deux personnages. Irina est présentée comme une femme ambitieuse, espiègle, et parfois audacieuse, capable d’humour et de réflexions philosophiques sur la réincarnation et le paradis. Walid, lui, oscille entre admiration, désir et mélancolie, conscient des obstacles à leur union et du titre de séjour qui approche de son terme.

Irina, un opéra russe ne se limite pas à une romance. Benmalek explore également les tragédies historiques du XXe siècle, en particulier la sombre période de l’URSS au Kazakhstan dans les années 1930, au travers de Vladimir, le grand-père d’Irina.

Les famines, les prisons, les exécutions clandestines du NKVD et la brutalité du pouvoir soviétique sont décrites avec un réalisme saisissant. Le roman juxtapose ainsi le fracas de l’histoire aux passions humaines, montrant comment le destin individuel se tisse au cœur des tragédies collectives.

La narration non linéaire est un autre trait distinctif du roman. Les allers-retours dans le temps, entre Leningrad des années 1980 et la Saint-Pétersbourg contemporaine, offrent une profondeur psychologique et une richesse émotionnelle uniques.

Certains personnages peuvent revenir dans le passé, changeant subtilement le cours de l’histoire, tandis que le lecteur navigue entre souvenirs, récits historiques et trajectoires imaginaires. Ce mélange de temporalités exige une attention soutenue, mais la puissance romanesque de l’histoire efface rapidement toute difficulté de lecture.

Saint-Pétersbourg, avec sa Neva glaciale, le Palais d’Hiver et ses monuments imposants, devient un personnage à part entière. La ville, immense et majestueuse, reflète l’intensité des émotions des protagonistes et la grandeur historique de la Russie. Benmalek parvient à conjuguer l’échelle intime et l’échelle historique, offrant au lecteur une immersion totale dans la cité et dans la mémoire des personnages.

En filigrane, le roman explore également la création littéraire de Walid adulte, devenu historien et écrivain. Entre fiction et réalité, ses livres retracent les tragédies et incohérences du monde arabe et tentent de donner un sens au chaos des sociétés humaines. Ces réflexions enrichissent le roman et montrent comment la littérature peut devenir un outil pour appréhender le hasard et l’injustice, tout en offrant une consolation face aux épreuves de l’existence.

Avec « Irina, un opéra russe », Anouar Benmalek signe une œuvre où romance, musique et histoire se rencontrent dans un style poétique et puissant. Les lecteurs amateurs de grands romans russes, d’émotions intenses et de fresques historiques y trouveront matière à voyager et à réfléchir sur l’amour, le temps et la mémoire.

Djamal Guettala

Mini-biographie

Né à Casablanca d’une mère marocaine et d’un père algérien, Anouar Benmalek est diplômé en mathématiques et titulaire d’un doctorat d’État en probabilités et statistiques soutenu à Kiev. Professeur universitaire et chroniqueur journalistique, il a participé à des reportages dans le Moyen-Orient en guerre et a été membre fondateur du Comité algérien contre la torture. Auteur de nombreux romans, il a exploré des thèmes difficiles tels que la Shoah et le génocide des Héréros et des Namas, et a parfois suscité des appels au meurtre pour ses œuvres. Son écriture mêle rigueur intellectuelle, sensibilité littéraire et engagement historique.

Irina, un opéra russe / Anouar Benmalek
Emmanuelle Collas éditions août 2025

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Christophe Gleizes : ses parents appellent à ne pas faire de leur fils un enjeu politique

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Christophe Gleizes
Christophe Gleizes condamné à 7 ans de prison ferme

La famille du journaliste sportif français Christophe Gleizes, condamné en juin dernier à sept ans de prison par le tribunal criminel de Tizi Ouzou, continue de dénoncer ce qu’elle considère comme une affaire injuste et disproportionnée. Selon un entretien accordé à l’Agence France-Presse (AFP), ses parents estiment que leur fils est devenu une victime collatérale des tensions entre la France et l’Algérie.

Arrêté le 28 mai 2024 alors qu’il couvrait les activités de la Jeunesse sportive de Kabylie, Gleizes a été inculpé de « promotion du terrorisme » et de « détention de publications portant atteinte à l’intérêt national ». Le verdict prononcé en juin 2025 a suscité une vive émotion en France, notamment parmi les organisations de journalistes et de défense de la liberté de la presse. Reporters sans frontières (RSF) a dénoncé une « décision démesurée » et l’utilisation « abusive » de la législation antiterroriste contre un journaliste en exercice.

Sylvie et Francis Godard ont pu rendre visite à leur fils à deux reprises au centre pénitentiaire de Tizi Ouzou entre le 11 et le 22 août, une autorisation exceptionnelle accordée par les autorités algériennes. « La première fois que je l’ai vu, le 12 août, j’ai eu un choc en découvrant son crâne rasé. Je ne l’avais jamais vu ainsi. Mais il est en bonne santé, et il fait beaucoup de sport pour garder l’esprit clair », raconte sa mère.

Ces visites, limitées à une demi-heure chacune, se sont déroulées derrière une vitre, avec un simple combiné téléphonique pour communiquer. « Nous avons tout fait pour lui transmettre les messages de la famille, des amis et des collègues, ainsi que ceux du comité de soutien animé par RSF », précise Sylvie Godard.

Pour son père, Francis, la sévérité de la condamnation s’explique par un contexte politique tendu : « Les accusations sont absurdes. La seule explication, c’est que Christophe est pris dans les crispations actuelles entre la France et l’Algérie. »

Les proches insistent sur la distinction entre l’affaire de Christophe Gleizes et d’autres dossiers récents, comme celui de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal, condamné à cinq ans de prison pour « atteinte à l’unité nationale ». « Tous deux méritent d’être libres, mais ce sont des affaires distinctes », souligne Francis Godard.

En France, la condamnation a suscité un large mouvement de solidarité. Des collectifs de journalistes et des organisations internationales de défense de la presse ont multiplié les appels en faveur de sa libération. Pour ses parents, cette mobilisation est essentielle afin que le cas de leur fils ne soit pas réduit à un simple enjeu diplomatique.

