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jeudi 3 juillet 2025
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Marseille : des voix algériennes et méditerranéennes pour habiter le monde autrement

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Les rencontres de l'Echelle. Marseille

Elles viennent d’Alger, de Rabat, de Beyrouth ou de Suisse. Elles écrivent dans la langue de l’Autre, mais la retournent à leur manière, comme une arme douce, un cri sourd ou une main tendue. À Marseille, ces voix singulières — Sarah Haidar, Mouna Ouafik, Nasri Sayegh, Souad Labbize, accompagnées de la metteure en scène Maya Bösch — feront bientôt entendre une parole collective, entre création littéraire, performance et mémoire.

Pendant dix jours, dans un espace pensé comme un « centre des récits », ces auteur·rice·s d’aujourd’hui — souvent issu·e·s de la marge, des diasporas ou des périphéries — bâtiront une constellation narrative, traversée par les blessures et les promesses de la Méditerranée.

Une scène pour dire l’intime et le politique

Le projet, intitulé « Chantier des nouvelles écritures francophones », entend offrir une scène à des écritures minorées, souvent invisibles dans les circuits littéraires dominants. Il s’agit de faire entendre ce qui, d’habitude, ne s’entend pas : des récits d’exil, de corps féminins, de langues multiples, de résistances sourdes.

Chaque lecture devient une prise de parole. Chaque texte, une tentative de réappropriation du monde. Avec la complicité sonore de Maïa Blondeau, les mots prennent corps, les silences deviennent langage, les frontières se brouillent.

Sarah Haidar, autrice algérienne née en 1987, connue pour ses textes radicaux et puissants, retrouve ici Souad Labbize, poétesse née à Alger en 1965, installée en France, qui écrit « entre deux rives, entre deux silences », comme elle le dit. Deux voix algériennes, deux générations, mais un même refus de l’effacement.

Marseille, carrefour vivant

Dans cette ville-monde qu’est Marseille, la parole circule autrement. Ni colonisée ni figée. Elle se heurte, s’ouvre, se cherche. Le choix de cette ville n’est pas anodin : elle concentre à elle seule les tensions et les rêves d’un monde méditerranéen en recomposition.

Le projet est coproduit par la Friche la Belle de Mai, avec le soutien de la Région Sud, en partenariat avec l’agence Karkadé, engagée dans la promotion de nouvelles formes d’écriture francophone.

Faire récit autrement

À l’heure où les récits dominants écrasent les subjectivités et les nuances, ce projet littéraire et scénique propose un autre rapport au langage, au monde, à l’Histoire. Pas de grande fresque uniforme, mais une multitude de voix, de fragments, de langues blessées et fières.

Et peut-être est-ce là, dans cette polyphonie fragile, que réside l’un des grands enjeux de la littérature aujourd’hui : raconter ce que les archives officielles taisent, faire surgir ce que les frontières voudraient contenir, réconcilier mémoire et présence.

Djamal Guettala

Infos utiles 

Les Rencontres à l’Échelle sont une manifestation produite par les Bancs Publics

Friche la Belle de mai – 41, rue Jobin 13003 Marseille

www.lesrencontresalechelle.com

09 78 06 51 33

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L’université algérienne « en rose », dites-vous ?

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L'université algérienne
L'université algérienne à un point critique

Mon ami le ministre Baddari me presse depuis un certain temps de décrire l’Université algérienne en termes « roses », mais j’ai refusé  de le faire tant par principe éthique que par répugnance à me faire l’apologiste des causes et des projets apocryphes. Plutôt qu’en « rose » ou en « noir », je vais décrire l’état de l’Université en termes objectifs, à défaut d’être impartial, d’autant plus que l’impartialité n’existe absolument pas au plan philosophique. 

Que dire, ou plutôt que peut-on dire et penser à propos de l’approche adoptée par M. Baddari, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique pour réformer ce secteur qui n’en finit pas de pâtir depuis des décennies d’une foule de handicaps, dont le plus saillant est la régression constante en matière de qualité d’enseignement et de recherche scientifique et technologique ? D’emblée, on peut répondre à cette question en disant qu’elle est d’autant plus volontariste et  ambitieuse qu’elle se heurte pour sa concrétisation à un certain nombre d’obstacles parmi lesquels on peut citer : 

-L’impréparation et le manque de compétence des acteurs auxquels ont été confié les missions des projets annoncés à son de trompe : (startup, numérisation,  intelligence artificielle…) ;

– L’insuffisance des moyens financiers alloués à la réalisation de ces projets qui paraissent à l’observation attentive plus grandiloquents que grandioses ;

 – Le primat accordé à l’effet d’annonce, à l’ « évènement », au sens de l’immédiateté, au détriment de l’analyse et de la réflexion critique portant sur la durée, sur le long terme ;

– La tolérance de l’apologie et de l’esprit courtisanesque ;

– L’allergie à l’esprit critique.

Tels sont, entre autres, les pierres d’achoppement, sur lesquelles bute « la politique de réforme », si tant qu’elle existe, de M. Baddari. Discutons donc les cinq points qu’on vient d’énumérer.

L’impréparation et le déficit des compétences 

La réforme de l’enseignement et de la recherche entamée par Baddari a été faite dans la précipitation. Grisé par l’euphorie suscitée par sa nomination à la tête de ce secteur vital, il s’est fait leurrer par ses propres certitudes et par le sentiment qu’il ne peut compter, pour réussir son pari de « réforme », que sur l’auto médiatisation, comme en témoigne la multiplication de ses interventions sur les plateaux de télévision et les entretiens accordés à la presse écrite. Pour lui, la réforme de l’Enseignement supérieur, et donc la performance de l’université, relève plus d’une affaire de « publicité » et de visibilité de sa personne sur la scène publique, que d’une affaire très sérieuse renvoyant à l’efficacité, au refonte des structures pédagogiques et aux méthodes d’enseignement rigoureuses qu’elle implique.

C’est cette manière étriquée qu’il a de concevoir la « réforme », mot impropre pour qualifier sa démarche, qui l’a poussé à porter son dévolu sur des hommes aux profils discutables pour exécuter son programme et celui du « Président ». Ces profils «utiles » de son point de vue,  se sont révélés aux observateurs avertis et indépendants d’une incompétence ahurissante. Exception faite de quelques- uns, la quasi-totalité de ces profils, ternes et desséchés, auxquels il a fait appel se signalent, en outre, plus par leur esprit courtisanesque que par un savoir-faire éprouvé. Comment peut-on se fier à de telles personnes dont l’unique souci est de se faire-valoir par le biais de la flatterie et de l’éloge à rallonges du « Prince » ?

Nous y reviendrons.

L’insuffisance des moyens financiers 

Pour qu’une entreprise puisse être novatrice, et réussir son pari technologique et économique, il lui faut d’abord des compétences capables d’imaginer et d’innover dans le domaine de son activité spécifique ; ensuite, il lui faut surtout des moyens financiers conséquents qui lui permettent de mettre son concept en application immédiate, et, enfin, il lui faut un environnement administratif réceptif aux créateurs et à tous les porteurs de projets innovants. Or, si l’imagination et les compétences ne manquent pas chez certaines catégories de jeunes entrepreneurs  fortement motivés par l’aventure entrepreneuriale, tel n’est pas le cas des deux autres facteurs  que sont, d’une part, les moyens financiers qui sont chichement alloués aux jeunes innovateurs, et, d’autre part, l’environnement administratif  et ses contraintes qui achèvent d’empêcher ces entreprises naissantes ou à naître de donner libre cours à leur ardente action.

L’effet d’annonce

Annoncer de façon fracassante que le ministre ou le Ministère va changer de fond en comble l’état de l’enseignement et de la recherche, dans le sens du meilleur ; qu’il va rompre avec les façons de penser et d’agir du passé ; qu’il va engager plus que jamais l’université sur la voie du progrès et de l’innovation, et qu’il va, enfin, introduire  dans le secteur, et au -delà, le système de numérisation ( zéro papier), les start-up, l’Intelligence artificielle, l’anglais comme langue « scientifique et technologique » en lieu et place du français, etc., tels sont les effets d’annonce auxquels il recourt et sur lesquels il mise pour soigner son image de Ministre « réformateur », et un « pionnier » en matière de promotion de la numérisation, comme le progrès, et l’intelligence artificielle.

En faisant passer ce qui a existé et ce qui a fait ses preuves ailleurs depuis des décennies comme une innovation de sa personne, il escompte élargir la sphère de sa popularité et s’imposer aux yeux du public, et du président de la République, comme la figure emblématique de la science et de la technologie.

La tolérance aux courtisans et la quête de la gloire

Mû par le prurit de la célébrité et de la gloire, mon ami le Ministre Baddari, qui n’écoute que ceux qui le caressent dans le sens du poil, pense in petto que les éloges à rallonge que son entourage empressé déverse sur sa personne suffisent à réformer de fond en comble le système de l’enseignement et de la recherche qui s’enfonce  jour après jour dans un état comateux quasi-irréversible.

