26 avril 2024
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Kabylie :  Aït-Djellil appelle à la rescousse

TRIBUNE

Kabylie :  Aït-Djellil appelle à la rescousse

J’ai posté, il y a quelques mois, un article ici où j’ai soulevé les nombreux problèmes d’Aït-Djellil (une commune de Kabylie sise à près de 60 km au sud du chef-lieu de la wilaya de Béjaïa), et force est de constater que rien n’a changé depuis d’un iota. (1)

 Territoire accidenté ne dépassant pas les 28 km2,  issu du découpage administratif de 1984, et tourné vers la mer en quête de fraîcheur en période estivale, Aït Djellil se voit souvent couverte du verglas et de la neige en plein hiver alors qu’elle n’est pas encore approvisionnée en gaz de ville. Les bonbonnes de gaz sont toujours de mise, dans ces hautes montagnes à la beauté féérique. Ce qui accentue la dureté de la vie, contraignant les populations à fuir pour aller vivre ailleurs à El-Kseur, Seddouk, Béjaia ville et à Alger, quoique l’exode soit un peu attenué avec les subventions octroyées par l’Etat pour le logement rural. 

À Idjedaren, haut perché sur le pic de la montagne, à quelque 1 000 mètres d’altitude, les gens se sentent délaissés par les pouvoirs publics. Cet ancien village prisé par les touristes, regorge de sources d’eau drainées et servies dans des fontaines, que les populations partent chercher à dos de mulets au moment des pénuries d’eau. 

Aït-Djellil est, à vrai dire, le modèle-type des zones d’ombre dont le président Tebboune avait fait une priorité pour son quinquennat lors de ses dernières rencontres avec les walis. Routes défoncées, cadre de vie dégradé, enclavement, exode rural qui inquiète, perspectives d’emploi au compte-goutte, sinon carrément inexistantes, absence de centre de maternité, aucun lieu de loisirs pour une jeunesse qui vit un profond mal-être, précarité et pauvreté, manque de transport, etc. Pour ce dernier point seulement, l’état des lieux laisse à désirer. « Si jamais un habitant de la région se trouve par hasard à 17H à la station routière d’El-Kseur (distante d’à peine 45 km),  ironise un jeune lycéen désabusé, c’est foutu, car il n’a aucune chance d’embarquer dans un bus de transport qui l’amènera chez lui! » 

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Une commune sans décharge publique

Durant toute la période du confinement à cause de la pandémie du Coronavirus, les citoyens d’Aït-Djellil ont subi une double peine : au casse-tête du transport et du chômage massif s’est ajouté celui de la décharge publique. Oui, Aït Djellil n’a pas de dépotoir! Soit le minimum requis pour assurer l’une des préoccupations de base du citoyen : la salubrité publique. C’est horrible d’entendre cela, en ce 2020, dans cette nouvelle Algérie dont certains médias officiels parlent matin et soir, avec un surplus d’euphorie.  

En conséquence, il se trouve que, entendez bien ce que je vais écrire, les citoyens de cette région se débrouillent comme ils peuvent pour se débarrasser de leurs ordures ménagères, en les jetant n’importe où et avec leurs propres moyens.

Des décharges sauvages commencent déjà à faire leur apparition un peu partout sur les trottoirs, les espaces publics, les oueds, les ravins, etc., au mépris de tout respect pour l’environnement. Et, le comble, face à l’inaction des collectivités locales, la situation ne fait qu’empirer de jour en jour. Pressé de toutes parts pour agir, l’entourage du maire parle du litige judiciaire qui l’opposait depuis plus d’une année sur cette question-là (la décharge publique), aux citoyens de Tizi N’djeber. À l’état stationnaire, le dossier semble miné et l’on ne sait rien de son évolution, faute de communication entre les élus et le peuple.

« À qui se plaindre dans ce bled? » s’insurgent les pauvres villageois qui ne comprennent pas où sont volatilisés les 2 milliards  de centimes dépensés pour l’enceinte réservée à cette décharge, il y a deux ans. La colère est à son comble, et la population se sent lésée dans ses droits les plus élémentaires. Blocage après blocage de la mairie, les choses revêtent une tournure dramatique et la routine finit par harasser les plus patients d’entre les citoyens.

Le spectacle est à la limite de la tragi-comédie : dès que l’on fait un tour en voiture, des amas d’immondices en plein milieu des villages narguent les regards! « Voilà Aït-Djellil, amusez-vous bien! » s’en plaint sur un ton fataliste, Kamel Tatah « ni routes ni hôpital ni lycée ni maternité, rien! Même pour nous soigner à nos frais, on devrait parcourir environ 35 km, jusqu’à la commune voisine de Béni Maouche ou à Imoula (commune de M’cisna).

Les deux cliniques qu’on a, à Tighzert et à Bounaïm, sont mal équipées. Puis, elles fonctionnent avec un médecin, un dentiste, une sage femme qui ne viennent que temporairement alors qu’il faut les avoir en permanence pour éviter des transferts de malades à Beni Maouche ou  à Amizour ( les salles de soins de 1004 « Milkate » et de Bounaim fonctionnent chacune avec un infirmier exerçant cinq jours par semaine! À mon avis, il faut doter, en urgence, les villages d’Aghbala et de Taourirth en salles de soins.»

À Taourirth, le chef-lieu de la commune, un pion au CEM m’a lancé sous forme de boutade ce râle, lourd de sens:  » plus de 14.000 âmes sans médecin, et l’on tente maintenant de nous écraser les épaules par le problème de la décharge publique, c’est honteux! » 

Une région au potentiel agricole mal exploité

De l’avis de certains habitants, les exécutifs successifs qui se sont relayés au siège de l’APC, ont échoué dans leur mission de désenclavement de la région. » Le confinement, crient-ils à l’unisson, ce n’est pas venu avec Corona, on l’avait déjà connu depuis longtemps ». Bien que deux annexes administratives aient été créées dans l’optique de désengorger le service de l’état civil du siège de la municipalité, les efforts demeurent en deçà de qui est espéré. Rien n’a été fait pour rendre Aït-Djellil attractive.