Dans l’attente du procès en appel prévu à l’automne, Christophe Gleizes reste détenu dans un isolement que ses parents jugent préoccupant. « Il garde le moral, mais il se sent totalement coupé du monde », confie sa mère. Chaque visite, trop brève selon elle, laisse la famille avec la peur de longues semaines d’absence avant de pouvoir le revoir.

Au-delà de l’inquiétude, Sylvie et Francis Godard rappellent que leur fils est avant tout un journaliste. « Il doit être jugé sur son travail et non utilisé comme instrument dans un bras de fer politique entre deux pays », martèlent-ils.

Il est utile de rappeler ici qu’il y a près de 250 prisonniers d’opinion en Algérie.

Avec AFP

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« Le pouvoir est au bout du fusil »

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Char
Image par shauking de Pixabay

Dans les années qui suivirent l’effondrement du bloc soviétique, la presse se fit l’écho de quelques propos de commentateurs,  analystes, journalistes voire hommes politiques exprimant une certaine nostalgie du temps de la guerre froide.

Celle-ci représentant, certes avec ses tensions ou frictions, une époque où la scène mondiale était parfaitement décodable, prévisible et encadrée par une grammaire des relations internationales totalement maîtrisée par les deux Grands qui avaient su construire une architecture de la sécurité internationale compatible avec une course aux armements contrôlée par des accords et des traités qui évitaient les excès, entretenaient la confiance et permettaient de justifier de sa bonne foi.

Lors de la rencontre entre Poutine et Trump sur le sol de l’Alaska – qui s’est plutôt soldée par un échec pour amorcer un retour à la paix en Ukraine, mais par un succès de réhabilitation diplomatique pour Poutine – on assista à une petite provocation diplomatique de la part de Sergueï Lavroff. Le ministre des affaires étrangères russe afficha ostensiblement un tricot bariolé du sigle CCCP (acronyme en cyrillique de l’ex-Union soviétique), façon de rappeler le bon temps où les deux pays régentaient et contrôlaient le monde à eux seuls sans avoir à se soucier d’autres puissances. La délégation américaine n’a pas pipé mot, façon de faire savoir qu’elle aussi adhérait à l’idée que c’était le bon temps. Nostalgie partagée si l’on en croit le succès vestimentaire de ce tricot en Russie et bien au-delà.

À l’époque de la guerre froide, l’idée dominait que tout conflit, à l’âge nucléaire, était devenu impossible entre grandes puissances nucléaires, car ne pouvant aboutir qu’à une destruction mutuelle, mais qu’il restait possible de grignoter des influences dans le reste du monde.

C’est ainsi qu’on vît surgir les concepts de « stratégie oblique » ou de « conflit de basse intensité » pour déstabiliser tel ou tel pays et y planter un drapeau pensant faire avancer ou reculer la révolution mondiale. Le Tiers monde en fut le principal terrain. La zone de l’affrontement s’était déplacée.

À partir des années 90, la multiplication des conflits devint manifeste et surtout se rapprocha des pays du centre notamment avec la guerre de l’Otan contre la Serbie, lui arrachant le Kosovo.

Les États-Unis s’en prirent à l’Irak, divisant l’Otan et l’Europe. Aujourd’hui deux conflits mondialisés, au cœur de l’Europe et au Moyen-Orient traversent la planète autour de polarisations différentes et mettent à mal la liaison transatlantique. On ne parle plus de « stratégie oblique » ou de « conflit de basse intensité », mais de « guerre hybride ». Ce qui signifie que ce sont des grandes puissances qui s’affrontent mais par des moyens non-militaires dont l’éventail est infini de la cyber-attaque  à la désinformation en passant par le sabotage ou la déstabilisation politique.

Mais la conflictualité n’a pas baissé, bien au contraire. Les armements se modernisent et changent les réalités de la guerre qui devient un champ d’expérimentation en temps réel permettant aux États-majors de s’adapter en continu. Les destructions s’accroissent, plus vite que le nombre de morts dont les tristes records (Shoah et massacre des Tutsis) n’ont pas forcément mobilisé les armes les plus performantes.

La guerre civile du Rwanda, avec de simples machettes, armes de poing et grenades a pu faire 800.000 victimes en trois mois. Malgré leur horreur les guerres d’Ukraine et de Gaza, n’ont pas atteint un tel chiffre en trois ans.

Selon l’International Crisis Group, une douzaine de conflits seraient aujourd’hui en cours, prenant plusieurs visages. Le Sipri, lui en dénombre une cinquantaine dont quatre majeurs par l’importance des morts générés : les guerres civiles au Myanmar et au Soudan, les guerres entre Israël et le Hamas et entre la Russie et l’Ukraine. Les deux dernières sont déjà largement mondialisées.

Faut-il s’étonner si D. Trump s’attribue le mérite d’en avoir résolu six, se comportant chaque fois en prédateurs à la recherche de ressources ou de contrats léonins. On peut en douter. Mais ce qui est révélateur c’est que le choix de ce créneau médiatique rencontre une préoccupation grandissante qui travaille les populations, nourries tout à la fois d’un mélange de crainte et d’aspiration à la paix.

Cette conflictualité croissante s’accompagne d’un développement des Sociétés Militaires Privées (SMP), phénomène qui gangrène la planète et participe à l’embauche de mercenaires – aujourd’hui appelés contractors, ce qui fait plus chic – qui s’organise au travers de réseaux internationaux de recrutement en marge de la légalité.

Ces forces participent à l’accompagnement d’armées régulières qu’elles évitent de déployer, permettent de réduire le coût politique ou diplomatique d’une intervention, d’en garantir même le déni, et assurent des fonctions d’entraînement voire d’engagements directs. Les activités auparavant plutôt honteuses – comme marchands de canons – deviennent aujourd’hui des pratiques valorisées, encouragées, de même que la production massive d’armements.