Faute de vision politique claire, et d’une stratégie pérenne de  réforme  de l’enseignement et de la recherche dont le contenu et les modalités de transmission s’appauvrissent au fil des jours et des ans, M. Baddari se laisse bercer par les douces illusions que lui inspirent les concepts importés, tels que start up, intelligence artificielle, numérisation, enseignement à distance, université de la quatrième génération, concepts qui ont fait leurs épreuves depuis longtemps sous d’autres latitudes.

L’importation de ces concepts et les tentatives de les faire appliquer n’est pas sans rappeler l’importation du LMD par l’ex-ministre Harraoubia et dont l’application de manière hâtive et mécanique au contexte algérien s’est révélée, au bout du compte, un vrai fiasco.

L’allergie à l’esprit critique

Monsieur le ministre Baddari a horreur de l’esprit critique comme la nature a horreur du vide. Il n’aime pas que l’on critique, même de manière constructive, certaines de ses décisions, et n’apprécie guère ceux qui ne font pas l’éloge de sa politique ou qui s’abstiennent d’applaudir  sa personne.

En refusant de manière catégorique de faire la louange de sa personne et d’écrire, comme il me l’a demandé à maintes reprises, des articles décrivant l’université en termes « roses », il ne m’a pas seulement blâmé mais il s’est fâché contre moi en se plaignant auprès des tierces de mes refus réitérés d’obtempérer à ses demandes…

En mettant l’accent sur les start-up, la numérisation, et l’intelligence artificielle, domaines qui relèvent  en principe du ressort d’autres départements ministériels, Monsieur le ministre Baddari a non seulement négligé les aspects pédagogiques de l’université et les carences multiples dont elle souffre depuis des lustres,  mais il a accéléré aussi la déliquescence  de cette dernière en en faisant un lieu de formation bâclée et de délivrance de diplômes démonétisés.

Les faits parlent d’eux-mêmes : il est licite de sauter le master 1 pour aller au Master 2 ; les étudiants  sont autorisés à s’absenter des TD (auparavant trois absence sans motifs entrainent l’exclusion) ; l’étudiant peut désormais obtenir automatiquement 10 /20 en étant absent ou sans fournir le moindre devoir. ( avant on pouvait lui attribuer zéro dans le cas où il enfreint certaines règles…) ; Start-up : tout le monde peut s’y mettre (y compris les sciences islamiques et la communication…) ; soutenance des doctorats le soir, après cinq heures ; création de filiales, sorte  de sociétés par action au nom de l’université associant étudiants et professeurs porteurs de projets ; possibilité d’avoir double diplôme ; enseignement à distance, qui dispense les étudiants et les professeurs  d’une présence physique dans les salles et les amphithéâtres. Tels sont les faits saillants  de cette politique qui prétend  mettre l’université algérienne au diapason de la modernité.

Le plagiat qui avait fait des progrès notables ces dernières années, trouve en la circonstance un moment des plus propices pour se pratiquer sur une échelle  encore  plus élargie. Les logiciels anti-plagiat n’y peuvent rien, tant la tolérance au plagiat est devenue une culture nationale comme le sport et le commerce informel. De plus, la plupart des commissions d’éthique et de déontologie mises en place au sein des universités comprennent bon nombre de plagiaires et d’incompétents qui tiennent comme à la prunelle de leurs yeux, au statu quo ante, et pour qui le moindre changement dans l’ordre interne de l’établissement provoquerait un grand charivari…

Ahmed Rouadjia, Professeur et chercheur retraité

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Ahmed Hidouche : un regard lucide sur l’histoire d’une nation blessée

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Ahmed Hidouche Yacine
Ahmed Hidouche Yacine

Ahmed Hidouche Yacine fait partie de cette génération de diplômés algériens formés après l’Indépendance, qui ont rapidement accédé à des postes de responsabilité. Titulaire d’un magister en management obtenu en France en partenariat avec HEC Montréal, il a mené une carrière riche dans l’industrie, la formation et la gestion publique. Aujourd’hui à la retraite, il consacre son temps à l’écriture.

Dans Survivances – Mémoires d’un anonyme, son premier roman, il explore les souvenirs d’une enfance marquée par les violences de la guerre d’Indépendance, les silences familiaux, les fractures politiques, mais aussi la dignité populaire et la quête de liberté. À travers ce récit intime et universel, il rend hommage aux anonymes de l’Histoire.

À l’occasion de la parution de ce livre bouleversant, il revient sur son parcours, ses motivations d’écriture, et son regard sur l’Algérie d’hier et d’aujourd’hui.

Le Matin d’Algérie : Dès le titre, vous revendiquez une forme d’effacement personnel – “Mémoires d’un anonyme”. Pourquoi ce choix, alors que votre récit est profondément ancré dans une trajectoire singulière ? Est-ce une manière de dire que votre histoire est aussi celle de beaucoup d’autres ?

Ahmed Hidouche Yacine : Ce titre est effectivement un hommage à toutes celles et ceux qui, comme moi, ont vécu cette époque sans avoir eu la chance de voir leur histoire pleinement racontée. Je me considère comme un « anonyme » parce que mon récit n’est pas unique : il est le miroir de tant de parcours semblables, de vies traversées par les mêmes épreuves, les mêmes douleurs, mais aussi les mêmes espoirs. L’effacement personnel est volontaire pour souligner que mon histoire n’est pas seulement la mienne, mais celle d’un peuple, d’une génération. C’est une manière humble d’inscrire mon témoignage dans un collectif souvent oublié ou marginalisé.

Le Matin d’Algérie : Vous avez grandi dans une Algérie coloniale déchirée par la guerre, puis participé à la reconstruction du pays en tant que cadre formé à l’étranger. Comment cette double appartenance – à une époque et à une génération – a-t-elle nourri votre regard critique et votre désir de transmission ?

Ahmed Hidouche Yacine : Cette double appartenance m’a placé à un carrefour complexe entre mémoire et modernité, entre héritage et avenir. Grandir dans une Algérie en guerre a profondément marqué ma conscience, mes valeurs, mon engagement. Puis, partir à l’étranger pour ma formation a ouvert mon regard sur le monde, sur les possibles, mais aussi sur les failles.

Ce parcours m’a donné la distance nécessaire pour analyser sans concession les défis du pays, mais aussi la responsabilité de transmettre ce que j’ai vécu et appris. Mon regard critique est donc nourri à la fois par l’expérience directe de la colonisation et par la capacité à questionner le présent pour bâtir l’avenir.

Le Matin d’Algérie : Votre enfance, traversée par les violences de la guerre, est l’un des fils rouges du livre. Comment trouve-t-on les mots justes pour dire l’indicible sans tomber dans le pathos ou le règlement de comptes ?

Ahmed Hidouche Yacine : C’est un exercice délicat. Trouver les mots justes demande d’abord de respecter la vérité des émotions sans chercher à manipuler le lecteur par le pathos excessif. Il faut raconter avec simplicité, authenticité, sans excès, en laissant parfois parler le silence et les non-dits. Ce n’est pas un règlement de comptes mais une volonté de témoigner pour éclairer, pour transmettre. Parfois, l’indicible se raconte dans ce que l’on ne dit pas, dans les espaces laissés vides, dans les sensations et les gestes. Le défi est de rester fidèle à l’expérience vécue, sans trahir ni enjoliver.

Le Matin d’Algérie : Vous avez exercé des fonctions importantes dans l’industrie, la formation et la gestion publique. Que vous a apporté l’écriture que la vie professionnelle, aussi riche soit-elle, ne vous permettait pas ? Est-ce une forme de revanche ou de réconciliation ?

Ahmed Hidouche Yacine : L’écriture m’a offert un espace de liberté et de réflexion que la vie professionnelle ne pouvait pas toujours permettre. Ce n’est ni une revanche ni un simple exutoire, mais plutôt une forme de réconciliation avec moi-même, avec mon passé, avec mon pays. Par l’écriture, je peux donner une voix à ce qui a été tu, transmettre des mémoires parfois occultées, et partager une part intime de mon histoire. C’est un acte de reconstruction personnelle et collective, une manière de donner sens à ce que j’ai vécu et contribué à construire.

Le Matin d’Algérie : Dans Survivances, vous abordez des thèmes puissants : la mémoire blessée, les promesses de l’indépendance, les désillusions, mais aussi les petits gestes de résistance et d’humanité. Que souhaitiez-vous préserver dans cette mémoire : des faits, des émotions, des traces ?

