19 mai 2024
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Profession : Expert ?

TRIBUNE

Profession : Expert ?

Aucune université au monde ne délivre un diplôme d’«expert » et encore moins un diplôme d’«expert international» ! Et pourtant dans notre pays, cette appellation fleurie dans un certain nombre de contributions sans que l’on sache vraiment quel profil se cache derrière ce titre pompeusement autodistribué.

Expert en tout, expert en rien, expert international par ci et par là… A quoi rime cette profusion de titre inflationniste souvent mise en exergue par des experts autoproclamés qui en fait cache mal un véritable diplôme académique de base et ou une expérience (1) et un itinéraire plus ou moins douteux voire chaotique. Il ne fait aucun doute que le concept d’autodidacte (2) recouvre une réalité autrement plus consistante que beaucoup de cadres acquièrent au fur et à mesure d’un apprentissage de longue haleine dans un métier, sans passer par les moules classiques de la formation (universités, grandes écoles, centres de formation).

A l’évidence, l’expert voire « l’expert international », n’a de compte à rendre à personne sauf à ceux qui tiennent pour argent comptant son auto-proclamation et il n’est pas comptable du résultat de son expertise, puisque régit par aucune institution de contrôle ou d’agrément. Dans notre pays s’est encore plus grave car tout le monde peut s’autoproclamer « expert voire expert international », il suffit simplement de l’afficher pour que ce « titre » soit validé et notamment lorsque la justice fait appelle à ces derniers pour donner un avis sur certains dossiers complexes voire sensibles comme les affaires pénales. Une liste d’experts est affichée, auprès des tribunaux de notre pays et dans laquelle les magistrats puissent, pour désigner la personne qui sera chargée d’expertiser un dossier qui arrive dans ses ressorts.

Un justifiable, une personne morale, une association, peuvent également avoir recours à un expert pour valider le bien-fondé de sa requête, sans aucune responsabilité de l’expert et avec une facturation contenue dans aucun texte législatif ou réglementaire, il suffit d’être sur une liste d’expert (3), dans un domaine particulier.

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A titre d’exemple, une même assiette de terrain donnée à évaluer à dix experts différents, peut aboutir à dix évaluations différentes, passant du simple au triple, sans que cela n’engage la responsabilité de l’expert en quoi que ce soit. Pire encore, l’expert étant rémunéré par le mandant, c’est ce dernier qui fixe le niveau des prix de l’évaluation ! C’est ainsi qu’un crédit bancaire adossé à une garantie foncière (avec ou sans hypothèque), sera évaluée en fonction des desiderata du donneur d’ordre, puisque c’est lui qui paie l’expert. La banque peut toujours exiger une contre-expertise mais il est fréquent de constater que les deux experts peuvent « s’arranger » pour que les évaluations soient très proches, sans que leur responsabilité ne soit mise en cause, en aucune manière.

Une troisième expertise peut être requise, dans le cas d’espèce, sans que le processus d’ «entente » entre experts ne puisse être circonscrit et ainsi de suite. Il est donc temps de mettre un peu d’ordre dans ce marché privé très lucratif, au demeurant, afin de responsabiliser la profession et d’introduire les règles universelles qui la régissent, de par le monde, de manière à éradiquer les abus multiples et variés. Le ministère de la justice est en première ligne, dans ce dossier, afin de réguler ce marché et le rendre fluide et transparent tant dans la qualité du travail d’expertise que dans celui de la rémunération. Car, à bien examiner ce dossier, le juge va trancher le contentieux sur la base des expertises, sans qu’il ne soit tenu de le faire, ce qui va entraîner une « surdétermination » de l’expertise, sur le bien fondé de la requête et partant donner lieu à toutes les dérives.

Le marché de l’expertise, en général, est un formidable gisement d’emplois et de richesse qui s’offre aux porteurs de diplômes avérés, il est donc temps de le réguler et de le structurer afin de contenir les dépassements enregistrés actuellement. Il est également un puissant levier pour la justice, afin qu’elle arrive à trancher, en toute équité, dans les litiges qui parsèment la vie courante des personnes physiques et morales, des institutions, des administrations, ce qui rend le dossier très sensible aux yeux de tout un chacun et qui nous interpelle de manière directe ou indirecte.   

Il est donc urgent que ce dossier soit pris en charge, par un texte réglementaire interministériel (4), permettant une traçabilité de l’expertise, de la transparence de la rémunération et enfin de la qualité d’expert, en introduisant la responsabilité civile, pénale et financière de l’expert lui-même, à l’instar des autres professions réglementées (comptables et experts comptables, commissaires aux comptes, avocats, médecins…). Il est également impératif que la profession s’organise, dans un cadre indépendant, comme par exemple, un « ordre national des experts », à l’instar des autres professions, de manière à permettre une autorégulation interne et une transparence dans la répartition du marché, en fonction des capacités intrinsèques des experts et de leur expérience fondée et ou d’un diplôme probant.

Nous sommes, pour le moment, entrain de lire et de vivre une myriade d’experts et d’experts internationaux » qui envahissent nos tribunaux, nos journaux et nos écrans de télévision et nos radios, sans que quiconque ne daigne tracer les lignes académiques et déontologiques de ce titre, jusques et y compris dans le secteur culturel, cultuel et de la santé (5) qui, quelquefois, relève plus du folklore et de l’hilarité, si ce n’était le sérieux du domaine abordé et ses conséquences sur ceux qui s’adressent innocemment à cette faune envahissante.

Bien entendu, on peut toujours dire qu’il s’agit d’un acte volontaire et que personne n’est obligé de faire appel à ces hurluberlus et à croire en leurs prescriptions. Mais s’agissant d’un marché lucratif, il est nécessaire pour les pouvoirs publics de le réguler et de le contrôler afin d’éliminer les saprophytes. 

MG                 

Renvois

(1) Le background est une expression anglo-saxonne qui recouvre une expérience réelle dans un métier spécialisé durant de longues années. Elle est très prisée dans ces pays avant même quelquefois le diplôme qui est plus valorisé dans les pays latins. 

(2) L’autodidacte est une personne qui, sans passer par les diplômes académiques, se forme « sur le tas » au fur et à mesure du déroulement de sa carrière, en suivant des stages et autres formations de courte durée qui, sur le long terme, lui permet d’acquérir une expérience certaine. 

(3) Pour être retenu dans une liste d’expert dans les tribunaux il faut et il suffit de décliner un diplôme ou un certificat dans tous les domaines et « prêter serment » de mener à bien une expertise dans les règles établies et celles de la déontologie, ce qui n’engage absolument aucune responsabilité morale, pénale et pécuniaire pour l’expert. 

(4) Un arrêté interministériel (justice, finance, habitat, santé, communication…) fixant les modalités d’accès à la profession et les droits et obligations des dits experts devrait suffire à encadrer la profession, en attendant de créer une association ou un ordre représentatif.   

(5) Un certain nombre d’individus se permettent de prodiguer des « expertises » sur certaines chaines en matière d’esthétique, de droit musulman et de médecine, sans aucune habilitation et responsabilité sur les conséquences de leur conseil-expertise sur ceux qui, naïvement, ont cru à leurs chants de sirènes. 

 

Auteur
Dr Mourad Goumiri, Professeur associé.

 




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