26 avril 2024
spot_img
AccueilIdéeLa récupération du Hirak par des élites bourgeoises algériennes (2) 

La récupération du Hirak par des élites bourgeoises algériennes (2) 

TRIBUNE

La récupération du Hirak par des élites bourgeoises algériennes (2) 

À l’évidence, à notre époque de crise systémique du capitalisme (accentué la pandémie du Covid-19), et subséquemment de la résurgence des luttes sociales (partiellement confinées), des questionnements sur le projet de transformation sociale émergent parmi la population laborieuse.

Certes, l’intellectuel peut participer à l’action militante, mais il ne doit ni se substituer à l’action ni en prendre la direction. L’intellectuel doit agir et penser avec tous les autres membres engagés dans la lutte. Il ne doit pas imposer ses théories. Il doit se comporter comme un auxiliaire de la classe laborieuse, du corps social populaire en lutte. Il fait partie intégrante de ce corps social sans têtes dominantes.  

Sous le mode de production capitaliste, la politique s’apparente à un salon bourgeois, avait écrit Habermas. Il revient par conséquent à la classe populaire de décamper de ce salon de caquetage et d’abandonner les intellectuels à leur onanisme politicien. 

Sans conteste, ce n’est pas dans les officiels programmes politiques garrottés par le capital ou caporalisés par l’État-major de l’armée, rédigés par les intellectuels organiques, cette élite asservie à l’ordre dominant, que réside l’émergence des transformations sociales. Ni dans les feuilles de route spécieuses de ces autoproclamés hommes providentiels hissés sur le devant de la scène pour faire main basse sur les mouvements populaires.

- Advertisement -

C’est au cours des luttes sociales spontanées pour la défense des conditions de vie et de travail (dans un premier temps) que s’expérimentent de nouvelles formes de sociabilité subversive et de nouvelles organisations autogestionnaires horizontales, qu’apparaissent le besoin et la possibilité de changement de société. C’est dans ces phases aiguës de lutte sociale populaire que surgit la nécessité d’une nouvelle forme d’organisation structurellement antisystème, sans théoricien, sans bureaucratie, sans instance hiérarchique habituellement inféodée au grand capital national et international.

Dans ces formes d’auto-organisation doivent s’exprimer exclusivement les intérêts des classes populaires, par-delà toute forme d’encadrement intellectuel et organisationnel bourgeois. Car l’expérience historique du prolétariat algérien – notamment durant la phase de la lutte de Libération nationale – prouve que l’intelligentsia bourgeoise algérienne ne peut diriger et mener une révolution populaire à son terme, mais uniquement au profit du capital national et international, comme vient de l’illustrer le Hirak. Par essence, les élites bourgeoises algériennes sont liguées contre le peuple et sont les fidèles alliées du capital national et international, leurs protecteurs, leurs financeurs. 

C’est au cours des mouvements de résistance de classe, puis des activités de soulèvement populiste, suivi d’insurrection populaire que surgit cette réflexion collective de maturation politique dans et par l’action – la lutte de classe et sa conscientisation qui ne vient jamais de la simple existence de la classe ni de l’extérieure de la classe, apportée par les intellectuels, des politiciens professionnels.

La conscience de classe est un produit de la lutte de classe. C’est la cristallisation de l’expérience de la lutte à un moment précis de son évolution dynamique, dans des circonstances spécifiques. En d’autres termes, pas d’attaques sévères du capital contre le salariat et les conditions de vie des classes opprimées, pas de résistance farouche de la classe travailleuse et populaire à ces attaques : et subséquemment, nulle conscience de classe.

C’est le mouvement qui crée la pensée, l’idéologie ne fait que la formaliser. Et le mouvement se développe en fonction des conditions matérielles objectives. C’est ce qui nous fait dire qu’ à aucun moment dans l’histoire humaine (ni en 1917 en Russie,  ni en 1949 en Chine, ni dans aucun autre pays), nous avions observé la révolution prolétarienne en marche, tout simplement parce que les moyens sociaux de production capitalistes et les forces productives n’avaient jamais atteint leur plein épanouissement – ce point de non-retour où les rapports sociaux de production font éclater le mode de production tout entier.

Cet effondrement ne sera jamais le fruit de la volonté consciente de la classe, il ne sera pas non plus d’abord idéologique comme le croit les intellectuels de gauche comme de droite, qui pensent que l’esprit guide le monde. Cet effondrement sera d’abord économique – concret, matériel, pratique (comme on le vit actuellement avec l’effondrement brutal de l’économie capitaliste) – et provoquera inéluctablement le soulèvement de toutes les couches de la société sous la direction du prolétariat révolutionnaire devenu conscient à travers le Mouvement de résistance. Stade d’évolution révolutionnaire que ni les Gilets jaune, ni le prolétariat algérien au cours de son soulèvement populiste hirakien, ni aucun autre contingent national populaire n’avaient atteint. Mais tous les mouvements de masse, depuis quelques années en action, notamment en France avec les Gilets jaunes et en Algérie avec les hirakistes, ont ouvert, à travers leurs luttes locales, régionales, nationales, le chemin de la révolution prolétarienne mondiale.  