Ahmed Hidouche Yacine : Je souhaitais avant tout préserver une mémoire vivante, c’est-à-dire non seulement des faits, mais surtout les émotions et les traces humaines qui donnent à ces faits leur profondeur et leur portée. La mémoire blessée contient des douleurs qu’il faut reconnaître, mais aussi des actes de courage, des gestes d’humanité souvent oubliés. Je voulais que le lecteur ressente cette complexité, cette richesse, pour qu’il comprenne que l’histoire n’est pas seulement une succession d’événements, mais une expérience humaine, multiple, parfois contradictoire, mais toujours porteuse d’enseignement.

Le Matin d’Algérie : Votre livre semble profondément habité par les silences – ceux des familles, de l’État, de l’Histoire officielle. Est-ce pour combler ces silences que vous avez écrit ? Et que nous disent-ils, ces blancs dans le récit national ?

Ahmed Hidouche Yacine : Cette interrogation rejoint votre question relative à la persistance des émotions dont les traces sont gravées dans le marbre de l’histoire de l’Algérie indépendante. L’écriture n’a pas vocation ni à masquer des silences ni à les combler. Le lecteur est en mesure de lire entre les silences mais aussi entre les bruissements du verbe et des mots. Il est toujours des endroits secrets, des jardins secrets dans lesquels tout un chacun, et donc tout auteur de quelque production artistique que ce soit, garde en lui-même des vérités, des fantasmes, des inventions imaginaires qu’il dévoile au moment qui lui semble opportun, parfois par inadvertance ou encore pour se faire plaisir ou séduire à qui il veut plaire. Dans mes prochains livres, j’aurai à dévoiler des vérités et combler quelques silences qui ne manqueront pas de surprendre.

Le Matin d’Algérie : L’écriture de la mémoire peut être un exercice périlleux : entre fidélité au souvenir et mise à distance, comment avez-vous trouvé votre ton, votre rythme, votre posture d’auteur ?

Ahmed Hidouche Yacine : Je n’ai, hélas, pas consommé tout mon réservoir de souvenirs et de mémoires. Bon nombre d’événements vécus ne sont pas relatés alors qu’ils comportent des stigmates méritant d’être connus, des histoires douloureuses méritant de ne pas tomber dans l’oubli. Cet ouvrage apporte le témoignage d’un regard d’un enfant ayant grandi prématurément et qui, en tant qu’adulte au crépuscule de son existence, s’empresse de léguer cette part de vérité qui a marqué l’histoire de notre pays. Une part de vérité tirée d’expériences et d’épisodes authentiques et vécus, même si le narratif est incapable de relater toute la portée du contexte dans lequel ces événements s’étaient produits.

Le Matin d’Algérie : Le livre semble à la fois personnel et collectif, intime et politique. L’avez-vous conçu comme un acte citoyen, une manière de contribuer au récit commun autrement que par l’engagement classique ?

Ahmed Hidouche Yacine : Pour tout vous dire, ce livre ne m’appartient pas en totalité. Il est la propriété du peuple algérien, il est le reflet vivant de nos martyrs. Il est aussi le creuset dans lequel pourraient se reconnaître positivement les autres acteurs de cette confrontation ayant opposé les colons et les indigènes. Y compris les pieds-noirs et les enfants des harkis, les appelés militaires qui, tous, ont laissé derrière eux, en Algérie, une partie d’eux-mêmes.

Vous avez parfaitement raison. Sauf qu’il est plus collectif que personnel. Il est bien entendu politique car comme me l’avait dit notre illustre écrivain Mouloud Mammeri en personne, alors que j’étais encore lycéen, être apolitique est en soi déjà une position politique. Pour être suffisamment clair, c’est un message qui me transcende et s’adresse tant aux vivants qu’aux générations à venir car l’objectif est de faire comprendre que nous vivions dans la misère, la dictature d’une colonisation qui nous considérait comme des sous-hommes, des personnes assujetties à un code abject de l’indigénat alors que les départements de l’Algérie étaient partie intégrante de la France et que les Algériennes et les Algériens, dans leur intégralité, devaient disposer des mêmes droits et des mêmes obligations que les citoyens français. S’il est des velléités de colonisation de par le monde, elles s’aviseraient à ne pas déconsidérer les peuples colonisés car les germes de la révolte poussent à grande vitesse dans les esprits des colonisés.

Le Matin d’Algérie : On sent dans votre prose une grande sobriété, presque une retenue. Refusez-vous la tentation du spectaculaire, du récit héroïque ? Est-ce une manière de vous opposer à la glorification ou à l’amnésie ?

Ahmed Hidouche Yacine : Si vous avez cru entrevoir un rejet de la glorification ou une amnésie quelconque, c’est que je n’ai pas su donner à mon message le contenu que je voulais lui attribuer. Ce n’est pas la mise en valeur d’une attitude d’un enfant, d’une bande de gamins désorientés par la guerre. C’est au contraire un bout du récit glorieux du peuple algérien face à la colonisation. Un peuple qui, avec des fusils archaïques, est arrivé à bout dans sa lutte contre une puissance militaire autrement mieux armée. C’est en fait le déroulement d’une insurrection générale alimentée par un sentiment d’adhésion et d’appartenance à une cause révolutionnaire tout à fait héroïque.

Ma sobriété dans le style ne traduit pas une volonté de minimiser ou d’effacer cette dimension héroïque. Au contraire, elle est une manière de laisser parler l’essentiel sans le déformer. Le spectaculaire, souvent amplifié dans certains récits, risque parfois de masquer la complexité et la vérité profonde des événements. En évitant l’exagération et le sensationnel, je cherche à rendre justice à cet héroïsme discret, populaire, parfois humble, mais d’une puissance morale immense.

Je refuse la glorification à outrance qui peut devenir un mythe déformant, tout comme je combats l’amnésie qui efface ces luttes fondamentales. Mon écriture cherche à préserver la mémoire dans sa vérité, dans ses nuances, dans ses douleurs mais aussi dans ses triomphes modestes. C’est une forme d’hommage sincère, loin des effets de style, pour que cette histoire continue d’être vivante, authentique et digne.

Le Matin d’Algérie : Enfin, si vous deviez adresser ce livre à une seule personne – réelle ou symbolique – qui serait-ce ? Et que lui diriez-vous à travers ces pages que vous ne pouviez dire autrement ?

Ahmed Hidouche Yacine : J’adresserais ce livre d’abord à mes enfants, mes petits-enfants, et plus largement à toute ma descendance. Ce sont eux les véritables destinataires de ce récit. À travers ces pages, je veux leur transmettre non seulement une histoire familiale, mais aussi l’âme d’un peuple, la force d’un combat et les leçons d’une époque. Je veux qu’ils comprennent d’où ils viennent, qu’ils mesurent la valeur de la liberté, et qu’ils sachent que rien n’est acquis, que cette liberté s’entretient par le courage, la vigilance et la solidarité.

Mais ce livre s’adresse aussi à tous les Algériens, présents et à venir. À ceux qui, parfois, regrettent des temps passés sans toujours en comprendre les enjeux, je voudrais dire qu’ils ont la chance inouïe de vivre dans une Algérie libre, portée par l’héritage courageux de leurs aînés. Je veux leur transmettre la fierté et le respect de ce passé, mais aussi les encourager à bâtir un avenir où le vivre-ensemble, la justice et la dignité seront les piliers.

Enfin, à travers ces pages, je m’adresse à l’Histoire elle-même, que je souhaite plus juste, plus attentive aux voix de celles et ceux qui ont vécu et souffert pour qu’elle existe.

Entretien Réalisé par Djamal Guettala  

Ahmed Hidouche Yacine Lounès Ghezali (Préface)
Survivances
Mémoires d’un Anonyme
Paru le 19 mai 2025, Essai (broché)
Editions El Amir Marseille France

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Lutte contre le cancer : l’immunothérapie plébiscitée au Congrès mondial sur la recherche   

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Image par Michal Jarmoluk de Pixabay

Le plus grand congrès mondial sur la recherche contre le cancer a lieu à Chicago, du 30 mai au 3 juin. Et cette année, la grande star de cette réunion de référence est l’immunothérapie. Elle faisait l’objet de trois des cinq études (sur 6 500 en tout lors de ce congrès) mises en avant, dimanche 1er juin, devant une dizaine de milliers de cancérologues.

Le principe de l’immunothérapie se base sur des médicaments qui ne combattent pas directement la tumeur. Ils vont aider le système de défense naturelle du malade à combattre le cancer. Un système de défense qui avait été « endormi » par la maladie et qui, grâce à l’immunothérapie, est secoué, est réveillé.

De bons résultats pour certains cancers qui se soignaient mal

Cette immunothérapie est utilisée depuis maintenant une dizaine d’années. Mais c’était souvent pour des malades très avancés, métastatiques, une fois que les médicaments classiques avaient échoué. Désormais, de plus en plus, on la donne dès le diagnostic, en première intention.

