17 mai 2024
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La menace turque à nos portes, est-ce l’histoire qui se répète ?

TRIBUNE

La menace turque à nos portes, est-ce l’histoire qui se répète ?

L’armée turque sera bientôt déployée en Libye. Officiellement, la Turquie enverra ses troupes sur le sol libyen pour répondre à l’appel des autorités de ce pays. Il s’agit d’un soutien au gouvernement de Fayez El-Serraj reconnu par l’ONU, ce qui n’est pas la position d’un certain nombre de pays constituant une coalition de poids soutenant plutôt le maréchal Haftar.

Cet événement nous replonge dans le passé. Celui qui ne connait pas l’histoire est condamné à la revivre, disait Marx. Il y a de quoi se demander si ce n’est pas celle-ci qui est en train de se répéter sous nos yeux. Il est important que les Algériens connaissent l’histoire du passage des Ottomans sur nos terres :

« Au 16e siècle, Les Espagnols occupèrent les ports d’Alger, Dellys et Bougie. Cela suscita une vive réaction auprès des Kabyles. Bien qu’ils aient été assiégés, les nouveaux envahisseurs, grâce à leur artillerie lourde, réussirent à repousser tous les assauts des guerriers kabyles. Cette situation fit naître une alliance de circonstance entre Kabyles et Turcs qui mettrait fin aux forteresses espagnoles. 

Ce fut aussi le début de la conquête ottoman. Appréciant leur vaillance guerrière, les Turcs recrutèrent les Zwawa (qu’on appellera Zouaves par la suite : l’origine du mot vient de Agawa), comme ils l’avaient fait avant eux les Hafsides (dynastie berbère), pour en faire une unité d’élite pour guerroyer en méditerranée et également pour mater les révoltes de leurs janissaires.

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À cette période, la Kabylie était unie derrière leur chef ou plutôt leur représentant, voire leur protégé, Ahmed Oulkadhi (le royaume de Koukou). Originaire d’Aourir Nat-Ghovri (du côté d’Azazga), c’était lui qui parvint à mobiliser 20 000 Kabyles pour reprendre aux Génois le port de Djidjelli (Jijel) avec le concours du corsaire turc Aroudj Barberousse.   

Les premiers conflits avec les Turcs apparurent après la mort de Aroudj et l’arrivée aux commandes de son frère Kheïreddine Barberousse. Ce dernier ordonna à ses janissaires d’envahir la Kabylie, pour qu’au final, non seulement il perdit une bataille, mais il eut été carrément chassé d’Alger pour aller s’installer à Djerba (Tunisie). Les Kabyles et à leur tête Ahmed Oulqadhi occupèrent sept années durant Alger, de 1520 à 1527, jusqu’à la reprise de celle-ci par le malheureux vaincu en usant des méthodes abjectes et perfides, ce qui caractériserait l’envahisseur turc jusqu’à la fin de son règne en 1830. 

Plusieurs batailles sanglantes eurent lieu entre les enfants du Djurdjura et les Ottomans, celles-ci furent souvent suivies par des réconciliations qui ne duraient qu’un laps de temps. En 1768, le soulèvement de la Kabylie était général aboutissant au siège d’Alger durant deux années consécutives, après une bataille dont les Kabyles s’en sortirent victorieux.

Cependant, c’était un succès chèrement payé, car ils y perdirent 3 000 hommes. Sur le point de donner un coup de grâce à leur ennemi, un événement inattendu vint tout chambouler : le retour des captifs libérés d’Espagne considérés comme morts par leurs familles respectives. Ces derniers avaient été capturés durant les batailles navales entre Ottomans et Espagnols en méditerranée. À leur retour, après une trentaine d’années d’absence pour certains, ils découvrirent avec stupéfaction que leurs femmes s’étaient remariées et leurs biens étaient en partie partagés et passés entre les mains d’étrangers à leurs tribus. Cette situation mit toute la région au bord d’une guerre fratricide sans précédent. Par conséquent, tous les villages rappelèrent leurs hommes mobilisés pour assurer le siège en question.

Pour éviter une issue tragique à cette situation, Les Âarchs (tribus représentant chacune un ensemble de villages), d’un commun accord, abandonnèrent le droit islamique concernant les successions pour rétablir l’exhérédation des femmes, revenant ainsi au « qanoun » kabyle plus adapté à l’équilibre de leur organisation sociale. 

