27 novembre 2024
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Commerce : le Premier ministère dément les allégations de l’ancien ambassadeur français

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Palais du gouvernement.

Après plusieurs jours de silence, les services du Premier ministère ont publié ce jeudi un bref communiqué dans lequel ils démentent toute décision de rétorsion visant le commerce avec la France.

Suite aux allégations mensongères colportées par l’ancien ambassadeur de France à Alger dans son délire haineux et coutumier à l’égard de l’Algérie, au sujet de prétendues mesures restrictives au commerce, la cellule communication du Premier ministre tient à apporter un démenti catégorique à ces informations erronées et totalement infondées.

Si ce démenti ne vise manifestement que le très bruyant ancien ambassadeur de France à Alger, Xavier Driencourt, l’information concernant une décision visant une restriction des échanges commerciaux avec la France est largement reproduite dans plusieurs médias. Certains Youtubeurs en ont fait même leur beurre.

Cependant la France soutient ignorer l’existence de cette mesure. « De telles mesures n’ont pas été portées officiellement à notre connaissance, mais nous suivons évidemment la situation de nos entreprises en Algérie avec beaucoup de vigilance », a déclaré Christophe Lemoine, porte-parole du ministère français des Affaires étrangères, lors d’un point presse hebdomadaire.

Le quotidien de droite, Le Figaro, a rapporté mercredi que l’Association professionnelle des banques et des établissements financiers (Abef) avait convoqué les banques le 4 novembre pour les informer de l’arrêt du traitement des opérations d’import et d’export avec la France.

Deux diplomates ont dit à Reuters avoir connaissance de la tenue de cette réunion mais ont mis en garde sur le fait que l’Abef n’est pas habilitée à prendre une telle mesure unilatéralement.

La rédaction

Trump, Netanyahou et l’extrême droite européenne : même combat !

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Trump
Image par Barbara de Pixabay

Quatre ans après avoir connu la débâcle, Donald Trump est sorti vainqueur du duel qui l’a opposé à Kamala Harris. En emportant haut la main cette victoire inespérée, il a fait encore mieux ce qu’avaient prédit les sondages.

Soutenu par les milliardaires Elon Musk et Peter Thiel qui avaient injecté  des sommes colossales dans cette campagne électorale en faveur de leur favori, et au-delà de sa victoire qui relève du miracle, Donald Trump sera immortalisé à jamais comme le premier criminel à être réélu président des États-Unis.

On sait que depuis l’ère Bush fils, la fonction présidentielle américaine a perdu de sa superbe. Traîné plusieurs fois devant les griffes de justice américaine, Donald Trump est arrivé toujours, malgré des faits avérés avec preuves à l’appui, à s’en échapper et à sortir indemne. Multipliant les scandales à répétition qui ont toujours collés à sa peau depuis son avènement politique,Trump n’est pas seulement un homme politique c’est d’abord un homme d’affaires milliardaire et qui touche à tout : l’immobilier, producteur de cinéma , animateur etc… des créneaux porteurs  qui lui ont permis d’être propulsé sur les devants de la scène américaine et occuper une place prépondérante pour  devenir une vedette incontestée et incontestable du show -business .

Il faut dire que le processus électoral américain de nos jours  en lui-même et la démocratie à l’américaine  laissent à désirer et sont souvent caractérisés par une absence totale d’éthique et de morale. Pour engranger des voix et essayer de gagner une élection, les politiciens d’aujourd’hui n’hésitent pas à vendre leur âme. Il n’y a plus aucune règle à respecter, aucun processus, ni principes à suivre à la loyale. À ce titre, le spectacle que nous ont offert ces deux candidats Trump et Harris restera gravé  à jamais dans l’histoire américaine comme l’une des campagnes électorales les plus ordurières, marquées par des dérapages verbaux  et des insultes à profusion qui fusaient des deux côtés et n’honorent pas les deux auteurs.

De nos jours, depuis l’avènement des réseaux sociaux et de la prééminence du rôle de l’image, il n’y a de la place que pour les menteurs, les fourbes, les opportunistes ,les égocentristes, les escrocs, les cas pathologiques et les suprémacistes à l’image de Trump qui a réussi  à en faire de ces réseaux sociaux ,son arme favorite, son terrain de combat et son porte -drapeau pour engranger des voix et se faire réélire .

Par ailleurs, la banalisation des idées xénophobes aux États-Unis et partout dans le monde  est un phénomène qui tend à se généraliser dans un pays qui se veut la référence et le modèle à suivre en terme de démocratie. Pourtant, la réalité est tout autre. Donald Trump  a été réélu pour ses idées populistes, suprémacistes et nauséabondes et il est vu de plus en plus comme un nouvel héros du franc-parler et un acteur de premier plan aux États-Unis et dans le monde .

En tout état de cause, tout ce qui se passe aux États-Unis, actuellement dépasse la raison et l’entendement et défie toute logique, à savoir cette élection contre toute attente  de Trump  et sa percée fulgurante sur le devant de la scène mondiale avec les défis mondiaux qui attendent la politique étrangère américaine qui suscitent l’inquiétude et la dérision   auprès des  observateurs les plus avertis.

L’inquiétude vient de la réintroduction de la légitimité des discours racistes, de la mise en cause généalogique, de la distillation des thèmes de la provenance et du sang de la guerre qui se poursuit en Europe, de la situation tragique en Palestine et du génocide du peuple palestinien qui se pratique dans l’indifférence totale, du viol de la charte internationale des droits de l’homme, etc…

La dérision vient du caractère de ce nouveau Président de la première puissance mondiale  et compte tenu de la grande responsabilité qui lui  incombe désormais, il devrait non seulement relever les défis mondiaux qui se présentent devant lui vu la position qu’occupe les États-Unis dans le monde et le rôle qu’ils doivent jouer, il  devrait aussi faire preuve de plus de retenue envers la souffrance humaine et  des immigrants qui toutes catégories et nationalités confondues ont tous participé à l’essor de l’économie américaine et ont collaboré autant que faire se peut pour faire des États-Unis ce qu’ils sont devenus maintenant.

Ce qui est triste et déshonorant pour la démocratie à l’américaine tant vantée , pays  d’Abraham Lincoln, de Martin Luther King,  de Mohamed Ali, c’est de voir des têtes pensantes et de vraies intelligences succomber à ce genre de discours et nous ont permis  d’observer et de constater dans quelle mesure et jusqu’à quel degré certains hommes politiques américains et même de toute la planète sont prêts à s’avilir dans la compromission et la soumission et de découvrir malheureusement que les Etats-Unis sont devenus   le refuge des esprits revanchards, des mercenaires de la plume et de la parole, des parvenus, des xénophobes, des racistes, des liberticides, des partisans de l’exclusion et des discours identitaires  et les amis et complices des génocidaires.

Dr Abderrahmane Cherfouh 

Pierre Bourdieu et la Kabylie

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Qqaṛen-d idrimen

Wi i ten-isɛan dayen

Umi sriɣ-asen

Nnif-iw ma d ay yaɣli

Acu ay d ssɛaya

D nnif d lherma

Ma terniḍ lahna

Ur d-ittaẓ ḥedd ɣ ttrika-k

(Lounes Matoub)

On dit : l’argent est un atout,

Qui en a, certainement a tout.

Que vais-je donc en faire,

Si mon honneur est trainé par terre ?!

Qu’est-ce la vraie propriété ?

C’est l’honneur et la dignité.

Si tu as encore la quiétude,

C’est bien cela la plénitude. 

(Notre traduction)

Introduction

De tous les travaux d’anthropologie, de sociologie, d’économie, d’ethnologie et d’histoire consacrés à la Kabylie, depuis la période coloniale à aujourd’hui, ce sont deux idées synthétiques de P. Bourdieu qui sont, du point de vue du don et de l’économie sociale et solidaire, les plus utiles pour les perspectives d’avenir. La première porte sur « l’importance et le sens conférés à l’échange, les choses échangées (dons, services, etc.) n’étant jamais seulement des choses mais aussi des paroles » [Bourdieu, [1958] 2016, p. 26].

L’échange dans cette société ce sont des relations qui se nouent, se dénouent ou se renouent, des liens qui s’affirment, se confirment ou se raffermissent, le tout selon la façon particulière dont la société relie le sens, le matériel et la personne. La deuxième souligne « le fait que le domaine économique n’est jamais constitué comme autonome, comme doté de principes et de règles propres […] et se trouve régi, au moins idéalement, par le même système de valeurs (à savoir le code d’honneur) que les autres rapports interpersonnels » [Ibid., p. 26-27]. Elle montre par cela que l’économie n’est pas séparée du tout social, et donc aussi qu’elle n’est pas utilitariste.

Nous ne pouvons donc pas mener une étude sérieuse sur l’économie solidaire de Kabylie sans évoquer, plutôt convoquer, « le modèle de compétition d’honneur » [Ibid., p. 15], pour préciser et clarifier les divergences que nous avons au niveau du sens des mots avec P. Bourdieu sur ce « modèle de compétition d’honneur ». Ce n’est pas chose aisée, et ce n’est pas sans malaise, que nous prétendons ajuster ici l’interprétation d’un concept déjà garanti par une notoriété des mieux établies (1). Pour nous, la signification ultime du concept de « compétition d’honneur » que nous a servi P. Bourdieu est une fausse recette, une sorte de « couscous royal ». C’est un couscous du palais, mais pas celui de la modeste « maison kabyle ».

Nous voulons précisément par ce texte montrer dans un premier temps que P. Bourdieu, en invitant à voir la compétition en Kabylie par des échanges de don comme une fausse posture qui camoufle la vraie, une compétition par des échanges utilitaristes, attribue arbitrairement un sens de l’extérieur à une réalité pour renforcer sa vérité (théorique) qu’il voulait universelle, fabriquant et défendant par cela, malgré-lui, ce que R. Bucaille désigne judicieusement d’« utilitarisme […] indirect, périphérique » (2) [2018, [En ligne]]. Dans un deuxième temps, presque simultané, nous voulons montrer que « la compétition d’honneur » de Kabylie est une compétition pour (et par) le don et la solidarité (3) Pour se faire, nous mobilisons essentiellement les mêmes instruments argumentatifs que ceux utilisés par P. Bourdieu : des récits, proverbes et description/interprétation de morceaux de vie de la Kabylie ancienne.

Le dévoilement de l’intention 

A tous ceux qui abordent son « Esquisse d’une théorie de la pratique, précédé de trois études d’ethnologie kabyle », Pierre Bourdieu signale d’entrée que c’est « l’image de la société kabyle que propose ces fragments d’une œuvre interrompue (au moins provisoirement) » [[1972] 2000, p. 16]. Sans rien ignorer de la qualité de son style, de sa rigueur, de sa réflexivité et de sa créativité conceptuelle, nous proposons – c’est ici la tâche difficile – de reprendre cette œuvre de P. Bourdieu (4), qu’il a malheureusement interrompue définitivement, en vue de poursuivre notre travail de théorisation de l’économie sociale et solidaire de Kabylie [Zoreli, 2014 ; 2016a ; 1016b ; 2017 ; 2022 ; 2023a ; 2023b].

La tâche est d’autant plus difficile qu’il s’agit ici, l’œuvre étant inséparable de son auteur, de reprendre une théorie de la pratique commencée par celui qui incarne au plus haut point la sociologie critique du XXe siècle. Mais il faut que le XXIe siècle commence en relevant ses nouveaux défis. En des termes plus clairs, il s’agit de rendre à cette société kabyle un savoir-être et un savoir-faire conforme à son génie, ce qui va permettre effectivement « à l’une des populations les plus humaines en ce monde de rester fidèle à elle-même et à son destin » [Camus, [1939] 2005, p. 115], et de se développer harmonieusement.

Selon cet objectif, le P. Bourdieu qui nous intéresse ici n’est pas celui qui incarne la figure de la sociologie critique, mais le P. Bourdieu qui « pourrait bien incarner la figure de l’héritier légitime du neveu de Durkheim [Mauss] » [Chanial, 2010, p. 484]. Plus précisément, notre intérêt porte sur son travail mené avec « l’intention plus ou moins consciente de réhabiliter contre une idéologie et une politique inhumaines un peuple capable de produire un modèle de relations d’homme à homme aussi accompli que celui de la compétition d’honneur » [Bourdieu, [1972] 2000, p. 15].

Nous reprenons donc son travail gigantesque – nous n’hésitons pas à le dire –, le seul fait à partir de et donc aussi pour la Kabylie, qui soit fondamental pour construire ce que C. Palloix appelle le « théoriquement concret » [1970, p. 9], en postulant que ce concept de nnif (honneur) a de véritables principes qui, intentionnellement ou non, n’ont pas été révélés par P. Bourdieu. Plutôt, ils ont été dévoilés comme s’ils étaient des masques, peut-être pour mieux les dévoyer au moment de les dévoiler.

Pierre Bourdieu conclut en effet que, en vérité, le don et la solidarité ne sont rien d’autre que des formes d’échanges marchands : « Les rapports économiques, écrivait-il, ne sont pas d’avantage saisis et constitués en tant que tels, c’est-à-dire comme régis par la loi de l’intérêt, et demeurent toujours comme dissimulés sous le voile des relations de prestige et d’honneur » [[1972] 2000, p. 59]. Et il donnait comme exemples la conclusion du contrat de mariage alliant deux familles kabyles avec dot en nature offerte par le tuteur du fiancé au tuteur de la fiancée, qui est toujours couronné d’une remise qui va en sens inverse ; et la conclusion d’un contrat de vente d’une paire de bœufs sur le marché avec l’offre de la valeur monétaire par l’acheteur au vendeur, lui aussi toujours couronné d’une remise qui va en sens inverse [Ibid.].