De fait, dans les moments de lutte comme le Mouvement 22 février, l’enjeu n’était pas de confier la direction du combat politique à des intellectuels ni de convoquer des experts pour disserter doctement sur les réformes à quémander auprès de l’État.

Ni de soumettre la classe populaire algérienne à un « panel de dialogue » petit-bourgeois, un échantillon de personnalités représentatives de l’élite algérienne en quête de sinécures gouvernementales lucratives. L’enjeu de la lutte idéologique était de rompre avec le modèle de société capitaliste hégémonique, ce qu’aucun intellectuel bourgeois algérien ne pouvait assumer.  

Ce sont là les bases préliminaires de la rupture sociale entre les deux classes sociales antagonistes : capital financiarisé contre travail prolétarisé.  Cette rupture avec le modèle dominant implique l’édification du double pouvoir, des lors que le capital (son représentant : l’État) ne peut plus diriger la société (nous y sommes avec l’entrée du système capitaliste en récession déclenchée à la faveur de la crise sanitaire du Covid-19) et que le travail n’accepte plus d’être aliéné et détruit, ni les classes populaires paupérisées. Ni les couches petites et moyennes bourgeoises précarisées.

Et ces dernières, avec la crise multidimensionnelle actuelle, seront placées devant une alternative : ou se ranger derrière le capital ou se mettre derrière le travail salarié dans sa conquête du pouvoir pour la destruction de l’ancien mode de production moribond, et surtout la construction d’un nouveau mode de production économique et social universel humain.  

L’Algérie du Mouvement 22 février n’avait jamais atteint ce point de rupture et de double pouvoir car les conditions objectives et conséquemment subjectives de la révolution populaire, et surtout de la révolution prolétarienne, n’étaient pas réunies. Si on peut utiliser une image de l’époque de la lutte anticoloniale, les élites intellectuelles bourgeoises algériennes contemporaines se sont comportées comme les « Messalistes » ou les « Benbadistes », ces partisans de la collaboration, artisans de la temporisation combative, tenants de l’intégration dans l’Algérie française (aujourd’hui devenue dans le système capitaliste national algérien).

Autrement dit, elles ne sont absolument pas révolutionnaires. Elles cherchent à perpétuer le néocolonialisme national, en d’autres termes, la soumission à l’ordre dominant du système Flnesque, comme leurs aînés harkis prônaient la pérennisation de l’asservissement au service de la France coloniale.  

L’histoire algérienne nous enseigne que les utopies émanant des Manifestes ou des Clubs de pensée (aujourd’hui illustrés en Algérie par la profusion d’entités politiciennes) n’ont aucune emprise sur la réalité. Elles constituent tout au plus des tentatives réactionnaires de réformer le passé (comme on le voit avec les mouvements identitaires berbéristes et islamiques). Toutes les manœuvres initiées par les élites bourgeoises algériennes visaient la neutralisation du soulèvement populiste pour l’empêcher de se transformer en mouvement de révolte populaire, phase précédant la révolution prolétarienne.  

L’histoire nous apprend que ce sont toujours les mouvements de lutte pratiques qui mettent en œuvre les utopies en rupture avec la gestion de la société capitaliste, industrielle, marchande, urbaine, inégalitaire, aliénante, pour inventer de nouvelles possibilités. Aussi, pour l’Algérie, les nouvelles réflexions critiques à élaborer collectivement doivent-elles se placer dans une perspective émancipatrice pour alimenter le combat politique de classe.  

Malheureusement, notre époque est marquée par le déclin du mouvement ouvrier, déclin qui n’est pas la conséquence de la trahison des clercs gauchistes et réformistes, mais l’expression politique de la déshérence de la classe prolétarienne mondiale. Dans cette époque de reflux de la combativité populaire et ouvrière, la classe prolétarienne a perdu ses repères sociologiques délibérément obscurcis par la classe dominante via la petite bourgeoisie de gauche comme de droite.  

C’est l’objectif de la lutte idéologique et politique menée en permanence par toutes les instances bourgeoises contre le prolétariat : déstructurer le corps social spécifique du prolétariat par son morcellement sociologique, sa fragmentation ethnique ou religieuse, son démembrement politique.

Le rôle des révolutionnaires prolétariens ne consiste pas à se substituer à la classe et à tenter de diriger son action, nous en serions bien incapables. Notre rôle consiste à observer et à analyser, strictement d’un point de vue de classe, les mouvements de la classe en lutte et de lui restituer un portrait fidèle, prolétarien, matérialiste, dialectique et dynamique de cette réalité mouvante.

 Ainsi, pour prendre un exemple concret : nous dénonçons la revendication pour des élections soi-disant démocratiques mais réellement bourgeoises, et nous revendiquons le rejet total de toute mascarade électorale bourgeoise car visant à liquider le mouvement populaire révolutionnaire, comme l’a amplement illustré l’expérience hirakienne. 

