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L’inimitable De Gaulle et le président Bouteflika

Chronique du temps qui passe

L’inimitable De Gaulle et le président Bouteflika

Quitte à mimer un grand homme, autant le faire jusqu’au bout ! C’est-à-dire jusqu’à son ultime attachement pour la dignité (*). Notre Président, pour être tout à fait fidèle à la grandeur gaullienne doit maintenant oser le référendum implacable, poser la question au peuple : voulez-vous encore de moi ? C’est, aujourd’hui, la seule manière pour lui de sauver ce qui lui reste de réputation. La fascination pour De Gaulle avait gagné le jeune Président B. dès la fin des années 50, et les quelques témoins de l’époque, tels Hervé Bourges, le rapportent assez bien. Comment, en effet, échapper au rayonnement de ce géant vénéré par une France prosternée, attentive au moindre de ses mots, curieuse de connaître la recette du bonheur que seul ce personnage avait le don de posséder ? Le Président B. a beaucoup pris de De Gaulle : le sentiment profond d’être le sauveur providentiel de la nation, l’obsession pour la « paix des braves », l’obstination à vouloir changer de République et à réformer les institutions, le goût prononcé pour le pouvoir personnel, le style mégalomaniaque forcé jusqu’à la caricature, le mépris pour les partis… et une gestuelle qu’il a dû travailler pour qu’elle se confonde parfaitement avec l’original. On le pensait admiratif de Boumediene mais son héros n’était que le général De Gaulle. Après tout, l’histoire l’y a un peu aidé, même au prix de certaines coïncidences dont seuls des esprits chagrins nieraient le caractère hautement symbolique. Comme De Gaulle, le candidat Président B. a été arraché de sa retraite pour porter secours à la patrie, le premier, certes, de son village de Colombey-Les-Deux-Eglises et le second de sa somptueuse résidence de Doha, mais l’essentiel, n’est-ce pas, est dans ce genre d’épisodes historiques est dans la disponibilité inconditionnelle de l’homme pour son pays. Comme De Gaulle, Président B. a eu son 18 juin : c’est ce jour qu’a choisi le premier pour lancer en 1940, à partir de Londres, l’appel à la résistance antinazie et c’est un 18 juin 1965 que Président B. a, au nom des putschistes, informé Ahmed Ben Bella que son règne était terminé. Il y a sans doute quelque différence de noblesse dans les deux initiatives, mais le bonheur est dans le calendrier et personne n’y pourra rien. C’est d’ailleurs avec un sens élevé de l’à-propos que le tout nouveau Président B. entreprit, dès son entrée en fonction, de développer les rapprochements historiques avec le général.

De Gaulle affirme le 16 septembre 1959 le principe d’autodétermination pour les Algériens ? Qu’à cela ne tienne ; le Président B., quarante ans après, jour pour jour, organise le 16 septembre 1999 un référendum sur la concorde civile. De Gaulle, à partir de son exil, s’insurge contre la IVe République qui condamne le Président de la République à être une potiche entre les mains des partis ? En écho, le Président B. s’offusque que le chef de l’Etat se soit transformé en Algérie en « reine d’Angleterre ». De Gaulle veut changer de Constitution pour y remédier ? Président B. fera de même. De Gaulle affiche son indépendance envers l’Otan et les Américains ? Président B. frappe sur la table et annonce, avant de se raviser, que l’Algérie n’est otage d’aucune puissance de par le monde.

Bref, l’élève a tout appris, même l’art du discours énigmatique : « Je vous ai compris », a lancé une fois De Gaulle aux Algériens et aux pieds-noirs, plongeant les historiens dans une perplexité qui est loin d’être épuisée. « Je vous ai compris » ne cesse de clamer Président B. à l’adresse des islamistes et des anti-islamistes sans toutefois retenir l’attention des historiens. Deux hommes, deux messies, deux itinéraires et donc un même destin ? Pas si sûr.

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En mai 1968, à Paris, la crise est universitaire avant de devenir sociale puis politique et contraindre De Gaulle au départ. En mai 2002, la crise est aussi universitaire que sociale et politique dans une Algérie qui explose de partout. Président B. est hué par les étudiants de Bouzaréah et une vingtaine d’entre eux est arrêtée. A Paris, De Gaulle propose un référendum pour le 27 avril 1969 : « Si je suis désavoué par une majorité d’entre vous, je cesserai aussitôt mes activités », avertit-il deux jours plus tôt. A 52 %, les Français votent « non ». Le 28 avril, De Gaulle démissionne et se retire à Colombey-Les-Deux-Egiises. Il reconnut sa défaite en ces termes : « On ne saisit pas un torrent avec ses mains». Ce fut tout naturellement qu’il quitta le pouvoir quand, quelques mois plus tard, cette société en colère qu’il n’avait pas su écouter, lui signifia l’heure de la séparation en disant « non » à son référendum. Il laissa à ses proches cette cinglante réplique : « Quel homme serais-je si je prétendais me maintenir dérisoirement dans mes fonctions ? »