Pour P. Bourdieu, en couronnant la transaction par un geste généreux, on entendait convertir en échange d’honneur un marchandage qui ne pouvait être aussi ouvertement acharné que parce que la recherche de la maximisation du profit s’y dissimulait sous la joute d’honneur et sous la recherche de la maximisation de profit symbolique (5) [Ibid., p. 60].

Or, jusqu’au début de la période postindépendance de l’Algérie, dans les villages jusqu’à la fin des années 1980, il y avait encore en Kabylie une société ayant un imaginaire, des structures sociales et des activités économiques de solidarité, véhiculés par (et véhiculant) les principes de don conformes au sens que leur a donné M. Mauss [1923-1924], comme l’illustre ce témoignage de Jean-Claude, jeune parisien de 24 ans, ayant connu la Kabylie pendant la guerre d’Algérie en tant qu’infirmier, revenu après la guerre, en 1963, comme coopérant, officiellement en tant qu’instituteur, et pratiquement faisant un peu de tout (il soigne des malades, donne des leçons aux enfants et donne des conseils aux villageois) :

Ces gens sont tellement extraordinaires. Ils vivent dans une très grande misère. Certains n’ont absolument aucune ressource d’argent. C’est vraiment très, très précaire. Il suffit que les olives ne marchent pas comme cette année pour que ce soit presque un désastre pour eux. Et alors, ils sont d’une gentillesse… ! Ils ont un sens de l’hospitalité extraordinaire. Moi, en fait, ce que je leur donne, je leur donne ce que je peux leur donner. Et eux ils me le rendent mille fois, par de petits riens, des gestes, des choses.

Certaines valeurs profondes, très simples, mais que ne possèdent plus beaucoup de gens que je connais à Paris, qu’ils ont perdues parce que le cadre de vie n’est plus le même. Ils [les Kabyles] ont sauvé des valeurs qui sont très belles [Irmen tv-youtube, 2020, [en ligne]].

Ce que décrit ce témoignage de Jean-Claude fait à l’aube de l’indépendance de l’Algérie, c’est une société Kabyle animée fondamentalement par l’esprit du don agonistique, esprit qui porte à rendre sans calculer, parfois jusqu’à se ruiner, à la personne qui nous a donné sans calculer ce qu’elle était capable de nous donner. Et ce « certains n’ont absolument aucune ressource d’argent » veut dire précisément qu’une partie de la population kabyle vivait encore au début de l’indépendance totalement en dehors de la logique du marché ou, ce qui est la même chose, totalement dans la logique du don et de la solidarité (6).

La société kabyle ancienne, réellement, n’était pas seulement une société de don, mais aussi, et contrairement au postulat de P. Bourdieu, une société officiellement et consciemment anti-utilitariste comme le montrent ces quelques proverbes parmi des dizaines d’autres :

• Vu nniya, ma yesruḥ xemsin, adyaf mmiya (celui qui ne calcule pas, s’il perd cinquante ici, il va trouver cent à quelques pas) ;

• Yundditt vu tḥila, yeččatt vu nniya (le calculateur a mis l’appât, le candide a eu son repas) ;

• Win i teddun s nniya, ma ur yarviḥ ad-yeslek salamat (celui qui avance sans calculs, s’il ne gagne pas, au moins ses pertes seront nulles).

• Azrem, ɣef u ɛebbuḍ-is ig tteddu (le serpent [symbole du mal], c’est pour et par son ventre [symbolisant la recherche de l’intérêt individuel] qu’il serpente [va en zigzagant]). 

Asmi tella nniya, aḥayek (aḥendir, aɛdil) yedla, meyya (quand régnait l’esprit non calculateur, sous une seule couverture se mettent au chaud cent coopérateurs).

Le don et la solidarité 

Pour nous, le don et la solidarité en Kabylie, contrairement à ce que nous en dit P. Bourdieu, ne sont rien de plus et rien de moins que le sens qui leur est donné par M. Mauss et les solidaristes. Le «modèle de compétition d’honneur » est précisément un modèle de compétition pour (et par) le don et la solidarité. Le signifiant nnif  (honneur) est habité par un couple : le don et la solidarité, qui, l’un à côté de l’autre, souvent l’un dans l’autre, lui donne tout son sens.

Le don, d’abord, n’est pas fait dans la Kabylie ancienne pour perpétuer ou consacrer une relation de domination, même si, en effet, il induit fatalement un obligeant et un obligé dans quelques cas. Mais seulement dans quelques cas, car l’essentiel des dons y sont faits par des donateurs, en tant qu’obligés, aux étrangers pour tenir leur obligation vis-à-vis des ancêtres et des saints protecteurs (7) ou accomplis dans les structures communautaires, fondamentalement égalitaires, dans la logique réciprocitaire d’établissement ou de consolidation de liens familiaux ou amicaux.

Le don est d’abord fait systématiquement comme une redistribution pour participer à la réinstauration d’un équilibre qui est en Kabylie nécessairement égalitaire.

En plus de l’égalité au niveau de la répartition de la terre, morcelée en petites propriétés, où il revient à chaque membre une part qu’il puisse cultiver, au niveau des maisons qui ont partout à peu près la même dimension et la même architecture, il y a l’égalité au niveau de l’espace public où tous les hommes, quel que soit l’âge ou l’origine sociale, ont le même droit à prendre place ou la parole.

La djemâa, écrivait M. Feraoun, « est à tout le monde.  A tous les hommes. On y vient pour […] ne pas céder sa place » [[1954] 2016, p. 24]. L’égalité prévaut encore au niveau des communs dont le travail d’entretien et les droits d’usages incombent aux différents membres ayant droit de façon égalitaire, et au niveau des partages qui doivent être égalitaires. Si toute « [[la] vigilance [de ceux qui se chargent du partage] n’empêche pas que les parts soient parfois différentes » [Ibid., p. 52], les Kabyles procèdent alors au tirage au sort et, ainsi, « ils ne s’inclinent que devant le hasard […] [qui seul], le cas échéant, […] [peut] favoriser l’une ou l’autre des karoubas (8) » [Ibid., p. 51], l’une ou l’autre des familles, l’un ou l’autre des membres. L’égalité même dans la manière de s’habiller, de manger et de travailler, « égalité entre les pauvres et les riches [qui] se rencontre non-seulement chez les femmes, mais encore chez les hommes » [Charvériat, 1889, p. 92].

D’ailleurs, Pierre Bourdieu lui-même le souligne, à propos du début d’hostilités, avec le     « principe de reconnaissance mutuelle de l’égalité en l’honneur » [Bourdieu, [1972] 2000, p. 25] et de la fin des hospitalités, avec la « sagesse des notables (qui) les autorise à opérer ce dosage des torts et des raisons » [Ibid., p. 24], de sorte que l’équilibre d’honneur entre les belligérants soit à la fin rétabli (9).

Cette règle d’égalité a été pendant longtemps bien gardée par la croyance, qui continue encore à habiter l’imaginaire collectif, que la malédiction n’est pas loin de win yettnadin adyek s nnig medden (celui qui s’élève au-dessus de ses semblables). Bourdieu n’a donc pas vu que l’égalitarisme qui régit la société kabyle va de pair avec la dimension anti-accumulation du don (10).

Mais nous croyons qu’il n’avait même pas de yeux pour le voir, ce point qui aurait dérangé ses cercles : une société fondée sur l’égalitarisme solidariste ne peut pas justifier les grands principes de généralisation bourdieusiens de type « ceci à donner cela » (un univers précapitaliste égalitaire ne peut pas donner naissance par évolution à un univers capitaliste inégalitaire), ou de type « ceci est dans cela » (un univers précapitaliste égalitaire ne peut pas être dans un univers capitaliste inégalitaire), ou encore de type « ceci est un autre cela» (les principes d’une Kabylie égalitariste ne peuvent pas être partout ailleurs, même dans les régions arabophones de l’Afrique du Nord, qui, elles, fonctionnaient à base de la culture de domination du Cheikh (11), culture qui, partout où elle passe, installe le joug de grands chefs voraces).

Ensuite, la solidarité est dans la Kabylie ancienne la finalité du nnif et de la compétition, et non pas leur instrument. La preuve en est que toujours et partout dans la Kabylie ancienne – ce qui est valable aujourd’hui encore –, c’est le « clan [le plus] nombreux et [le plus] solidaire […] [qui] détenaient pour ainsi dire un leadership biologique » [Aït Ahmed, 1983, p. 13].

Et si les Kabyles ne pouvaient sous aucun prétexte se dérober au devoir de solidarité, qui « imposait à tout individu de protéger un  parent contre un non-parent, un allié contre un homme d’un autre parti (suf), un habitant du village, fut-il d’un parti adverse, contre un étranger au village, un membre de la tribu contre un membre d’une autre tribu » [Bourdieu, [1972] 2000, p. 27], c’est parce qu’ils étaient obligés par la règle sociale stipulant que « “l’homme accompli” (“argaz alkamel”) […] c’est le gardien de l’honneur (amhajar), celui qui veille sur son propre honneur et sur l’honneur de son groupe » [Ibid., p. 25]. D’ailleurs, ce « tu as tort de ne pas te solidariser avec ton frère devant moi » [Ibid., p.21], même s’il avait tort, signifie que quelles que soient les conditions, le nnif c’est se solidariser avec les siens, et défendre son honneur, c’est d’abord honorer les siens, proches et lointains, vivants et morts, présents et absents.

La compétition d’honneur

 Belaïd Aït Ali écrivait pendant les années 1940 (12) : « Llsas yakk amezwaru, nɣ aẓaṛ yakk n–eṭṭbiɛa, d–wul, bbeqbayli : d ennif. D ennif i ff I yebded, iɣeff ileḥḥu, I ss iɛac, alamma d asmi ara yemmet. D ennif i d ttamussni-s, i d lefhama-s, i d leqṛaya–s ; i yas yemmaln iberdan, lhasun amm–akken seɛɛun lejnas–enniden lektub ; yerna ama di–lɛeṛc ɣer lɛeṛc, ama di–taddart ɣer–tayed, ama segg–ehham s ahham (le premier fondement, ou la principale racine du caractère, du cœur, du Kabyle : c’est le nnif (l’honneur). C’est sur et par le nnif qu’il se tient debout, par lequel et pour lequel il marche, par lequel il vit, jusqu’à sa mort. Le nnif est son savoir, son entendement, son instruction, qui lui montre le chemin. En somme, le nnif est pour les Kabyles ce qu’est le livre savant pour les peuples lettrés. De plus, la lutte au nom de d’honneur, c’est un principe valable entre tribus, entre villages et entre familles) (c’est notre traduction) » [Dallet et Degzelle, 1963 : 175].

Le nnif (l’honneur), comme l’atteste ces deux dictons kabyles, est, en effet, le principe suprême de l’être kabyle, son essentia : argaz d win yessasamen (l’homme est celui qui suscite la jalousie), azgaz d win yesɛan iɛdawen (l’homme est celui qui a des ennemis ou des adversaires). Si l’honneur est aussi essentiel à l’homme pour se faire reconnaître comme Homme, c’est parce qu’il est fondamental pour la société kabyle compétitionnelle, il est le carburant de la compétition d’hommes en lutte (ou de structures luttant par leurs hommes) « pour la reconnaissance » de leur dignité au sens d’A. Caillé et T. Lindemann [2016]. Et en compétitionnant pour la reconnaissance de leur dignité, les hommes, comme diraient A. Caillé et T. Lindemann, « rivalisent pour donner » [2016, p. 335] le plus de soi, jusqu’à sa vie, dans (et pour) cette compétition. 

La compétition, pour sa part, est, dans la société Kabyle, compétition pour le don et la solidarité : les joutes, les disputes, les rixes et les guerres, toutes ne sont en vérité rien de plus que des moments pratiques d’initiation à (ou de renouvellement de) l’esprit de don et de solidarité, de don de solidarité et de solidarités pour le don. Par exemple, dans l’espace de jeux des enfants du village, il n’est pas rare qu’on décide qu’un long moment de jeu convivial soit terminé avec un combat entre deux petits garçons.

Il suffit alors de prendre deux petites pierres, mouiller l’une d’elle avec la salive et mettre l’autre dessus, puis de les poser par terre en disant à l’un des enfants choisis pour la lutte qu’il s’agit de sa mère qui est au-dessous du père du garçon adversaire.

L’honneur voudrait alors qu’il prenne la pierre représentant le père de l’autre est la jeter, en veillant à ce que l’autre ne se saisisse pas de la pierre représentant sa mère pour la jeter à son tour. S’il jetait effectivement cette pierre, son honneur est sauvé et l’adversaire devait dans ce cas sauver à son tour son honneur en s’engageant dans le combat à mains nues. Ici on veille bien à ce que le combat soit égalitaire, c’est-à-dire que les garçons engagés dans le combat aient à peu près le même âge (13) et que les règles du jeu soient respectées : dans un combat à mains nues, mordre l’adversaire et le frapper avec des pierres ou un bâton sont interdits. Si un déséquilibre flagrant est constaté, le combat est alors arrêté, l’important étant de s’être engagé pour sauver l’honneur, l’honneur [de la famille ou] du village à sauvegarder » [Aït Ahmed, 1983, p. 12].

