9 mai 2024
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Erdogan sur les traces de ses ancêtres ottomans   

DECRYPTAGE

Erdogan sur les traces de ses ancêtres ottomans   

La visite surprise du président turc Recep Tayyip Erdogan à Tunis la semaine dernière n’a pas fini de susciter les réactions à tous les niveaux de la hiérarchie tunisienne au point où le Président de la République, Kaïs Saïed, a décidé la prolongation de l’état d’urgence d’un mois, et ce, sur l’ensemble du territoire tunisien.

Les frontières tunisiennes connaissent un important déploiement militaire, notamment au niveau des points de passage, avec la Libye, en prévision de l’afflux des réfugiés et d’autres imprévus liés à l’escalade redoutée chez leur voisin du sud. Une source sécuritaire du gouvernorat de Tatouine, citée par la radio nationale, a déclaré que les différentes forces armées affectées tout au long de la zone frontalière entre la Tunisie et la Libye, sont en état d’alerte élevé, à l’occasion des fêtes du nouvel an, et en prévision de toute possible infiltration, suite aux évènements survenus en Libye. Dans une déclaration à IFM, le porte-parole du ministre de l’Intérieur, Khaled Hayouni, devait justement confirmer que les unités sécuritaires ont intensifié leur présence sur les frontières avec la Libye, et les autres régions frontalières.  

Pour les Tunisiens cette visite était une vraie surprise

C’est seulement lit- on dans une dépêche  quand son avion a atterri à Tunis-Carthage que le peuple tunisien était informé de la visite du président Turc. Alors, ils étaient en droit de se demander pourquoi? Est-ce pour des raisons de sécurité, ou par peur de le voir hué par la foule à l’aéroport ou pour d’autres raisons relevant du secret d’Etat? Quoi qu’il en soit, et quelles que soient les raisons de ce débarquement impromptu et quelque peu cavalier, Kaïs Saïed accueillait le président turc, à sa descente d’avion. De la composition de sa délégation, les observateurs ont tout compris. Ce qui est sûr, cela n’a rien de fraternel et encore moins économique justement « dont l’échange scandaleusement inégal avec la Turquie est en partie responsable de l’effondrement de sa balance commerciale. »

En effet, Erdogan a débarqué avec ses ministres de la Défense et des Affaires étrangères, ainsi qu’avec le patron des services secrets turcs. Il a choisi un président tout neuf, néophyte en politique pour le convaincre de rejoindre l’axe Turquie- Qatar-Gouvernement El Sarraj sinon tenter de servir de facilitateur pour convaincre à son tour son voisin Algérien pour faire autant.

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Ce que résument les analystes tunisiens de la manière ci-après : « Erdogan est venu convaincre la Tunisie d’être du côté de Sarraj, l’homme-lige des milices armées de Tripoli, mais contre Haftar, l’homme qui mène la bataille pour libérer son pays du terrorisme islamiste. » Ce que craignent ces même analystes c’est le choix du président Erdogan pour la Tunisie et pourquoi ce casserait –il la tête de le faire ? Dans un pays dit-on, gouverné depuis neuf ans par Ennahdha. Et qui vient d’élire un président inexpérimenté en matière politique et diplomatique.

La Turquie n’a aucune difficulté à obtenir ce qu’elle veut. Bien que le maréchal Haftar et l’armée libyenne soient dans une position offensive; bien qu’ils soient soutenus par la Russie, la France, l’Italie, l’Egypte et bien d’autres pays, la Tunisie a choisi le camp des perdants. Un choix fait contre ses intérêts stratégiques supérieurs; et ce, en connaissance de cause. Car, ceux qui tiennent les rênes du pouvoir depuis neuf ans ont largement prouvé que l’intérêt de la confrérie passe avant l’intérêt du pays. Ce n’est pas du tout le cas de l’Algérie, même en période de crise, la cohésion populaire reste intacte lorsqu’il s’agit de nos frontières.

Il faut dire aussi que dés ces premières semaines au palais de Carthage, sous une recommandation supposée de Rached Ghannouchi, le président Kais Saied s’est affiché et, partant faire de même pour le pays qu’il représente   en accueillant l’Islamiste Khaled Mecheri, ainsi que les représentants d’une seule tribu libyenne qui ne porte dans son cœur le Marechal Haftar, c’est plus que suffisant pour que les observateurs et les Etats proches ou lointains sachent quel parti la Tunisie a pris dans l’interminable conflit libyen. 2- Quelques éléments historiques de présence turque en Libye 

Tout a commence avec la facilité avec laquelle le sultan ottoman Soliman II le Magnifique s’est emparé du pouvoir de Tripoli qui était confié en 1510 au général espagnol Pedro Navarro pour le compte de Charles Quint, considéré à son époque comme le souverain européen le plus puissant. Un peu plus d’un demi-siècle après, toute la Libye est ottomane et devient la Régence de Tripoli. Le gouvernement de la Régence fut confié à un pacha, nommé pour trois ans par le sultan et assisté par un divan, une forme  de conseil des Ministres. Mais, le véritable pouvoir est aux mains des janissaires qui sont les fantassins ottomans et aux chefs de clans locaux qui n’hésitent pas à assassiner le pacha s’ils pensent que leurs intérêts sont menacés. Il n’y avait pas encore du pétrole mais la principale source de richesse du pays est sa mainmise sur le commerce et par une activité de piraterie.