Dimanche, ces trois études ont montré qu’administrée en très tôt, comme premier traitement, l’immunothérapie fonctionne bien. Elle améliore la survie des patients pour certains cancers colorectaux, certains cancers de l’estomac et de la jonction œsogastrique, et également des cancers ORL, c’est-à-dire de la bouche, la gorge et du pharynx.

Des patients français atteints de cancers ORL ont participé à l’une de ces grandes études. Elle a montré de très bons résultats chez certains qui avaient de grands risques de rechute, explique le Pr Yungan Tao de l’institut de cancérologie Gustave-Roussy de Villejuif : « On a réussi à réduire le risque de rechute ou décès de 24%. Donc c’est un grand, grand progrès quand même », se réjouit-il.

Ces annonces très prometteuses sur l’immunothérapie concernent des cancers qui se soignaient mal, où il y avait beaucoup de décès et pour lesquels il n’y avait pas d’avancée significative depuis parfois des dizaines d’années.

Autre avancée dans le suivi des cancers du sein

Autre grande annonce de ce congrès, on arrive désormais à repérer si une tumeur grossit, grâce à une simple prise de sang. C’est une étude menée chez des femmes qui ont un cancer du sein hormonodépendant et métastatique qui l’a montré. Certaines participantes étaient d’ailleurs françaises. Chez ces patientes, très fréquemment, le traitement classique fonctionne un moment, et ensuite on constate que la tumeur grossit à nouveau. On le constate soit au scanner, soit parce que la patiente a des douleurs. On peut, désormais, le repérer plusieurs mois avant, avec une prise de sang qui va mettre en évidence dans l’ARN une mutation de la tumeur.

Cette étude montre le temps gagné si on détecte précocement ces signes. Si on n’attend pas et qu’on change tout de suite de traitement – avec un nouveau médicament, une hormonothérapie – les malades gagnent sept mois avant que la tumeur ne progresse à nouveau, et 17 mois avant que leur qualité de vie ne se détériore à nouveau – c’est-à-dire, par exemple, avant qu’elles ne ressentent des douleurs. Et ça change tout, explique le Pr Benoît You, des Hospices civils de Lyon : « On n’attend plus la rechute clinique ou radiologique, on identifie juste les premiers signaux sur l’ADN du sang. C’est vraiment de la médecine moderne. »

Vivre le plus longtemps possible dans les meilleures conditions

Ces médicaments permettent de surveiller grâce à des prises de sang la tumeur, pour permettre à la patiente de vivre le plus longtemps possible avec son cancer. « Aujourd’hui, on n’a pas de traitement curatif qui permette de guérir les patientes, déplore le Pr Benoît You. Par contre, ce que l’on peut faire, c’est essayer de chroniciser cette maladie, c’est-à-dire administrer des traitements souvent successifs, qui vont avoir pour objectif d’éviter que le cancer ne grossisse trop et mette en jeu la vie de la patiente. On va essayer de retarder ce moment le plus loin possible tout en conservant une bonne qualité de vie, pour que ces patientes puissent bénéficier de ce temps de chronicisation de la maladie dans les meilleures conditions. »

La bonne nouvelle, c’est que ce concept de surveiller la tumeur grâce à des prises de sang, d’anticiper des rechutes, pourrait être extrapolé à l’avenir à d’autres cancers, peut-être 10 à 15% d’entre eux, selon Jean-Yves Blay, le président de la fédération Unicancer, comme certaines tumeurs du poumon, de la thyroïde ou du rein.

Francetvinfos

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PSG – Inter Milan : 5-0 et 2 morts

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Psg saccages

Il m’est impossible de ne pas prendre du recul par rapport à l’immense joie légitime et méritée en France suite à la victoire du PSG dans la Coupe d’Europe des champions.

Le match a été sublime et les sensations humaines exultées. Malgré mes très grandes réserves sur les dérives du  football dans ce qu’il a de détestable, débordant souvent jusqu’à la vulgarité, son spectacle me transporte, comme des milliards d’êtres humains, depuis ma jeunesse à Oran.

Supporter un club, c’est au-delà du plaisir, c’est la transcendance, je le reconnais. C’est aller au plus profond de soi pour s’évader un court instant des épreuves de la vie.

Tout cela est vrai et heureusement que l’humanité, depuis l’antiquité, connait et porte le spectacle de la compétition physique comme une compétition avec soi-même. Hier soir, ce rapport a été bien au-delà de tout espoir. C’était beau, c’était grandiose.

Cependant, il faut toujours remettre les pieds sur terre et immédiatement prendre du recul par rapport aux sentiments qui vous emportent. Il y a eu deux morts, certes en marge de la compétition et de la manifestation de joie, mais deux morts tout de même. 5 buts magnifiques, deux morts, c’est ce qu’aura coûté la joie.

Je n’aurai pas l’indignité de mettre sur un pied d’égalité, les blessures, assez graves pour certains ainsi que les vols et les dégâts matériels, même s’ils sont révoltants. Deux vies humaines ont été sacrifiées au temple des débordements des sentiments de bonheur. Le bonheur, ce n’est pas son rôle d’apporter mort et désolation, c’est donner à la vie et à l’espoir humain une force qui les accompagnent.

Je ne pouvais pas éviter d’avoir une pensée, à l’heure de la rédaction de cette chronique, pour les vies enlevées et la destruction de deux familles pour une compétition qui reste malgré tout un jeu de baballe pour milliardaires entourés d’une foule qui hurle la gloire aux dieux du stade comme dans les jeux antiques. Pour moi, ce n’est pas du sport, c’est un spectacle, il devrait porter cette qualification.

Rien ne valait qu’on n’en n’arrive à ce point de danse du veau d’or. Ce qui m’a heurté est le silence des joueurs, pas un mot, en tout cas au niveau exigé par le drame. Ils n’ont pas eu la décence de le faire et auraient dû offrir symboliquement cette coupe aux deux sacrifiés par leurs passions, celles qui enrichit et portent les joueurs au sommet de la gloire et de leur richesse.

Aujourd’hui, par cette chronique, je baisse la tête en respect de ces deux très jeunes hommes (17 et 2à ans, à vérifier), ils ont été fauchés par la mort à un âge où toute une vie leur était promise.

Les footballeurs vont maintenant encaisser une fortune, les deux jeunes ont payé les places les plus chères pour les financer, celle de leur vie.

Aujourd’hui, tout le monde va parler avec enthousiasme de la joie de la grande soirée d’hier. Aujourd’hui, des familles vont parler du malheur de la soirée qui leur a enlevé l’être cher.

Aujourd’hui, les footballeurs les ont oubliés, pas moi.

Boumediene Sid Lakhdar

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Présidentielle en Pologne : le nationaliste Karol Nawrocki l’emporte sur le fil

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Le président polonais Nowrocki

Le verdict est tombé ce lundi 2 juin au matin : Karol Nawrocki, le candidat nationaliste et conservateur, a remporté l’élection présidentielle en Pologne avec 50,89 % des suffrages, selon les résultats officiels. Ce proche des milieux identitaires et assumé pro-Trump a donc devancé Rafal Trzaskowski, maire libéral de Varsovie, qui semblait pourtant en bonne position d’après les premières estimations dimanche soir.

Ce retournement, serré jusqu’au bout, illustre la profonde fracture politique du pays. Nawrocki, soutenu par les franges les plus conservatrices de la société polonaise, a mené une campagne axée sur « l’identité nationale », la défense des « valeurs traditionnelles » et une politique étrangère alignée sur les réseaux trumpistes en Europe.

Le camp libéral, incarné par Trzaskowski, avait pourtant réussi à mobiliser massivement dans les grandes villes et auprès des jeunes, sur des thèmes comme l’État de droit, les libertés civiques et l’ancrage européen de la Pologne. Mais cela n’aura pas suffi face au poids électoral des zones rurales et des petites villes, plus sensibles aux discours sécuritaires et souverainistes.

Ce résultat ouvre une nouvelle ère politique en Pologne, avec un président dont les orientations pourraient durcir encore davantage les rapports entre Varsovie et Bruxelles, et renforcer l’axe des démocraties illibérales en Europe centrale.

Une victoire à surveiller de près, tant ses répercussions pourraient dépasser les frontières polonaises.

G.D

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Nouvelles attaques terroristes du Jnim au centre du Mali

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Me Jnim

Au Mali, l’armée a subi plusieurs attaques ce week-end. La principale a visé la localité de Boulikessi dans le centre du pays. Le Jnim, le groupe de soutien à l’islam et aux Musulmans liés à Al-Qaïda, a revendiqué la prise de contrôle d’une caserne dans cette localité. 

