5 mai 2024
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Algérie : un peuple sans voix, un pouvoir sans voie ?

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Algérie : un peuple sans voix, un pouvoir sans voie ?

« La voix du peuple est la voix de Dieu, il est impossible d’imaginer rien de plus sensé que ce qu’a imaginé le peuple ». Nicolaï Gogol  

« L’indépendance, est comme un pont, au départ personne n’en veut, à l’arrivée tout le monde l’emprunte ». La petite bourgeoisie prend le pouvoir à un moment où l’Etat naissant est fragile. Elle voit toutes ses possibilités d’ascension ouverte. Elle n’a pas meilleure opportunité que de s’investir dans l’appareil de l’Etat postcolonial.

Son ascension a été facilitée par la faiblesse de la grande bourgeoisie considérée comme un vestige du régime colonial. Elle ne fait pas partie de la couche sociale dominante aussi pèsera-t-elle d’un poids minimum sur la vie politique. La participation aux instances supérieures du pouvoir suppose comme condition préalable la participation à la guerre de libération nationale.

C’est la « sacralisation des armes » Les pratiques de cooptation qui prévalaient durant la guerre de libération nationale ont survécu après l’indépendance. Ces pratiques fonctionnent toujours à tous les niveaux de la  pyramide politique et économique du pouvoir. Ce comportement s’explique par la volonté des responsables militaires de trouver chez les élites intellectuelles, la compétence technique ou économique qui leur manque pour la gestion des administrations et des entreprises publiques.

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Cependant, cette collaboration est astreinte à une seule condition : la soumission des intellectuels à la suprématie politique des dirigeants militaires issus de la guerre de libération nationale. Les intellectuels vont dépendre du pouvoir pour survivre. Au lieu de constituer l’âme de la société, ils vont dépendre des ponctions sur la rente. Leur réussite se mesure par leur capacité à bénéficier de privilèges grâce à leurs positions hiérarchiques. Ces positions leur permettant de renoncer à leur fonction critique. C’est l’allégeance et la vassalité.

’intelligence s’était mise au service de la ruse. Autant la ruse paysanne était salutaire en temps de guerre, autant elle devient mortelle en temps de paix. En temps de guerre, il s’agit de combattre l’ennemi et de le vaincre ; en temps de paix, il s’agit de construire son pays et de faire le bonheur de son peuple. Avec la politique du ventre, «on ne réfléchit plus, on mange».  Comme dit un proverbe africain, «la chèvre broute là où elle est attachée».

On ne parle pas avec la bouche pleine. Le verbe « manger » se conjugue en politique à tous les temps à la première personne du singulier. D’où cette injonction populaire majeure et permanente : « Pourquoi ne fais-tu de la politique pour manger comme tout le monde ?». C’est quoi cette politique du ventre ? C’est une politique dans laquelle le soin à apporter au tube digestif et à l’accumulation des fortunes est primordial. Elle éloigne ses pratiquants de toute conviction, il n’y a que le ventre qui compte. «On marche sur son ventre ».

La plupart des Algériens n’aiment pas aller au paradis le ventre creux, ils préfèrent partir à l’enfer le ventre plein pour se nourrir du contenu de leurs entrailles.

Le ventre est l’épicentre de tous les courants politiques islamistes ou laïcs qu’ils agissent au nom de la religion, de l’Etat ou des droits de l’homme. Ils sont tous animés par la volonté de faire fortune ou de se remplir le ventre sans investir et sans produire.

Cette politique ne s’accommode pas de la présence d’économistes, ceux sont des troubles fêtes, il faut s’en débarrasser ; on leur préfère de loin les « gargantuas ». L’appétit venant en mangeant et la réussite matérielle en rampant. C’est une politique dans laquelle on accepte toutes les compromissions, pourvu que le ventre soit plein. «Qui rentre fait ventre ». Qu’importe si plus tard on fera l’objet de chantage.

Le chantage est une arme redoutable en politique. Personne ne peut y échapper. Le feu n’épargne que les ventres vides. Faut-il faire la grève du ventre pour s’en prémunir ? Qui en a le désir ? Ou plutôt qui a intérêt ? Evidemment : « C’est le ventre qui porte les pieds et non le contraire ». C’est la poche saharienne qui finance la politique du ventre. « Quand le ventre est plein, il demande à la tête de chanter ». Nos ressources vitales viennent du sous-sol saharien.

Nous sommes esclaves du marché mondial tant pour les exportations que pour les importations. Sur le littoral et les hauts plateaux, nous ne produisons rien ou presque rien ; par contre nous consommons tout ce que les autres peuples éveillés laborieux produisent avec leurs mains et leur intelligence. Toute notre nourriture provient de l’étranger prête à être consommée sans fournir aucun effort. Il suffit d’ouvrir la bouche. Toutes nos maladies rentrent par la bouche. Aucune institution économique, politique, sociale ou religieuse n’est épargnée. De la pratique de cette politique, voulue ou subie, on ne peut sortir que rouillés pour ne pas dire souillés. « Celui qui désire du miel doit supporter la piqure des abeilles ».