Le monde semble prêt pour un nouveau paradigme, celui d’un chaos généralisé. Face à ce scénario un indice qui pourrait faire sourire est révélateur, celui de l’essor des ventes de bunkers ou d’abris en kit. Cette violence globalisée s’accompagne d’un même phénomène qui traverse nos sociétés, c’est celui que l’on désigne désormais sous le terme de violence désinhibée qui marque de nouvelles générations et qui est la marque de la prolifération de l’économie maffieuse se nourrissant de tous les trafics et n’hésitant pas à franchir de nouveaux paliers dans la recherche de gains rapides.

La contrepartie se traduit par une économie massive de la corruption et un recul de la fonction protectrice de l’État. L’ONU confirme que la criminalité organisée et la violence des bandes criminelles font plus de victimes que les conflits armés, les pays du sud étant plus fortement atteints.

Les conflits qui traversent le monde présentent un trait commun largement partagé. Ils piétinent le droit international et le droit international humanitaire qui se sont littéralement effondrés devant les formes prises par les deux conflits majeurs en cours, entre Israël et les Palestiniens ou celui qui oppose Russie et Otan sur le territoire ukrainien.

Ces deux conflits qui semblent loin d’être terminés, sans compromis à portée de mains, confirment cet effondrement qui en vient même à être théorisé par l’usage du concept flou de guerre préventive qui supplante désormais celui de légitime défense parfaitement codifié celui-là. On nom de ce principe il devient possible de déclencher une guerre en alléguant que l’on se sentait menacé. La « guerre des douze jours » déclenchée par Israël appuyé par les États-Unis contre l’Iran le fut au nom de ce principe entériné par la France sous le label  juridiquement inexistant de « droit de se défendre ».

Les instances juridiques internationales comme la Cour pénale internationale (CPI) qui juge les hommes ou la Cour internationale de justice (CIJ) qui juge les États et dont le rôle est de révéler les multiples et graves violations du droit, toutes deux saisies non sans courage par certains États, se sont exprimées avec vigueur et netteté. Aujourd’hui elles sont l’objet d’une vindicte suscitée pas les États-Unis qui s’en prennent personnellement aux dirigeants de ces institutions. Défendre ce dernier filet de sécurité est une urgence absolue.

Cette violence désinhibitrice qui parcourt la planète et nos sociétés nous rappelle qu’après la Longue marche Mao affirmait en 1938 que « le pouvoir est au bout du fusil ». Le propos reste vrai et a été maintes fois illustré du Vietnam à l’Afghanistan en passant par le Sahel, le Moyen-Orient ou l’Ukraine. Mais il nuançait son propos en ajoutant « le parti commande aux fusils ». La première remarque reste vraie. Il n’est pas certain que la seconde le soit encore.

Michel Rogalski

Directeur de la revue Recherches internationales

Cette chronique est réalisée en partenariat rédactionnel avec la revue Recherches internationales à laquelle collaborent de nombreux universitaires ou chercheurs et qui a pour champ d’analyse les grandes questions qui bouleversent le monde aujourd’hui, les enjeux de la mondialisation, les luttes de solidarité qui se nouent et apparaissent de plus en plus indissociables de ce qui se passe dans chaque pays.

Site : http://www.recherches-internationales.fr/ 

https://shs.cairn.info/revue-recherches-internationales?lang=fr

Mail : recherinter@paul-langevin.fr 6, av. Mathurin Moreau; 75167 Paris Cedex 19

Abonnements 4 numéros par an : 55 €, Étranger 75 Euros

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Sale comme un pays en plastique !

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Saleté partout
La saleté partout !

Le pays est sale. Sale au point de nous noyer en chœur dans des égouts. Comme un funeste destin d’un peuple qui plonge, englouti par ce qu’il a lui-même produit, rejeté et refusé d’assumer. Sale à asphyxier le ciel de plastique et à boire le choléra à grands flots.

Le pays est malade, infecté par ceux qui l’habitent. Ils l’empoisonnent, le torturent, se vengent de sa terre et de sa mer qui les empêchent de fuir. On lui inocule nos rages et immondicités jusqu’à la septicémie. Et on y sédimente les strates d’un mal-être infini qui nous ronge collectivement. Tel un marqueur laissé aux archéologues du futur d’une société qui s’est éteinte, étouffée par ses incuries et ordures.

Toi, tu sais que les pourtours des immeubles sont des dépotoirs pour des mains déprimées, incapables de prendre l’escalier et d’accompagner une simple poubelle du soir. Tu sais que dans le noir, le rustre voisin catapulte son sac d’ordures par la fenêtre. Tu l’as vu nourrir les rats qui vivent leur âge d’or dans l’opulence des déchetteries sauvages qui s’étendent le long des villes et douars-carcasses. Tu as vu le mioche balancer le « zbel » dans le ravin. Tu as vu le transporteur renverser son contenu sur le sentier de la forêt qui menait autrefois aux caves du colon.

Mais tu ne dis rien ! Pas parce que tu ne vois pas, mais parce que tu l’as peut-être, toi-même, déjà fait. Ou un proche parent ? Et tu leur trouves des excuses : c’est loin, c’est fatigant, c’est la faute à l’État. La vérité, c’est que tu ne dis rien parce que tu t’en accommodes. L’odeur ne te répugne plus. Les rats font partie du village et les sangliers, des populations domestiques. La banalisation du crime propage le crime. Après tout, c’est le travail de la mairie, du wali, du président ? Le boulot des camions rouillés du douar, de ramasser ce que tu as partout semé et refuses de voir !

Presque personne ne se demande où vont les camions chargés de rats et de matières putrides ? Où stockent-ils autant de fiel ? Sachant que les ordures sont partout et qu’elles ont depuis longtemps dépassé les capacités de résilience du pays. Oui, il existe des aires de stockage dédiées aux déversements de déchets dans chaque ville, qui attendent d’être brûlés à l’air libre. Du plastique aux ordures ménagères, en passant par les huiles industrielles et les pneus : tout brûle, oui, mais ruisselle, percole et se transforme… en poison !

