3 mai 2024
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Yuva Tala At Ḥemmu : Un Kabyle d’Afrique du Sud, un parcours et des questions

Privé d’un passeport

Yuva Tala At Ḥemmu : Un Kabyle d’Afrique du Sud, un parcours et des questions

Maâtkas, renommée pour sa poterie millénaire, est administrativement une sous-préfecture et une commune. Elle est  située à environ 20kms du sud-ouest du département de Tizi Ouzou. Elle compte 47 villages dont Tala Ḥammu.

Dans ce village est né Yuva Tala At Ḥemmu, de son nom colonial Mohammedi Madjid, 15 mois avant le déclenchement des évènements du printemps amazigh du 20 avril 1980. C’est un jeune Kabyle dont le parcours impressionne et interpelle à la fois. J’ai eu la chance de lui rendre visite chez lui en Afrique du Sud, dans l’autre extrémité du continent à l’opposé de sa Kabylie natale.

Depuis plusieurs mois l’ambassade d’Algérie en Afrique du sud refuse de lui délivrer un passeport. Son cas est semblable à celui d’autres militants kabyles qui subissent des pressions de la part des pouvoirs publics algériens allant jusqu’à bloquer leur passeport sans aucun motif valable. Leur seul tort est de se revendiquer indépendantistes, qu’ils soient du MAK ou de l’URK. C’est comme si être un indépendantiste québécois ne donne pas le droit à un passeport canadien, un indépendantiste catalan n’a pas le droit à un passeport espagnole ou encore un indépendantiste corse n’a pas le droit d’avoir un passeport français . Ce qui est loin d’être le cas. 

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Le ministère des Affaires étrangères lui refuse un passeport

Ils sont au total une vingtaine de militants à crier haut et fort cette atteinte à un droit des plus élémentaires qu’est la libre circulation des personnes. A plusieurs reprises ils ont condamné cette  pratique honteuse et indigne qui vise à les enchaîner et ensuite les obliger à suppléer l’administration algérienne dans l’espoir de renoncer au combat pour l’idéal de dignité auquel ils croient. Plusieurs avocats de renom ont été approchés pour plaider la cause de ces militants privés de leur passeport malgré que leurs dossiers ne souffrent d’aucune anomalie administrative.

Yuva Tala At Ḥemmu a demandé des explications à l’ambassadeur d’Algérie en Afrique du Sud, un Kabyle de Tizi Rached, sur le pourquoi du refus de renouvellement de son passeport. La réponse du commis de l’Etat algérien était que l’affaire le dépasse puisque l’ordre vient d’en haut. Exactement du ministère des Affaires étrangères à Alger comme quoi il est radié des fichiers administratifs. Que lui reprochent-ils au juste ? Est-ce que le fait que lui-même est nommé ambassadeur de Kabylie par le MAK-Anavad en Afrique du Sud ? Tout indique que c’est le cas.

Le cas de Yuva At Ḥemmu est très significatif de la situation de mal-à-l’aise que vivent les Kabyles au sein de cette entité postcoloniale appelée Algérie, qui possède un drapeau, un hymne national  et une constitution qui la définit comme terre arabe ou l’islam est religion d’Etat.

Yuva At Ḥemmu, voyant comment l’Afrique du Sud fonctionne comme une grande nation démocratique dont la constitution donne à ses citoyens toutes les libertés linguistiques et confessionnelles avec en sus 11 langues officielles,  rêve de voir sa Kabylie sortir de cette voyoucratie/mafiocratie qui possède un siège à l’ONU, pour bâtir un pays moderne.

Pourtant Yuva At Ḥemmu, de tout temps rebelle, à tout fait pour voir le couple Kabylie/Algérie évoluer ensemble vers un destin démocratique et de liberté. D’abord au sein du FFS (Front des Forces Socialistes), le premier parti de l’opposition démocratique, il a toujours été aux devants de la scène. Déjà à 11 ans il s’est déplacé de son village jusqu’à Alger pour répondre à l’appel du Mouvement culturel berbère, aile FFS (commissions nationales) pour une imposante marche le 25 janvier 1990. Ce qui a engendré la création de département de langue et civilisation amazighes.

A presque 16 ans Yuva At Ḥemmu a fait partie de ces milliers de jeunes Kabyles qui ont sacrifié une année de leur vie académique suite à l’appel au boycott scolaire de septembre 1994 à avril 1995. Un fait unique dans l’histoire de l’humanité. Ce qui a engendré la création du HCA (Haut Commissariat à l’Amazighité) et Tamazight di Lakul.

Ce boycott a dérangé un tantinet le parcours académique de Yuva At Ḥemmu comme il se vérifiera plus tard. En juin 1997, il a mené une campagne électorale en faveur de son parti politique, le FFS, dans le cadre des élections législatives de 1997 pour élire les 380 députés de l’Assemblée populaire nationale de l’Algérie. Son parti FFS, tout comme le RCD, n’a eu qu’une vingtaine de sièges en Kabylie chacun.