Transgresser les règles du combat vous classe définitivement dans la catégorie des tricheurs, indignes de respect et de confiance, car, dans cette société, le respect des règles du jeu est plus important que le jeu, et même plus important que les enjeux qui se jouent par (et dans) le jeu, et « assumer son enfance, c’était compter sur soi-même, disait Aït Ahmed. Nous n’avions pas de droit de faire valoir hormis celui-là, ajoutait-il. Pas de famille-biberon ni d’Etat-biberon », concluait-il [Ibid., p. 13]. Et ne pas relever le défi fera de vous un objet de railleries en vous portant le déshonneur pendant longtemps, et c’est par cela (et pour cela) qu’« il y avait une prise de conscience précoce des devoirs, et en premier lieu du devoir de réussir pour soi, pour sa famille, pour son village » [Ibid.].

Par ces jeux se joue surtout l’éducation à l’esprit de don, d’égalité et de solidarité, comme l’atteste ce témoignage édifiant sur la vie des enfants kabyles durant la première moitié des années 1930 : 

Les saisons étaient rythmées par les jeux collectifs les plus divers, de la bagarre à mains nues à la bataille de boules de neige, de la maraude aux fascinantes quêtes périodiques. Vers minuit, nous allions par petits groupes chanter devant les maisons à la lueur des flambeaux et quêter un don. Puis les groupes mettaient en commun ce qu’ils avaient recueilli, faisaient des petits tas de bonbons, de noix, de châtaignes, de raisins secs, de fruits exotiques et même de piécettes, et un camarade choisi pour sa probité les répartissait entre tous. Mais nous participions aussi à toutes les formes d’entraide collective : labours, cueillettes des olives ou des cerises.

Les longues chaînes amenant et hissant les grandes solives principales pour la toiture d’une maison en construction nous réunissaient dans une atmosphère de fête, tout en constituant un événement marquant. Il y avait des choses qui allaient de soi, parce que transmises par les bonnes traditions, comme par exemple d’offrir les premiers fruits ou les premiers légumes aux femmes qui attendaient un enfant. Ce « folklore », au sens propre du terme, ce sont des valeurs culturelles, et c’est grâce à ces valeurs que je ne suis pas entré aveugle dans le monde des idées et de l’idéologie [Ibid., p. 13-14].

Dans les jeux même, il y a nécessairement l’aiguisement de l’esprit de compétition qui se joue également : ceux d’en haut contre ceux d’en bas, ceux de tel village contre ceux de tel autre, etc. La compétition en somme est un instrument permettant de rendre les membres du clan « capables de », par exemple capables de relever le défi lorsqu’il le faut sans penser aux conséquences, car le nnif veut que le don et la solidarité soient tout, et c’est pour cela qu’on dit : Af nnif ig-aɣli w-adif, (c’est pour l’honneur blessé que la moelle a été versée). Cette éducation à se battre pour le nnif (l’honneur) est une préparation des enfants, qui, soulignait H. Ait Ahmed, « doivent avant tout apprendre à être des maillons dans la chaine des générations » [Ibid., p. 12], à intégrer la société ou le groupe social comme il est attendu d’un guerrier, car « les guerres civiles de djémâa à djémâa » [Renan, 1873, p. 151] sont très fréquentes, « de véritables duels de village à village, de tribu à tribu » [Ibid.], et tout Kabyle « est de la sorte un guerrier » [Ibid.] malgré lui. Si ces guerres pour l’honneur avaient des visées matérielles d’appropriation par la conquête, cela aurait été remarqué et signalé, par des ethnologues et anthropologues par exemple.

En vérité, « la grande majorité des combattants n’a aucun intérêt direct à la lutte. Ils vont au feu sans haine, par esprit de solidarité et par point d’honneur » [Ibid.]. Et d’ailleurs, après « un temps raisonnable [de combats], […] les deux partis se retirent, emportant leurs blessés et leurs morts. Les choses se retrouvent alors exactement dans l’état où elles étaient avant la guerre, et la lutte n’a eu d’autre résultat que l’honneur satisfait » [Ibid.]. La compétition ou la lutte au nom de l’honneur n’a donc pas d’autre finalité que de stimuler un esprit de solidarité : « Ce monde de rivalités, disait Hocine Aït Ahmed nous parlant de son enfance des années 1920/1930, est difficile, mais on y apprend […] la solidarité chaleureuse » [1983, p. 12].

L’esprit de solidarité animé par la compétition d’honneur est mis au service de l’intérêt commun comme l’illustre cet exemple rapportant une discussion durant le milieu des années 1950, entre deux jeunes sur un projet de rénovation de leur tajmaεt (djemâa) (14) : « Nous sommes les Ait Flane ou non ? Tu sais que ceux [du quartier] d’en haut ont construit la leur [djemâa]. C’est un point d’honneur, cousin. Fais attention […] [,] nous devons tenir le flambeau […] Chacun donne ce qu’il peut. Notre djemâa doit rester la plus belle » (15) [Feraoun, [1954] 2016, p. 30]. Et en vérité, en pareil situation conflictuelle ou compétition elle, chacun dans le village donne plus qu’il ne peut donner, pour qu’à la fin ce que donne le cumul des dons de tous les villageois soit le plus important ou le plus impressionnant comparativement aux villages concurrents, les villages environnants.  

Capital symbolique, capitale physique, don et solidarité 

Pierre Bourdieu postule que le don sert le capital symbolique qui, à son tour, sert de couverture à la compétition pour l’intérêt matériel.

Le contre-don étant différé, l’échange généreux, à l’opposé du “donnant donnant”, ne tend-il pas à voiler la transaction intéressée qui n’ose s’apparaître dans l’instant, en la déployant dans la succession temporelle, et en substituant à la série continue de dons suivis de contre-dons une série discontinue de dons apparemment sans retour ? écrivait-il [[1972] 2000, p.59].

En vérité, dans la société kabyle ancienne, c’est plutôt le capital symbolique qui sert le don. Dans un conte ancien, le héros, pour tester l’intelligence de son fils, lui demanda de dire quel est l’homme le moins considérable socialement. Le garçon espiègle donna alors la réponse juste, qu’il s’agit du responsable du village, en expliquant que parce qu’il est le seul à passer sa vie à travailler pour tous pendant que tous passent leur vie à travailler chacun pour les siens.

D’ailleurs, en plus du fait que « L’amin [le président de la djemâa] ne reçoit […] aucun traitement et il est obligé à d’assez fortes dépenses » [Renan, 1873, p. 145] pour assumer des « fonctions [qui] soulèvent beaucoup de haines contre celui qui les remplit » [Ibid.], au cours des réunions, au-delà de son rôle de modérateur, son droit à la prise de parole pour donner un point de vue et égal à celui de chacun des autres, et pendant les délibérations sa voix est égale à celle de tous les autres. Une autre histoire raconte qu’un jour dans un village, lamin a convoqué tous les villageois pour une assemblée extraordinaire.

A l’entame de l’assemblée, lamin précisa aux présents le motif de l’assemblée, son souhait de se faire remplacer dans la fonction de président de la djemâa. Comme surpris, les villageois expriment unanimement et énergiquement leur refus de cette proposition. Tu as toujours accompli tes missions conformément à nos lois et aux méthodes de nos ancêtres et, de plus, il n’y a aucun parmi nous qui nous rassure autant que toi pour cette fonction, lui répondent-ils.

Revenant à la charge, il les remercie vivement pour leur confiance puis les prie d’accepter sa proposition en leur expliquant que, ses forces ayant faibli, il n’était plus en mesure de remplir ses tâches comme auparavant. Nous sommes d’accord à une condition, lui ont-ils dit, que ce soit toi qui nous désignes ton successeur. Il a accepté et ils se sont séparés.

En plusieurs fois de suite, il leur annonce le nom du successeur puis, quelques jours après, il leur demande de le désapprouver. La dernière fois, il leur annonce le nom du successeur, et quelques jours après il leur demande d’organiser une assemblée pour l’approuver. Cette assemblée tenante, les présents lui demandent d’expliquer pourquoi avoir demandé de désapprouver les autres et d’approuver le dernier.

A chaque fois, leur a-t-il dit, je me rends au milieu de la nuit au domicile du successeur potentiel, après l’avoir annoncé au villageois, le priant à haute voix de sortir pour affaire importante. Les trois premiers n’ont donné aucun signe montrant avoir entendu, ce qui signifie qu’ils dormaient ou qu’ils ont eu peur de sortir.

Avec le quatrième, c’est avant que je termine de l’appeler que je le vois se présenter devant moi, et en lui demandant de m’expliquer cette célérité, il m’a répondu qu’il ne dormait pas étant préoccupé par les affaires du village. « Le bon représentant de villageois est celui que préoccupent tout le temps les affaires de son village ». Telle est la morale de cette histoire, disent tous les Kabyles qui la racontent.

On voit donc que le capital symbolique, savoir dire et savoir taire, savoir intercéder et savoir médier, savoir défier et savoir concéder sans céder, est en permanence au service du don, don de soi, de son temps, de son savoir et même de son temps de sommeil. Et c’est seulement lorsque ce capital symbolique est mis au service du don pour sa communauté que, comme contre-don, les villageois nous accordent de la considération, comme le précise ici M. Feraoun :

Autrefois, il n’y avait qu’un seul bon couvert [dans l’ancienne djemâa]. C’était la place qu’affectionnaient particulièrement l’amin et l’usurier […] L’amin, on lui cédait volontiers la place. Il était diplomate et les gens du quartier étaient fiers de lui. Il méritait les égards. C’était admis. Quant à l’autre, […] comme on n’était jamais sûr de s’en passer de ses services, on ne lui montrait pas trop qu’on le détestait et on faisait mine de s’intéresser à ce qu’il disait [[1954] 2016, p.  21].

En même temps, l’intérêt ou le capital matériel n’est capital symbolique, pour lequel les Kabyles luttent avec acharnement, que pour autant qu’il sert le don non calculateur : on donne du meilleur de ses récoltes et de ses provisions, autant aux connus qu’aux inconnus, aux noms des absents et aux noms des morts (16). Ici aussi, connus ou inconnus, ce sont des nécessiteux, c’est-à-dire ceux de qui on n’attend pas un contre-don, auxquels on donne. De plus, on donne sans attendre un contre-don en nature, le contre-don en nature est même ici prohibé, puisque ce qui est attendu comme contre-don, c’est la satisfaction des décédés, la protection des absents et de la propriété.

A titre illustratif, le Kabyle avait une unité de mesure dite amud (littéralement, le don), en usage dans quelques endroits jusqu’à aujourd’hui. Amud est un ustensile de mesure en bois valant à peu près 1.5 litre ou 1.5 kilo. Chaque année, les Kabyles utilisent l’amud pour mesurer ce qu’ils doivent donner de leurs récoltes aux autres. Et chaque année, à la fin des récoltes, des khouanes (17) défilaient pour prendre les dons que les Kabyles avaient à donner.

Une fois, vers le milieu des années 1990, Dhahviya, une vieille, qui s’apprêtait à mesurer un don de semoule et d’huile d’olive a été interpellée par son fils lui disant qu’il ne faut plus en donner, car ces gens qui viennent prendre ces dons vont par la suite ailleurs pour les commercialiser et s’enrichir sur nos dos, lui explique-t-il. La vieille a quand-même continué de mesurer, puis a donné son don, en rétorquant à son fils : ala a mmi, ma narraten aken, d dnuv (non mon fils, si nous ne donnons pas à celui qui se présente pour prendre un don, nous aurons de la malédiction).

Ici, pour la vieille attachée à l’esprit du don, ne pas donner c’est rompre le lien avec les décédés et les dieux protecteurs (18). En somme, pour nous, comme nous venons de le montrer, le modèle de la compétition d’honneur montre une énigme de la coexistence de la relation de compétition et de solidarité, et il s’agit exactement « de la relation créée de façon paradoxale par le don à double face, où une face signifie l’alliance et la paix, l’autre le défi et la rivalité » [Caillé, 1997, p. 97].

Cette relation, par laquelle « l’honneur est, après le principe d’association mutuelle, la base de la société kabyle » [Renan, 1873, p. 150], permet à la société de faire société solidaire, solidaire par des dons mutuels : don en nature, « la part du pauvre est faite par la loi extrêmement large, les fondations privées l’élargissent encore » [Ibid.], don sacrificiel, en allant risquer  sa vie dans des combats et des guerres qui engagent l’honneur des siens, don d’assistance en allant secourir « des réfugiés sans s’inquiéter de leur origine, avec une charité pleine de délicatesse […] [accomplie] simplement, sans bruit, sans ostentation et comme un devoir tout naturel » [Ibid., p. 148-149].