Les nappes phréatiques, les sources, les ruisseaux, les puits, l’eau que tu bois et qui irrigue tes fruits et légumes se chargent de matières dangereuses, de métaux lourds et de polluants éternels. Les champs, le ciel, l’air que tu respires : tout te revient comme un écho d’une mort lente et certaine. Un boomerang d’une pollution assumée, chargée de métastases.

La saleté a dévoré les creux et les bosses, les arbres et les oueds. Tu ne réagis plus parce que tu es un complice sous hypnose d’une incroyable réalité. Dévitalisé par l’ampleur du désastre ou de ton ignorance. C’est l’immondicité qui a eu raison de ta raison, de ta clairvoyance !

Jeter et se cacher derrière une porte en fer en imputant la responsabilité uniquement à l’État, uniquement au voisin. Se cacher en croyant que les portes tiennent éloigné l’air pollué et l’eau que boivent tes enfants. Derrière les barreaux, incarcéré des deux bords. Prisonnier de ton inaction et de tes non-choix.

Que faire ? Des gestes simples et urgents : arrêter l'usage du plastique. Chacun de son côté. Refuser les sacs assassins. Ne prendre que le bon vieux couffin comme seul compagnon de courses. Réduire l'usage des emballages. Acheter en vrac, c'est plus propre et économique. Éviter les bouteilles en plastique, les boissons gazeuses, les jus en Tetra Pak. La nature vous dira merci et votre foie aussi. Le but est de produire moins de déchets pour en retrouver moins dans la nature. Et puis, ne sortir sa poubelle que le jour du ramassage pour que les animaux n'en fassent plus leur festin.

Bien sûr, l’État doit jouer son plein rôle, il est le premier responsable de cette bouillabaisse nauséabonde. Personne ne dira le contraire. Mais ça ne décharge aucunement le citoyen de ses responsabilités.

L’État doit prendre des mesures de consignation des bouteilles, canettes, pots, boîtes (plastiques ou autres) pour que l’usager trouve son compte à ramasser et à recycler. Et puis, sévir, sévèrement. Amendes lourdes et peines pour les récidivistes. Salir doit devenir un délit majeur. Les eaux usées doivent être assainies. Des contrôles rigoureux sur les rejets toxiques des usines selon le principe du pollueur-payeur. Ne pas hésiter à dénoncer. L’exemple du Rwanda, qui est passé en une décennie d’un pays infecte en décombres au plus propre d’Afrique. Un autre monde est possible. Un monde oû chaque citoyen est un gardien du temple.

Pierre Rabhi a rendu célèbre la philosophie du colibri qui essayait d’éteindre le feu de forêt avec l’eau dans son bec. Ça paraît dérisoire, mais au moins, lui, il a essayé, alors que tous les grands animaux de la forêt prenaient la fuite. Soyez tous colibris, nettoyez le pays!

K. H

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Le jeune au t-shirt rouge : symbole d’une Algérie désespérée

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Harraga
Des harragas algériens qui fuient le pays.

Il y a des images qui frappent comme des sentences, qui bouleversent comme des tragédies antiques, et qui valent à elles seules toutes les analyses. Cette vidéo qui circule sur les réseaux sociaux en est une.

On y voit un groupe de jeunes, embarqués dans une traversée clandestine vers l’Espagne. Leur barque, ballotée par la Méditerranée, est poursuivie par la marine qui s’approche comme une fatalité. Alors, dans un geste désespéré, les jeunes plongent pour rejoindre l’embarcation. Tous parviennent à grimper à bord, sauf un. Celui que l’on appellera désormais le jeune au t-shirt rouge.

Lui reste seul, suspendu à son destin. On le voit battre les vagues, se débattre avec la mer et avec la peur. Ses bras frappent l’eau comme des prières muettes, son regard accroche désespérément le radeau, sa seule arche de survie, tandis que derrière lui les gardes-côtes se rapprochent inexorablement. La mer devient son juge et son tombeau possible. Le monde semble retenir son souffle.

Puis, dans une fulgurance, une main fraternelle surgit : celle d’un ami qui, d’un geste incroyable, l’agrippe et l’arrache à l’abîme. Il est sauvé. Mais sauvé pour quoi ? Pour l’exil, pour la fuite, pour remercier Dieu non pas d’avoir survécu à l’Algérie, mais d’avoir réussi à la quitter. Voilà la tragédie : une patrie que l’on remercie non pour ce qu’elle donne, mais pour ce qu’on parvient à lui échapper.

Tout est dit dans cette scène : l’Algérie ne retient plus ses enfants que par la peur et le désespoir. Le jeune au t-shirt rouge est devenu le symbole de millions d’autres, de cette jeunesse brisée qui préfère affronter la mort en mer plutôt que l’asphyxie dans son propre pays. Il n’est pas un naufragé de la mer, il est le naufragé d’un régime.

Un régime qui, depuis des décennies, multiplie les discours triomphalistes, promet des réformes, des relances, des lendemains meilleurs, et qui ne livre que chômage, stagnation, misère et corruption endémique. Un régime qui a trahi les rêves des martyrs en transformant une terre libérée en prison à ciel ouvert.

Car l’Algérie n’est pas pauvre. Elle est immensément riche. Mais ses richesses sont confisquées, détournées, dilapidées par une caste vorace qui ne pense qu’à ses privilèges et à sa survie. Pendant que les palais des élites s’illuminent, les foyers de la jeunesse s’assombrissent.

Pendant que le pouvoir gonfle ses bilans mensongers, les jeunes se jettent à la mer. Chaque harraga est un vote de défiance, chaque barque qui quitte nos côtes est un référendum silencieux : « nous n’avons plus foi en vous ». Et chaque noyade est une condamnation morale qui colle au front de ceux qui gouvernent.

Le jeune au t-shirt rouge a été sauvé par la main d’un ami. Mais qui sauvera l’Algérie ? Qui tendra sa main à ce pays pour l’arracher à l’abîme où ses propres dirigeants l’ont jeté ? Car l’Algérie n’a pas besoin de slogans ni de commémorations creuses, elle n’a pas besoin de promesses répétées et jamais tenues, elle a besoin d’un État qui cesse de sacrifier ses enfants pour protéger ses tyrans.

