5 mai 2024
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Blog « Yaani »[!يَعْنِي] : entretien avec la sociologue Nitzan Perelman 

Blog Yaani

Les « vérités alternatives » au service du génocide en cours à Gaza, ce spectacle de l’atroce qui se filme par les génocidés eux-mêmes, avant que les bombes qui « ne visent que les terroristes du Hamas » et « ne font que des victimes collatérales » par milliers ne les emportent vers des cieux embrumés de phosphore blanc. Ainsi va le monde depuis le 8 octobre 2023, avec la hideuse lâcheté des politiques suprémacistes du « monde libre » et leurs chiens de garde, les scélérats subalternes sultans arabes et autres autocrates féodaux du monde.

Les tautologues véreux des médias mensonges ont imposé la langue du tabou. Honni soit celui qui brave l’interdit !

Désormais, nous menons une existence ultra-orwellienne où les vocables de colonisation, d’apartheid, de crime de guerre, de crime contre l’humanité et de génocide doivent déserter notre langage ordinaire. Ne rien dire. Ne pas voir l’évidence. Dessaisir le langage de sa capacité à nommer le réel. Voici le nouveau projet « citoyen » des actuels « bons » gouvernements du « monde libre ».

En France, en Europe et aux Etats-Unis, un climat de chasse aux sorcières (qui rappelle celui de la guerre de Libération algérienne, ladite « guerre d’Algérie ») continue de s’abattre sur les rédactions, les universités, voire même sur certaines maisons d’éditions (le 3 novembre 2023, Fayard a arrêté la commercialisation de l’ouvrage de l’historien israélien Ilan Pappé, Le nettoyage ethnique de la Palestine).

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Dans l’espace arabe, la même laideur politique est de mise. Outre leur habituelle langue de bois dévitalisée à propos de la Palestine, toute tentative de mobilisation citoyenne et de manifestation contre le génocide que subissent aujourd’hui une partie des Palestiniens est systématiquement réprimée. Pourquoi ? Parce que, selon ce qu’ils ne disent pas, une telle initiative anticoloniale « risquerait de raviver la flamme des luttes démocratiques » contre leur autoritarisme aveuglement exercé et sans aucune limite au nom de la mythique « des vertus de la nation arabe, une et indivisible ». En attendant, un « pont terrestre » contournant les attaques des Houthis et le blocus de la mer Rouge continue acheminer des marchandises des Emirats arabes unis vers Israël, en passant par l’Arabie saoudite, la Jordanie et l’Egypte (Al-Quds al-Arabi, 28/12/2023 ; Middle East Eye, 07/02/2024). Prévisible défaite déjà entérinée du dit Sud global !

Tucker Carlson accuse les États-Unis de « perdre leur autorité en n’appelant pas au cessez-le-feu » à Gaza

En guise de réaction à cette offensive réactionnaire voulant faire de tout critique universitaire un « apologète du terrorisme », certains jeunes précaires de la recherche et des chercheurs indépendants ont réuni leurs compétences scientifiques et leurs forces politiques dans un projet exigeant et ambitieux : le blog « Yaani ». Ils sont Français, Israéliens, les deux à la fois, originaires du Maghreb  et d’autres horizons. Leur point commun ? Le refus de la colonisation, de ses crimes et de ses justifications académiques (et politiques) par omission, partialité et compromission.  Ils entendent restituer les faits fidèlement aux données d’un réel colonial qui dure depuis au moins 1917.

Citoyenne franco-israélienne et membre du comité de réaction de « Yanni », Nitzan Perelman est doctorante en sociologie politique à l’université Paris Cité et ingénieure d’Etudes en sociologie au CNRS. Elle se réclame d’une gauche radicale qui lutte pour « un Etat de tous ses citoyens » en Palestine-Israël.

Elle répond aujourd’hui aux questions du Matin d’Algérie et fait entendre une voix minoritaire qui, à l’instar de celles du député communiste Ofer Cassif, du journaliste Yuval Abraham et de beaucoup d’autres, est réduite au silence par le suprématisme et l’annexionnisme de M. Netanyahou et de sa coalition d’ultra-orthodoxes messianiques et fascistes.