C’est là où les doutes ont commencé à tarauder l’esprit de Yuva At Ḥemmu sur la place de la Kabylie au sein de l’Algérie.  Ce qui ne l’a pas empêché de poursuivre son combat en faisant campagne pour le FFS lors des élections communales d’octobre 1997 (APC/APW) qui a vu le FFS sortir majoritaire chez lui. C’était pour sauver nos communes kabyles pour ne pas tomber entre les mains des partis au pouvoir ou des islamistes, explique Yuva.

Fin juin 1998, la rage au cœur Yuva At Ḥemmu a participé aux émeutes qui ont suivies l’assassinat du chantre Matoub Lounes. Désespéré de ne pouvoir repasser le BAC en classe spéciale en septembre 1998, il quitte le lycée malgré lui. Quelques mois plus tard, en janvier 1999 il part au service militaire à Djelfa et ensuite à Media. C’était vers la fin de la décennie noire qui allait inaugurer  le début des longs et interminables mandats de Bouteflika à la tête d’Algérie. Les actions terroristes persistaient encore et Yuva At Ḥemmu a vu mourir beaucoup de ses amis durant son instruction militaire. Toujours rebelle, il a écopé de 2 mois de prison à cause d’un T-shirt à l’effigie de Matoub Lounes qu’il a osé de porter en pleine caserne défiant ainsi son autorité militaire. Ce qui explique la période de 20 mois passée dans l’armée au lieu de 18 mois.

En septembre 2000, une fois son service militaire militaire, Yuva At Ḥemmu retrouve la vie civile  en s’inscrivant à l’Institut National des Techniques Hôtelières et Touristique (INTHT), situé à Tizi-Ouzou pour se former dans les métiers de la cuisine, de la restauration de l’accueil et du tourisme. Formation qu’il a abandonnée suite aux évènements du printemps noir 2001. Il reprend ainsi son bâton de la militance pour devenir le plus jeune délégué des arches kabyles à l’âge de 22 ans.

La participation du FFS aux élections communales d’octobre 2002, alors qu’il a renoncé à participer aux élections législatives 5 mois avant, a obligé Yuva At Ḥemmu de démissionner de son parti de toujours. La rage des victimes assassinées lors du printemps noir, l’a poussé avec d’autres jeunes à brûler les bureaux de tous les partis politiques qui ont pris part à ces élections de la honte, mais aussi tout ce qui symbolise l’Etat algérien, explique-t-il.  

La désillusion du mouvement des Archs

Yuva At Ḥemmu croyait beaucoup au changement avec le mouvement des archs. Ce espoir s’est évaporé lorsque en 2004 une branche de ce mouvement dite dialoguistes, s’est faite piéger par le premier ministre kabyle Ahmed Ouyahia, utilisé par Bouteflika, pour éteindre le feu kabyle, explique-t-il. C’était une déception totale. Perdu et ne savant plus quoi faire Yuva At Ḥemmu a voulu quitter la Kabylie pour aller ailleurs. Mais aller où exactement ?  

Il est allé tenter sa chance à Oued Souf, une ville située dans le nord-est du Sahara algérien à 512 km au sud-est d’Alger. Dans ses poches la courte formation en hôtellerie non terminée, il a travaillé comme maître d’Hôtel pendant 6 mois. En 2005, il monte vers Alger pour travailler comme hôtelier à l’École supérieure de banque, une structure de la Banque d’Algérie créée dix ans auparavant à Bouzaréah.

Ne se sentant pas à l’aise en Algérie ou toutes les portes sont fermées, ambitieux qu’il est, Yuva At Ḥemmu veut aller tenter sa chance sous de cieux plus cléments. Le pays de Nelson Mandela était un des rares pays qui ne nécessitait pas de visa aux algériens à cette époque. Cela est-il dû au bon souvenir que le leader africain gardait de l’Algérie ou il est venu faire sa formation de révolutionnaire au début des années 60 ? Durant son unique mandat de président de la République d’Afrique du Sud de 1994 à 1999, suite aux premières élections nationales non ségrégationnistes de l’histoire du pays, beaucoup de Kabyles ont fui l’enfer algérien (la décennie noire) vers le paradis sud-africain. Une deuxième vague de Kabyles a suivi suite aux évènements du printemps noir de 2001. Yuva At Ḥemmu a tardé à le faire alors que beaucoup de jeunes de sa région sont déjà partis. Il s’accrochait encore à l’espoir d’un changement en Kabylie. La désillusion du mouvement des archs lui a changé d’avis pour quitter définitivement sa terre natale vers le pays de libertés et de vision qu’est l’Afrique du Sud.  

C’était vers la fin 2005. Juste arrivé sur place, il entame une formation sur la gestion hôtelière et la restauration en langue anglaise. Ce qui lui a permis de travailler dans un hôtel de Johannesburg, la métropole la plus riche du pays. Pretoria, la capitale politique du pays, forme avec Johannesbourg une agglomération de plus de 12 millions d’habitants.