Aujourd’hui, le régime ne gouverne pas : il retarde l’inévitable. Et l’inévitable, c’est l’explosion d’une jeunesse à qui l’on a volé ses rêves. Car lorsque le désespoir devient plus fort que la peur, aucune barrière, aucun navire, aucun mur ne peut contenir la fuite.

Le jeune au t-shirt rouge n’est pas une anecdote. Il est une sentence. Il est Sisyphe des temps modernes, condamné à porter le fardeau de l’exil. Il est le miroir de toute une génération sacrifiée. Il est la preuve vivante que l’Algérie se fuit elle-même. Et tant que le régime s’accrochera à ses mensonges, d’autres silhouettes plongeront, nageront, disparaîtront dans les vagues.

Un pays qui voit ses enfants partir ainsi n’est plus une patrie, c’est un tombeau. L’histoire jugera. Et dans ce jugement, l’image du jeune au t-shirt rouge flottera à jamais comme un réquisitoire contre un régime qui, au lieu de bâtir une nation, a choisi de dévorer ses enfants.

Hassina Rebiane

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Université d’été Riposte Internationale : quatre jours de débats sur la liberté et la démocratie en Méditerranée Nibelle, Orléans du 19 au 22 août

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Intervenants de l'université d'été de Riposte Internationale
Intervenants de l'université d'été de Riposte Internationale

Militants, avocats, Responsables politiques, défenseurs des droits humains universitaires et représentants d’ONG venus d’Afrique, d’Europe et du Maghreb se sont retrouvés à Nibelle pour débattre des droits Humains, de la justice et de la démocratie dans une région en crise.

« Cette édition est la quatrième de notre université d’été, et elle prend un sens particulier face aux défis liés aux droits Humains que traversent nos pays », a déclaré Ali Aït Djoudi, président de Riposte Internationale, lors de la cérémonie d’ouverture. L’événement a rassemblé des voix venues d’horizons variés pour partager expériences, analyses et stratégies de résistance pacifique face à la montée des régimes autoritaires et à la restriction croissante des libertés.

Parmi les interventions les plus marquantes, celle de Mme Nassera Dutour, présidente du CFDA et de la FEMED, a résonné avec force. « Être empêchée de revenir dans mon propre pays est un choc. La vérité et la justice sont les seules voies pour reconstruire l’Algérie », a-t-elle affirmé, rappelant son refoulement d’Algérie et la nécessité d’une solidarité régionale.

A travers une vidéo le président du RCD Atman Mazouz à tenu à apporter son soutien à Riposte Internationale. Il a d’abord salué l’initiative de riposte internationale.  Il qualifie l’université d’été comme un espace précieux où les expériences se croisent et les luttes se nourrissent. Le président du Rassemblement pour la Culture et la Démocratie RCD à apporté son soutien aux détenus d’opinions et dénoncer la répression contre les défenseurs des Droits Humains en Algérie.

Me Abderrazak Kilani, ancien bâtonnier, ancien Ministre de Tunisie, a dressé un tableau alarmant de la situation dans son pays depuis le coup d’État de 2021 : « Nous assistons à un recul dramatique des droits et libertés, à des arrestations arbitraires et à l’instrumentalisation de la justice par le pouvoir. La solidarité internationale est plus que jamais nécessaire. »

Le Mali n’a pas été en reste, avec Ismaël Sacko, président du PSDA et ancien conseiller du président Malien déchu. Il a évoqué les coups d’État successifs et la dissolution des partis politiques : « Il est vital d’impliquer les jeunes générations dans la défense des valeurs démocratiques, sinon le cycle de l’autoritarisme se perpétuera. »

Mohand Bakir, Journaliste lors de son intervention a indiqué  sa joie d’être présent et son souhait d’échanges et d’écoute mutuelle, soulignant un moment particulier pour les sociétés du Sud et le monde.

Geneviève Garrigos, élue conseillère à la mairie de Paris et ancienne présidente d’Amnesty International France, a salué « le courage des défenseurs des droits humains au Maghreb » et dénoncé « le deux poids, deux mesures » dans la protection des libertés fondamentales. Elle a rappelé les liens historiques et culturels entre les deux rives de la Méditerranée, plaidant pour « une solidarité sans faille et la fin de l’esprit colonial ».

Durant ces quatre jours, les discussions ont exploré de nombreux thèmes. La justice algérienne, les prisonniers d’opinion, les lois répressives et le harcèlement des avocats ont été minutieusement analysés. La violence contre les femmes en Algérie a été abordée avec, mettant en lumière les insuffisances juridiques et institutionnelles pour protéger les victimes. Le rôle historique du Congrès de la Soummam et l’inspiration qu’il continue de représenter pour la démocratie contemporaine ont également été évoqués.

Justice algérienne : prisonniers d’opinion et lois répressives

La première journée de débats a été marquée par une table ronde consacrée à la justice algérienne. Autour de Smati Chawki, Me Aïssa Rahmoune et Nassera Dutour ont présenté des contributions d’avocats algériens, parmi lesquels Me Ahmine, Me Aidoune Dalal, Me Sofiane Ouali et Me Bellatreche.

Leurs interventions ont dénoncé les insuffisances du Code de procédure pénale de 2025, la prolongation abusive de la détention provisoire, la restriction des recours et la domination du ministère public. « Défendre un prisonnier politique en Algérie, c’est s’exposer au harcèlement, aux menaces et parfois aux poursuites », a alerté Me Rahmoune.

Les débats ont également porté sur la criminalisation croissante des activités civiques, la surveillance des réseaux sociaux et la suspension de nombreuses associations.

Ingérences étrangères et Printemps arabe confisqué

La seconde thématique a été consacrée aux ingérences étrangères au Maghreb et au Moyen-Orient. M. Dylan Boutiflat, membre du bureau national du Parti socialiste français , chargé des relations internationales et Mr Frédéric Orain, élu à Blois et membre du parti socialiste, ont rappelé que les indépendances arabes avaient été « confisquées » par des régimes autoritaires s’appuyant sur le pétrole, l’aide étrangère et le nationalisme.