Le Matin d’Algérie : Nous assistons depuis le 7 octobre 2023 à une censure sans précédent des voix qui entendent produire un discours scientifique et critique sur la situation coloniale en Palestine-Israël. Est-ce la censure exercée par ce nouveau maccarthysme qui est à l’origine du projet universitaire et citoyen Yaani ?

Nitzan Perelman : En raison du fait que je navigue entre plusieurs langues, l’hébreu, le français et l’anglais, j’ai eu l’idée, que j’ai proposée par la suite à des amis et aux actuels membres du comité de rédaction de Yaani, de créer un blog qui serait un espace alternatif où des textes traduits de l’hébreu et de l’arabe vers le français pourront circuler et y trouver la visibilité qu’ils méritent. Notre projet répond d’abord à un manque d’informations qui, écrit à la confluence des styles journalistique et universitaire, seraient à même d’éclairer le lecteur sur la réalité coloniale en Israël-Palestine. Avec toute la pédagogie qu’une telle tâche nécessite, nous essayons de donner une profondeur historique aux actuels enjeux politiques et citoyens qui nous préoccupent et constituent les terrains de nos recherches. Nous voulons offrir à nos lecteurs des clefs de compréhension et des leviers d’action. Lire, comprendre, dialoguer, critiquer, agir. C’est ce que nous entendons faire. Si l’on se réfère aux articles d’Insaf Rezagui [doctorante en droit international public à l’Université Paris Cité et membre du comité de rédaction de YaaniN.D.L.R] sur la Palestine et le droit international, le lecteur trouvera facilement des arguments solides pour réfuter ceux qui répètent à longueur de journée dans les journaux et les radios que « Gaza n’est pas un territoire occupé ».

Le Matin d’Algérie : Si le sens de l’expression [!يَعْنِي] est bien connu de nos lecteurs arabophones, quel sens recouvre-t-elle dans le contexte colonial israélien ?

Nitzan Perelman : En hébreu comme dans l’argot israélien, ce vocable recouvre le même sens que celui de la langue arabe. Vous savez, nous utilisons beaucoup de termes palestiniens dans nos échanges quotidiens !

Le Matin d’Algérie : Les tautologues des médias mensonges et les pseudo-intellectuels des basses œuvres s’obstinent à ne voir dans la guerre que mène Israël actuellement contre les Palestiniens que l’expression d’une millénaire guerre de religions entre « les fils de la lumière » et « les fils des ténèbres », la « civilisation » et la « barbarie ». Qu’en pensez-vous ?

Nitzan Perelman : C’est important de rappeler que ce conflit est avant tout colonial. Certes, des éléments religieux, sur lesquels je travaille depuis des années, s’y greffent, mais dire que c’est une guerre entre un « islam planétaire conquérant » et une « civilisation judéo-chrétienne qui se défend » est une absurdité totale. Dans ce conflit et ses guerres innombrables, la colonisation et le suprémacisme national sont premiers.

Le Matin d’Algérie : Le recours à la langue du droit international est central dans votre démarche. Pourquoi ?

Nitzan Perelman : Le droit international est un enjeu majeur dans notre projet, ainsi que dans toute lutte politique émancipatrice. Il s’agit pour nous de montrer, dans les méandres du contexte israélo-palestinien, ce que peut faire le droit international, ce qu’il ne peut pas faire et, surtout, rappeler que jusqu’à présent, il n’est pas appliqué. L’application de ce droit changera beaucoup de choses sur le terrain, et c’est à cela que nous aspirons.

Le Matin d’Algérie : Les voix israéliennes et juives anticoloniales sont de plus en plus délégitimées, stigmatisées et affublées du stigmate de la « haine de soi » et de la « trahison nationale ». Comment vous expliquez un tel rejet ?

Nitzan Perelman : J’ai beaucoup travaillé sur ce sujet depuis la constitution du deuxième gouvernement de M. Netanyahou en 2009. C’est une répression systématiquement pratiquée par ce gouvernement et ses successeurs. Elle se traduit par une propagande nauséabonde, par des lois et par la création d’organisations d’extrême droite dont le principal objectif est de s’attaquer à l’ensemble des formations politiques de la gauche radicale. Le but étant d’assimiler toute critique du colonialisme à une « menace intérieure », voire une « trahison nationale ».

Lien vers Yaani : https://www.yaani.fr/

Propos recueillis par Faris Lounis, journaliste indépendant

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