L’Etat s’est institué propriétaire des gisements pétroliers et gaziers. La richesse matérielle d’un pays est une vertu politique qui permet d’entretenir un réseau clientéliste tant à l’intérieur du pays par le versement de revenus sans contrepartie productive que dans ses relations avec les partenaires étrangers avec la passation des marchés publics à bénéfice privé. Chaque position hiérarchique implique généralement le contrôle de certaines ressources ; le titulaire d’une fonction publique gère les ressources d’une façon personnalisée.

Plus les relations personnelles sont fortes et variées et  nombreux sont les privilèges et les passes droits. L’amélioration de la situation sociale au lieu de se faire par une meilleure production se fait par la consolidation de ces communautés d’intérêts. Lorsque de telles relations envahissent l’ensemble des espaces, le pouvoir distributif devient le régulateur exclusif de la société. L’adage populaire qui dit « remplis lui son ventre, il oublie sa mère » trouve là toute sa pertinence. Une politique financée intégralement par la « poche » saharienne. Cette politique a consisté à vider la tête des hommes et à remplir leur ventre. Dès l’école primaire, on apprend aux élèves plus à obéir qu’à réfléchir. Et plus tard, à l’âge de la raison, ils se rendent compte que dans la vie professionnelle, l’obéissance à la hiérarchie est un critère déterminant dans la promotion sociale. Dans ce contexte, les capacités intellectuelles et professionnelles acquises à l’école, importent peu pour accéder et gravir les échelons de la hiérarchie administrative. Seul l’accès à un réseau le permet et l’obéissance aveugle dont il faudra faire preuve auprès de celui qui le contrôle. 

Le système tire donc sa véritable dynamique de la promotion d’un personnel politico-administratif médiocre, car il n’a aucune possibilité d’exercer son esprit critique, malgré, pour certains, le haut niveau intellectuel acquis à l’université.

Cette promotion de la médiocrité visant l’accaparement des ressources nationales par la faction au pouvoir et leur redistribution obscure à travers les réseaux qui soutiennent le système crée ainsi par sa propre dynamique interne les conditions de son inefficacité notamment dans le domaine du développement économique où le système se contente de poser quelques réalisations prestigieuses n’ayant aucune emprise sur la dynamique sociale et économique mais donnent lieu simplement à une apparence du développement. L’organisation sociale ne connaissant pas les lois de l’économique (profit, compétence, concurrence..) fait que toute production interne propre est dévalorisée et ne donne aucun label de notoriété à son auteur. La société n’exerce aucune pression sociale sur la production mais tente d’agir sur la redistribution par le recours aux grèves sauvages et aux émeutes sporadiques et récurrentes. C’est pourquoi la compétence s’exile, se marginalise, ou s’enterre, alors que la médiocrité s’affirme, s’impose et se multiplie.

Dans les échanges, la cupidité domine le commerce, les importations freinent la production, les devises fuient le pays par la grande porte, La monnaie nationale dégringole, le billet de banque sert de papier hygiénique, le chèque ne trouve pas preneur, « la mauvaise monnaie chasse la bonne ». La pièce de un dinar a disparu. Comment faire l’appoint ? L’argent facile fascine. La passion l’emporte sur la raison. L’investissement n’a plus sa raison d’être, les entreprises cessent de produire, les algériens n’ont plus le cœur à l’ouvrage, le travail les répugne, la conscience professionnelle a disparu. L’algérien ne dit pas « je vais travailler » mais « je vais au travail » (cela veut dire je vais pointer et attendre la fin du mois mon virement ayant fait preuve d’assiduité et d’obéissance).

D’ailleurs, si un compatriote s’amuse à travailler pour de vrai, il sera immédiatement licencié et privé de son revenu car il dérange le système Chaque poste administratif et politique est transformé en un patrimoine privé, source d’enrichissement personnel pour celui qui l’occupe et de promotion sociale pour son entourage familial et immédiat. De plus, l’impôt sanctionne le travail productif et amnistie le profit spéculatif. La fiscalité ordinaire se rétrécit comme une peau de chagrin, la fiscalité pétrolière et gazière couvre à elle seule toutes les dépenses de fonctionnement et d’équipement de l’Etat.

L’investissement en Algérie n’intéresse plus personne, ni les nationaux ni les étrangers. D’ailleurs à quoi bon investir ou produire si les « pieds qui jouent» rapportent plus que « la tête qui investit » et les « mains qui produisent ». Puisqu’il s’agit d’amuser la galerie en payant grassement les joueurs « importés » et le reste qui va avec. Cela fait partie de la politique du ventre.

Les études académiques mènent vers l’impasse. Le travail productif n’a plus d’intérêt, seule la débrouillardise compte. La fortune en dinars et surtout en devises est devenue l’indicateur principal de la réussite sociale. Cette Algérie du ventre est devenue au fil des années un pays corrompu, inégalitaire faite misère, de désarroi et de désespoir où règnent à ciel ouvert la corruption, l’arbitraire et la médiocrité.

Un pays pauvre où la population s’enfonce dans la souffrance physique et mentale tandis que l’élite politique se gave de produits de luxe importés. Ceci ne doit pas nous faire oublier pour autant les autres, tous les autres, ceux qui sont restés à l’écoute de la société, ceux qui ont refusé la compromission, ceux qui ont refusé de s’agenouiller, ceux qui sont morts, exilés ou marginalisés au nom de la lumière, au nom de la liberté, au nom de la justice.

Auteur
Dr A. Boumezrag

 




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