Le Printemps arabe de 2011 a bouleversé ces équilibres, mais son échec apparent, notamment en Libye et en Syrie, reste lié à des interventions étrangères motivées par des intérêts stratégiques. « Malgré tout, le Printemps arabe a fait naître une conscience politique qui ne s’éteindra pas », a estimé Orain.

Algérie et Tunisie : libertés en péril

La deuxième journée a mis en lumière la situation des droits humains en Afrique du Nord. Adel Boucherguine, président du Comité de sauvegarde de la LADDH, a présenté un bilan alarmant pour l’Algérie : 126 arrestations, 55 gardes à vue et 44 mandats d’arrêt en 2025, dont 15 pour « terrorisme », ainsi que 242 prisonniers d’opinion recensés. « La société civile est réduite à un désert associatif », a-t-il déploré.

En Tunisie, Me Kilani a dénoncé l’adoption du décret-loi 54 sur la cybercriminalité, qui a conduit à des condamnations allant jusqu’à 70 ans de prison. « Mais l’esprit de résistance est toujours là », a-t-il assuré.

Violence faite aux femmes : un combat inachevé

L’intervenante de Mme Ismahan Aït Messaoud présidente AFTA a consacré une session à la violence envers les femmes en Algérie. Elle a dénoncé l’absence de reconnaissance du viol conjugal, la tolérance implicite envers les crimes d’« honneur » et les failles juridiques permettant aux agresseurs d’échapper aux sanctions.

« Les féminicides augmentent, mais ne sont pas reconnus juridiquement. Les victimes sont laissées sans protection, parfois assassinées par leurs agresseurs libérés », a-t-elle rappelé, citant le cas tragique de Sheima.

Mémoire et avenir : du Congrès de la Soummam au Hirak

L’héritage du Congrès de la Soummam de 1956 a été réaffirmé comme un jalon démocratique fondateur. « Abane Ramdane avait posé les bases d’un État civil et non militaire. Cet esprit reste une inspiration pour l’Algérie d’aujourd’hui », a souligné Lyes Djebaili.

Le Hirak, qualifié de « révolution du sourire » par Mohand Bakir, a été analysé comme une réappropriation pacifique de l’espace public. « Le peuple a montré sa maturité et son intelligence collective », a-t-il ajouté, tout en regrettant les tentatives de récupération politique.

Médias algériens : entre ouverture et verrouillage

Enfin, une session a été consacrée à la presse écrite et audiovisuelle en Algérie. Adel Boucherguine et Smati Chawki ont retracé son histoire, de la presse coloniale aux chaînes privées du Printemps arabe.

Malgré des phases d’ouverture, la mainmise de l’État reste dominante, via le contrôle de la publicité publique par l’ANEP et la censure des journalistes critiques. « Certains continuent pourtant à exercer avec courage, notamment en couvrant le Hirak », ont-ils conclu.

Un espace unique de dialogue et de mobilisation

Enfin, la situation de la presse algérienne a fait l’objet d’une analyse approfondie : contrôle étatique, dépendance financière et pressions juridiques freinent l’indépendance des journalistes, mais l’engagement de certains reste un signe d’espoir.

L’université d’été de Riposte Internationale a confirmé sa place comme un espace unique de réflexion, de solidarité et de mobilisation transnationale. Dans un contexte où la liberté d’expression et les droits humains sont menacés, ces quatre jours ont rappelé l’importance d’une action collective et continue.

Christ Kouakou

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Mohamed Zinet : l’homme aux quatre blessures

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Mohamed Zinet
L'immense réalisateur algérien Mohamed Zinet

Mohamed Zinet est né en 1932 dans la Casbah d’Alger. Très jeune, il est attiré par les arts, particulièrement le théâtre. Il fonde une troupe amateur des 1947. Solitaire, c’est tout naturellement qu’il prend part à la guerre d’indépendance dans les rangs du FLN.

Mohamed Zinet a parfait sa formation artistique en Europe par des stages au Berlin Ensemble et Munich. De retour en Algérie, il réalisa son unique long-métrage Tahia Ya Didou! (1971), co-écrit avec Himoud Brahimi, qui est un hymne inclassable à Alger, oscillant entre documentaire et poésie. 

Mais Mohamed Zinet ne réalisera plus jamais de film. C’est un paradoxe poignant : son œuvre, saluée comme un chef-d’œuvre poétique, fut rejetée par les institutions algériennes, censurée, marginalisée. Et cela l’a profondément affecté.

Il avait donné Alger à l’écran comme personne et Alger l’a rejeté. Freiné pour ses convictions artistiques, Zinet s’installe en France non pas pour réussir, mais parce qu’il ne pouvait plus créer librement en Algérie.

 Il y continua sa carrière artistique en tant qu’acteur dans plusieurs films. Ainsi il joua un rôle emblématique dans Dupont Lajoie (1975) d’Yves Boisset, incarnant l’immigré vengeur face au racisme – rôle qui lui valut parfois intimidation et agressions. Il tourne également dans Les Ajoncs (1970), Les Trois Cousins (1970), Le Bougnoul (1974), La Vie devant soi (1977), Robert et Robert (1978), Le Coup de Sirocco (1979)… Son parcours exemplifie le combat culturel du migrant-artiste.

Zinet a fini ses jours interné dans un hôpital psychiatrique en France, loin de sa ville, loin d’Alger qu’il avait pourtant magnifiée comme personne d’autre. Il décède ainsi en 1995 à Bondy, il y sera enterré. Il a eu une fin de vie difficile, presque tragique, à l’image de nombreux artistes incompris et oubliés. 

Sa seule œuvre resta inédite et sa pellicule disparut pratiquement. En 2016, elle est miraculeusement retrouvée et restaurée grâce au ministère algérien de la Culture. Ainsi, il aura fallu attendre plus de vingt ans après son décès pour que l’on mesure enfin l’importance de son œuvre artistique. 

