18 mai 2024
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Lettre d’adieu au Président Bouteflika

TRIBUNE

Lettre d’adieu au Président Bouteflika

Votre excellence,

Il vous parait peut-être prétentieux  ou impertinent d’oser s’adresser à un monument politique et impressionnant  tel que vous.

Avant d’occuper la fonction de Président pendant 20 ans, vous présidiez déjà très jeune l’assemblée générale de l’ONU au nom de l’Algérie dont vous étiez ministre des affaires étrangères. A ce moment-là, les  algériens nés juste après l’indépendance usaient leurs culottes courtes sur les bancs de l’école primaire, ils sortaient à peine du giron maternelle. Les élèves qu’ils étaient connaissaient déjà le fringant, élégant et brillant représentant de la diplomatie de leur pays à peine libéré. Adolescents ils ont assisté à sa disgrâce survenue après la mort de son mentor, feu le Président Houari Boumediene, à ses tracasseries judiciaires déclenchés par la cour des comptes. Jeunes, ils ont accueilli son retour au comité central du FLN avec stupéfaction et curiosité. Devenus adultes, ils l’ont observé accédant à la magistrature suprême avec beaucoup de nostalgie et d’espoir.

Aujourd’hui c’est avec de la compassion et de l’empathie qu’ils apprennent que leur président, devenu un vieil homme malade sur un fauteuil roulant, dépose sa démission et quitte enfin le pouvoir. Ils ont grandi et vieilli avec vous, Monsieur le Président. Vous avez depuis toujours fait partie de leur paysage  politique et médiatique.

Comme au sein d’une famille, lorsqu’un fils devient à son tour  père, responsable et adulte et qu’il gagne le droit d’exprimer certaines vérités à son géniteur,  dans le respect qui doit caractériser leur relation, les enfants de l’indépendance viennent vous faire part de leurs sentiments. Tout ceci dans un but thérapeutique afin de tenter de chasser leurs démons. C’est ce que fait la population algérienne chaque vendredi pour purifier son âme.

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En lisant votre lettre de démission  ils ont éprouvé le besoin de se livrer à vous quant au contenu de votre missive.

Une bonne partie d’Algériens de cette génération  s’accorde à reconnaître les considérables efforts que vous avez consentis pour l’épanouissement et le  développement de ce pays durant vos deux premiers mandats. Votre dévotion et votre engagement vous ont d’ailleurs coûté votre santé. Dès lors que vous avez entamé le troisième, les choses se sont compliquées pour vous ainsi que pour le peuple.

Ce parfum enivrant, cette irrésistible tentation de durer et de perdurer, cette maladie, ce cancer, que l’on appelle le pouvoir vous a terrassé et atteint son stade critique. Il ne pouvait plus y avoir de rémission.

Par la suite vous parlez «d’excès verbaux qui marquent malencontreusement l’actualité ». Avec tout le respect dû à votre fonction, votre parcours et votre âge permettez à ces enfants  post-indépendance, devenus des femmes et des hommes de sourire. L’excès verbal est une de vos spécialités Monsieur le Président. « ..Si je n’ai pas un soutien franc et massif du peuple algérien je considère qu’il doit être heureux dans sa médiocrité et après tout je ne suis pas chargé de faire son bonheur bien malgré lui. Je sais rentrer chez moi et y rester pendant vingt ans … je ne suis pas un chercheur de pouvoir pas plus que quelqu’un qui est atteint de messianisme politique… » étaient l’une des réponses que vous apportiez à deux journalistes de France 2 lors d’une interview accordée en avril 1999 lorsque les autres candidats en lice s’étaient retirés de l’élection.

Ou encore, au forum de Crans-Montana quand vous déclariez : «Je suis le représentant du peuple algérien et aucune institution de la république ne peut faire une bouchée de moi fut-elle l’Armée Nationale Populaire. Je suis l’Algérie tout entière. Je suis l’incarnation du peuple algérien alors dites aux généraux de me bouffer s’ils peuvent le faire ». Ils ne l’ont pas fait, Monsieur le Président. Pendant une décennie le peuple algérien a suivi vos séances pantagruéliques de « bouffe de généraux » avec attention.

L’écart verbal est votre arme de prédilection, Monsieur le Président. Vous excellez dans cette discipline. Le verbe a toujours été l’un de vos atouts maîtres.

En ce qui concerne l’avenir que vous évoquez dans votre lettre, Monsieur le Président, ces mêmes enfants devenus adultes, s’interrogent sur votre omission de passer le flambeau. Ils se demandent pourquoi donc vous avez  supprimé la gestion de la transition générationnelle de votre agenda politique.

Aussi Ils ne s’expliquent pas le retard accusé dans la réforme de l’école dont souffrent leurs enfants. Ils ne comprennent pas non plus pourquoi avoir rempli le bel édifice abritant l’Assemblée Populaire Nationale, de personnes ayant peu d’atomes crochus avec ce que l’on nomme le livre.

Il est vrai que cette génération a été dans son ensemble peu impliquée dans la vie politique. La faute à qui Monsieur le Président ? Vous savez mieux que quiconque qui est l’artisan de ce système. Vous en êtes le seul survivant et héritier. Vous êtes un des plus grands inventeurs du processus de l’élection par cooptation.

Comment demander à une génération plus ou moins instruite de se rendre dans un bureau de vote et de faire un choix dont personne ne tiendra compte ? A partir de là ils ont démissionné. Après les évènements d’Octobre 1988, et dès que le multipartisme a vu le jour, ils ont commencé à s’intéresser à la chose politique. Un embryon de classe politique est né. Dès les premières tentatives d’élections démocratiques, une guerre civile éclate et les revoilà dans ce système de la cooptation. Il s’en est suivi une succession d’élections par ce fameux processus jusqu’à votre arrivée au pouvoir. Votre élection de 1999 et celles qui s’en suivirent n’ont pas fait exception. Bien au contraire, le processus a été amélioré, affiné et il s’est étendu de manière systématique à toutes les institutions.  

Voilà donc cette génération, marginalisée, privé durant toute sa vie de s’exprimer, de faire un choix, de décider de ses représentants. Un certain 22 Février, quand ces femmes et ces hommes, approchant la cinquantaine aujourd’hui, ont vu leurs enfants munis de leurs pancartes et leurs sacs à dos rejoindre le bateau de la liberté ils n’ont pas hésité. Ils n’ont pas réfléchi. Ils ont juste chaussé leurs godasses et suivi les plus jeunes. Ils ont marché, hurlé, crié afin d’exorciser la frustration causée par le musellement dont ils ont été victimes durant la majeure partie de leur vie.

Enfin, Monsieur le président, sachez qu’ils n’auront jamais l’outrecuidance de vous juger. Ils espèrent que Dieu vous retiendra assez longtemps en vie pour que vous puissiez profiter de l’avenir meilleur auquel ils aspirent légitimement comme cité dans votre lettre. Ils souhaiteraient vous voir assister, en leur présence, à la première élection libre en Algérie, sans avoir recours à ce vieux réflexe de la cooptation. Une élection démocratique reflétant un véritable choix populaire

Bonne santé et longue vie à vous Monsieur le Président.

Auteur
Djalal Larabi

 




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