Le Mali subit depuis plusieurs mois des attaques terroristes aux quatre coins du pays sans que son armée, sérieusement éclaboussée par des accusations de massacres, n’arrive à réagir. Pour autant, celle-ci affirme avoir « vigoureusement réagi à cette attaque perpétrée dans le centre du Mali avant de se replier ». Des patrouilles aériennes auraient permis de « neutraliser des colonnes de véhicules et de motos » et de « détruire plusieurs terroristes regroupés dans des lieux de replis ». Toujours selon le communiqué, les opérations de « ratissage » se sont poursuivis dimanche 1er juin dans la soirée.

De son côté, le Jnim, groupe de soutien à l’islam et aux musulmans, revendique le contrôle d’une caserne militaire, toujours dans la même localité de Boulikessi. Une version des faits confirmée par des sources locales. « La position de l’armée malienne à Boulikessi dans le cercle de Mondoro a été attaquée ce matin », confie un élu de la région. Il a ajouté que « les communications ont été coupées un bon moment ». Selon une autre source locale, les assaillants n’ont rencontré aucune résistance en face et sont repartis avec « de l’armement et au moins deux otages ».

Sur un autre front, cette fois dans le sud du pays, les jihadistes ont aussi mis en difficulté l’armée malienne grâce à des engins explosifs. Plusieurs victimes militaires ont été signalées. Il n’y a plus une semaine sans que des attaques terroristes ne fassent subir de sérieux revers à l’armée malienne.

Avec RFI

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Immolation par le feu du militant associatif Fawzi Zekout : les explications de la Justice 

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Immolation par le feu
Immolation par le feu devant le ministère de la Justice

Fawzi Zekout, militant associatif de la wilaya de Tiaref a été acculé à l’immolation dimanche par le feu par l’arbitraire qu’il a subi. Les insoutenables images de son corps en train d’être consumé par les flammes devant le ministère de la Justice ont fini par faire réagir cette institution dont le nom rappelle surtout l’arbitraire généralisé que vivent les Algériens.

Dans un communiqué rendu public ce 1er juin, le procureur de la République près le tribunal de Bir Mourad Raïs a livré les premiers éléments de l’enquête concernant l’acte dramatique survenu devant le ministère de la Justice, où un homme s’est immolé par le feu tôt ce matin.

Selon le communiqué, les faits se sont déroulés aux alentours de 7h20. Fawzi Zekout, résident de la commune de Frenda, s’est présenté à l’une des entrées principales du ministère, où il a aspergé le haut de son corps d’essence avant d’y mettre le feu.

Les agents de sécurité du ministère sont rapidement intervenus pour éteindre les flammes et prodiguer les premiers secours, selon la même source. L’homme a ensuite été pris en charge par la protection civile et évacué vers l’hôpital spécialisé dans les grands brûlés de Zéralda. Son état de santé est actuellement jugé stable et fait l’objet d’un suivi médical.

Contrairement aux premières impressions, l’acte ne serait pas purement individuel. Le parquet précise que deux autres personnes ont été impliquées : l’une a transporté M. Zekout jusqu’au lieu du drame, tandis que l’autre a filmé la scène sans chercher à l’empêcher, avant de diffuser la vidéo sur les réseaux sociaux. Des faits considérés comme graves sur les plans juridique et moral.

Le parquet a ordonné l’ouverture d’une enquête approfondie et urgente afin de faire toute la lumière sur les motivations et les circonstances entourant cette tentative d’immolation.

Par ailleurs, le ministère public révèle que Fawzi Zekout fait actuellement l’objet de poursuites judiciaires devant le tribunal correctionnel de Frenda dans deux affaires distinctes, dont le jugement était prévu pour ce même 1er juin. Il est poursuivi pour exercice illégal d’une activité associative sans agrément, usurpation de fonction, collecte de dons sans autorisation, ainsi que pour incitation à un attroupement non armé et obstruction de la voie publique. Il avait été placé sous contrôle judiciaire en attendant son procès.

Bien évidemment, pour se défausser, la parade est vite trouvée. Car combien d’Algériens sont interdit de toute activité associative ? Combien d’Algériens interdits de voyage (ISTN), ou sous contrôle judiciaire ?

Malgré les apparences, le geste de Fawzi Zekout est symptomatique d’une situation insoutenable. Le feu couve. Et malheureusement les dirigeants du pays continuent de ruer, avec cynisme, dans les brancards. Tout va bien !

Le  RCD dénonce une justice aux ordres et exige une enquête indépendante

Le drame survenu devant le ministère de la Justice à Alger continue de provoquer une vive émotion. Le militant associatif Fawzi Zekout s’est immolé par le feu, après avoir diffusé plusieurs vidéos dénonçant « une justice instrumentalisée » par ce qu’il appelait une « nouvelle issaba » (bande mafieuse). Un acte de désespoir, prémédité et symbolique, qui interpelle l’opinion publique.

Dans un communiqué publié le jour même, le Rassemblement pour la Culture et la Démocratie (RCD) parle d’un « cri d’alarme déchirant » et d’un geste extrême révélateur d’une « Algérie en souffrance, rongée par l’impunité et l’arbitraire ». Le choix du lieu – le siège même du ministère – illustre, selon le parti, la perte de confiance des citoyens envers une justice perçue comme complice plutôt que protectrice.

Le RCD accuse le système judiciaire d’être de plus en plus utilisé à des fins de répression contre les voix dissidentes, et appelle à l’ouverture immédiate d’une « enquête indépendante, sérieuse et crédible » pour faire toute la lumière sur les circonstances du drame. Le parti exclut toute implication des institutions qu’il juge « compromises » dans la conduite de cette enquête.

« Voulons-nous continuer à vivre dans une société où des citoyens doivent s’immoler pour être entendus ? », interroge le communiqué, appelant à une refondation démocratique en profondeur et à une justice véritablement indépendante.

Samia Naït Iqbal

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Soutien du plan marocain pour le Sahara occidental par Londres : Alger réagit

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Ministère des Affaires étrangères.

Le chef de la diplomatie du Royaume-Uni, David Lammy, a annoncé dimanche à Rabat que le plan d’autonomie sous souveraineté marocaine pour le Sahara occidental était «la base la plus crédible» pour parvenir à une solution pour ce territoire. Cette déclaration marque un tournant dans la position britannique auparavant alignée sur le principe d’autodétermination de ses habitants.

Comme à son habitude, l’Algérie a réagi à cette déclaration du chef de la diplomatie du Royaume-Uni à travers un communiqué du ministère des Affaires étrangères, bien avant que le Front du Polisario ne dise un mot. Ci-dessous la dépêche APS qui reprend le communiqué des AE.

«L’Algérie a pris connaissance de la nouvelle position adoptée par le Royaume-Uni sur la question du Sahara occidental.

L’Algérie regrette le choix fait par le Royaume-Uni d’apporter son soutien au plan d’autonomie marocain. En dix-huit ans d’existence, ce plan n’a jamais été soumis aux Sahraouis comme base de négociation, de même qu’il n’a jamais été pris au sérieux par les Envoyés onusiens qui se sont succédés à ce poste. Ces derniers avaient tous relevé la vacuité de l’initiative marocaine d’autonomie et son inaptitude à offrir une solution sérieuse et crédible au conflit du Sahara occidental», indique le communiqué du ministère.

Le ministère rappelle qu’«en effet, le plan d’autonomie marocain n’a jamais eu pour vocation de servir de base de règlement politique à ce conflit», précisant que «ses visées ont toujours été d’occuper l’espace pour empêcher toute recherche d’un règlement sérieux, de permettre au Maroc de gagner du temps et d’accoutumer progressivement et graduellement la communauté internationale au fait accompli de l’occupation illégale du Sahara occidental».

«L’Algérie relève, néanmoins, que le Royaume-Uni n’a ni évoqué, ni apporté son soutien à la prétendue souveraineté marocaine sur le territoire du Sahara occidental et ne cautionne donc pas l’occupation illégale de ce territoire non-autonome au sens de la légalité internationale. Elle relève, également, qu’à l’occasion de la Conférence de presse, le Secrétaire d’Etat britannique a publiquement et solennellement réaffirmé l’attachement du Royaume-Uni au principe du droit à l’autodétermination», poursuit la même source.   

«Au vu de cette double particularité de la nouvelle position britannique sur la question du Sahara occidental, l’Algérie forme le vœu, qu’en sa qualité de membre permanent du Conseil de sécurité, le Royaume-Uni continuera de tenir le Maroc comptable de ses responsabilités internationales et qu’il continuera aussi de veiller au respect de la légalité internationale et en particulier la doctrine des Nations unies en matière de décolonisation», conclut le texte du ministère.

APS

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“Les larmes de Jimmy” de Marcus Hönig : bonnes feuilles

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Les larmes de Jimmy

Nous vous proposons avec l’aimable autorisation de l’auteur, quelques extraits du récit « Les larmes de Jimmy ».