« Pourtant, pas plus que tous leurs prédécesseurs au Maghreb, les Turcs ne se risquèrent jamais à monter jusque dans les villages de la montagne dans lesquels les Kabyles et leurs familles ont continué de vivre en état de vigilance permanente à la défense de leur bastion montagnard, au sein de leur vie villageoise si peu connue que, plus tard, elle devait considérablement exciter une grande curiosité ». (C. Lacoste-Dujardin).

Malgré les relations conflictuelles avec les Turcs, lorsque les troupes françaises débarquèrent à Sidi-Fredj le 14 juin 1830, plus de 20 000 montagnards se mobilisèrent pour prêter main-forte à l’armée du Dey pour contrer celles-ci. L’armée française s’en sortit victorieuse grâce à son armement plus efficace, notamment son artillerie navale. 

Déçus de cet échec, les combattants kabyles se replièrent dans leurs montagnes qu’ils défendirent 27 ans durant. Pour la petite histoire, rappelons que le corps des Zouaves, créé en 1830, n’a rien à voir avec les Zouaoua, à part qu’il portait leur nom. Lorsque l’armée française utilisait ce régiment pour conquérir de nouveaux territoires ainsi qu’en guerre de Crimée, les véritables Zouaves menaient la guerre aux nouveaux envahisseurs, réussissant à repousser quatorze offensives françaises. Ce n’était qu’en 1857, dix années après la reddition de l’émir Abdelkader, que les forces françaises parvinrent à conquérir la Kabylie. » ( Extrait d’un article écrit par M. Amadj : Le Matin du 1 septembre 2019).

La présence turque a duré 3 siècles en Afrique du Nord, dépassant largement celle de la domination arabe et française. Pourtant, peu de choses nous restent de leur passage. Cela pourrait s’expliquer par leur esprit parasitaire et opportuniste. Un cauchemar que la mémoire populaire préfère oublier. Les Ottomans ne s’intéressaient qu’aux intérêts matériels qu’ils pourraient soutirer de leurs régences, et n’avaient nullement vocation à mener une mission civilisatrice.  

La période ottomane est le fantasme qu’Erdogan désire transformer en une réalité au 21e siècle. Une analyse de Dilek Yankaya résume parfaitement le modèle turc, les stratégies et les objectifs de Tayyip Erdogan. Une contribution qu’on pourra trouver dans : « Islam et Politique », sous la direction de Pierre Puchot : Collection Tempus.

Les soulèvements des pays arabes en 2011 sont perçus comme une opportunité et un défi pour la Turquie. Après avoir été l’ami de tous les dictateurs, de Ben Ali à Bachar El Assad, passant par Khadafi et Moubarak, Erdogan a été contraint de revoir sa stratégie pour ne pas perdre tous les contrats juteux obtenus grâce à son rapprochement avec tous ces tyrans.

La perche lui sera tendue, dans un premier temps, par Rached Ghanouchi, président du parti islamiste tunisien Ennahdha, lorsque celui-ci, dans une déclaration publique en 2011, exprime son admiration pour les vertus du modèle turc associant l’islam et la modernité. Or le modèle en question est porté par les milieux économiques en général, et par le patronat islamique en particulier. 

« Ces nouvelles classes moyennes pieuses se sont formées à partir des années 1980 avec l’industrialisation des villes anatoliennes. Vivant une ascension sociale forte et n’étant pas dépourvues d’ambitions politiques, ces nouvelles élites se sont mobilisées en tant que groupe d’intérêt patronal (avec la création de l’organisation Müsiad) tout en développant des visées politiques. Or ce processus d’engagement dans l’espace public a profondément altéré leur rapport au religieux en favorisant l’individualisation de la religiosité, d’une part, et l’articulation de la piété islamique, du néolibéralisme économique et de la globalisation, d’autre part. Cet islam bourgeois constitue alors le pilier du modèle turc que le pouvoir de l’AKP a présenté avec succès pendant son premier mandat. » (Dilek Yankaya).

Après la déclaration susmentionnée de R. Ghanouchi, le gouvernement d’Erdogan révise ses positions, et prend conscience que la transition politique dans les pays arabes est une véritable opportunité de concrétiser son rêve de devenir une puissance régionale. La Turquie se conduit en « Etat commerçant ». Elle construit sa politique étrangère en fonction de considérations économiques. Elle conclut des accords de libre-échange avec les pays où les produits turcs disposent d’une forte compétitivité. Toujours dans cette logique opportuniste, la Turquie s’implique dans le développement des infrastructures administratives, sociales et économiques dans les pays en question. La modernisation de ces infrastructures offre une possibilité d’influence pour l’administration turque et un important marché pour les entreprises turques.

