AccueilCulture"Comment peut-on être Berbère ? amnésie, renaissance, soulèvements"

« Comment peut-on être Berbère ? amnésie, renaissance, soulèvements »

"Comment peut-on être Berbère ? amnésie, renaissance, soulèvements"

Vingt-deux experts du Maghreb et d’Europe s’associent pour produire un ouvrage de référence sur le fait berbère, ce très vieil ensemble de peuples du Bassin méditerranée depuis la nuit des temps mais dont l’existence ne cesse d’être combattue ou minorée (par l’arabisme, l’islamisme ou certains chercheurs français) malgré les mouvements d’émancipation.- Un ouvrage de référence dans les études berbères, sur l’histoire et la géographie : Algérie, Maroc, Tunisie, Libye, Nord-Mali…

Les articles publiés dans ce livre proviennent essentiellement d’un colloque universitaire de 2015. Il a été dirigé par un professeur spécialiste de l’Algérie et du Maroc, spécialement pour les aspects de leur histoire dont on peut estimer qu’ils ont été occultés voire falsifiés de longue date ; ce qui concerne principalement tout ce qui touche à la population et la culture appelées longtemps berbères, alors qu’on utilise davantage de nos jours le néologisme « amazigh ».

Une autre spécialiste connue des Berbères, Tassadit Yacine, s’interroge : « Pourquoi cette absence ?» et il est vrai que la première partie du livre s’emploie à nuancer les réponses qu’on peut apporter à cet effacement. La suivante évoque au contraire ce qu’il en est de la renaissance culturelle berbère récente et actuelle, même si on ne peut en parler sans évoquer les limites dans lesquelles les Etats s’efforcent de la maintenir.

Géographiquement le livre ne se borne pas à l’Algérie et au Maroc, il concerne aussi la Tunisie, la Libye et l’Azawad peuplé de Berbères Touaregs, non sans y ajouter le fait que les revendications berbères trouvent un écho très important dans le monde de l’immigration. Il fallait évidemment rappeler que, pour prendre cet exemple quantitativement impressionnant, une grande partie de ceux qu’on appelle en France « les Arabes » sont en fait des Berbères, souvent originaires de Kabylie (et que nombre d’entre eux sont arrivés en France sans parler la langue arabe).

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En fait, le livre ne cache nullement ses intentions qui sont d’expliquer un phénomène relativement récent, la minoration des Berbères au profit de l’arabité qui comporte d’ailleurs plusieurs aspects concomitants : la naissance d’un nationalisme arabe lié aux mouvements anticoloniaux et devenant la pensée unique des pays nouvellement indépendants, la montée en puissance des pays arabes extraordinairement enrichis par la découverte du pétrole et ses effets mondiaux.

Plusieurs articles montrent avec quelle force s’est alors exercé le pouvoir du parti nationaliste arabe se concevant comme parti unique, autorisé à s’imposer par une coercition intraitable et souvent féroce. C’est d’ailleurs l’idée très clairement exprimée par Pierre Vermeren dès la première page du livre : « Depuis les années cinquante, le nationalisme arabe a forgé l’horizon d’attente des dirigeants du Maghreb. Ceux-ci ont utilisé les instruments et le pouvoir des Etats bureaucratiques dont ils ont hérité du colonialisme, entre 1956 et 1962, pour amplifier et si possible achever l’arabisation de leurs peuples entamée au Moyen-Age. »

Toujours aussi clair et ferme dans ses affirmations, l’auteur revient sur les opinions vraies mais surtout fausses qui ont été répandues pour étayer la politique d’unification menée par les nationalistes arabes à leur profit.

Au nom de cette nation qui est leur cheval de bataille (même si on ne sait pas toujours très bien ce qu’il faut entendre par là ni pourquoi la nation ne permettrait pas des diversités culturelles en son sein), ils pratiquent un amalgame qui ne relève que de la mauvaise foi, voire d’une volonté de falsification. Car d’une part il est tout fait vrai, comme le savent tous les historiens, que le pouvoir colonial a cherché à jouer des divisions ethniques et culturelles en vertu du vieux principe : diviser pour régner.

Mais d’autre part il est tout à fait faux que les Berbères aient choisi le camp des colonisateurs lorsque conflits et guerres ont éclaté entre ceux-ci et les populations colonisées. L’exemple de la guerre d’Algérie est flagrant, et il faudrait nier toute évidence pour ne pas reconnaître l’importance considérable de la composante berbère dans les rangs des indépendantistes.

Sans multiplier les exemples que tout le monde connaît, Abdelkrim montagnard berbère du Rif marocain est connu pour avoir mené le combat contre l’annexion de son pays par les colonisateurs. Il est stupéfiant de voir en cette affaire comment la propagande l’emporte de manière éhontée sur les faits.

Il a fallu du temps pour que la revendication berbère parvienne à des résultats, mais ils sont aujourd’hui incontestables. Le livre revient sur quelques étapes de cette renaissance et sur les mouvements populaires qui l’ont rendue possible. Au nombre desquels, évidemment, le printemps berbère de 1980, suite à l’interdiction d’une conférence de l’écrivain Mouloud Mammeri à l’Université de Tizi Ouzou— mais on peut le voir comme la partie émergée d’un iceberg. Très nombreux en effet sont les événements petits ou grands que le livre recense dans plusieurs pages intitulées « Repères chronologiques sur le mouvement amazigh en Algérie, au Maroc et en France ».

Les décrets et actes officiels sont d’une importance décisive, mais l’affectivité et les émotions populaires ne le sont pas moins. Il en est ainsi pour l’assassinat du chanteur kabyle Matoub Lounès en 1998, qui fut suivi de remous très violents autour de l’amazighité. A mi-chemin de ces deux forces, l’Etat et le peuple , les affrontements entre partis opposés débouchent parfois sur des prises de position qui sont des avancées importantes dans la marche vers la renaissance berbère. Ce fut le cas au Maroc pour le « manifeste berbère » de 2000 écrit par des intellectuels proches du tout jeune souverain Mohammed VI(beaucoup plus favorable à la culture amazighe qui son prédécesseur le roi Hassan II).

Le moins qu’on puisse dire est que, si renaissance il y a, il a fallu la conquérir de haute lutte. Son ennemi principal, le salafisme (ou fondamentalisme), ne manque pas de ressources ni d’appuis.

Denise Brahimi

Comment peut-on être Berbère ? amnésie, renaissance, soulèvements, sous la direction de Pierre Vermeren, Editions Riveneuve, 2022, 419 pages.

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