6 août

« Tout est bancal, susceptible et vite rabiboché. Tu verras, c’est le soleil dans la nuit, la nonchalance. Bienvenue à toi. Raconte aux autres, dès ton retour, ce que tu as vu ! Les Grecs, les Numides, les Romains, les Africains, les Français et d’autres, l’Algérie est plus au monde qu’à l’Algérie. Tu vois, là, Notre-Dame de la Garde. Va voir sa sœur jumelle Notre-Dame d’Afrique. Entre les deux, ce n’est qu’une petite mer. » Nous sommes enfin sur le bateau.

Six fois le passeport est rentré et sorti de la pochette pour être scruté à chaque fois comme si le sort de la Nation en dépendait. Multiplier les contrôles, contrôler le contrôle. Je rencontre Sarah sur le pont supérieur arrière du navire Méditerranée qui quitte doucement Marseille pour Alger qu’il doit atteindre vingt heures plus tard. Elle vient vers moi, sourire immense et me demande ce qu’il faut pour faire une belle photo. Je passe la bandoulière de mon 40D par-dessus ma tête, lui tends l’appareil et lui dis : « tiens, la prochaine sera la bonne ». Elle rit, accepte le truc encombrant et prend une photo. Voilà, Sarah est ma porte d’entrée vers un pays à cette heure encore inconnu et lointain. (…)

Pas de lumière dans la salle, un clair de lune incertain. Un chaton miaule, un enfant pleure, les deux réclament du lait qu’on ne tarde pas à leur donner. Je n’y tiens pas et pars refaire un tour. Avant que chacune et chacun ne s’abandonnent à la nuit, dans la bête ou sous les relents de fuel qui couvrent les ponts extérieurs, le plus musulman des bateaux négocie ferme alcools et cigarettes. Au Duty Free, zone Islam Free des eaux internationales, billets, cartouches et flacons passent d’abord par de rugueuses virilités et changent de main en éclats de rire.

7 août

Mes réveils s’enchaînent au rythme d’environ un à l’heure jusqu’à celui, différent des autres, qui me suivra tout au long du voyage. 4 h 30, je suis réveillé par de longs et caverneux Allahou Akhbar. C’est une affaire de trois minutes, l’homme disparait. (…)

Le bateau vibre de plus en plus, c’est une impression peut-être après avoir été couché à même sa peau comme un nourrisson. La machine doit être énorme, la résistance plus encore. En tout cas, il m’aura tellement bien fait vibrer qu’il m’aura tiré toute ma petite monnaie des poches. Je croise mes nouveaux amis sur le bateau. Nous échangeons des nouvelles de la nuit.

Aux sanitaires, ablutions acrobatiques et vue défilante sur les eaux dont je ne sais si elles sont calmes ou agitées. Nouveau café. 

(…)

Le continent Afrique apparaît, gris, brumeux, vallonné, mais surtout gris. Rapidement, les tankers en rade, et surtout l’anguleux et interminable minaret de Djamaâ El Djazaïr, la fameuse mosquée. Ce minaret a tout l’air d’être un message à la mer, aux voyageurs venus d’autres horizons, un marqueur d’entrée en terre d’Islam. Puis, sur les pentes, Alger, très justement appelée la Blanche, se montre en bloc qui plonge vers la mer à l’ouest, interminable à l’est, tentaculaire cité aux 4 millions d’habitants.

Le Mémorial des Martyrs là-bas, à l’architecture si particulière que je ne sais où la caser. Il ne ressemble à rien de connu. Enfin, l’impression existe d’avoir déjà vu quelque chose de semblable, mais où ? Peut-être que je m’en souviendrai plus tard. 

(…)

Une connaissance du bateau me donne les dernières recommandations pour changer mes euros au Square Port Saïd, au marché parallèle, marché qui a son propre cours qualifiable d’officiel, ce qui donne d’emblée une idée de l’état de l’économie du coin. « Ne change pas tout tout de suite, vas-y doucement, prends le temps d’arriver, c’est pas comme à la maison », me dit-il. Je prends note, le remercie, sors et me prends une tarte monumentale de pollution sur mon premier trottoir algérois, rue d’Angkor. 

(…)

Il s’agit de trouver la rue de l’hôtel, quelque part entre le tribunal Sidi M’Hamed et Amar El Kama. Je mets tout de suite à l’épreuve mon talent pour me perdre, même sur un trajet court et simple. Cela fonctionne parfaitement puisque me voilà béat au croisement du boulevard Mohamed Khemisti et de la rue Asselah Hocine, juste sous la Grande Poste, pour débuter mon activité préférée, demander mon chemin !  

(…)

 Pour ce soir, en me tendant une serviette de bain trouvée dans la caverne d’Ali Baba sous le comptoir, j’aurai pour moi tout seul une belle chambre sous les toits, avec sanitaires partagés. Ça doit être la chambre joker. J’ai remercié encore et encore de ne pas être laissé à la rue ! À l’hôtel aussi, le passeport fait un stage de vérification complète par les employés, tenus de le faire et de remplir une petite fiche de police pour la sécurité des voyageurs, en cas de contrôle ou mieux, de problème que personne ne souhaite. Je pose mes 15 kilos de barda là-haut et sors voir de quoi Alger centre est faite la nuit tombée et ce que je peux me mettre sous la dent sans aller trop loin.

À côté des marches du Théâtre national, je déniche un sandwich omelette-viande-fromage. Le cuistot, qui a l’air d’avoir 70 ans, me montre sa spatule plongée dans un seau de harissa et laisse paraître son bonheur quand je lui indique que oui, vas-y ! Il y a dans ce bout de baguette plus de harissa qu’autre chose et je ne peux que saluer mon entrainement quotidien des trois mois passés à ajouter à chacun de mes repas cette petite sauce enflammée pour être prêt le jour J ! Le nuage d’échappements a l’air encore plus dense, les détritus encore plus nombreux sans qu’aucun endroit y échappe. 

(…)

8 août

(…)

Les pros de l’hôtellerie algéroise sont en place, le combiné du téléphone à l’oreille pour dire en boucle que l’hôtel est complet, les yeux sur la porte qui s’ouvre quatre ou cinq fois par minute pour annoncer là aussi que l’hôtel est complet. Je mesure à quel point je suis veinard de ne pas être à la rue et remercie encore. Je propose de garder cette chambre si cela peut arranger. Et on m’offre ce sourire, ces mots : « Mon ami, soyez le bienvenu, Marcus.

On vous prépare une très belle chambre. Tu as besoin de quoi que ce soit, n’hésite pas, je suis là pour toi. » Et on papote et on papote et je m’en fais le premier copain. Le gars est jeune, intelligent, lit entre les lignes à la vitesse de l’éclair et sera, en plus de son professionnalisme, bon compagnon. Mes balades au Square Port Saïd vont, quant à elles, vite m’offrir un lot d’interlocuteurs et interprètes précieux pour m’aider à la lecture de sujets compliqués rencontrés çà et là. Une canicule insistante est installée sur le pays, assez pour enterrer définitivement mes projets de balades dans le sud. De plus, dix jours sur place, c’est beaucoup et peu à la fois. Je me connais, je mets un temps infini pour quitter une conversation et je n’ai nulle envie de me limiter dans les rencontres.

De plus, si par hasard j’étais arrivé dans un pays où les transports prennent leur temps et sont ponctuels comme le laisse présager leur réputation, mieux vaudrait calculer au plus juste les kilomètres. Je me dis, n’oublie pas mon garçon que ce pays est grand comme quatre fois la France, le sud, c’est loin, un voyage à part entière. Un tour à la gare s’impose pour prendre des infos pour un éventuel tour à l’est, côté Béjaïa. Ce n’est pas la bonne gare. Le prétexte de balade en ville est trop bon, je tire vers Agha, gare d’où partent quotidiennement les autorails me dit-on, je note.

(…)

En bonne forme grâce à cette petite balade, équipé de pâtisseries et de fruits, j’entreprends sans tarder d’aller là où je brûle d’aller depuis des semaines, Djamaâ El Djazaïr, la Grande Mosquée ! Où, comment ? Demandons le chemin ! C’est la mosquée à 2 milliards de dollars. Je vais vite me rendre compte que les Algérois ont ce chiffre en tête plutôt que les mètres carrés ou de hauteur de la chose.

Je dois filer jusqu’à la station Pont El Harrach avec un tram aussi joli que le métro. Je m’en sors tellement bien avec l’achat de mon billet métro-tram à 70 DA que le truc refuse de fonctionner et que l’employé dans sa guérite finit par m’en offrir un. Les locaux croisés dans le tram se doutaient bien qu’en me voyant aller dans cette direction, je ne me rendais pas au stade. Un homme m’aborde : « Tu vas à la nouvelle mosquée ? — Oui. — C’est la mosquée de la honte, c’est une honte. Avec l’argent qu’elle a couté, on peut faire un hôpital dans chaque wilaya. On a besoin d’hôpitaux et d’écoles, pas de mosquées inutiles ! À peu près tout le monde dans la rame acquiesce. Je demande s’il l’a déjà visitée. — Non, et je n’irai pas. Je voudrais qu’elle ne soit pas là. — Mais maintenant qu’elle y est on ne va pas la détruire, il faudra bien faire avec, dis-je. — Monsieur, allez visiter la Grande Mosquée et quand vous rentrerez chez vous, dites que nous avons une belle mosquée, mais que nous avons besoin d’écoles et d’hôpitaux.