Voilà le genre de questions que se pose pas notre estimable président qui n’est, à vrai dire, ni dans la lignée de Jefferson, Kennedy ou de Gaulle, fils de l’alternance démocratique, celle que prescrivait Tocqueville, il y a deux siècles déjà, préconisant que « le plus grand soin d’un bon gouvernement devrait être d’habituer peu à peu les peuples à se passer de lui ». Président B. a choisi d’être dans une filiation beaucoup moins prestigieuse : celle de Saddam Hussein, Kadhafi, Hafedh El-Assad ou Ben Ali : une créature du despotisme arabe qui compte persuader le peuple de ne pas se passer de lui.

A Alger, l’élève Président B. n’ose pas encore poser ta question de savoir si la population veut toujours de lui. Quitte à mimer un grand homme autant le mimer jusqu’au bout. C’est-à-dire jusqu’à son ultime attachement pour la dignité. Notre Président, pour être tout à fait fidèle à la grandeur gaullienne, doit maintenant oser le référendum implacable, poser la question au peuple : voulez-vous encore de moi ? C’est, aujourd’hui, la seule manière pour lui de sauver ce qui lui reste de réputation. Il ne le fera pas.

Il fera l’inverse.

Oui, c’est bien lui, l’homme de Sétif, celui qui s’en remettait à Dieu et au poids de l’âge. « Nous sommes finis », disait-il, oui, c’est bien lui, l’homme de Sétif qui avait tant ému par sa voix tremblante et l’authenticité de son accent, c’est lui, c’est bien lui, l’homme qui nous disait adieu, c’est lui qui vient de signer cette lettre où l’on lit, noir sur blanc : «Les difficultés liées à ma santé ne semblent pas me disqualifier à vos yeux».

« Il me coûterait de rester sourd à vos appels. Aussi, ai-je décidé pour ne point vous décevoir, de me porter candidat l’élection présidentielle du 17 avril 2014». Il y a de tout, dans cette phrase. La nique, d’abord. La nique à l’adresse de tous ceux-là, braves citoyens au cœur tendre ou éminents analystes qui avaient vu, dans son discours de Sétif, l’aveu d’un vieil autocrate en bout de course. Le président B. s’adresse à eux, aujourd’hui, le sourire en coin, les yeux pétillants, hier de malignité, aujourd’hui de plaisir cynique, pour leur dire : « Je vous aime, bonnes pommes de mon pays ! Que Dieu vous prête longue-vie ! » Le président n’a rien à craindre en effet, tant que se reproduisent, sur notre belle terre, les créatures niaises et corniaudes qui assurent les beaux jours des potentats. Jubilez, requins : L’Algérie est un vaste océan où se recrutent, sans grande peine, les armées d’andouilles qui assurent votre pérennité. Il suffit de savoir verser une larme au bon moment, parler d’une voix chevrotante, invoquer Dieu d’une voix solennelle, puisque les choses du ciel ne se discutent pas, invoquer Dieu la main sur le Coran, l’autre sur le revolver ou sur la caisse noire, c’est selon, invoquer Dieu, Dieu et le paradis, Dieu et son courroux, Dieu par lequel le président B. s’apprête à jurer, à l’entame de son quatrième mandat, la main sur le Coran, qu’il est en parfaite santé. Ainsi nous parlent les gangs qui s’apprêtenr à achever l’Algérie : « Algériens, braves algériens, tu nous as faits rois roturiers, nous qui sommes sans rang et sans lignée ! Et nous t’avons embrigadé en chantant : »Soyez gentils, soyez saints, soyez lâches !  » Tu nous as faits prophètes et nous t’avons conforté dans la peur de l’enfer et l’envie du paradis ! Ta peur providentielle, brave homme, celle-là par laquelle se laissent gouverner les peuples arabes ! »

Oui, la nique. Mais aussi, écoutons bien, l’annexion définitive du pays par le clan du président B… Le le président B. vivant régnera jusqu’au dernier souffle. Le président B. mort régnerait par le nouveau souffle de Saïd.

Les historiens retiendront que Président B. est la preuve incarnée que De Gaulle est inimitable : pour ne pas être contraint de se retirer à Doha, le Président algérien choisit d’envoyer la police charger une Algérie qui ne veut plus de lui. Repose en paix, De Gaulle !

(*) Chronique parue en 2014.

Auteur
Mohamed Benchicou

 




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