Conclusion

En conclusion, nous pouvons dire, sans risque de choquer, ou au risque de le faire avec quelques-uns, que pour la Kabylie, en tant que contexte socio-historique singulier, devant construire sa propre épistémè par laquelle elle va pouvoir affirmer son universalisme non aligné [Defalvard, p. 135] ou participer à l’élaboration du pluriversalisme [Caillé, 2014, p. 80], P. Bourdieu est à la fois son Diable et son bon Dieu. Son bon Dieu parce que ce sont ses mains qui lui ont ouvert les yeux pour voir (et qui lui a fait voir) toute l’importance de son « modèle de compétition d’honneur », en avertissement, très justement, que « les vertus de solidarité et d’entraide […] ne sauraient être abandonnées [en Kabylie] sans que l’organisme social tout entier en même temps que l’équilibre, maintenu à force d’énergie coordonnée, entre l’homme et le milieu, ne  viennent à être menacés de ruine » [Bourdieu, [1958] 2016, p. 22].

Son Diable car c’est également lui qui lui a obscurcit l’horizon de ses vrais possibles en considérant « la compétition d’honneur » comme étant en définitive un faux passeport d’une compétition économique qui aime à se dissimuler pour encore mieux passer, l’enchaînant ainsi à un destin de « société de marché » en devenir, qui lui a été fixé arbitrairement de l’extérieur.

Nous devons le signaler, Pierre Bourdieu n’était pas totalement en décalage par rapport à la réalité, et c’est ce qui a donné toute sa force à son illusion de vérité.  Il a, en vérité, pris en considération une période (à partir du milieu des années 1950) où la politique coloniale a déjà bouleversé, au moins partiellement, les rapports socio-économiques des indigènes et même leur imaginaire collectif. Mais avant que les différentes politiques coloniales ne pervertissent les structures socio-économiques indigènes par l’encouragement de la constitution de « grosses fortunes […], le plus souvent par la pratique de l’usure » [Rémond, [1933] 2018, p. 195], ce qu’il y avait en Kabylie, comme matrice cardinale, c’est ce que nous venons de montrer : une compétition permanente, à tous les niveaux, par le don, en vue d’instaurer ou de restaurer la solidarité de groupe.

L’autre erreur de P. Bourdieu est l’illusion de vérité qu’il a eue en constatant que les familles se soude autour (et se déchire sur) la propriété, que la famille kabyle « est la fois unie par la propriété et divisée par la propriété » [Bourdieu, 1994, p. 192]. Dans la réalité, la famille kabyle, comme toutes les structures sociales de la Kabylie, est unie par l’égalité et divisée par l’inégalité : on ne se divise pas en divisant la propriété, mais on se divise par (et pour) la division inégalitaire de la propriété.  

Aujourd’hui, à cause d’un comportement utilitariste qui y est de plus en plus répondu, c’est-à-dire à cause de l’orientation de Bourdieu promoteur de l’utilitarisme périphérique, la prophétie de Bour-Dieu, la ruine de la Kabylie par son abandon des vertus de la solidarité et du don, s’est réalisée : « Urbanisation sauvage, paysages saccagés, déforestation massive, exploitation agressive des sables des plages et des oueds, exploitation anarchique des carrières des massifs montagneux et forestiers, déchets industriels, ordures ménagères, gravats, effluents des huileries et des stations-service » [Dahmani, 2004, p. 4] ], en somme il s’agit d’un véritable drame socio-écologique auquel s’ajoute un autre : le drame que la domination absolu de l’approche utilitariste dans l’enseignement et la recherche a fait que les analystes locaux ne savent et donc ne peuvent même pas parler de ce drame des communs de Kabylie. Et c’est pourquoi nous plaidons franchement pour un retour de la Kabylie au modèle de compétition d’honneur par et pour le don et la solidarité.

Mohamed Amokrane Zoreli

Notes

1) Il a dit qu’il « voudrait être un Amusnaw d’honneur [savant de la Kabylie ancienne, maîtrisant et produisant les savoirs locaux] » [Berrichi, 2010, p. 16], et nous pensons qu’il est le plus grand Amusnaw d’honneur de tous les temps.

2) Par son « Les structures sociales de l’économie » [2000], c’est bien une alliance que P. Bourdieu propose aux utilitaristes contre les alternatives radicales au libéralisme. Il commence par souligner le constat, fait par des économistes mêmes, que les expériences pratiques donnent des résultats en décalage par rapport aux prévisions des modèles économiques, en expliquant ce décalage par le fait que la démarche, pseudo scientifique, des économistes orthodoxes, consiste, dans (et par)  la conception de modèles mathématiques, à projeter dans la tête des agents des concepts construits abstraitement, c’est-à-dire par le fait que les économistes essayent de faire plier la réalité, nécessairement multiforme, aux désidératas de leurs modèles : « Seule, écrit-il, une forme très particulière d’ethnocentrisme, qui se déguise en universalisme, peut porter à créditer universellement les agents de l’aptitude à la conduite économique rationnelle, faisant par-là disparaître la question des conditions économiques et culturelles de l’accès à cette aptitude (ainsi constituée en norme) et, du même coup, celle de 1’action indispensable si 1’on veut universaliser ces conditions » [2000, p. 17]. Ensuite il souligne l’objectif affiché par quelques économistes (Gary Becker), d’appliquer leurs lois économiques à (dans) tous les champs de la vie sociale, y compris les champs non économiques, le plaidoyer de quelques autres pour une théorie conciliant ce qui relève du comportement économique rationnel et ce qui relève du comportement non rationnel, puis l’idée d’« Alan Kirman [qui] suggère que 1 ‘on peut fonder une fonction de demande globale non sur l’homogénéité, mais sur l’hétérogénéité des agents, un comportement de demande individuelle très dispersé pouvant aboutir à un comportement global de demande agrégé très unifié et stabilisé » [Ibid., p. 331]. Et c’est ici que P. Bourdieu propose aux économistes son concourt, son concept d’habitus – conciliant le rationnel et le non rationnel, le collectif et l’individuel, le décisionnel et le dispositionnel –,  par lequel l’économie va enfin pouvoir contrôler et ajuster la réalité, en agissant sur les mobiles d’action réels des agents, pour faire des agents réels, par un apprentissage progressif (habitus), des homo œconomicus : « une telle hypothèse [celle-là d’Alan Kirman], écrit-il, trouve un fondement réaliste dans la théorie de 1’habitus et dans la représentation des consommateurs comme un ensemble d’agents hétérogènes aux dispositions, aux préférences et aux intérêts très différents […] mais ajustés, en chaque cas, à des conditions d’existence impliquant des chances différentes et soumis, de ce fait, aux contraintes inscrites dans la structure du champ, celle du champ économique dans son ensemble, et aussi dans les sous-espaces plus ou moins restreints dans lesquels ils interagissent avec un sous-groupe limité d’agents » [Ibid.]. En gros, selon P. Bourdieu, l’Habitus va permettre d’abord d’adapter les modèles économiques aux spécificités de l’ « univers précapitaliste », puis, par un processus d’apprentissage, c’est l’« univers précapitaliste » qui va être transformé, par l’habitus transformé et transformant, en univers capitaliste. Comme pour achever de convaincre les utilitaristes, P. Bourdieu a choisi de conclure avec cette attaque contre les anti-utilitaristes : « Il n’y a guère de place, dans le champ économique, pour les “folies, et ceux qui s’y abandonnent paient à plus ou moins long terme de leur disparition ou de leur échec le prix de leur défi aux règles et aux régularités immanentes de 1’ordre économique » [2000, p. 331]. Bref, pour P. Bourdieu, qui n’est pas mois évolutionniste et déterministe que K. Marx ici, l’utilitarisme est inexorable dans l’« univers précapitaliste » dès que les conditions de son affirmation sont là : « L’esprit de calcul qui était constamment refoulé (même si la tentation de calcul n’est jamais absente, pas plus chez les Kabyles qu’ailleurs), dit-il, s’affirme progressivement à mesure que se développent les conditions favorables à son exercice et à son affirmation publique » [1994 : 191].

 3) Nous pensons que R. Jamous, surprenant et amusant qui a jugé possible d’écrire sur « la logique de l’honneur […] [et] celle de l’intérêt » « [2003 : 111] chez P. Bourdieu en s’appuyant principalement sur les idées de M. Mauss, mais sans convoquer, ni même évoquer A. Caillé, maussien le plus connu et le plus reconnu, qui a consacré tout un ouvrage à ce sujet[1994], n’a pas pu faire, par son « Bourdieu et les études kabyle » (2003), que de présenter quelques critiques, pas toutes acceptables d’ailleurs. Essentiellement, P. Bourdieu n’ignore pas que la logique de l’honneur et la logique de l’intérêt ne sont pas complémentaire et que, mise en concurrence dans (par) l’action, la seconde finit inévitablement par tuer la première. Il avait tout simplement pensé que c’était la seule manière pour lui (en tuant la logique du don) de rendre sa théorie universelle et utile pour un usage actuelle.

4) L’ambiguïté des positions de P. Bourdieu – provoquée par sa posture de distanciation par rapport au feu de l’action (en politique) mais surtout, en science, par ses basculements incessants entre le désir de description et d’interprétation précises du terrain observé et le désir de donner à ses concepts la capacité d’expliquer le plus grand nombre de cas pratiques possible, entre le local et l’universel, entre la Kabylie et l’Algérie ou l’Afrique du Nord –, aidant, la pensée de P. Bourdieu fait l’objet de tentatives de déformation et de détournement par des recherches très tendancieuses, recherches qui se donnent comme excellents arguments à ceux qui mettent en cause la scientificité des sciences sociales, en considérant que les sciences molles sont des sciences folles. C’est le cas de K. Chachoua qui considère que « P. Bourdieu, n’a jamais […] manifesté “d’engagement et de soutien “politique au mouvement berbère […]. Ce qui n’empêche pas de deviner, derrière cette “neutralité un véritable engagement intime et citoyen pour une Algérie moderne et démocratique » [2012, En ligne]. Il va même jusqu’à soutenir mordicus que « le mouvement berbère de 1980 […] a certainement éloigné, transformé, et réduit “durablement, l’intérêt scientifique de P. Bourdieu pour l’Algérie » [2012, En ligne]. Et c’est contre l’avis de P. Bourdieu même qu’il soutient tout cela, puisque dans un entretien radiophonique, « enregistré le mardi 28 mars 2000 (16h à Paris, 15h à Alger) » Berrichi [2010, p. 11], P. Bourdieu lui-même dit : « J’ai essayé d’être auprès de Mouloud Mammeri, chaque fois qu’il a défendu la culture amazighe.  Parce que je me sens lié à cette culture […] J’avais fait un entretien au sujet de la grande réunion de Tizi-Ouzou […] dans le journal Libération pour expliquer aux Français ce qui s’est passé là-bas. J’ai toujours fait de mon mieux pour servir d’interprète, d’intermédiaire pour faire connaître la culture berbère.  La chose la plus importante que j’ai faite, je crois c’est d’essayer de favoriser la création de la revue Awal, parce que ça continue, que ça a beaucoup d’influence et que ça a permis aux berbères […] de s’exprimer » [Berrichi, 2010, p. 13-14]. Ailleurs, dans un ouvrage paru en 2014, que l’auteur dit avoir finalisé en 2002, H. Addi, en prétendant pouvoir donner l’avis de l’observé sans être du terrain d’observations et, surtout, sans maîtriser véritablement les caractéristiques et, encore moins, la langue du terrain, soutient avec la même opiniâtreté l’idée que le modèle anthropologique kabyle de P. Bourdieu est en vérité un modèle anthropologique de tout le Maghreb [2014], remettant en cause un mythe de la filiation pure et une structure de la maison, qui résument un ordre social et une vision du monde particuliers particularisant la Kabylie [Bourdieu, [1972] 2000]. Outre le fait qu’il ne signale même pas le lien entre la théorie Bourdieusienne et la théorie du don maussienne [Bourdieu, 1994, p. 149-211], l’auteur escamote totalement la dimension don de la Kabylie ancienne. Ces deux auteurs, K.     Chachoua et H. Addi, reproche à P. Bourdieu « cette  négation, ce refoulement et ce refus originel de la religion [islamique] », dimension à leurs yeux fondamentale en Afrique du Nord, alors que pour P. Bourdieu justement, la Kabylie est particulière, par les « mosquées [qui] ont […] moins d’importance que les djemas », liman (religieux du village) qui a moins d’importance que lamin (président laïc de la djemâa) et le grand marabout de la zaouïa qui a moins d’importance que l’amusnaw (savant et expert laïc) [Mammeri et Bourdieu, 1978].

5)[1] Nous pensons qu’ici P. Bourdieu a fait une transposition dissimulée de l’idée de K. Marx soutenant que les relations féodales d’avant la Révolution française étaient des relations « [d]’exploitation [économique], [exploitation] voilée par des illusions religieuses et politiques » [1895, p. 7], que la révolution bourgeoise a transformé en « exploitation ouverte, directe, brutale, éhontée » [Ibid.].

6) S’il « n’y a jamais eu, en pays Kabyle, de classe de parias[,] […] aucun de ces êtres déchus qui peuplent les bas-fonds des villes » [Rémond, [1933] 2018, p. 196], c’est parce qu’il y avait un modèle de don et de solidarité qui permettait au pauvre de ne pas « s’abaisser à découvrir sa faim, à demander, à mendier » :  Kamouma, vieille femme vivant seule, son fils unique n’ayant pas donné signe de vie depuis qu’il est parti travailler en France, « sait qu’elle ne doit compter que sur sa personne, aussi les plus petites marques d’intérêt qu’on lui témoigne lui font-elles beaucoup de bien, et par-dessus tout, l’estime dont elle se sent entourée. Lorsqu’on la rencontre, les hommes lui disent “bonjour les premiers, les femmes l’appelle toute : “nana [grande sœur], et les jeunes “ima [mère]. Elle n’a pas besoin d’aller à la fontaine : elle reçoit quotidiennement sa cruche d’eau de l’une ou de l’autre. Si on rentre des champs, de temps en temps on lui jette en passant une brassée de bois sec. Ceux qui par hasard donnent une fête ne l’oublient jamais… » [Feraoun, [1950] 2018, p. 19]. 