L’Algérie se fâche avec le monde entier, avec ses voisins, avec l’Europe, la France. Même les équipes de foot africaines refusent de venir jouer chez nous et nous on construit une Grande Mosquée à 2 milliards pour montrer au monde que nous sommes les meilleurs musulmans. Cela ne sert à rien. » Je promets de rapporter ses propos. Il doit descendre. Sitôt dehors, les autres, et il y a du monde dans cette rame, m’encouragent à bien répéter tout ce que l’homme vient de dire.

(…)

Un jeune homme, petite trentaine, vient vers moi pour discuter. Il pense lui aussi que je suis journaliste français. On se serre la main, on ralentit le pas. Il me raconte être monteur vidéo de métier, au chômage ici et sans aucune perspective avec ce métier qu’il aime. Il a pu exercer et se perfectionner en France où il est resté quelques années, clandestin, sans papiers, avant d’être renvoyé en Algérie. Il avait réussi une traversée vers les eaux espagnoles.

Dans son regard semblent s’être accumulées toutes les eaux noires du monde. Il est profondément déprimé par sa situation. Il dit : « Vous voyez, l’Algérie tue sa jeunesse, c’est une prison à ciel ouvert. Je ne sais pas comment je vais m’en sortir, je vais repartir c’est certain. Ici il n’y a rien, on ne peut qu’y mourir. Je vais repartir. » Il est désespéré, me remercie de l’avoir écouté. Je suis très touché par cet homme qui ne me demande rien d’autre qu’être écouté un instant, juste être écouté. Il ajoute, avant que nous nous séparions : « Haraka, tout le monde veut faire Haraka ». Non seulement je ne connais pas ce mot et ne peux comprendre ce qu’il veut me dire, mais je ne tarderai pas à découvrir que j’avais mal compris. 

(…)

Vendredi 9 août

(…)

Je demande des infos sur Tipasa, comment y aller. L’aventure en bus est vivement déconseillée un vendredi. Les bus ne rouleraient que le matin et poireautent à chaque station, espérant se remplir pour poursuivre la route.

Tipasa n’est qu’à 80 petits kilomètres à l’ouest d’Alger, mais risque d’être inatteignable par cette voie aujourd’hui. Au petit déjeuner j’ai mangé autant de crêpes qu’il est possible de manger, hypnotisé par la grande télé qui anime les lieux. Le vendredi, le petit déjeuner se prend à l’image et au son de La Mecque, diffusés en direct. Il faut dire que cette foule qui tourne autour du grand cube noir fait son petit effet à cette heure du jour où les premières gouttes de café cherchent leur chemin dans le touriste. Pff, je n’ai qu’à aller du côté du Bardo, me dis-je, mais sans conviction. Je veux bouger, sortir d’Alger, changer d’horizon pour voir et écouter autre chose. J’appelle un taxi pour me renseigner du prix de la course. 3 000 DA, vendu ! 10 minutes plus tard, un solide gars se présente, on saute dans la Dacia. 80 km avec un taxi qui tient on ne sait comment, ça vaut le détour. 

(…)

Les déchets, oui. Il y en a vraiment beaucoup, c’est une décharge. Il y en a tellement dans ce lieu qui mérite un tout autre traitement que cela m’interroge une nouvelle fois sur l’image qu’ont les Algériens d’eux-mêmes, sur leurs possibilités à se projeter dans l’avenir comme si cette action d’envisager une suite était difficile, voire incongrue. Je me dis tout autant que c’est catastrophique et que ce ne sont pas quelques déchets qui doivent effrayer.

Il y un paquet de boulot pour en venir à bout, c’est certain, et la satisfaction du résultat sera énorme. Typiquement, le bon moment pour ne pas trop la ramener avec des y’a-qu’à et des faut-qu’on. (…)

Crédit Marcus Hönig

10 août

4 h 30 le matin, appel à la prière… j’en profite pour charger

les batteries de 40D qui veut bien jouer en toute circonstance. À cette heure les pensées se baladent en file indienne dans ma tête. On m’indique amicalement que de ne pas aller à Tizi Ouzou, alors que j’allais passer dans son ombre, ne pouvait qu’à peine s’envisager. Je crois que je vais faire ça, remplacer la virée vers Constantine et Sétif par une durée prolongée en Kabylie.

De toute manière, tout le monde me saute dessus, les Kabyles aux sourires larges comme la mer, pour me dire et me répéter qu’à Constantine comme à Sétif il fait beaucoup trop chaud et que je n’y ferai rien du tout. Je veux aussi me garder du temps pour flâner un peu en terre connue, Alger, et trouver en toute tranquillité des cadeaux pour mes proches, juste avant de partir. Je n’y suis pas encore. Pour l’instant, il s’agit de voir comment ça se passe pour arriver à Bejaïa, ensuite je verrai. 

(…)

Agha, la gare. La chaleur est intolérable. Le hall est plein à craquer de gens qui patientent, l’ambiance est calme et les files de clients devant les guichets ne diminuent pas. Je range le billet pour Béjaïa dans ma poche au moment où s’effondre au sol un très grand jeune homme, terrassé par une crise d’asthme. Tout le monde appelle, crie Pumpa, Pumpa, qui a une Pumpa. Arrive un homme avec sa Pumpa de Ventoline. Il fait trop chaud et, dans cet endroit où ne vient aucune brise, la pollution est encore accentuée.

Encore une heure d’attente, je pars patienter sur le quai qui ne tarde pas à se remplir de voyageurs en partance pour Oran. Une ambiance bizarre s’installe. Des parents sont dépassés par les jeux débiles de leurs garçons qui sautent du quai sur les voies jusqu’à ce que le premier prenne une tarte qui ne sert pas de leçon au second. Il y a sur ce quai une fréquentation notable de personnes atteintes de maux divers et variés. Une certaine tension règne dans les dernières minutes avant l’arrivée de leur train et cette impression est nouvelle.

(…)

Le sentiment m’habite que les Algériennes et les Algériens sont des gens à qui on n’a pas dit depuis trop longtemps à quel point ils ont de la valeur. Tous les moyens sont donc bons pour le rappeler, pour le leur dire et le faire savoir aux autres. Je repense une nouvelle fois à Sarah, « en Algérie tout va doucement ». Un homme dans le train s’interrogeait sur ce qu’il fallait pour aider ce pays.

« Faut-il une aide d’autres nations ? Même un tout petit appui serait déjà bien. Le gouvernement doit ouvrir lui-même le pays avant qu’il n’éclate. Nous avons besoin des autres et sommes trop seuls. Si l’Algérie ouvre ses frontières ce soir, le pays sera vide demain matin. » Algérie, dernier bouchon avant éclatement du continent ? Qui a la réponse ? Sait-on que c’est à ce point ardent, à 800 kilomètres de Marseille ? Encore Harraga. Petit bateau noir à 4 000 € ou 8 000 €, Oran, Espagne ou pas. Mais combien sont-ils réellement ? Que se passe-t-il au-delà du désert ?

11 août 

J’écris dans mon lit, à Béjaïa, il est 4 h 20, nous sommes déjà le jour suivant. L’appel résonne depuis 4 heures, les journées sont longues en terre d’Islam. Je dirai tout à l’heure à Haroun que je reste encore une nuit au Bon Accueil. Je n’arrive pas à dormir avec la clim. Je l’allume 10 ou 15 minutes toutes les deux heures. À 20 heures il fait encore 30 °C. Peut-être irai-je à Sétif, va savoir. Déjà l’envie pointe d’aller à la mer, ce que je ne ferais jamais pour me baigner à Alger, hors de question. Puis gravir un peu ces collines aperçues hier. Cap Carbon ? Dis, monsieur Haroun, pourquoi tu ne fais pas les petits déjeuners ? Très tôt, je suis à la cafétéria de la gare. Ça chauffe, tôt et fort à la cafète.

Les bus passent juste devant la porte. Le gars qui presse les cafés sur la Conti se fait piller son stock de pâtisseries et presse et presse. Non seulement il ne peut rien faire d’autre pendant qu’il a un bras occupé à maltraiter ce levier, mais cela demande force, endurance et méthode pour tenir le coup toute la journée. Mais quel délice encore une fois ce café.