Région à vocation agricole par excellence, où les cultures les plus dominantes sont le figuier et l’olivier, deux arbres qui donnent les meilleurs produits dans toute la vallée de la Soummam, le potentiel agricole local a été gâché, sans aucune forme de soutien public ni de sponsoring ou de publicité à la mesure de la qualité « bio » des produits.

En effet, les agriculteurs de cette commune utilisent encore du fumier naturel à la place des engrais. Malheureusement, au fil des années, le nombre d’arbres (les figuiers surtout), diminue, faute du labeur de la terre et à cause des feux de forêts. Le miel, aussi, a sa place dans la cartographie agricole, plus particulièrement depuis l’avènement des aides de l’Etat pour booster l’agriculture en milieu rural. Des aides qui ont profité surtout aux jeunes dont un grand nombre ont mis en place leurs propres ruchers.

C’est le cas de Seghir Badaoui, un ex-enseignant du primaire qui s’est investi dans ce créneau depuis quelques années, avec des résultats plus qu’encourageants. Toutefois, les connaisseurs du métier lancent un appel aux autorités pour l’organisation des formations qualifiantes en apiculture.   

 Il est vrai que les collectivités locales, pour venir en aide à ces jeunes afin qu’ils fassent connaître leurs produits, organisent chaque année la fête des produits agricoles : le miel, la figue et l’huile d’olive, mais le manque de soutien direct à l’agriculture a découragé plus d’un.

« Les figues d’Aït Djellil sont mieux que celles de l’Espagne en matière de qualité-goût-bio, s’enorgueillit un vieil émigré de la région, croisé à la gare de Montparnasse à Paris, mais on ne fait rien pour créer cette chaîne humaine indispensable entre élus, agriculteurs, commerçants et exportateurs! Je suis sûr que, s’il y a volonté en haut lieu, la figue d’Aït Djellil et de Béni Maouche, sera vendue à Washington, Paris et Moscou à des prix imbattables! » 

Qui est responsable ? 

Sur les réseaux sociaux, les élus se renvoient la balle, sans laisser aucune voie pour une quelconque éclaircie à l’horizon. Aït Djellil, une zone d’ombre ou non? « Mais bien sûr que oui », répond Mokhtar Ouatah, un ex-élu de l’APC qui milite pour la jeunesse. Pour ce dernier, il y a partout manque d’assiette de terrain pour la réalisation d’infrastructures.

C’est pourquoi, il est impératif que l’on transforme les sept classes vacantes du village d’Aourir, fermées depuis 2010, pour manque d’effectif de scolarisés (avec une cantine, une cuisine, quatre logements, des sanitaires, des gradins), en auberge pour les jeunes ou en une maison d’associations. Cela redynamisera un peu un ou deux villages au point mort.

À Aourir, la propreté et l’entretien de la route sautent aux yeux. Enfin, un village propre qui mérite d’être cité en exemple et récompensé, malgré toutes les difficultés qu’il y a à entretenir la région, faute de décharge publique! 

Comme second grand problème, mon interlocuteur cite le projet du gaz de ville qui tarde à voir le jour, se demandant où se situe le blocage du dossier. « Les populations, dit-il, font face à la rareté des bonbonnes de gaz en hiver, nous disons aux autorités de wilaya que ce projet constitue une urgence pour nos citoyens, qui aspirent à beaucoup de commodités dans leurs villages démunis. Maintenant que l’installation est faite, il faut vite passer à l’étape suivante : l’approvisionnement. »

Souriant et affable, El Hachemi Cheurfa, un militant du RCD, m’a parlé, quant à lui, dans un fourgon de transport avec des mots pleins d’amertume du désert culturel qui aggrave la situation de la commune. « Je m’inquiète pour nos jeunes, affirme-t-il, quelque part, c’est le résultat de l’échec de toute une génération, la nôtre, à passer le flambeau du militantisme à la nouvelle génération ! »

Au bord de la déprime, des jeunes à la fleur de l’âge sont même allés récemment du côté d’Oran, pour tenter leur chance dans l’harga (l’immigration clandestine) ». Un phénomène nouveau dans la région (encouragé parfois, chose gravissime, par les parents).

Ce qui en dit long sur le marasme social ambiant. Conscients des impasses d’une assemblée communale (à majorité FFS), certains citoyens se disent prêts à aller jusqu’au-bout pour demander des comptes à leurs élus (les anciens et les nouveaux). Ils exigent la venue du wali et du chef de daïra pour constater de visu le désastre d’une commune (une véritable zone d’ombre) qui souffre du sous-développement, car les explications qu’on leur fournit, jusque-là, ne convainquent plus personne. « Presque deux ans sans décharge publique, c’est une calamité.

Sous d’autres cieux, ç’aurait été un scandale! » se plaignent-ils, avant que l’un d’eux s’interroge, pessimiste : « si c’était une usine qu’on a demandé, on aurait compris tout ce retard, mais là on ne demande qu’une décharge publique pour jeter nos poubelles! J’espère seulement qu’on ira vers la dissolution des assemblées communales dans les mois prochains, l’unique solution qui reste à une commune en naufrage! » 

Kamal Guerroua

Note de renvoi

(1)- Voir mon article : Aït-Djellil, une commune à l’abandon, Le Matin d’Algérie, 25 mai 2020.   

 

Auteur
Kamal Guerroua

 




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