C’est le début de la redécouverte qui aboutira à la résurrection. En effet, en 2023 Mohamed Latrèche, cinéaste algérien, réalise le document «  Zinet, Alger, le bonheur » retraçant sa vie et œuvrant lui-même à la mémoire du réalisateur par la diffusion du film restauré dans les festivals internationaux, les rétrospectives et projections. 

Le sujet de ce documentaire est le portrait intime de Mohamed Zinet, centré sur son unique film, Tahia Ya Didou (également appelé Alger insolite).Un film devenu “culte” pour les cinéphiles, longtemps oublié, puis restauré. C’est un portrait vibrant. En effet, Latrèche rend hommage via des entretiens avec des proches (exemple Boudjemaâ Karèche, ancien directeur de la Cinémathèque d’Alger), chasse les participants d’origine (comme “Redouane”) et ressuscite l’énergie de la Casbah et de l’Algérie post-indépendance.

C’est un savant dosage d’esthétique et de poésie : un véritable film-symphonie, oscillant entre documentaire, poésie et archives vivantes. Mohamed Latrèche explique dans des interviews que le documentaire ne vise pas à faire une hagiographie, mais à retrouver l’humain derrière le mythe en explorant ces trajectoires multiples, avec émotion, liberté et une esthétique poétique, pour ranimer la mémoire de cette figure pionnière

Il n’aura réalisé qu’un seul film. Un seul. Mais Tahia Ya Didou! suffit à faire de Mohamed Zinet un météore dans l’histoire du cinéma algérien. Un homme libre, joueur, tragique — trop libre pour son temps, et peut-être pour son pays. Si son œuvre éclaire Alger comme un rêve éveillé, sa vie, elle, fut marquée par quatre grandes tragédies. Quatre blessures profondes, personnelles, irrémédiables.

1. Le rejet de l’artiste par son propre pays

Quand la mairie d’Alger lui commande un film de promotion touristique, Zinet transforme l’exercice en une balade poétique, foutraque, insolente. Tahia Ya Didou !  est un cri d’amour à Alger — mais un cri libre, indomptable. Le pouvoir ne supporte pas cette liberté.

Le film est censuré, retiré, Zinet discrédité. Il ne réalisera plus jamais rien. Le cinéma algérien lui ferme les portes. Il avait offert Alger au monde. Alger l’a renié.

2. La rupture avec les siens

Au centre du film dans lequel il a joué à l’âge de trois ans, un enfant lumineux : Redouane, son propre neveu. Symbolisant l’espoir et l’avenir d’Alger.

Retenu par le réalisateur Latrèche après plusieurs années de confiance, Redouane partage des souvenirs profonds de son enfance à la Casbah dans un témoignage bouleversant.

Mohamed Latrèche capte un moment de grande sincérité : Redouane adulte revoit les images de lui enfant dans Tahia Ya Didou ! — courant dans les escaliers, plein de joie. Ce contraste entre le passé lumineux et le présent silencieux crée une charge émotionnelle très forte. Des années plus tard, il témoigne dans le documentaire.

Les projections du film ont réveillé chez lui des souvenirs douloureux, comme le montre son désenchantement à l’âge adulte. C’est un témoin générationnel, son regard traverse le temps — de l’enfant innocent à l’adulte désabusé — illustrant le contraste entre rêve et exil.

Selon le réalisateur, « la scène finale avec cet enfant assis sur la jetée est tellement belle et originale qu’elle ne passera jamais de mode». Dans le documentaire Redouane, adulte, exprime avec pudeur mais douleur le vide laissé par le départ de Zinet. Il dit en substance : « Il est parti et il ne s’est jamais retourné. »

Ce que Redouane met en mots, c’est la blessure de l’enfant laissé derrière, celui qu’on a filmé, aimé, valorisé, mais qu’on a aussi quitté sans explication. Ce départ de Zinet vers la France, est perçu par son neveu comme une trahison affective. Il ne l’a jamais digéré. L’abandon a laissé une faille. Mohamed Zinet, happé par ses blessures et son exil, a laissé derrière lui une famille blessée. Le chagrin de Redouane est donc central : « Ce n’est pas juste un acteur qui parle, c’est un homme qui a été aimé puis oublié». C’est l’un des moments les plus poignants du documentaire Zinet, Alger, le bonheur. Le témoignage de Redouane, révèle une blessure intime profondément enfouie : celle de l’abandon.

3. La séparation brutale avec Anne Papillault

Compagne et collaboratrice de Zinet, Anne Papillault réalisatrice française, faisait partie de son entourage intime au moment où il réalisait Tahia Ya Didou. Ils ont co-écrit le scénario initial d’un moyen métrage commandé par la mairie d’Alger ; sa présence était donc à la fois personnelle et professionnelle. Selon plusieurs sources, elle a occupé un rôle d’assistante à la réalisation sur le tournage, aidant Zinet à naviguer entre film expérimental et réalité documentaire. Elle a contribué à structurer le projet dès ses débuts, avant que Zinet n’intègre davantage d’improvisation au fil du tournage.

Latrèche a passé plus de 10 ans pour retrouver et gagner sa confiance avant de pouvoir l’interviewer dans son documentaire. A ce titre, son témoignage permet de reconstituer les intentions originelles du film, mais aussi les difficultés rencontrées — artistiques, pratiques et émotionnelles — sur le tournage à Alger. Anne a longtemps refusé de revenir sur ces moments, jugés trop personnels, et son intervention dans le documentaire n’a pu se faire qu’après des années de patience et de respect de la part de Latrèche. 

Anne Papillault a partagé avec Zinet bien plus qu’un amour ou une collaboration : elle a été la seule à croire en lui après le désastre. Elle l’a aidé à survivre en France, a tenté de faire revivre son travail, l’a soutenu dans l’ombre. Mais quelque chose a craqué.