J’ai faim et me jette aussi sur les pâtisseries. Des cafés, j’en bois trois, deux de trop, les pâtisseries grasses, je ne les compte pas, je démarre la journée sucré et caféiné jusqu’au plafond. En une demi-heure de temps les températures intérieures et extérieures se sont équilibrées, elle est aussi élevée sur le trottoir que devant la Conti, élevée, et gazeuse. 

Crédit Marcus Hönig

(…)

12 août

(…) Je reprends le récit, ici au calme, à ce qu’il faut appeler le petit déjeuner avec les deux cafés de trop à Bougie, la biennommée, c’est l’ancien nom de Béjaïa. J’attaque la montée par la ville pour m’orienter vers le fort de Gouraya d’où la vue sur le golfe promet d’être extra et d’où je pourrai rejoindre le pic des Singes, un peu plus loin. La courte nuit n’a pas été excellente, je m’en accommode et vais un peu plus doucement que d’habitude, le temps de me réveiller complètement.

Je tire vers l’Hôtel du Nord et la petite gare routière, boulevard Colonel Amirouche. La rue est bordée de bijouteries, les unes à côté des autres, ce qui rend le contraste avec le dépotoir continu qu’est le bord de route encore plus insupportable. C’est clair, la ville kabyle n’est pas plus propre, pas moins sale, comme on voudra, qu’Alger. 

(…)

Quelquefois les événements se composent avec un rythme qui leur est propre, il faut faire avec à son tour. Une parole d’une autre fille du désert m’avertissait : « Le seul moyen de supporter la chaleur, c’est l’accepter ». Si je veux réussir l’opération quitter Bougie, je vais devoir m’y prendre tôt. À 6 h 30 je quitte ma chambre pour une autre cafétéria qui propose 35 bons °C, des pains sucrés et, bien sûr, le délicieux ! Les semelles ont l’air de tenir. Une nouvelle fois, c’est le modèle routard qui attire les sympathies et je ne tarde pas à être assisté de toutes parts pour m’aider dans mon périple.

Tout s’enchaîne. Un jeune homme m’accompagne dans le bon bus, me fait descendre au bon arrêt à la gare routière. L’endroit est encore plus enfumé que le reste. Sur un banc, un homme rondelet aux grandes boucles fume sur fond de panorama montagnard. Il a l’air de mauvais poil. Il fait la bonne cinquantaine, même si je me méfie à présent de mes estimations d’âge avec lesquelles je me suis systématiquement planté d’une décennie de trop. Il me dit avec un accent à couper au couteau : « Tigzirt, c’est une sacrée course ! » Je lui demande combien il voudrait pour la faire, la sacrée course. Il me répond d’un air qu’on prendrait pour dissuader et lance : « 8 000 DA ». 

(…)

La ville est tout en pentes. Tigzirt a immédiatement l’air moins sale et un brin moins chaud. Le bon chauffeur me dépose Avenue Ahmed-Chefai, plein centre. Sa mauvaise humeur le reprend juste avant le demi-tour pour Béjaïa. Dès que je quitte la voiture, il entame sa série de cigarettes roulées à l’aller, confiant pendant les travaux de roulage la direction de l’engin à une cuisse leste et précise calée sous le volant.  

(…)

Tigzirt, c’est un vrai petit paradis si on parvient à décrocher son regard du sol quelques instants. Le paysage est aussi beau que ses lumières et une coloration de la mer que je n’ai vues qu’ici. Il faut dire que mon point de vue est des meilleurs ! Donc, plus d’argent, ah bon, voilà une bonne question qu’il va falloir régler. Je comptais rester à Tigzirt pour trois nuits et avoir le temps d’explorer un peu la campagne alentour. Mais je dois me rendre à l’évidence en riant de mes petits problèmes, que je n’ai plus de sous.

Le reste du capital suffira juste pour une autre nuit, quelques petits frais et le long trajet retour vers Alger. Dans la capitale, à tous les coups, je trouverai un endroit où jouer avec ma carte Visa et si ce n’est pas le cas je trouverai une autre solution, mais pour ça je dois être sur place. Si en Algérie vous frottez une lampe, c’est tous les numéros de téléphone des gens croisés qui en sortent ! Je contacte le patron de ma chambre algéroise au planning archiplein, lui explique ma petite situation et que je rentrerai sûrement un jour avant la date prévue, si je peux avoir un endroit où poser mon sac. Dans l’instant il m’arrange ça. Voyageur, je te le dis, s’il te prend l’idée de jouer les routards en Algérie, si on te donne un contact, accepte-le, ces gens ont une parole et te sauvent la mise ! 

13 août

Que c’est bon de voyager avec pour seule règle de pallier les impératifs du repas, du gîte et de laisser tout le reste s’orchestrer par la disponibilité aux imprévus. Comme une bille dans un flipper. Certes, c’est un peu plus fatigant que ce que certains s’imaginent être des vacances. Qu’ils se rassurent, je sais que ça ne ressemble pas à grand-chose, mais cela n’a aucune importance. Que chacun trouve son plaisir, c’est fantastique. 

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Une de mes plus grandes appréhensions avant de partir pour l’Algérie était l’immense carnage causé par les accidents de la route. Devoir monter dans une voiture me semblait être un des plus grands défis à relever. En quelques jours, cela a bien changé. Je me réjouis ce matin de me laisser faire par un taxi qui connait son affaire et sait déjouer et prévenir les dangers que sont à peu près tous les autres sur la route. Le slalom est garanti sur le moindre petit trajet. Celui vers Alger tiendra une nouvelle fois sa promesse.

La Dacia aux portières défoncées affiche 500 000 bornes au compteur, c’est la première chose que je vois en m’installant le plus lascivement possible. La deuxième chose qui me saute aux yeux est l’exacte réplique du miniCoran acheté hier chez le bon libraire. Je repasse en revue les bienfaits de la chose et imagine, pour me rassurer, que quelque part sur la notice figure aussi la protection contre tous les débiles dangereux qui iraient vers Alger ou en viendraient ce matin.

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Je suis content de retrouver Alger, d’une certaine manière, de n’avoir plus rien d’autre à faire que d’explorer ce lieu que j’aime. Il y a bien des endroits encore que je souhaite visiter, cette ville ne manque pas de trésors. Mais d’abord, si je ne veux pas payer ma chambre en faisant la vaisselle, ce qui me prendrait une semaine à temps plein après une rapide conversion, je dois dénicher un peu d’argent frais. 

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Un œil sur la montre, le temps doit fuir quelque part comme d’un tuyau percé. Un œil sur le calendrier indique qu’il est temps de ralentir encore, penser à Sarah « tout va doucement », je dois aller doucement aussi. Ce pays a encore des choses à raconter.

Autre excellent prétexte aux balades et rencontres, les quelques cadeaux pour petits et grands. Des épices, incontournables, et pour le reste, je pars voir en ville si j’y suis. Tafourah, d’où il est facile de se perdre dans maintes rues autour et voir ce que la providence a à proposer. Je passe par le Jardin de l’horloge florale qui ne cache pas son monument. La construction à laquelle il semble manquer quelque chose sur le haut est particulièrement claire en bas. Deux mains, poings écartés, éclatent une chaîne solide. À côté, de très jeunes garçons s’entraînent à s’asseoir sur les escaliers. Il est étrange de se dire qu’ils ont, d’une certaine manière, sous leur nez, un certain mode d’emploi de leur vie. Le verront-ils ? Partout des jeunes, des jeunes, des jeunes.  (…)

15 août

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La retraite d’un Algérien est d’environ 20 000 DA, voire moins. J’achète une banane, une seule, 100 DA. Lalla Khedidja, 50 centilitres, 40 DA. Un temps plein, qui a des chances d’encaisser environ 40 000 DA mensuels peut se payer 500 litres d’eau fraiche, à peu près trois baignoires pleines. J’ai dû passer devant le marchand d’épices sans faire gaffe, je ne le retrouve pas. Lorsque je retrouve cette bonne adresse, je me laisse guider dans la multitude de bocaux dont une grande partie verra mon nez de près. Tout est délicieux.

On cuisine en paroles, j’ai l’appétit qui explose. Des sacs plastiques odorants, de toutes les couleurs, dont un énorme de poudre de Hrissa, pour presque deux kilos en tout, mes pensées vont à la douane et à la tête du préposé qui lit les images du scanner. Je vais y avoir droit, c’est certain. Bien entendu nous papotons, échangeons, et toujours reviennent les mêmes remarques sur la situation de la jeunesse, le tout pendant que le petit magasin charmant se charge de clients qui sont toutes des clientes. Les petites conversations qui ont l’air de ne pas y toucher s’étendent systématiquement comme des feux de paille, davantage encore quand la présence n’est que féminine.

Dans nos échanges, profitant de l’absence des hommes et de toute autorité religieuse identifiable, la question s’est posée de l’articulation possible entre la religion et la féminité. (…) »

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