7) « Une autre vieille, d’aspect minable, fait offrande d’un mouton [au tombeau d’un santon vénéré], en remerciement d’un vœu exaucé. C’est tout son avoir. Combien d’autres gestes encore de foi naïve […] Que d’argent ainsi récolté, chaque année » [Rémond, [1933] 2018, p.145]. Ce « c’est tout son avoir » signifie qu’ici en effet, le don, comme le dit A. Caillé, est « le sacrifice de quelque chose de précieux fait pour témoigner à l’autre, aux autres, amour, amitié ou charité » [2018, p. 79], ou encore reconnaissance.

8) La karouba est un groupe de familles élargies ayant un ancêtre commun.

9) Pour mettre fin aux hostilités, c’est aux gagnants que les sages exigent de demander pardon des perdants.

10) Ce point important nous a été signalé par A. Caillé, ici présenté tel qu’il l’a exprimé. 

11) Chef dont la légitimité est fondée sur la religion.

12 L’étude ethnographique d’où est tirée cette citation a été rédigée, sous l’impulsion du Père-Blanc J-L. Degezelle, par Belaïd Aït Ali, dans sa langue Kabyle et en caractères latins, pendant les années 1940, mais il a fallu attendre 1963 pour qu’elle soit publiée par J-M. Dallet et J-L. Degezelle.

13) L’attachement des Kabyles à l’égalitarisme fait qu’on ne s’engage véritablement dans un combat aux côtés des siens que lorsqu’on constate un déséquilibre des rapports de force en leur défaveur : « S’il s’agissait d’un garçon de mon âge, écrivait M. Feraoun, je n’avais aucune raison de le craindre. Mon oncle, précisait-t-il, faisait ressortir avec colère que l’avantage était de mon côté […] Par contre, ajoutait-il, il n’admettait pas qu’un garçon plus grand que moi me frappât ou me taquinât » [[1950] 2016, p. 33]. Mais s’il y a transgression de cette règle d’égalité dans le combat, la solidarité va alors jouer à plein engendrant une guerre de tous contre tous, comme c’est le cas avec l’affaire de l’enfant fouroulou blessé par un adulte, qui a très vite entraîné une bataille rangée entre deux familles, puis entre deux clans, et pendant que les hommes des deux familles, c’est-à-dire de deux clans, se battent, « à une dizaine de mètres plus loin, dans une ruelle sans issue, se déroule la bataille des femmes, bruyantes et grotesque réplique » [Ibid., p. 37].

14) La tajmaεt kabyle est « à la fois une assemblée politique qui fonctionne à la façon de l’agora grec avec, en plus, le droit à la parole pour tous les membres du village et la prise de décision par consensus général, et un espace public de proximité » [Zoreli, 2014, [En ligne]].

15) Cette citation est l’expression parfaite du concept de compétition d’honneur. Dans un autre roman de M. Feraoun, publié en 1950, il y a cette autre citation : « Un Kabyle, chez lui, est forcément un homme réaliste. Tous les devoirs dont il s’était brutalement délivré en s’en allant [en émigrant] l’emmaillotent à nouveau [dès son retour], aussi nombreux, aussi fermes que s’il ne s’en était jamais débarrassé. Il se reprend à aimer ou à haïr, à imiter ou à envier, à croire et à agir selon des directives précises, particulières à sa famille et sa karouba [toutes les familles ayant un ancêtre commun]. Il connaît ces directives par intuition, comme si elles lui avaient été transmises par hérédité, tant elles sont ancrées au plus profond de son être. Amer-ou-Kaci retrouve subitement [en rentrant de France] la certitude qu’on est jaloux de lui, que telle famille ne peut lui vouloir du bien et telle autre, qui est proche pourtant, n’est pas néanmoins sans envie ; il se rappelle la duplicité historique de certaine karouba, du courage reconnu de telle autre – la sienne précisément […] Le jeu s’annonce plein d’intérêt qui consiste à se créer tout d’un coup un rang, une place à Ighil-Nezman. Il la veut honorable cette place » [[1950] 2018, p. 18-19]. Celle-ci est l’expression parfaite du concept bourdieusien d’habitus. Ce qui nous fait penser que la théorie bourdieusienne, en partie au moins, est moins le produit de sa méthode d’objectivation participante [2003] qu’une conceptualisation ou réélaboration (savante) de la littérature locale, notamment féraounienne (que paradoxalement P. Bourdieu n’a jamais citée, même s’il a avoué qu’il « connaissait aussi très bien Mouloud Feraoun » [Berrichi, 2010, p. 14].

16) Les « offrandes […], en pays kabyle, […] on leur attribue une telle valeur qu’on les croirait facilement partie intégrante de la vie religieuse ; on les pratique si généralement qu’on serait tenté de les prendre pour une institution économique du pays » [L’Aumône et les redevances pieuses, S.n.d’a., 1966, p. I].

17) Ordre d’une zaouïa (équivalent mais différent d’un monastère) qui se charge de la collecte de dons des villages après les récoltes (de figues, de l’huile, de blé, etc.).  Chaque tribu tenait à avoir sa zaouïa, de préférence meilleure que toutes les autres (rivalité), et chaque zaouïa vivait et fonctionnait grâce essentiellement aux dons des maisons de la tribu qui la possède.

18) Les Kabyles anciens croyaient que leurs ancêtres décédés sont des invisibles qui habitent des endroits particuliers, « forêts, arbres, sources et rochets, leur communiquant parfois des vertus curatives au bénéfice de leur dévots » [Genevois, [1971 et 1972] 2014, p. 126]. Les appelant les « Gardiens (Iâassassen) » [Ibid.] c’est-à-dire les « protecteurs des personnes et de leur biens » [Ibid., p. 127], les Kabyles pensaient que « leur protection est d’autant mieux assurée que les bénéficiaires leur témoignent du respect, leur adressent des invocations et leur font des offrandes » [Ibid].

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Alexandra Cretté : « La poésie est une production de toute culture humaine »

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Alxandra Cretté
Crédit photo : Christian Vigne

Alexandra Cretté fait partie de ces auteurs qui fascinent par leur parcours et leur façon d’être. La poésie a toujours été là comme la plus fidèle amie, accompagnant chaque pas, chaque souffle. Elle a attendu la pleine maturité pour publier, sans rien bousculer, attendant le moment, son moment.

Les yeux d’Alexandra Cretté brillent de générosité avec le regard de l’humilité. Elle est le poète du partage semant l’amour pour rendre meilleurs les jours.

Elle est née et a grandi à Aubervilliers en Seine-Saint Denis, cette ville ouvrière et d’immigration, une enfance des plus modestes, elle fut la première de sa famille à décrocher le BAC (Le baccalauréat).

« Mon enfance fut solitaire, je n´ai ni sœur, ni frère, ni oncle, ni tante, ni cousin, ni cousine». Ces mots résonnent dans l’espace-temps, mais l’enfance fut heureuse dans cet HLM, très aimée par sa famille.

Après une classe préparatoire littéraire, elle obtient un Master de philosophie politique à la Sorbonne, Paris IV, sur le concept d’amitié chez Aristote, le lien entre son éthique et sa politique dans, L’éthique à Nicomaque, la question du rapport entre éthique et politique. Pour Aristote, l’éthique est avant tout une sagesse de l’homme qui se détermine dans l’action, L’éthique à Nicomaque, est un cours sur la morale, Aristote dit « Le bien certes est désirable quand il intéresse un individu pris à part, mais son caractère est plus beau et plus divin quand il s’applique à un peuple et à des États entiers. »

Déjà tant d’interrogations qui bousculent les certitudes, Alexandra Cretté souhaite atteindre ce bonheur et cette justice dont parle Aristote, une quête qui ne voit sa source que dans l’action, commence alors l’engagement social et politique.

Elle rejoint l’activisme de groupes anarcho-libertaires parisiens et ses yeux s’ouvrent d’avantage, écrivant des articles, organisant des actions, la poésie reprend la place, elle retrouve Francis Combes et sa maison d’édition, Le Temps des Cerises, elle codirige la Revue Commune avec Roger Bordier, vivant de remplacement en tant qu’enseignante dans des collèges et des lycées.

En 2006, c’est l’appel du large et des grands espaces, elle part en Guyane où elle s’implique et intègre le syndicalisme. Le poète éditeur Francis Combes publie certains de ses poèmes dans une anthologie de la poésie engagée contemporaine aux editions Le Temps des Cerises.

En Guyane, Alexandra Cretté retrouve la société multiculturelle de son enfance, les réalités des espaces à la lisière du monde occidental et l’Amazonie qui fascine et émerveille.

En 2020, elle fonde la revue littéraire, Oyapock, avec son ami, Samuel Tracol, avec qui elle travaille syndicalement sur des problématiques internationales. Ils ont réuni 20 auteurs de Guyane, Haïti, Martinique, Brésil, France, publiant en ligne, de la poésie, du théâtre, des nouvelles, des chroniques, des extraits de romans, travaillant avec la Maison du Conte de Cayenne, pour participer à des soirées de lectures et des festivals. Ils ont publié un livre collectif de poésie avec les éditions Atlantiques déchaînés, dirigées par Fabien Marius Hatchi, L’Anthologie de la Revue Oyapock.

En mai 2023, Alexandre Cretté gagne la mention spéciale du prix international de poésie Balisaille en Martinique, présidé par Lyonel Trouillot et Raphaël Confiant, pour son recueil Par, le regard de ces autres mal nés, publié par Atlantiques déchaînés et Le Merle moqueur de Francis Combes.

Alexandra Cretté fut invitée en juillet 2023 au 33éme festival international de poésie de Medellin et au festival international de Caracas, puis en mai 2024, au Festival Mai poésie, en Martinique, organisé par l’association Balisaille, qui a réuni des poètes et écrivains de Martinique, mais aussi de Guyane, Guadeloupe, Ile Maurice, Réunion, France, Côte d’Ivoire et Bénin, en tant que lauréate 2023 du prix Balisaille. Elle publie aussi régulièrement dans la Revue internationale du Mouvement Mondial de la Poésie, Planetariat.

Alexandra Cretté est invitée en janvier 2025 au Congrès international des poètes à la Havane à Cuba. Elle nous surprend et nous émerveille par la publication de son recueil « Par le regard des autres, mal nés », au titre évocateur poignant, un seul poème forme ce livre, qui n’en finit pas, comme pour tenir et retenir le lecteur en lui tenant la main au fil des pages qui se tournent entre l’ombre et la lumière, avec une magnifique préface de Raphaël confiant qui éclaire le livre et le délivre des doutes et interrogations tout en saisissant l’essentiel, de l’humain à la terre, de la terre au ciel.

Ce recueil, ce poème s’écoule entre les cultures et les langues dans une harmonie formée par le cœur et l’esprit, sortant du réel pour oublier la misère celle apparente et celle cachée.

Professeur de lettres modernes en Guyane depuis de longues années, auteur de poésie, de nouvelles, de théâtre, Alexandra Cretté pense que la poésie peut changer le monde.

Le Matin d’Algérie : De la philosophie à la littérature, qui est Alexandra Cretté ?

Alexandra Cretté : Bonjour, merci de m’avoir proposé cette interview. En fait, pour répondre à votre question, la littérature a toujours été là en premier. Il s’agit dans ma vie intellectuelle d’un chemin de la littérature à la philosophie, puis d’un retour vers la littérature. J’ai passé une grande partie de mon adolescence à lire de la littérature, les bancs du collège m’ont surtout vu lire sous la table plutôt que de participer activement à un cours de physique-chimie, par exemple. Je lisais beaucoup, j’écrivais avec un immense plaisir. J’ai des souvenirs très précis de ce plaisir presque boulimique, en tout cas excessif, de l’écriture. J’ai grandi dans une banlieue ouvrière assez pauvre, les professeurs voyaient avec une certaine bienveillance ce goût rare pour les livres. Je lisais Baudelaire, Dumas, Zola, Hugo, Balzac, Camus, Gide.

Lorsque j’ai rencontré la philosophie en classe de terminale, je suis tombée à nouveau dans une grande passion. Une passion pour cette discipline et surtout pour la façon dont elle utilisait le langage, à l’opposé de la littérature. J’étais fascinée par la possibilité d’énoncer la pensée sous une forme systémique et nue. Une sorte de pureté que propose le concept, d’efficacité par la méthode et la structure.

C’était tout un monde à découvrir, et je m’y suis plongée pendant cinq ans à la Sorbonne. C’est la philosophie politique qui s’est imposée comme mon domaine d’intérêt principal et j’ai donc travaillé sur Aristote, mais aussi sur Diderot. J’ai enseigné la philosophie un an comme professeure contractuelle, mais n’ayant pas réussi les concours, je suis revenue à la littérature et j’ai obtenu mon CAPES de lettres en candidate libre.