Elle une présence discrète, pudique, presque effacée. Quand elle accepte enfin de parler, son témoignage devient une clé précieuse pour comprendre Zinet. Elle évoque leur relation humaine et artistique, les doutes de Zinet, ses élans poétiques, et son solitude croissante. Ses mots sont rares, douloureux. Mais au moment où le lien commence à se reformer… elle se ferme brutalement, interrompt l’entretien, se lève, quitte le tournage sans explication et part. Sans un mot. Pour toujours. Le témoignage d’Anne Papillault aura été rare, fragile, et fugace.

Latrèche ne la reverra plus. Ce départ est un écho direct à celui de Zinet lui-même — un geste de retrait, de silence, de rupture. C’est peut être aussi un acte de fidélité pudique : peut-être voulait-elle préserver ce qu’ils avaient vécu, ne pas le trahir par des mots qu’elle jugeait insuffisants. Pour Latrèche c’est une scène déterminante. Ce moment est gardé dans le montage. Il dit : « Son silence est plus fort que mille témoignages. Il montre combien cette histoire reste vive, douloureuse». Ce départ non expliqué laisse un vide — comme celui de Zinet lui-même après sa disparition du paysage cinématographique algérien.

Ce départ soudain, coupé net, résonne comme un écho du départ de Zinet lui-même. Anne a refusé d’aller plus loin. Elle aussi a été abîmée par cette histoire.

4. La fin dans l’oubli psychiatrique

Interné dans un hôpital psychiatrique de la région parisienne, Mohamed Zinet meurt en 1995, sans bruit, sans hommage, sans mémoire. Très peu de monde à ses obsèques. Il est mort comme il a vécu ses dernières années : en silence, exilé, invisible.

L’artiste qui avait révélé Alger dans toute sa beauté complexe, meurt étranger à sa ville, et oublié de son pays.

Mais la mémoire veille. Grâce au travail obstiné de Mohamed Latrèche, grâce aux témoins brisés mais fidèles, Zinet reprend vie. Non pour être sanctifié, mais pour être enfin compris dans sa vérité nue : celle d’un homme libre, blessé, trop vaste pour les cadres, trop vrai pour les institutions. Zinet revit. Non pas comme une figure décorative, mais comme un cri blessé, poétique, et libre qui mérite enfin d’être entendu.

Mohamed Latrèche, avec Zinet, Alger, le bonheur, reconstruit une dignité posthume pour cet homme brisé. Il fait entendre la voix de ceux que Zinet a aimés, blessés, illuminés, pour ne pas laisser son histoire sombrer dans le silence. Il s’agit d’une résurrection posthume. Latreche a réussi à redonner un visage à Zinet et raviver sa mémoire auprès des nouvelles générations et montrer le prix du génie dans un pays qui n’a pas su (ou voulu) l’écouter. Mohamed Zinet n’est plus un mythe. Il est un cri, un silence, une blessure, une lumière.

Dr Madjid Aït Yala

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Boualem Sansal : sa fille lance un appel à l’Algérie et à la France

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Sabeha Sansal
La fille de Boualem Sansal

Dans un entretien publié hier dans Le Figaro, Sabeha Sansal, fille de l’écrivain algérien Boualem Sansal, lance un appel pressant pour la libération de son père. Depuis neuf mois, l’auteur, âgé de 80 ans et souffrant de graves problèmes de santé, est détenu en Algérie dans des conditions inconnues, sans contact avec sa famille. « L’Algérie doit cesser de martyriser mon père avant qu’il ne soit trop tard », insiste-t-elle.

Depuis son arrestation, aucun échange n’a été possible. « Pas un appel, pas une lettre, pas même un signe », relate Sabeha, soulignant le caractère arbitraire et opaque de cette détention. Accusé d’« atteinte à l’unité nationale », Boualem Sansal est maintenu dans un isolement total, illustrant, selon sa fille, l’usage de la justice à des fins politiques. « C’est une violence sournoise qui ne touche pas seulement mon père, mais toute sa famille, ses amis et ses lecteurs », affirme-t-elle. L’écrivain n’a commis d’autre « crime » que celui d’écrire et de dire ce qu’il pense, note-t-elle avec amertume.

Sabeha Sansal déplore également le silence de la France, dont son père détient la nationalité. En avril dernier, elle avait adressé une lettre ouverte au président Emmanuel Macron, sollicitant une intervention diplomatique pour sa libération, mais n’a reçu aucune réponse. « Le silence de la France est assourdissant », déplore-t-elle, dénonçant l’indifférence face à l’urgence de la situation. Pour elle, l’inaction contraste avec la gravité de l’état de santé de son père et le risque vital qu’il encourt.

Malgré les appels lancés par Amnesty International, les pétitions circulant parmi les intellectuels et une soirée de soutien organisée à Paris, Sabeha juge la mobilisation internationale insuffisante. « Chaque jour de détention supplémentaire est un risque vital. Il faut un sursaut collectif », insiste-t-elle, en appelant les gouvernements, ONG et citoyens à se lever pour défendre la liberté d’expression.

Condamné à 5 ans de prison, Boualem Sansal est reconnu pour son œuvre littéraire où se mêlent mémoire coloniale, dénonciation des dérives autoritaires et critique des intégrismes.

Lauréat de nombreux prix et salué pour sa lucidité, il incarne, selon sa fille, une Algérie qui pense, écrit et refuse la soumission. « Son silence forcé est une manière de faire taire tout un peuple », affirme-t-elle, rappelant que chaque jour compte pour sa survie.

Cet appel dépasse le cadre familial. Il interpelle la communauté internationale et les autorités algériennes, tout en pointant le silence français. « On ne peut pas défendre les valeurs de liberté et fermer les yeux quand elles sont bafouées par un pays ami », rappelle Sabeha. La mobilisation pour Boualem Sansal devient ainsi un test de la capacité des démocraties à protéger leurs écrivains et intellectuels face aux régimes autoritaires et à défendre, plus largement, la liberté d’expression.

Outre Boualem Sansal, il y a quelque 250 détenus d’opinion en Algérie. Un nombre indéterminé d’autres Algériens sont placés arbitrairement sous interdiction de quitter le territoire national.

Mourad Benyahia

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