Contrairement à l’Égypte et la Tunisie, les autorités turques ont eu du mal à trancher lors des événements de 2011 concernant la Libye où les entreprises turques étaient présentes depuis les années 1970. La Libye constitue pour la Turquie la première terre d’investissement dans le secteur de la construction. La valeur des contrats signés s’élevait à 15 milliards de dollars et plus de 20 000 Turcs étaient présents sur le sol libyen. Tayyip Ergogan a reçu en 2010 de la part du pouvoir libyen le « Prix international d’Al-Khadafi pour les droits de l’homme ». Proche du dictateur, le président turc s’opposa fermement à des sanctions économiques et à toute opération militaire à l’encontre de son ami. Cela n’a pas empêché les autorités turques, lorsque la coalition internationale mit fin au régime de Khadafi, d’engager une assistance politique, stratégique et économique au conseil de transition nationale libyen.

Après la chute de leurs dictateurs, les nouveaux gouvernements tunisien, égyptien, libyen et yéménite, ont signé des protocoles de coopération avec la Turquie. Le gouvernement turc les considère comme les nouveaux marchés importants pour la mise en place de ses ambitions régionales : la Tunisie et le Yémen, pour le fort potentiel commercial dont ils disposent ; la Libye, pour ses réserves énergétiques ; quant à l’Égypte, son importance stratégique ferait d’elle la porte d’entrée pour les marchandises turques vers l’Afrique. 

« Le pouvoir de Morsi et le pouvoir d’Ennahdha (respectivement 503 et 60 millions de dollars d’aide au développement) ont été les premiers bénéficiaires de l’aide de l’État turc, dont l’allocation s’effectue via l’agence gouvernementale TIKA. Ces aides furent versées en vue de la modernisation des infrastructures économiques, sociales et administratives de ces pays, mais, plus précisément, elles ont ciblé la formation des personnels de police et des forces armées ainsi que l’approvisionnement en matière d’équipement et de véhicules de sécurité. Force est de constater que la Turquie a clairement agi en faveur de ses intérêts nationaux en privilégiant la sauvegarde de l’ordre et la consolidation des nouveaux régimes, condition préalable à son expansion économique et culturelle. » (Dilek Yankaya).

Le modèle ambitieux de Recep Tayyip Erdogan implose en été 2013, l’année de la destitution de Mohamed Morsi, son principal allié. Les manifestations du parc Gezi à Istanbul montrent le fragile équilibre du modèle turc. Celui-ci penche depuis cette date du côté de l’autoritarisme et de l’islamisme. Affaibli par l’opposition massive dans son propre pays, le Président turc cherche depuis à assumer une présence forte sur le plan international. 

C’est ainsi que nous le retrouvons devant nos portes, se présentant comme étant la réincarnation de Kheïreddine Barberousse et le sauveur du Gouvernement d’Union Nationale de Fayez El Serraj reconnu par l’ONU. En contrepartie, ce dernier permettra à la Turquie de faire valoir des droits sur de vastes zones en Méditerranée orientale riches en hydrocarbures convoitées par d’autres pays. La partie adverse est soutenue par les Émirats, l’Arabie Saoudite et l’Égypte.

Comme au temps des Ottomans, à défaut de janissaires, la Turquie fait appel aux milices islamistes en provenance de Syrie pour effectuer la sale besogne en Libye. C’est une occasion pour les autorités turques de les éloigner définitivement de leurs terres. D’après des informations rapportées sur le site RFI Afrique, 500 combattants djihadistes syriens sont déjà sur place. Ils ont été transportés par avion de Turquie à Tripoli. Les autres belligérants en feront certainement autant. Ni les premiers ni les seconds ne servent les intérêts du peuple libyen. Leur présence sur le sol libyen est un inhibiteur qui empêchera la naissance d’une véritable démocratie dans ce pays.

Les questions que se pose tout citoyen algérien sont nombreuses : nos autorités représentées par l’état-major de l’ANP, seront-elles à la hauteur pour faire face à cette crise inédite ? Un pouvoir qui n’est pas à l’écoute des revendications légitimes du peuple, donc, non respectueux des règles démocratiques, pourrait-il aider la population du pays voisin à accéder à la démocratie et obtenir une paix globale dans la région ? 

Quel pouvoir d’influence ont-ils les différents belligérants sur nos oligarques ? Ce qui aura indéniablement une incidence sur la position politique de l’Algérie devant ce conflit. Les intérêts d’un oligarque sont-ils similaires à ceux du peuple ?

Tant que le peuple n’est pas souverain en Algérie, cette situation demeurera extrêmement préoccupante…….

Auteur
Mourad At Yidir  

 




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