Le 11 juillet 1711 un noble, Ahmad, de la puissante et riche famille Karamanli, assassine le pacha et s’autoproclame beylerbey de la Régence ce qui signifie émir des émirs. Soutenu par les janissaires et les clans, le sultan Ahmet III le reconnait. Rapidement, le pays se détache de l’Empire et ne reste d’une province que de nom, le beylerbey devint le véritable maître du pays. En 1790, la régence est traversée par une crise de succession, le poste de beylerbey étant héréditaire. Secoué par des guerres civiles, il s’appauvrit et, quand, en 1832, le beylerbey Yousouf abdique, le pays redevient une véritable province de l’Empire Ottoman et  comme si l’histoire se répétait, à la demande de la population qui avait peur de voir leur pays conquis par la France comme l’Algérie. À partir de 1835 la Libye fut dirigée par les vizirs ottomans eux-mêmes, par l’intermédiaire d’un wali, lui-même assisté par un conseil Militaire et par des trésoriers. Mais Istanbul perd vite son pouvoir qui réside en réalité dans les mains de Mohammed ibn Ali al-Sanusi, chef suprême de la Confrérie musulmane Senoussi. En 1895, la confrérie toute puissante réforme l’administration. Le pouvoir fut confié à un conseil de Notable élu qui désigne ensuite le wali, représentant du sultan qui dispose d’un pouvoir honorifique. Le 18 octobre 1912, le gouvernement italien signe avec le gouvernement turc un traité, le traité de Lausanne, qui effectue une sorte de partage sur tout le territoire. Le pays est divisé en wilayates, occupés militairement par l’Italie. Les wilayates sont dirigés par un « naib » et par un « kadi », nommés par le sultan, qu’ils représentent religieusement, avec l’accord du roi d’Italie. Les dépenses du naib et du kadi sont contrôlées par Istanbul, leur politique est contrôlée par Rome. En 1919, alors que l’Empire Ottoman s’effondre, l’Italie sépare la Libye en trois morceaux : un pays directement administré par Rome (le Fezzan, au Sud) et deux protectorats, la République Tripolitaine au nord, dirigée par un gouverneur, nommé par le roi d’Italie qui dispose du pouvoir exécutif avec des ministres et un Conseil de la Chora qui dispose du législatif et l’émirat de Cyrénaïque à l’est, dont l’émir fut Idriss, chef de la confrérie religieuse de la Snoussia. 

La nostalgie historique monte à la tête d’Erdogan

Au lendemain de la visite du mercredi 25 décembre 2019, le président turc Recep Tayyip Erdogan annonçait à son conseil  le vote début janvier d’une loi autorisant l’envoi de troupes en Libye. Ce qui ouvrirait la voie à la livraison d’armes et à un déploiement militaire sur le territoire libyen. Il a soutenu face aux chefs des groupes parlementaires turcs qu’il s’agissait d’une intervention « à l’invitation du gouvernement libyen légitime ». Il insinuait en préparation du terrain pour son intervention devant la chambre turque  de faire basculer le conflit larvé en faveur de Fayez El-Sarraj. Lequel est à la tête du gouvernement d’union nationale (GNA) , reconnu par l’ONU. Mais, il est toujours en confrontation avec l’Armée nationale libyenne (ANL) du maréchal Khalifa Haftar qui reste l’homme fort de l’est libyen soutenu par l’Arabie saoudite, l’Egypte et les Emirats Arabes Unis. Or, la Turquie vise précisément à contrer l’influence de ces acteurs stratégiquement alliés. Et ce, dans une guerre idéologique et politique contre les Frères musulmans, proches d’Ankara d’un côté et trouvent un écho favorable auprès d’Ennahdha tunisien A cet égard, Ankara a déjà conclu deux accords avec le GNA.

Le premier sur la sécurité et la coopération militaire, d’une part; le second sur les frontières maritimes en Méditerranée orientale, d’autre part. Ce dernier aspect n’est pas fortuit, et ce, au regard des enjeux d’ordre économique et stratégique de l’alliance entre la Turquie et le GNA. A savoir que la découverte des gisements d’hydrocarbures en Méditerranée orientale ne cesse de faire monter la tension entre les pays riverains de la région Cependant, l’interventionnisme turc tranche avec la traditionnelle politique de neutralité de la Tunisie sur ce dossier particulièrement sensible. Une stratégie prudentielle qui se justifie d’autant plus que les velléités politiques et militaires turques ne sont gages ni de stabilisation politique du pays, ni de sécurisation de la région.

Même Fayez El Serraj est rentrée dans cette marmelade avec la Turquie dans un esprit séparatiste, qui vise à créer une zone économique exclusive de la rive sud de la Méditerranée à la côte nord-est de la Libye.                                                                  
 

Auteur
Rabah Reghis

 




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