AccueilIdéeRécit-feuilleton. Exils (40)

Récit-feuilleton. Exils (40)

Une image singulière s’est ancrée en lui. Imaginons une chambre dans un foyer où dorment quatre personnes (ça existe) avec des lits superposés et une cellule de même dimension où des jeunes taulards entassent leurs rêves déchiquetés par la réalité. Y a-t-il une différence ?

Les premiers, les sonaques, se promènent dans des chantiers où ils passent le plus clair de leur temps, les seconds dans une cour de promenade ou dans leurs cellules inconfortablement aménagées. Les sonaques passent leur week-end dans leurs foyers emmurés dans de miniscules cafés où certains sirotent leurs cafés et, parfois, leurs bières ; ces cafés sont mitoyens de pièces tenant lieu de salle de prières. Univers mental incarcéré contre univers carcéral mentalisé. Les deux ont en commun leurs frustrations de nature affective et sexuelle.

Dans les deux cas, il faut avoir la maîtrise de son esprit pour ne pas sombrer dans la dépression et la folie, les uns sont victimes du sadisme du pouvoir des pays d’origine ayant été d’une manière ou d’une autre poussés dans les bras rugueux de l’exil et les autres de celui des pays d’accueil dès lors que souvent nés ici, y résidant, y étudiant et y travaillant, y cotisant et parfois y votant, ils sont néanmoins considérés comme de la racaille

Récit-feuilleton. Exils (39)

On meurt à petit feu lorsqu’on se tait face aux  tyranneaux et autres apprenti-dicatateurs qui veulent priver les citoyens du droit à la dignité en poussant nombre de jeunes dans la harga avec le risque majeur d’être à jamais englouti par l’océan. Qui organisent la terreur pour les réduire au silence intégral. Les maintenir sous leurs mains salies par le sang d’innocents sacrifiés par des décisions autant imbéciles que criminelles. Leurs structures, organismes et institutions sont livrés à des mains assassines. Mettre à nu leurs lâches besognes de bourreaux. Leur tendance naturelle à la malveillance.

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Dénoncer leurs flagorneurs et autre béni-oui-oui. Traiter par l’ironie ces bacs moins… Eux qui brisent leur vie intime. Et font de l’Etat une machine à briser les forces saines. Erigent le secret comme un moyen de protection. Omar sent sourdre en lui une juste et saine colère. De la répulsion à l’endroit de leurs  geôliers. Il ressent l’incarcération, même à l’air libre. L’animalité ressort de leurs faces hideuses. Il se mit à penser tout haut : Laquais du gouvernement, craignez la colère de vos peuples ! Marchands d’illusions aux consciences séniles et au népotisme tribal, craignez votre prochaine descente aux enfers. Vos discours ? De vains  somnifères…       

Il se rappellera toujours la réflexion de l’un de ses stagiaires incarcéré à Paris. Communément un taulard. Imaginons une cellule qui ressemble à un poulailler avec leurs petites fenêtres. Dès le seuil, une odeur des plus nauséabondes vous serrent les narines comme une tenaille. Parmi les occupants de ces cellules, il y en qui arrivent à être drôles. Certains paraissent enjoués, voir même décontractés. Ressemblance parfaite entre une cellule et une chambre de foyer. Des lits superposés. Exiguïté des pièces.

L’un d’eux lui confia : J’étouffe. L’agonie pointe à l’horizon. Perspectives bouchées par mes soupirs. Journées interminables. Ennui terrible. Les instants qui me restent à vivre sont devenus des barreaux. Le calvaire fait irruption en moi et bâtit sa toile d’araignée. Patiemment mais sûrement. C’est tout juste si mes râles ne trouent pas mon gosier. Les battements de mon cœur résonnent dans ma chambre. Une cellule en vérité. De plus en plus. Un ciel obscurci par des nuages menaçants. Encore quinze jours à tirer. Le temps prend un malin plaisir à me torturer. A se faufiler. Les barreaux de ma cellule me transpercent les yeux. La clé tourne dans la serrure de ma cellule, c’est l’instant qui reste à jamais gravé dans ma mémoire. Comment l’en extirper ? Je rêve d’un procès à l’échelle sociale pour inverser les rôles.

Et son frère, sonaque, de surenchérir :  Je suis dans une association pour dispenser des cours d’arabe à des Maghrébins ; tu ne peux pas savoir le mal irrémédiable commis à l’encontre de ces quinquagénaires dont les Pénélope languissent outre-mer. Ce sont des « sonaques » (résidents des foyers Sonacotra) qui ont passé de nombreuses années ici et qui sont pratiquement restés au même niveau. Il y a de quoi étrangler tous les gouvernements du monde. Qui va parler pour eux ? Quasi-analphabètes, sans instruction précise et souvent peu de qualification professionnelle.

Il devient indécent de parler de soi lorsqu’on sait que des milliers parmi ces frères sont parqués dans des foyers. Des ghettos ? Assurément. Au même titre que les cellules des maisons d’arrêt. Quel doux euphémisme « maisons d’arrêt » ! Les exilés vivent-ils mieux qu’eux ? Vivent-ils mieux que leurs compatriotes d’outre-mer ? Question vaine sans doute…

Dès les premières semaines de son arrivée en France, il fut mis en rapport avec une association dispensant des cours d’arabe dans les foyers pour travailleurs migrants. Il découvrit alors la vie de ces centaines -des milliers- de célibataires Maghrébins et Maliens pour l’essentiel. La première fois, il fut reçu par le Directeur du foyer qui le présenta aux résidents. Une salle était réservée aux cours. Une solidarité sans faille entre eux ; l’exil les y forçait en quelque sorte.

Réunis autour d’une même grande table pour prendre les repas que chacun aura méticuleusement préparé pour lui même. Ce furent les premières scènes de la vie de l’immigration réelle. Le vécu à l’état de nature. Il suffisait de ramener une caméra et de filmer. Foin d’analyses d’experts ou prétendus tels. Au loin le misérabilisme. Ils vivaient leur fraternité sans théorisation.

Omar eut à observer les mêmes scènes dans d’autres foyers, pour la même occasion. Il fit alors provision d’humilité pour apprendre patiemment d’eux ce qu’aucune université du monde ne dispensait comme cours, la simplicité. Il retrouvait cette attitude dans la vie de tous les jours avec ses voisins d’immeuble où il résidait de très nombreuses années. Il l’apprit également en banlieue, avec la « racaille » de la Courneuve.

Dans la rue, dans les cafés, au marché, dans les grandes surfaces… Il fut littéralement happé par cette modestie non feinte, teintée cependant par moments d’esprit de résignation importée du pays et moulée dans un coin de la conscience. Ces qualités aident à mieux vivre tous les tracas quotidiens. Plus tard, il rencontra d’autres voisins à Cergy, une ville nouvelle.

On y pratiqua jusqu’à une certaine mesure la « mixité social » et le « vivre ensemble ». On pouvait y voir autant de visages basanés et moustachus que de noirs d’Afrique et de blancs d’Europe. Il est vrai néanmoins que les premiers avaient plus de difficultés… (A suivre)

Ammar Koroghli-Ayadi, auteur-avocat 
Email : akoroghli@yahoo.fr

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