Une fois la formation en gestion hôtelière terminée, Yuva At Ḥemmu retourne en Kabylie pour hypothéquer sa maison. Ce qui lui a permis d’acheter un commerce et c’est le commencement des affaires. Depuis sa présence en Afrique du Sud il a pu acheter, rénover et revendre 32 restaurants à Pretoria, Johannesbourg et d’autres régions. Il a mis en place une chaîne d’alimentation générale appelée Food Hyper, une marque d’eau potable qui porte le drapeau kabyle dans son étiquette et enfin un chaîne de restaurants de marque Red Moon.

Yuva At Ḥemmu fait employer des dizaines d’employés, dont beaucoup de jeunes Kabyles. Il est aimé par beaucoup de ces jeunes pour tous les services qu’il rend. A titre d’exemple Sofiane, installé depuis des années en Afrique du Sud, m’a dit que Yuva est un véritable ambassadeur pour nous, il m’a beaucoup aidé à mon arrivée.

Sa réussite commerciale et son emploi du temps très chargé n’ont pas empêché Yuva d’oublier sa Kabylie qu’il visite périodiquement. Il croit haut et fort que celle-ci est capable de devenir un pays, aussi grand que l’Afrique du Sud. Rester toujours sous l’administration d’un pays qui l’étouffe sur tous les plans, l’identitaire en premier lieu, ne fait que générer frustrations, violences et mal-vie en restant dans cette prison algérienne, dit-il. C’est la raison pour laquelle, une fois avoir quitté le bateau du mouvement des archs en 2004, Yuva n’a pas hésité une seconde à s’embarquer dans celui du MAK (Mouvement pour l’Autonomie de la Kabylie), devenu ensuite Mouvement pour l’Autodétermination de la Kabylie et enfin MAK-Anavad. Ce dernier l’a nommé, il y a quelques années, comme le représentant diplomatique de la Kabylie en Afrique du Sud.

Une success story qui dérange

Dans son village, Yuva a aidé financièrement le projet de forage d’un château d’eau de 40 mètres cubes. Il compte en faire beaucoup plus et dans toute la Kabylie, comme par exemple créer de l’emploi si les circonstances le permettent. Ce qui est loin d’être le cas malheureusement, d’après Yuva, puisque le régime algérien tient à contrôler la Kabylie sur tous les plans, celui de l’économie en premier lieu. Il cite le cas d’Issad Rebrab comme preuve.

Pour lui il ne fait aucun doute que la raison pour laquelle l’ambassade d’Algérie refuse de lui délivrer le passeport sur ordre d’Alger, est pour ne pas se rendre en Kabylie. Sachant qu’avec le passeport d’Afrique du Sud ça sera impossible puisque le visa lui sera automatiquement refusé, explique-t-il.

En attendant le changement en Kabylie, inévitable pour Yuva, il compte pousser plus loin ses ambitions d’homme d’affaires en visant un projet de Mines du Chrome Métal qui pourrait employer jusqu’à 1200 employés en Afrique du Sud. Ce dernier est le principal pays producteur mondial du Chrome dont les utilisations sont variées. Par exemple le chrome permet de confectionner des alliages durs et résistants, d’améliorer la résistance à la corrosion avec le procédé du plaquage électrolytique et de rajouter un fini brillant aux pièces métalliques. Les chromates sont utilisés comme pigments stables dans les colorants et les peintures. Enfin en médecine, le chrome peut être utilisé contre le diabète. 

En conclusion le parcours courageux et exemplaire de Yuva At Ḥemmu donne à réfléchir, nous interpelle et nous force à poser certaines questions que sont :

– Combien de jeunes Kabyles comme Yuva aurait réussi sur le plan socio-économique quand on leur donne la chance d’évoluer autrement que ce que l’Algérie leur a donné comme misère multidimensionnelle?   

– Dit autrement qu’adviendra-t-il de Yuva s’il avait évolué dans un pays démocratique et de liberté dès sa naissance, qui lui aurait donné toute l’instruction nécessaire sans obstacles comme les études en langue Arabe, qui n’est pas la sienne en plus non véhiculaire du savoir technologique et commerciale, ou n’ayant pas à connaître le boycott scolaire qu’il a vécu en 1994/1995? Il aurait certainement été un deuxième Issad Rebrab pour la Kabylie.

– Yuva croyait à l’Algérie en militant au sein d’un parti kabyle nationaliste comme le FFS, mais c’était dans la perspective de la faire évoluer vers la démocratie dont la Kabylie serait bénéficiaire. La cohabitation Kabylie-Algérie aurait été possible dans le cadre d’une Algérie fédérale et prospère ou tout le monde trouverait son compte. Le cheminement de Yuva du FFS au mouvement des archs pour enfin embrasser les idées du MAK, n’est-il pas logique ?

– Le refus que l’Etat algérien de livrer un passeport pour Yuva et bien d’autres militants indépendantistes en Kabylie, n’est-il pas un signe de faiblesse et donc de fin de règne du régime algérien ? Il ne fait aucun doute que nul autre pays n’aurait fait une telle connerie.

Auteur
Racid At Ali uQasi

 




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