Cependant, pendant toutes les années de ma formation universitaire, je n’ai jamais quitté la littérature et mon chevet a toujours été couvert de romans, de théâtre et de poésie…

Le Matin d’Algérie : D’Aubervilliers à la Guyane, racontez-nous ?

Alexandra Cretté : Vous pointez avec justesse l’importance des lieux où je suis née et ai vécu. Naître à Aubervilliers n’est pas sans conséquences, du point de vue du regard social sur mon identité, comme de la construction de mon propre point de vue sur la France et le monde.
Aubervilliers est un des symboles de la misère populaire. Immortalisée dans le poème de Jacques Prévert

« Petits enfants d’Aubervilliers,
Petits enfants des prolétaires,
Vous plongez la tête la première
Dans les eaux grasses de la misère »


C’est une ville industrielle, où HLM et entrepôts s’empilent en bordure de Paris. Une ville qui a accueillis beaucoup d’immigrés, principalement des anciens espaces coloniaux. Mais aussi une ville de politique culturelle, avec des bibliothèques dans tous les quartiers, un théâtre prestigieux, des ateliers d’artistes, des intellectuels engagés et des écrivains importants. J’y ai rencontré Francis Combes et sa fille Juliette Combes- L’atour, des éditeurs engagés et des intellectuels importants dans la dynamique de l’édition indépendante en France.

Lorsque je suis arrivée en Guyane, où je vis depuis 18 ans, j’ai tout de suite su que ce serait un des lieux importants de ma vie. C’est une terre complexe, multiculturelle, plurilingue, héritière d’une histoire terrible et très contemporaine aussi. C’est un intense lieu migratoire. Un habitant sur trois est de nationalité étrangère. Les deux tiers de la population ont moins de trente-cinq ans. Nous sommes très différents de la France hexagonale. Le rapport à la langue aussi est y est pour moi fondamental car, si le français en est la langue officielle en tant que département d’outre-mer, il n’est pas la langue principalement parlée, langue qui varie très fortement selon les espaces du territoire. Cette Babel linguistique est un formidable creuset poétique pour envisager l’élasticité possible de la langue française dans la francophonie.

Je devrais même dire les langues françaises, ce qui serait bien plus juste au vu des spécificités, des modifications de tournures et de syntaxe. De plus, l’espace amazonien influence mon écriture par la confrontation constante à l’immensité naturelle de la forêt, vaste comme un continent, à l’opposé de l’espace européen, où la main de l’homme est toujours apparente. Je ne veux pas entretenir le mythe erroné d’un espace vierge et ouvert aux pionniers, mais insister sur le rapport à un espace non maîtrisable, dont la complexité dépasse très largement l’individu. Cela ouvre un ensemble de possibles et de symboles riches et féconds pour un poète.

Le Matin d’Algérie : Vous venez de publier « Par le regard des autres mal nés » chez les éditions Atlantiques déchaînés, un titre évocateur qui interpelle le cœur et l’esprit, comment s’est fait le choix de ce titre ?

Alexandra Cretté :
 Merci de rendre hommage à ce titre. Il s’agit d’un titre à double sens.
Le premier est le sens littéral: mon écriture est une écriture issue d’un lieu postcolonial où les peuples qui y vivent participent d’un espace d’exclus, aux marges de l’occident. Héritiers d’une colonisation violente, de la structuration raciale de l’esclavagisme et de la rationalisation de la déportation pénitentiaire, les peuples de Guyane regardent le monde à travers ce prisme lucide et contemporain. J’y vis depuis presque vingt ans, ce regard me modèle et transforme intrinsèquement mon rapport à la poésie et au monde.
Le deuxième sens est un sens caché car ce titre est aussi une citation de l’Enfer de Dante, première partie de sa trilogie intitulée la Divine comédie. Vous trouverez ce vers au chant XVIII, lorsque Dante longe la partie de l’Enfer consacrée aux ruffians et séducteurs, ces hommes qui consacrèrent leur vie à détruire les femmes. Cette violence subie à travers le lien passionnel est d’ailleurs l’un des thèmes de mon recueil.

Le Matin d’Algérie : Un mot sur Raphaël Confiant qui a préfacé votre livre, comment s’est faite la rencontre ?

Alexandra Cretté :
 Raphaël Confiant présidait le Jury du Prix dont j’ai obtenu la Mention Spéciale, le Prix International de l’Invention Poétique 2023 en Martinique, organisé par l’Association Balisaille. Je ne l’ai jamais rencontré avant ma participation au festival suivant en mai 2024. C’est lors du festival International de Poésie de Caracas en juillet 2023 que mes éditeurs, Francis Combes et Fabien Marius-Hatchi, me proposent une préface par Raphaël Confiant. Ils se sont chargés de lui transmettre l’idée et c’est avec une joie immense que j’ai reçu son accord.
Cette rencontre entre nous est une rencontre textuelle, forte et profonde, d’auteur à auteur.
C’est une préface magnifique qui honore mon livre et mon travail en poésie.

Le Matin d’Algérie : La poésie a toujours été en vous, pourtant la publication est tardive, pouvez-vous nous expliquer ?

Alexandra Cretté : J’ai effectivement toujours écrit de la poésie, depuis presque l’enfance. Je publiais des poèmes dans le journal de mon lycée. Entre vingt et trente ans j’ai publié des textes et des poèmes à travers la Revue Commune, aux éditions du Temps des Cerises. En 2008, je publie deux longs poèmes dans L’Anthologie de la poésie engagée contemporaine, toujours aux éditions du Temps des Cerises. Cependant aucun recueil personnel. J’en ai écrit plusieurs par la suite, entre 2007 et 2020 : Last Baadaassss song, un recueil sur la jeunesse et la Guyane; Sur la face nord du dôme de Tharsis, qui est un long poème sur l’anthropocène; À l’ombre des flamboyants jaunes, un recueil sur l’enfance. Une pièce de théâtre, aussi, Médée-Oiapoque, sur l’exil et la trace du mythe. Mais je n’ai jamais vraiment été active durant une grande dizaine d’années pour passer à la publication. Le militantisme, le syndicalisme étaient mes activités intellectuelles principales et mobilisaient la majeure partie de mon énergie. C’est en 2020, lorsque je créé La Revue Littéraire Oyapock, que je me lance dans un nouveau projet et que l’écriture et la publication deviennent centrales. Mais ce sera dans un cadre collectif, dans une dynamique de groupe qui vise à faire accéder à la publication des auteurs et des autrices, et pas seulement ma seule production. Mon écriture et mon activité culturelle se nourrissent de ce contact permanent avec l’autre, avec l’idée d’une dynamique qui ne peut être solitaire.

Le Matin d’Algérie : Vous vous impliquez dans le syndicalisme, mais la poésie est aussi une forme de lutte, cela peut paraitre paradoxal mais il n’en est rien en vérité, qu’en dites-vous ?

Alexandra Cretté : Il est vrai que mon militantisme syndical a occupé longtemps une place centrale dans mes activités. J’ai été co-secrétaire de SUD éducation Guyane, un syndicat d’orientation libertaire, pendant quinze ans. J’y ai défendu une conception internationaliste et émancipatrice de l’éducation, très horizontale et égalitaire. Pendant toutes ces années, je n’ai jamais cessé d’écrire de la poésie. Mais cette poésie n’est pas un discours doctrinaire ou idéologique. J’ai passé assez de temps à rédiger des articles, des tracts ou des discours pour savoir que cet espace artistique, ce rapport au monde par les mots, n’a pas besoin d’une structure argumentative pour faire exister mes idées, ma vision du monde.

Le combat du poème dépasse celui de ma main. Aujourd’hui, je créé des projets de traduction et des groupes de recherches dans un collectif international d’auteurs, le Mouvement Mondial de la Poésie. Je travaille d’ailleurs avec la Maison de la Poésie algérienne, via son ancien co-fondateur, Achour Fenni.
En Guyane notre Revue, la Revue Littéraire Oyapock, est une maison de l’écriture et de l’amitié. Mon premier livre, notre premier livre, a été un livre collectif, une grande aventure avec JJJJ Rolph, Émile Boutelier, James-Son Derisier, Rossiny Dorvil, Sandie Colas, Widjmy StVil, Jonas Charlecin et Nitza Cavalier. Et nous vivons tous ensemble l’idée d’une littérature en acte, ouverte sur le monde et engagée dans un cri.

Le Matin d’Algérie : La poésie peut changer le monde d’après vous, pourtant c’est un genre littéraire qui peine à s’imposer partout dans le monde, qu’en pensez-vous ?

Alexandra Cretté :
 J’aimerais nuancer votre formulation qui présente la poésie comme un genre qui « peine à s’imposer partout dans le monde ». Il est vrai que les systèmes économiques de distribution du livre favorisent largement le romanesque ou le livre d’idées. Cependant, ces genres sont spécifiques à des espaces culturels précis, l’occident, les grandes et très grandes villes. Alors que la poésie, elle, est une production de toute culture humaine, par l’oralité ou l’écrit, elle universalise le lien au langage qui relie les hommes à la signification, à la grâce du sens.

Je dirai que la poésie ne s’impose pas. Elle créé son propre espace. S’il est vrai que dans l’histoire littéraire elle a déjà eu en France une place de genre majeur et que ce temps est révolu, ce n’est pas le cas dans d’autres pays. En ayant eu la chance de participer à deux festivals internationaux et de discuter avec des poètes du monde entier, j’ai compris que les dynamiques poétiques sont variées et que la culture de la poésie est internationale.

En Haïti, qui n’est pas poète n’est pas un grand écrivain. Même au milieu de la guerre des gangs, des drones et des armes de guerre, les livres de poésies s’écrivent, se publient. En Colombie, au festival de Medellín, les poètes sont accueillis par le public comme de véritables stars.

Je dirai donc que la poésie change le monde parce qu’elle est une façon différente d’utiliser le langage. Elle dépasse l’utilité, la narration. Je ne pense pas qu’elle soit intrinsèquement révolutionnaire. Ou porteuse d’une mission de libération. Si vous lisez Le Parti pris des choses de Francis Ponge, vous ne trouverez pas une idée ou un chant de liberté. Mais si vous lisez ce live et le comprenez esthétiquement, votre sensibilité ne peut plus accepter les moules prédéfinis de la production culturelle de masse, ou du moins, elle en verra les failles, les simplifications et les tricheries. C’est ce que font tous les grands livres de poésie. Ils nous rendent le monde.

Le Matin d’Algérie : Votre livre est formé d’un seul poème et pourtant vous réussissez à retenir le lecteur pour ne plus le lâcher, et celui-ci voudrait que le poème continue, à quoi est due cette magie ?

Alexandra Cretté : Je vous remercie de voir une certaine magie dans mon écriture, c’est un grand compliment. Ce livre a effectivement été conçu comme un chant unique, mêlant deux voix, une voix extime et une voix intime. C’est un travail sur la polyphonie, la possibilité de mêler différentes voix poétiques pour créer un miroir, ou une profondeur, selon le moment du poème.

La structure du recueil est plutôt cyclique, comme la mémoire, comme mon rapport à l’espace, puisque ma vie s’organise dans des cercles qui sont pour certains des cercles sud-américains, et d’autres, plus réguliers, des cercles qui me ramènent vers la France, où vit ma famille, où sont mes souvenir d’enfance…

Cet espace transatlantique personnel est aussi doublé d’une conscience historique des lieux, de leur symbolisme, de leur incompatibilité, également.

Les critiques mettent souvent en avant dans mon livre la poésie amoureuse et le chant de l’Amazonie, deux thèmes centraux, mais qui me permettent, par leur dimension universelle de porter d’autres thèmes : la misère, la folie, la révolte, le carcéral, la colonisation, la migration. L’intime est là pour asseoir dans la chair émotionnelle les désastres du monde et l’envie de les transformer, d’où une fin tournée vers l’enfance, vers l’amour filial et l’infinie contemplation.

Cela doit être ce mouvement perpétuel entre passé et présent, présence et absence, qui a guidé votre lecture comme un fil d’Ariane incassable.

Le Matin d’Algérie : Quels sont les poètes qui vous influencent ?

Alexandra Cretté : Toute mon adolescence a été influencée par l’écriture de Rimbaud. Une saison en Enfer et Les Illuminations ont transformé mon rapport au langage. Mais à vrai dire, même si Aragon et Éluard ont largement aussi nourri mon univers poétique, ce sont surtout des poètes francophones ou étrangers qui ont traversé ou motivé les transformations de mon écriture. Anna Akhmatova avec Requiem et Paul Celan, avec Pavot et mémoire, sont deux auteurs pivots de ma jeunesse, car avec eux j’ai trouvé une poétique différente pour dire l’histoire, une densité nue de l’écriture que je ne connaissais pas.

Vivant depuis longtemps dans l’espace sud-américain amazonien, certains recueils m’habitent, comme Poème sale, du Brésilien Ferreira Gullar, une œuvre de toute beauté, long poème écrit sur le chemin de son exil fuyant la dictature. Ou encore les immenses œuvres du poète haïtien spiraliste Frankétienne, dont L’Oiseau schizophone m’apparaît comme une des possibilités ultimes de la voix du poète.