À l’évidence, la dimension de classe a disparu de la pensée et des écrits des plumitifs embourgeoisés. C’est le rôle des intellectuels prolétariens révolutionnaires de la réintroduire parmi la classe populaire pour lui redonner confiance en sa force. En effet, si naguère la lutte s’appuyait sur le découpage de la réalité en termes de classes sociales, aujourd’hui dans la littérature bourgeoise les catégories ethnolinguistiques, tribales, religieuses (et depuis peu de genre), monopolisent l’espace médiatique, brouillent l’analyse de classes sociales. 

Ceci est particulièrement vrai dans les pays musulmans au sein desquels l’identité ethnique et religieuse s’acharne à se pérenniser en dépit de la dislocation de l’ancien mode de production féodal, freinant l’émergence de l’identification sociale sur le fondement de l’appartenance de classe sociale, car ces sociétés sont encore en transition de l’ancien mode de production féodal et tribal vers le mode de production capitaliste marchand, industriel, urbain, financiarisé, mondialisé.

Ainsi, pour prendre l’exemple de l’Algérie déchirée par de stériles tensions identitaires et religieuses, tandis que des secteurs entiers de l’économie se sont modernisés (pétrole, métallurgie, communication, une portion de l’agriculture), d’autres secteurs de l’économie stagnent sous les rapports de production archaïques, enfermant encore la population dans le carcan idéologique archaïque (islamique et identitaire berbériste).

C’est aussi un impératif pour les intellectuels prolétariens matérialistes de réintroduire le primat de l’analyse économique marxiste dans l’étude socio-politique contemporaine. Cela nous évitera de tomber dans la logorrhée spéculative géostratégique pseudo historique et géopolitique.  

De surcroît, il faut éviter les travers des intellectuels bourgeois qui se réfugient dans l’abstraction et l’entre-soi universitaire. À l’instar de l’édification de ces multiples mondaines structures comme le Forum de dialogue, Forum civil et autres entités échafaudés par l’élite bourgeoise algérienne avec l’aval de ses maîtres détenteurs du pouvoir économique, politique et idéologique hégémonique en Algérie, ou commanditées et activées par des officines opaques étrangères impérialistes œuvrant au démembrement de l’Algérie. 

À l’époque moderne, chaque Algérien actif ou chômeur est doté d’un « capital scolaire » suffisant pour participer pleinement, à égalité de ses frères de lutte, à l’organisation horizontale de la société, à la gouvernance du pays, à la gestion de l’Algérie. En 1962, lors de l’indépendance de l’Algérie, seuls 8% de la population était partiellement alphabétisée.

Avec à peine quelques milliers de citoyens algériens lettrés nous avions pu faire transiter le pays du féodalisme archaïque au capitalisme moderne (quoique la transition ne soit pas encore achevée), avec ses performances et ses imperfections. Aujourd’hui, juste pour l’année universitaire 2018-2019, l’Algérie a comptabilisé 1 700 000 étudiants.

Cette brillante jeunesse dispose de toutes les compétences pour assister le prolétariat algérien dans la transition vers le mode de production prolétarien (à distinguer radicalement du « communisme » soviétique ou chinois, ou ces variantes avariées trotskistes ou socialistes tiers-mondistes, ces monstrueuses impostures bâties et imposées justement par les élites intellectuelles bourgeoises dirigistes et par les politiciens gauchistes professionnels issus de pays féodaux). 

Ironie de l’histoire, le capitalisme a transformé presque tous les individus en prolétaires, mais surtout, par l’élévation du niveau d’études, en « intellectuels ». De sorte que ces prolétaires n’ont nul besoin « d’intellectuels professionnels » ou d’une élite pour les endoctriner, les encadrer. Les prolétaires, regroupés en classe sociale, sont devenus leur propre guide économique, politique et idéologique. Aujourd’hui, dans le prolétariat algérien, coexistent et cohabitent et la praxis et la théorie, capacités d’action et de réflexion : aptitudes partagées par les prolétaires du monde entier. Ces deux attributs dialectiques constituent les armes pour le prolétariat algérien en lutte pour son émancipation.  

Mesloub Khider  

(1) Prolétariat : selon la définition de Marx et des marxistes, le prolétariat est constitué de l’ensemble des salariés et des chômeurs (considérés comme des salariés sans emploi). Et le prolétariat est la classe sociale qui, pour avoir de quoi vivre, est obligée de vendre sa force de travail à la classe antagoniste, qui dispose du capital et des moyens matériels de production. Or, selon les statistiques du travail, plus de 85% des salariés sont des prolétaires, autrement dit ils sont contraints de vendre leur force de travail pour subsister (c’est le cas du prof, de la caissière, d’un ingénieur même s’il perçoit une rémunération élevée, et d’autres centaines activités salariées). L’emploi non salarié recouvre, lui, les employeurs, les personnes établies à leur compte, les artisans, les autoentrepreneurs, qui représente donc moins de 15%.   

Auteur
Khider Mesloub

 




LAISSEZ UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

ARTICLES SIMILAIRES

Les plus lus

Les derniers articles

Commentaires récents