Aujourd’hui, je suis principalement influencée par les auteurs avec lesquels j’écris, ou avec qui je travaille au quotidien. Mes amis dans l’écriture et aventuriers littéraires, JJJJ Rolph, Daniel Pujol, Loran Kristian, Émile Boutelier, Luis Bernard Henry. Toute cette activité autour de la production poétique nourrit réciproquement nos écritures, nos discussions et nos perspectives.

Le Matin d’Algérie : Avez-vous des projets en cours ou à venir ?

Alexandra Cretté : De nombreux projets sont en cours dans différents domaines.
Concernant mon travail poétique personnel, je suis en train de finaliser un recueil important, Panoptica Americana, qui devrait être publié en co- édition par mes éditeurs, Atlantiques déchaînés et Le Merle moqueur, dans le courant du premier semestre 2025. C’est un projet ambitieux basé sur une complexification de mon modèle poétique polyphonique.

Il s’agit d’un ouvrage à trois voix poétiques sur le continent américain. Une voix lyrique sur les métaphysiques spirituelles du candomblé brésilien, une voix ironique sur ma vision autobiographique de l’espace, une voix didactique sur les projets impérialistes et esclavagistes qui modelèrent ou tentèrent de modeler le continent du nord au sud.


Par ailleurs, je travaille sur la traduction d’un recueil du poète népalais Keshab Sigdel, Embargo. Avec la poétesse franco-tunisienne Arwa Ben Dhia, je projette une traduction en français d’un ouvrage de la poétesse palestinienne Hanan Awwad. Enfin, j’écris avec le poète Amar Benhamouche un recueil à quatre mains en français et en kabyle, Pierres sorties du torrent.

Le Matin d’Algérie : Un dernier mot peut-être ?

Alexandra Cretté :
 Je remercie chaleureusement le Matin d’Algérie pour cette interview riche et pertinente. C’est une belle opportunité pour moi de faire découvrir mon travail littéraire dans d’autres pays, d’autres espaces. Merci.


Entretien réalisé par Brahim Saci 

Livre publié :

« Par le regard de ces autres, mal nés »
Editions atlantiques déchaînés – Le Merle Moqueur

Arkab aux parlementaires de l’OTAN : «La sécurité énergétique est majeure »

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Le ministre de l’Energie et des Mines, Mohamed Arkab a reçu, lundi à Alger, une délégation parlementaire conjointe de l’Assemblée parlementaire de l’Organisation du traité de l’Atlantique du nord (AP-OTAN), en visite en Algérie dans le cadre de la coopération avec le Parlement algérien, a indiqué un communiqué du ministère.

La délégation comprenait des parlementaires de la Commission sur la démocratie et de la sécurité (CDS) de l’Assemblée, conduite par Marcos Perestrello de Vasconcellos, et de la Sous-commission sur la résilience et
la sécurité civile, ainsi que du Groupe spécial Méditerranée et Moyen-Orient (GSM), présidé par Fernando Gutierrez, précise le communiqué.

Au cours de cette rencontre qui s’est tenue au siège du ministère en présence de l’ambassadeur d’Italie à Alger, de représentants du ministère de la Défense nationale et de cadres du ministère, plusieurs domaines d’intérêt commun ont été abordés, tels que la sécurité énergétique aux niveaux méditerranéen et mondial, le développement des énergies nouvelles et renouvelables, notamment l’hydrogène vert, y compris les projets en cours et à venir, comme le projet du gazoduc d’hydrogène SoutH2 Corridor, qui reliera l’Algérie à l’Allemagne via l’Italie et l’Autriche, ou encore le projet intégré de production d’hydrogène vert et de ses dérivés en Algérie, avec exportation vers l’Espagne via les infrastructures existantes ou un nouveau gazoduc.

Pour M. Arkab, la sécurité énergétique est devenue aujourd’hui une préoccupation majeure tant pour les pays producteurs que pour les pays consommateurs, en raison des défis liés à la croissance économique, aux situations géopolitiques, à la complexité des flux de transit, aux fluctuations des prix et aux dimensions de l’offre et de la demande, faisant de la sécurité énergétique un enjeu central des relations internationales.

M. Arkab a ajouté que « l’Algérie est un pays producteur et exportateur principal d’énergie et que le concept de la sécurité énergétique signifie de garantir la satisfaction de nos besoins énergétiques à long terme, tout en contribuant à la sécurité énergétique mondiale en assurant un approvisionnement régulier, stable et fiable en pétrole, gaz et autres sources d’énergie ». . «On apprécie énormément le soutien et la collaboration de l’Algérie dans le cadre de son partenariat avec l’OTAN», a déclaré Fernando Guttierz, président du groupe spécial Méditerranée et Moyen-Orient (GSM). M. Guttierz a aussi ajouté que la visite des parlementaires de l’OTAN en Algérie a pour objectif de renforcer davantage la coopération avec les responsables algériens à la tête des différents secteurs en vue «de renforcer la sécurité et la stabilité et promouvoir le développement dans l’espace méditerranéen et dans la région du Sahel.

S’agissant du développement des énergies renouvelables, le ministre a affirmé que l’Algérie œuvrait à équilibrer entre le développement de ses ressources naturelles et la préservation de l’environnement, en s’appuyant sur l’innovation comme pilier fondamental pour construire un avenir énergétique durable.

Dans le cadre de son adhésion à la transformation énergétique sur les plans national et international, le programme national des énergies renouvelables dont la capacité totale atteindra 15.000 MW d’énergie photovoltaïque d’ici 2035, a été lancé par le groupe Sonelgaz, qui vient d’entamer la réalisation de 3200 MW dans une première phase, selon M. Arkab.

Le ministre a également exprimé la volonté de l’Algérie de devenir un hub énergétique régional, à travers le développement des interconnexions électriques et gazières ambitieuses avec l’Europe et les pays africains voisins, tels que les projets de raccordement électrique avec l’Europe et le gazoduc Transsaharien (TSGP), reflétant les ambitions de l’Algérie en matière de renforcement de la coopération régionale dans le domaine de la sécurité énergétique.

Par ailleurs, le ministre de l’Energie a souligné que « le développement de l’hydrogène vert constitue une priorité pour le gouvernement algérien qui vise à en faire un vecteur stratégique dans le respect de ses engagements climatiques et de son programme de transformation énergétique. L’Algérie dispose des atouts majeurs qui la positionnent comme un acteur régional clé dans ce domaine, notamment son potentiel solaire, et son vaste réseau de transport d’électricité et de gaz, ses importantes capacités en matière d’unités de dessalement d’eau et ses richesses minières ».

S’agissant de la protection des infrastructures, le ministre a réaffirmé l’importance capitale de la sécurité des installations énergétiques en Algérie, soulignant les efforts déployés pour renforcer les mesures de sécurité autour des infrastructures stratégiques, notamment dans les secteurs pétrolier et gazier.

Des mesures de sécurité et de contrôle ont été mises en place dans le cadre d’un plan global visant à sécuriser et protéger les infrastructures énergétiques, s’appuyant sur une coordination entre les forces de sécurité publiques et les unités de l’Armée nationale populaire (ANP), garantissant ainsi une approche cohérente et renforcée face aux menaces potentielles, a fait savoir M. Arkab.

D’autre part, le ministre a évoqué les axes de coopération fructueuse entre l’Algérie et l’OTAN, notamment en matière de sécurité des installations, de cybersécurité et de transfert de technologies de pointe.

D’autres domaines de coopération potentiels ont également été abordés par le ministre, tels que la gestion des risques, la réponse aux situations d’urgence et le développement des compétences techniques à travers des programmes de formation avancés.

« Ces rencontres constituent une étape importante dans le renforcement des relations entre l’Algérie et l’OTAN, et témoignent de l’engagement de l’Algérie à œuvrer de manière coordonnée pour relever les défis mondiaux
dans les domaines de l’énergie et de la sécurité » ajoute le communiqué.

France – Algérie : compter les sous ou contrer les dessous

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Drapeau Algérie France

Économie, diplomatie, histoire commune et conflits de mémoire, les relations entre la France et l’Algérie sont un enchevêtrement complexe, où chaque geste semble dicté par des intérêts mêlés de ressentiments et de dépendances.

Les deux nations oscillent entre coopération économique et tensions politiques, se rétrouvant tantôt autour de contrats énergétiques, tantôt autour de discussions épineuses sur leur passé colonial. Dans cette relation quasi-familiale – jamais simple, souvent houleuse – la question se pose : s’agit-il de compter les sous ou de conter les dessous ?

Depuis des décennies, la France et l’Algérie entretiennent une relation financière essentielle, marquée par des échanges commerciaux et des accords énergétiques stratégiques. Le gaz algérien, par exemple, alimente une part importante des besoins énergétiques français, et en retour, la France reste l’un des principaux investisseurs étrangers en Algérie. Les secteurs pétroliers, pharmaceutiques, agroalimentaires et bien d’autres représentent des milliards d’euros échangés chaque année. D’un point de vue économique, cette relation semble bien comptée, et parfois presque « comptée », chaque euro pesant dans la balance.

Pourtant, ces transactions financières sont loin d’être aussi simples qu’elles en ont l’air. À chaque contrat signé, à chaque nouvel accord, se cache une toile de fond complexe : l’héritage colonial, les différences de gouvernance, et les aspirations des nouvelles générations des deux côtés de la Méditerranée. En Algérie, la jeunesse est de plus en plus critique face aux accords économiques qu’elle perçoit souvent comme des partenariats déséquilibrés. Quant à la France, elle doit concilier ses propres besoins énergétiques et commerciaux avec des attentes de transparence et de respect mutuel.

Sur le plan politique, les dessous de cette relation s’avèrent bien plus épineux. Des deux côtés, la question de la mémoire coloniale pèse lourdement sur les rapports officiels. Les blessures du passé ne se sont jamais vraiment référées, et chaque initiative diplomatique se heurte à ce mur invisible mais omniprésent : le besoin de reconnaissance, de justice et de réparation. Les débats se poursuivent autour de la reconnaissance des crimes coloniaux, de l’exigence d’excuses officielles, et du retour des archives et des objets du patrimoine historique.

Les déclarations diplomatiques oscillent souvent entre tentatives d’apaisement et maladresses, chaque mot pesé ou de travers ravivant les sensibilités des deux côtés. En Algérie, certaines voix estiment que la France continue de vouloir « contrôler » et influencer la politique interne par le biais de la diplomatie, tandis qu’en France, on entend aussi des qui s’interrogent : pourquoi rouvrir ces drames quand il s’ agit de construire un avenir partagé ?

Le président français, dans plusieurs discours, a tenté de faire des gestes symboliques, reconnaissant des épisodes douloureux de la guerre d’Algérie et proposant des initiatives pour le « travail de mémoire ». Mais la perception reste mitigée. Pour certains, ces gestes semblent insuffisants ; pour d’autres, ils sont politiquement calculés, dans un contexte où la question de l’immigration algérienne et des liens historiques influencent encore les élections en France.

Pour la France comme pour l’Algérie, compter les sous est vital – l’économie des deux pays dépend de ces échanges. Mais ce n’est qu’une partie de l’équation. Tant que les dessous historiques ne sont pas entièrement abordés, les non-dits continueront de colorer chaque accord et chaque contrat d’un fond de défiance. La difficulté est d’envisager une relation économique tout en étant capable d’aborder de façon franche et apaisée les questions de mémoire.

Les nouvelles générations franco-algériennes éprouvent un besoin de réconciliation authentique, dénuée des anciennes rancœurs. En France comme en Algérie, elles réclament un dialogue ouvert, respectueux, où les récits ne sont plus en concurrence mais complémentaires. Elles aspirent à une relation apaisée, où la coopération ne se résume pas à des transactions économiques, mais s’étend à un partenariat culturel et humain.

Pour que les choses changent véritablement, il faudra peut-être arrêter de « compter » et de « contrer » et repenser cette relation sous un angle neuf, sans marchandage ni non-dits. Il s’agit d’oser imaginer une France et une Algérie qui, fortes de leur passé commun, parviennent enfin à aller de l’avant, sans ce poids constant de la suspicion. Un avenir où l’on n’a plus besoin de décompter les euros ni de raviver les vieux dossiers, mais où l’on peut coopérer en égaux, avec transparence et respect.

Ainsi, la question reste ouverte : France-Algérie, combien de sous comptés, combien de dessous à raconter, avant de trouver enfin le ton juste ?

Dr A. Boumezrag

La résistante Madeleine Riffaud, journaliste et poétesse, est morte

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Madeline Riffaud
Madeleine Riffaud. Photo : https://ahavparis.com/

Madeleine Riffaud, sage-femme de profession, était entrée dans la Résistance en 1942 au sein des Francs-tireurs et partisans (FTP).

La résistante Madeleine Riffaud est morte, mercredi 6 novembre, à l’âge de 100 ans, a annoncé son éditeur Dupuis, confirmant une information du quotidien L’Humanité (Nouvelle fenêtre), pour lequel elle fut correspondante de guerre. « Une héroïne s’en est allée. Son legs : tout un siècle de combats », a salué le journal, dans lequel elle a couvert les guerres d’Algérie et du Vietnam. 

Le 23 août, jour de ses 100 ans, Madeleine Riffaud avait publié le troisième et dernier tome de Madeleine, résistante (éditions Dupuis), ses mémoires de guerre en bande dessinée, avec Dominique Bertail au dessin et Jean-David Morvan au scénario.

Ce dernier lui a rendu hommage sur Facebook(Nouvelle fenêtre) en publiant une photo d’elle, âgée, posant sur un canapé. « Elle était de plus en plus endormie ces derniers temps, c’était difficile. Elle a eu une vie de bataille et de souffrance, mais ce matin, elle a simplement arrêté de respirer », a déclaré le scénariste à Libération(Nouvelle fenêtre).

« Rainer » durant la Seconde Guerre mondiale

Née en 1924 dans la Somme, cette fille unique d’instituteurs rejoint la résistance à 16 ans. Elève sage-femme à Paris, elle devient agent de liaison avec ses compagnons communistes des Francs-tireurs et partisans (FTP) de la faculté de médecine. Elle devient « Rainer », en hommage au poète allemand Rainer Maria Rilke, pour signifier qu’elle « n’est pas en guerre contre le peuple allemand, mais contre les nazis ».

Le massacre d’Oradour-sur-Glane, un village de sa jeunesse décimé en juin 1944, provoque son passage aux armes. Le 23 juillet, elle assassine de deux balles dans la tête un gradé nazi sur le pont de Solférino, à Paris. « Je regrette, d’ailleurs, d’avoir tué cet homme. Tu es là. Tu regardais la Seine. Est-ce qu’on peut être méchant, quand on regarde la Seine ? C’était peut-être un type bien. Mais ça… Bon, c’est la guerre », disait-elle.

Correspondante de guerre au Vietnam

Après la Libération, elle veut intégrer l’armée, mais n’a pas 21 ans. Son engagement s’arrête là. Sans nouvelle de ses amis déportés, hantée par le souvenir des geôles, elle plonge dans la dépression comme elle le raconte dans On l’appelait Rainer. Touché par sa détresse, Paul Eluard la prend sous son aile, préface son recueil de poèmes Le Poing fermé, en 1945. Il l’emmène chez Picasso qui la peint – petit visage déterminé encadré par une chevelure brune et épaisse –, lui présente l’écrivain Vercors.

Elle débute ensuite à Ce soir, journal communiste dirigé par Aragon. Puis, pour L’Humanité, elle couvre la guerre en Indochine où Ho Chi Minh la reçoit comme « sa fille ». Elle part clandestinement en Algérie où elle échappe à un attentat de l’OAS (Organisation de l’armée secrète). Elle dénonce la torture pratiquée à Paris contre les militants du FLN (Front de libération nationale). Puis elle repart au Vietnam et couvre, pendant sept ans, la guerre. A son retour, elle travaille comme aide-soignante dans un hôpital parisien et dénonce, dans Les Linges de la nuit, vendu à un million d’exemplaires, la misère de l’Assistance publique.

Francetvinfos

« Houris » de Kamel Daoud : le courage de braver l’interdit

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Houris

Le but de cette chronique n’est pas de nous jeter dans l’arène du combat qui fait rage entre les partisans de Kamel Daoud et ses détracteurs, mais de donner un avis sur « Houris », le livre qui lui a valu le prix Goncourt.

Ce que d’aucuns semblent ignorer, c’est qu’en osant traiter d’un sujet lié à la décennie 1990, Kamel tombe sous le coup d’une loi qui le condamnerait à cinq ans de prison ferme si jamais l’idée folle de rentrer au pays le prenait. Par cette œuvre, Kamel sait qu’il se condamne à l’exil. Il devient ainsi le porte-voix lucide de nos coups de gueule contre le pouvoir et les islamistes.

Comme on s’en doutait, « Houris » est un rétroviseur ajusté sur « la guerre contre les civils » et non pas la guerre civile comme il est coutumier de la désigner. Le nombre de 200 000 morts ne donne pas la distribution entre les victimes. Combien de militaires sont tombés et combien de tangos ont été éliminés ? On ne le saura jamais ! car ces deux belligérants se sont adonnés à un jeu de massacre des civils, chacun essayant de les faire endosser à l’autre. Il est quasiment impossible que le nombre de militaires tués dépasse quelques milliers, comme il est tout aussi improbable que le décompte des victimes islamistes dépasse la dizaine de milliers. L’écrasante majorité des victimes sont des civils. Et là se pose l’éternel question « qui a tué qui ». Se réfugier dans la sempiternelle formule « ceux sont des Algériens qui ont tué d’autres Algériens » ne suffit pas, ne suffit plus !

Même si, on a un peu de mal (je parle pour moi, évidemment) à s’accrocher à l’histoire dès les premières pages, on est vite rattrapé par le style poétique de notre intellectuel. À tel point que le livre se dévore d’une traite.

À travers l’histoire d’Aube, le personnage principal, c’est le destin peu enviable de la femme musulmane, en général, et de l’Algérienne, en particulier, qui est superbement décrit.

Non seulement Kamel réussit à nous replonger dans toutes les horreurs de la décennie noire, mais il le fait en ciselant les mots avec une précision d’horloger. Même les scènes les plus cruelles sont mises en relief avec une phraséologie poétique. Seul le verbe égorger (par ce qu’il n’a pas de synonyme) domine tout au long du texte. Mais ne faut-il pas appeler un chat, un chat après tout ? Nous le savons tous, et qui peut décemment l’oublier, des rivières de sang ont coulé, des jeunes filles violées, des femmes éventrées, des vieux, des jeunes, des femmes, des enfants, des bébés ont été trucidé san états d’âme. Toutes les composantes de la société ont payé le prix fort dans cette guéguerre stupide.

Alors comment diable ose-t-on nous interdire de nous souvenir en faisant en sorte de faire semblant que la décennie 1990 n’a jamais existé dans l’histoire du pays ? À l’allure où vont les choses, on va bientôt la supprimer du calendrier en la faisant enjamber par les années 1980 ! Ils en sont capables !

Pour dire un mot sur les polémiques, certains de nos intellectuels les plus respectés se sont lancés dans des diatribes inimaginables contre l’auteur sans même, de leurs propres aveux, avoir lu ou feuilleté le livre, allant jusqu’à traiter l’auteur « d’indigéniste » ! ?

Ce n’est pas sérieux ! Et, à mon avis, le sens donné par notre intellectuel à ce qualificatif est diamétralement opposé à son sens absolu !

« Houris » est une symphonie mélancolique angoissante par sa justesse de ton sur fond de perfection syntaxique !

Bravo et Félicitations Kamel ! Merci de la fierté que tu distille en nous chaque fois que tu dénonces la bêtise des hommes !

D’aucuns te reprochent certains dérapages, mais après tout, qui peut prétendre à une dialectique linéaire en permanence ? Surtout dans ce monde virtuel où la moindre information est noyée dans un océan d’intox.

Kacem Madani

Quel scénario pour la «saison 2» de Donald Trump au Moyen-Orient ?

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Trump et Netanyahu

Le Premier ministre israélien Netanyahu a été l’un des premiers dirigeants à saluer la victoire de Donald Trump, le félicitant pour « le plus grand retour de l’Histoire ». Après plus d’un an de guerre à Gaza, alors que le conflit s’est étendu dans la région et que plane toujours la menace d’une confrontation avec l’Iran, quelles peuvent être les conséquences de la victoire de Donald Trump ?

L’administration démocrate Biden-Harris qui vient d’être congédiée par les électeurs américains, s’était enfermée dans une impasse au Proche-Orient. Avec un soutien continu à Israël dans sa guerre à Gaza sous la forme de milliards de dollars d’armes et de munitions, avec des critiques parfois sévères adressées à Benyamin Netanyahu et à son gouvernement, mais sans pression suffisante pour imposer un cessez-le-feu.

Ce mercredi 6 novembre, le Premier ministre israélien s’est précipité sur les réseaux sociaux pour féliciter Donald Trump. Dans un message dithyrambique, Benyamin Netanyahu a salué « le plus grand retour de l’Histoire » et « un puissant ré-engagement » dans l’alliance entre les deux pays.

Jérusalem

Avec le retour du républicain à la Maison Blanche, le gouvernement israélien peut espérer une politique américaine aussi favorable que lors du premier mandat-Trump (2016-2020). À l’époque, les États-Unis ont déchiré l’accord sur le nucléaire iranien et rétabli des sanctions visant Téhéran au nom d’une politique de la « pression maximale » sur la République islamique et ses alliés régionaux.

C’est aussi durant cette période que Washington a reconnu la souveraineté israélienne sur le Plateau du Golan (conquis sur la Syrie en 1967) et reconnu Jérusalem comme capitale d’Israël, balayant d’un revers de main le droit international comme les revendications palestiniennes.

Malgré ce bilan, le président palestinien Mahmoud Abbas a réagi prudemment au résultat de la présidentielle américaine 2024 en se disant confiant de voir Trump soutenir « les aspirations légitimes » des Palestiniens.

De son côté, le Hamas palestinien – qui a conçu et lancé les attaques meurtrières du 7 octobre 2023 en Israël – affirme que sa position envers Trump « dépendra de sa politique à l’égard des Palestiniens » tout en déplorant que les administrations américaines successives ont toujours soutenu« l’occupation sioniste ».

RFI

Koukou éditions exclue du Sila 2024

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Arezki Aït Larbi
Le ministère de la Communication interdit à Koukou éditions de participer au Sila.

Après une série d’interdictions arbitraires, Koukou Editions est, une nouvelle fois, exclu du Sila, sans motif légal. Notre plainte pour ‘’abus de fonction, attentat à la liberté, et empiètement sur les prérogatives du pouvoir judiciaire’’ contre le président de la Commission de censure du ministère de la Culture qui a ordonné cette forfaiture, et le commissaire du Sila qui l’a exécutée, vient d’être rejetée par le juge d’instruction du tribunal d’Hussein Dey.

Son ‘’refus d’ouvrir une information judiciaire’’ a été notifié à l’un de nos avocats par SMS ! En décidant de faire appel de cette décision devant la chambre d’accusation de la Cour d’Alger, Koukou Editions est déterminé à aller jusqu’au bout de la procédure, même si l’issue en est incertaine.

Malgré le secret qui entoure ces opérations, le groupuscule extrémiste qui a pris en otage le ministère de la Culture commence à tomber le masque et révéler les leviers idéologiques qui l’animent. Chef officiel de cette secte, M. Tidjani Tama, directeur du Livre et président de la Commission de censure, est un personnage bien singulier.

Militant communiste par accident à la fin des années 80, islamiste par opportunisme dans les années 1990, sa fascination pour les idéologies totalitaires est devenue une feuille de route qui va transformer une institution culturelle respectable, en Kommandantur chargée de contrôler les lectures des Algériens à l’aune de ses fantasmes.

Le palmarès du préposé à l’inquisition est déjà très lourd. Au Sila, la propagande wahhabite outrageusement subventionnées par les pays du Golfe occupe une grande partie des stands. ‘’Mein Kampf’’ d’Hitler et les ‘’Mémoires’’ de Mussolini traduits vers l’arabe par un éditeur égyptien y sont exposés depuis 2016, et leurs auteurs présentés comme des ‘’modèles de réussite sociale’’. Au moment où Eric Zemmour, leader d’extrême droite condamné par la justice française pour ‘’provocation à la haine raciale’,’ était à Tel Aviv pour encourager l’armée israélienne dans son génocide contre le peuple palestinien, son dernier livre était à l’honneur lors du Sila 2023.

Cette bienveillance de la Commission de censure pour des auteurs controversés, contraste avec le harcèlement qui cible Koukou Editions. Objectif : bâillonner les auteurs progressistes, notamment algériens – universitaires, écrivains, moudjahidine, avocats, médecins, journalistes … – qui n’ont pas renoncé à leur devoir de critique sociale et de réflexion autonome.

Depuis quelques mois, la répression contre les publications de Koukou Editions tend à se généraliser pour prendre une allure inquiétante. A Bougie, la police est intervenue, le 29 juin dernier dans la librairie Gouraya, pour interrompre brutalement la présentation d’un livre. Quelques jours plus tôt, c’est le directeur … du Commerce (!) qui avait saisi plusieurs exemplaires d’un autre livre jugé ‘’non conforme aux enseignements de notre religion’,’ car il propagerait ‘’des idées empoisonnées’’ ! A sa décharge, le taliban de poche a assumé l’ignominie en délivrant un procès-verbal qui atteste la forfaiture.

L’article 54 de la Constitution est pourtant clair : ‘’L’activité des publications (…) ne peut être interdite qu’en vertu d’une décision de justice’’. Face à ces violations récurrentes de la loi fondamentale, les autorités concernées, notamment les ministres de la Culture, de l’Intérieur et de la Justice, dont la responsabilité politique est engagée en première ligne, ne peuvent se complaire dans une indifférence complice. S’il s’agit d’actes isolés de nervis incontrôlés, il est grand temps d’y mettre un terme par un rappel à l’ordre républicain et au respect de la Constitution. S’il s’agit d’une nouvelle inflexion autoritaire et obscurantiste qui fait fi de la légalité pour piétiner les droits et les libertés des citoyens, il faut désormais l’assumer sans faux-fuyants.  

Dans ce clair-obscur propice à tous les dérapages, Koukou Editions ne se laissera pas intimider par les miliciens de la pensée, et continuera d’opposer la force du droit à l’arbitraire des sectes en cagoule. 

Alger, le 6 novembre 2024

Arezki Aït-Larbi

Directeur de Koukou Editions.  

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